Déontologie
Informations sur la décision
L’avis d’audience disciplinaire initial contenait quatre allégations contre le gendarme Steven Murchie. Les allégations 1 et 2 relevaient de l’article 7.1 du code de déontologie (conduite déshonorante). Les allégations 3 et 4 relevaient de l’article 4.6 du code de déontologie (utilisation inappropriée du matériel fourni par le gouvernement – ordinateurs et bases de données). L’allégation 2 a été retirée avant le début de l’audience disciplinaire. Après avoir entendu la preuve et les observations, le comité de déontologie a conclu que l’allégation 1 n’avait pas été établie. Malgré le fait que de nombreux détails n’aient pas été établis, le comité de déontologie a conclu que l’allégation 3 avait été établie. L’allégation 4 a aussi été établie. Le comité de déontologie a pris des mesures disciplinaires globales comprenant : 1) une réprimande; 2)°l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an; 3)°l’obligation de suivre deux formations précises en ligne; 4)°une pénalité financière de 120 heures à déduire de la solde; 5) l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans.
Contenu de la décision
Protégé A
OGCA 202033835
2024 DAD 08
Ordonnance de non-publication : Interdiction de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la plaignante ou des enfants du membre visé.
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Dans l’affaire d’une
audience disciplinaire au titre de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10
Entre :
Autorité disciplinaire désignée, Division E
Autorité disciplinaire
et
Gendarme Steven Murchie
Numéro de matricule 56086
Membre visé
Décision du comité de déontologie
Kevin L. Harrison 16 septembre 2024
|
Mmes Janice Calzavara et Sabine Georges, représentantes de l’autorité disciplinaire
M. David Butcher, représentant du membre visé
TABLE DES MATIÈRES
Contexte factuel entourant les allégations 3 et 4
Questions relatives aux allégations 3 et 4
Conclusions sur l’allégation 3
Le résumé des conclusions sur l’allégation 3
Conclusions sur l’allégation 4
Conclusions sur l’allégation 1
Les actes qui constituent la conduite alléguée
Le gendarme Murchie était-il en service lorsqu’il a rencontré Mme D.T.?
Mme D.T. était-elle une personne vulnérable?
Le gendarme Murchie était-il en position d’autorité par rapport à Mme D.T.?
Le gendarme Murchie a-t-il entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme D.T.?
Le risque de jeter le discrédit sur la Gendarmerie
L’intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires contre le gendarme Murchie
Le respect des objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC
L’intérêt des personnes touchées
La conclusion sur les objectifs de la Loi sur la GRC
Les mesures disciplinaires correctives doivent prévaloir
La présomption voulant que la mesure la moins sévère s’applique
La reconnaissance de la gravité de l’inconduite
L’existence d’un handicap et d’autres circonstances pertinentes
Les antécédents professionnels
La possibilité de réforme ou de réhabilitation
L’effet sur le policier et sa famille
La dissuasion spécifique et générale
La défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel
L’atteinte à la réputation de la GRC
La mise en balance des facteurs de proportionnalité
Des normes plus élevées s’appliquent aux policiers
Décision sur les mesures disciplinaires
SOMMAIRE
L’avis d’audience disciplinaire initial contenait quatre allégations contre le gendarme Steven Murchie. Les allégations 1 et 2 relevaient de l’article 7.1 du code de déontologie (conduite déshonorante). Les allégations 3 et 4 relevaient de l’article 4.6 du code de déontologie (utilisation inappropriée du matériel fourni par le gouvernement – ordinateurs et bases de données). L’allégation 2 a été retirée avant le début de l’audience disciplinaire. Après avoir entendu la preuve et les observations, le comité de déontologie a conclu que l’allégation 1 n’avait pas été établie. Malgré le fait que de nombreux détails n’aient pas été établis, le comité de déontologie a conclu que l’allégation 3 avait été établie. L’allégation 4 a aussi été établie. Le comité de déontologie a pris des mesures disciplinaires globales comprenant : 1) une réprimande; 2)°l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an; 3)°l’obligation de suivre deux formations précises en ligne; 4)°une pénalité financière de 120 heures à déduire de la solde; 5) l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans.
INTRODUCTION
[1] Le 15 octobre 2020, l’autorité disciplinaire désignée a signé un avis à l’officier désigné demandant la tenue d’une audience disciplinaire dans la présente affaire. Le 16 octobre 2020, l’officier désigné a nommé Gerry Annetts à titre de comité de déontologie, en application du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC].
[2] Le 3 décembre 2020, l’autorité disciplinaire désignée a signé l’avis d’audience disciplinaire initial, qui contenait quatre allégations : deux allégations relevant de l’article 7.1 du code de déontologie (conduite déshonorante); deux allégations relevant de l’article 4.6 du code de déontologie (utilisation inappropriée de biens fournis par le gouvernement).
[3] J’ai été nommé à titre de comité de déontologie le 2 juin 2022, en remplacement de Gerry Annetts.
[4] Le 27 janvier 2023, j’ai retiré l’allégation 2 à la demande de l’autorité disciplinaire.
[5] L’audience disciplinaire a commencé le 20 février 2023. Le gendarme Murchie a nié les trois autres allégations. J’ai entendu six témoins, dont le gendarme Murchie. Lors de l’audience disciplinaire, j’ai retiré les sous-détails 4.b. et 4.g. de l’allégation 3 à la demande de l’autorité disciplinaire.
[6] Le 24 avril 2023, j’ai entendu, par vidéoconférence, les observations orales des parties sur les allégations. Le 15 juin 2023, j’ai rendu une décision orale sur les allégations. J’ai conclu que l’allégation 1 n’avait pas été établie. Bien qu’un nombre important de détails n’aient pas été établis, j’ai conclu que l’allégation 3 avait été établie. J’ai également conclu que l’allégation 4 avait été établie.
[7] J’ai entendu les observations orales des parties sur les mesures disciplinaires par vidéoconférence le 30 août 2023 et j’ai rendu une décision orale à ce sujet plus tard le même jour. J’ai imposé les mesures disciplinaires suivantes :
une réprimande, aux termes de l’alinéa 3(1)i) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)];
l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, aux termes de l’alinéa 3(1)b) des CC (déontologie);
l’obligation de suivre le Cours sur les fonctions de demande et de transmission de messages narratifs (CN0091) et le cours Introduction to [Police Records Information Management Environment (PRIME)] – “E” Division (000839 – en anglais seulement) du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) en ligne dans Agora et de fournir une preuve de réussite au chef de détachement dans les deux semaines suivant le retour au travail, aux termes de l’alinéa 3(1)c) des CC (déontologie);
une pénalité financière de 120 heures à déduire de la solde du gendarme Murchie, aux termes de l’alinéa 5(1)j) des CC (déontologie);
l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans, aux termes de l’alinéa 5(1)b) des CC (déontologie).
[8] Voici ma décision finale écrite relativement aux allégations et aux mesures disciplinaires.
Ordonnance de non-publication
[9] Les deux parties ont demandé que je rende une ordonnance de non-publication en vertu de l’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la GRC. Cette disposition permet à un comité de déontologie d’interdire la publication de renseignements qui permettraient d’établir l’identité d’un plaignant, d’un témoin ou d’une personne âgée de moins de 18 ans.
[10] L’autorité disciplinaire a demandé que je rende une ordonnance de non-publication concernant l’identité de la plaignante, de ses enfants et de son ex-époux. Le gendarme Murchie a demandé que je rende une ordonnance de non-publication concernant l’identité de ses enfants. Chacune des parties a consenti à la demande de l’autre.
[11] J’ai ordonné ce qui suit :
Il est interdit d’enregistrer, de publier, de diffuser ou de transmettre, de quelque façon que ce soit, tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la plaignante, de ses enfants et de son ex-époux. Cela comprend, sans s’y limiter, son nom ou celui de son ex-époux, les renseignements médicaux concernant son ex-époux et la façon dont elle et le gendarme Murchie se sont rencontrés.
Il est interdit d’enregistrer, de publier, de diffuser ou de transmettre, de quelque façon que ce soit, tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité des enfants du gendarme Murchie. Cela comprend, sans s’y limiter, leur nom et leur âge.
ALLÉGATIONS
[12] L’avis d’audience disciplinaire modifié qui a été lu au gendarme Murchie lors de l’audience disciplinaire contenait les allégations suivantes :
[TRADUCTION]
Allégation 1
Entre le 6 septembre 2018 et le 30 novembre 2018, à Trail ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Steven Murchie s’est conduit de façon déshonorante en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails propres à l’allégation 1 :
1. Au moment des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de Trail, Division E.
2. Le 6 septembre 2018, à 16 h 39, vous avez répondu à un appel de service concernant un conducteur aux facultés affaiblies (dossier PRIME no 2018-XXXX). Le [gendarme] Michael Flewelling était l’enquêteur principal dans le cadre de cet appel, tandis que vous et le [gendarme] Kevin Johnson étiez les renforts. Lors de l’intervention policière, vous avez rencontré et parlé avec Mme [D.T.], l’ex-épouse du conducteur dont les capacités semblaient affaiblies, M. [B.T.].
3. À 17 h 36, peu après avoir quitté les lieux, vous avez fait une recherche sur Mme [D.T.] dans le système PRIME.
4. À 18 h 36 et de nouveau à 20 h 54, pendant que vous étiez en service, vous vous êtes rendu à la résidence de Mme [D.T.] et lui avez offert de l’aider à obtenir du soutien pour son ex-époux suicidaire, alcoolique et souffrant du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Lors de l’une de ces visites, vous avez remis à Mme [D.T.] votre carte professionnelle sur laquelle vous aviez écrit votre numéro de téléphone cellulaire personnel.
5. Le 7 septembre 2018, à 18 h 17, pendant que vous étiez en service, vous vous êtes rendu à la résidence de Mme [D.T.]. Vous lui avez offert de l’aider à récupérer les armes à feu de son ex-époux chez lui pendant qu’il était hospitalisé. Vers 22 h, vous avez conduit Mme [D.T.] à la résidence de M. [B.T.] avec votre véhicule de police. Vous avez récupéré les armes à feu et les avez apportées à la résidence de Mme [D.T].
6. Vous avez ensuite créé un dossier de police (dossier PRIME no 2018- XXXX) pour consigner vos actions. Vous avez écrit que « [vous aviez] rejoint [Mme D.T.] à la propriété et récupéré les articles sans problème », alors qu’en réalité, vous l’aviez conduite sur les lieux avec le véhicule de police. En outre, vous avez omis d’écrire que vous aviez récupéré des armes à feu et les aviez apportées chez elle. Votre rapport était inexact et trompeur.
7. Du 7 septembre 2018 au 20 septembre 2018, durant vos heures de service et en dehors, vous vous êtes rendu à la résidence de Mme [D.T.] presque tous les jours et parfois plusieurs fois par jour. De plus, vous l’avez appelée à plusieurs reprises durant cette période et vous avez laissé des fleurs sur le pare-brise de son véhicule tôt le matin du 10 septembre 2018.
8. Lors de ces visites, Mme [D.T.] vous a parlé du combat que menait sa famille contre le TSPT et des difficultés qu’elle avait à obtenir de l’aide pour son ex-époux. Vous saviez ou auriez dû savoir qu’elle était vulnérable.
9. Le 21 septembre 2018, pendant que vous n’étiez pas en service, vous vous êtes rendu à la résidence de Mme [D.T.] et vous avez eu des rapports sexuels consensuels avec elle.
10. Alors que vous étiez en position de confiance et d’autorité, vous avez entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme [D.T.], une personne vulnérable que vous aviez rencontrée dans l’exercice de vos fonctions.
11. Vous avez fait l’objet d’une accusation criminelle pour abus de confiance (article 122 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (Code criminel)) en lien avec votre conduite à l’égard de Mme [D.T.].
12. Vous vous êtes conduit de façon déshonorante.
Allégation 2
L’allégation 2 a été retirée le 27 janvier 2023 à la demande de l’autorité disciplinaire.
Allégation 3
Entre le 15 août 2013 et le 24 octobre 2019, à Trail ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, et à Fort Smith ou dans les environs, dans les Territoires du Nord-Ouest, le gendarme Steven Murchie s’est conduit d’une manière contraire à l’article 4.6 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails
1. Au moment des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de Fort Smith, Division G, et au Détachement de Trail, Division E.
2. Votre numéro du SIGRH était [numéro caviardé] et, pendant que vous étiez à Trail, votre indicatif d’appel était [indicatif d’appel caviardé].
3. Vous étiez lié par les ententes d’utilisation que vous avez signées lorsque vous vous êtes vu accorder l’accès aux bases de données [du Système d’incidents et de rapports de police (SIRP)], du CIPC et du système PRIME; vous saviez que les bases de données ne pouvaient être utilisées qu’à des fins administratives et opérationnelles de la GRC.
Recherches dans le SIRP
4. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur vous-même dans le SIRP en utilisant divers critères de recherche :
a. le 27 juin 2014 : « Murchie Steve »;
b. le 28 juin 2014 : « Murchie Steve » (retiré);
c. le 30 septembre 2014 : « Murchie ST* » et « Murchie Steve* »;
d. le 13 novembre 2014 : « Murchie Steve* »;
e. le 16 avril 2015 : « Murchie Steve* »;
f. le 23 août 2015 : Murchie Steve* »;
g. le 18 septembre 2015 : « Murchie S » (retiré);
h. le 25 décembre 2015 : Murchie* »;
i. le 2 août 2016 : « Murchie Steve » et « Murchie Steve* ».
5. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur votre ami Facebook [M. D.P.] dans le SIRP en utilisant divers critères de recherche :
a. le 1er septembre 2014 : « [P.,D.] »;
b. le 24 janvier 2015 : « [P.,D.*] ».
6. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur votre ami [M. B.M.] dans le SIRP [en utilisant divers critères de recherche] :
a. le 1er octobre 2014 : « [M.,B.] »;
b. le 4 octobre 2014 : « [M.,B.] »;
c. le 27 décembre 2015 : « [M.,B.] »;
d. le 13 juin 2016 : « [M.,B.] ».
7. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur un agent chargé de l’application des règlements de Fort Smith [M. R.S.] dans le SIRP en utilisant divers critères de recherche :
a. le 3 septembre 2014 : « [S.,R.*] »;
b. le 19 septembre 2014 : « [S.,R.*] »;
c. le 27 septembre 2014 : « [S.,R.*] »;
d. le 6 février 2015 : « [S.,R.*] »;
e. le 2 mars 2015 : « [S.R.] », « [S.,R.] » et « [S.R.*] »;
f. le 23 mars 2015 : « [S.,R.*] »;
g. le 21 août 2015 : « [S.,R.*] »;
h. le 6 août 2016 : « [S.,R.] » et « [S.,R.*] ».
8. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur votre ami [M. T.J.] dans le SIRP en utilisant divers critères de recherche :
a. le 4 septembre 2014 : « [A.J.] »;
b. le 25 janvier 2015 : « [J.,A.] »;
c. le 23 mai 2015 : « [J.*,T.*] »;
d. le 3 novembre 2015 : « [J.T.] ».
9. Le 10 février 2016, vous avez fait des recherches sur votre amie [Mme J.S.] dans le SIRP en utilisant les critères de recherche « [S.,J.] », « [S.,J.] » et « [S.,J.] ».
10. Le 13 février 2016, vous avez fait une recherche sur votre ex-petite amie [Mme L.F.] dans le SIRP en utilisant le critère de recherche « [F.,L.*] ».
11. Le 13 février 2016, vous avez fait une recherche sur le père, [M. J.F.], de votre ex-petite amie [Mme L.F.] dans le SIRP en utilisant le critère de recherche « [L.,J.*] ».
12. Le 13 février 2016, vous avez fait des recherches sur un ami dans le SIRP en utilisant les critères de recherche « [C.*] », « [C.,R.*] » et « [C.,L.*] ».
13. Le 13 février 2016, vous avez fait des recherches sur votre amie [Mme M.J.] dans le SIRP en utilisant les critères de recherche « [J.M.] », « [J.M.*] » et « [J.M.*] ».
14. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur votre ex-conjointe de fait [Mme A.G.] dans le SIRP en utilisant divers critères de recherche :
a. le 21 avril 2016 : « [G.A.*] » et « [G.,A.*] »;
b. le 29 avril 2016 : « [G.,A.*] ».
Recherches dans le CIPC
15. Le 10 septembre 2019, vous avez fait une recherche sur [M. R.G.] dans le CIPC en utilisant le critère de recherche « [G.R.A.] ».
16. Le 12 septembre 2019, vous avez fait une recherche sur votre ex-conjointe de fait [Mme A.G.] dans le CIPC en utilisant le critère de recherche « [G.A.] ».
17. Le 28 novembre 2018, vous avez fait une recherche sur votre ex-épouse [Mme J.M.] dans le CIPC en utilisant le critère de recherche « [J.A.H.] ».
Recherches dans le système PRIME
18. Le 20 août 2016, vous avez fait une recherche sur vous-même dans le système PRIME en utilisant le critère de recherche « Murchie Steve ».
19. Le 23 août 2016, vous avez fait une recherche sur votre ami [M. J.K.] dans le système PRIME en utilisant le critère de recherche « [K.J.] ».
20. Le 23 août 2016, vous avez fait une recherche sur votre sœur [Mme K.M.] dans le système PRIME en utilisant le critère de recherche « [M.K.] ».
21. Le 2 septembre 2016 et le 15 juillet 2018, vous avez fait des recherches sur votre ex-conjointe de fait [Mme A.G.] dans le système PRIME en utilisant le critère de recherche « [G.A.] ».
22. Le 2 octobre 2017, vous avez fait des recherches sur [M. M.S.] dans le système PRIME en utilisant les critères de recherche « [S.M.] », « [S.M.] » et « [S.M.] ».
23. Le 2 octobre 2017, vous avez fait des recherches sur la mère, [Mme L.G.], de votre ex-conjointe de fait [Mme A.G.] dans le système PRIME en utilisant les critères de recherche « [G.L.] » et « [G.L.] ».
24. Le 2 octobre 2017, vous avez fait une recherche sur le frère, [M. J.G.], de votre ex-conjointe de fait [Mme A.G.] dans le système PRIME en utilisant le critère de recherche « [J.G.] ».
25. Le 2 octobre 2017, vous avez fait des recherches sur votre ami [M. B.K.] dans le système PRIME en utilisant les critères de recherche « [K.B.] » et « [K.B.] ».
26. Le 21 août 2018, vous avez fait des recherches sur votre amie de l’école secondaire [Mme D.C.] dans le système PRIME en utilisant les critères de recherche « [W.D.] » et « [W.D.] ».
27. Aux dates suivantes, vous avez fait des recherches sur [Mme D.T.], une personne que vous avez [rencontrée] en service, dans le système PRIME en utilisant divers critères de recherche :
a. le 6 septembre 2018 : « [T.D.] »;
b. le 8 septembre 2018 : « [T.D.] »;
c. le 22 septembre 2018 : « [T.D.] »;
d. le 14 novembre 2018 : « [T.D.] »;
e. le 5 décembre 2018 : « [T.D.] ».
28. Le 8 septembre 2018, vous avez fait une recherche sur [M. B.T.] dans le système PRIME en utilisant le critère de recherche « [T.B.] ». [M. B.T.] est l’ex-époux de [Mme D.T.], une personne que vous avez [rencontrée] en service.
29. Vous n’[aviez] aucune raison opérationnelle ou administrative de faire les recherches mentionnées aux détails 4 à 28 dans les bases de données. Vous avez utilisé ces bases de données de la police à des fins personnelles.
30. Ces recherches ont été effectuées en contravention de l’annexe III-1-2 de la politique de la GRC [Manuel de l’informatique] et de l’entente d’utilisation que vous aviez signée.
Allégation 4
Le 24 octobre 2019, à Trail ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Steven Murchie s’est conduit d’une manière contraire à l’article 4.6 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
1. Au moment des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de Trail, Division E.
2. Votre indicatif d’appel était [indicatif d’appel caviardé] et votre numéro du SIGRH était [numéro caviardé].
3. Vous étiez lié par l’entente d’utilisation que vous avez signée lorsque vous vous êtes vu accorder l’accès aux bases de données du CIPC et du système PRIME; vous saviez que les bases de données ne pouvaient être utilisées qu’à des fins administratives et opérationnelles de la GRC.
4. En décembre 2017, vous avez entamé une relation amoureuse avec [Mme A.G.], une personne avec laquelle vous vous êtes lié d’amitié lorsque vous étiez en poste à Fort Smith, dans les [Territoires du Nord- Ouest]. En mai 2018, Mme [A.G.] a mis fin à la relation, mais elle a accepté que vous restiez des amis. Vous n’avez pas respecté les souhaits de Mme [A.G.] et avez constamment tenté de la convaincre de donner une autre chance à votre relation.
5. Le 24 octobre 2019, pendant que vous étiez en service, vous avez accédé au dossier PRIME no 2019-XXYZ qui concernait un appel de service fait par Mme [A.G.] le 22 octobre 2019. Vous avez examiné les renseignements contenus dans le système PRIME et avez appris que Mme [A.G.] avait reçu un appel téléphonique d’un membre de la GRC, Simon Scott (le [sergent] Scott), qui voulait organiser une rencontre avec elle dans un hôtel situé à proximité pour lui poser des questions.
6. À 18 h 24, vous avez fait passer votre statut à « occupé – suivi d’enquête – 2019-XXYZ » et avez tenté de récupérer les rapports joints au dossier no 2019-XXYZ. Vous n’aviez pas pris part à ce dossier et n’aviez aucune raison opérationnelle d’accéder aux renseignements.
7. À 18 h 37, vous avez fait une recherche sur Simon Scott dans le CIPC en utilisant le critère de recherche « Simon Scott, 45 ans ».
8. Vous n’aviez aucune raison administrative ou opérationnelle de faire ces recherches dans le système PRIME. Vous avez utilisé cette base de données de la police à des fins personnelles.
9. Ces recherches ont été faites en contravention de l’annexe III-1-2 de la politique de la GRC [Manuel de l’informatique] et de l’entente d’utilisation que vous aviez signée.
[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]
[13] Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir les allégations selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie que je dois conclure qu’il est plus probable qu’improbable que le gendarme Murchie se soit conduit tel que le lui reproche l’autorité disciplinaire. L’autorité disciplinaire s’est acquittée de ce fardeau en présentant des éléments de preuve suffisamment clairs et convaincants.
[14] Bien que les détails soient énoncés dans l’avis d’audience disciplinaire modifié, l’autorité disciplinaire n’est pas tenue d’établir chaque détail particulier. Certains sont énoncés simplement pour mettre les allégations en contexte.
DÉCISION SUR LES ALLÉGATIONS
[15] Je commence mon analyse par les allégations 3 et 4. Certains faits sont nécessaires pour mettre les allégations en contexte. J’ai extrait les faits de diverses sources contenues dans le dossier et des témoignages entendus lors de l’audience disciplinaire.
Contexte factuel entourant les allégations 3 et 4
[16] Le gendarme Murchie a commencé le programme de formation de base de la GRC le 31 décembre 2007. Il a obtenu son diplôme de l’École de la GRC à la Division Dépôt le 16 juin 2008.
[17] Le gendarme Murchie a d’abord été affecté au Détachement de Sooke, Division E. Le 15 août 2013, il a été muté au Détachement de Fort Smith, Division G. Le 5 août 2016, il a de nouveau été affecté à la Division E, mais au Détachement de Trail. Durant la période en cause, le gendarme Murchie était un membre de la GRC affecté au Détachement de Fort Smith, Division G, ou au Détachement de Trail, Division E.
[18] Le gendarme Murchie éprouvait des problèmes de santé principalement liés à son travail. Ces problèmes de santé sont pertinents à l’égard de l’allégation 3 parce qu’ils ont entraîné plusieurs congés de maladie prolongés. Les renseignements contenus dans son profil d’employé indiquent plusieurs périodes de retour progressif au travail à Sooke et à Trail, ce qui signifie un retour au travail après des congés de maladie prolongés.
[19] De plus, un rapport figurant au dossier indique que le gendarme Murchie a pris des congés de paternité durant ses années de service.
[20] Le 16 février 2019, un incident impliquant le gendarme Murchie et un autre membre du Détachement de Trail a soulevé des préoccupations quant à la conduite du gendarme Murchie. Le 1er mars 2019, le chef du Détachement de Trail et du district avoisinant a préparé et présenté une note d’information de nature délicate au sujet de cet incident. La majeure partie de cette note d’information est caviardée. Néanmoins, elle a fait son chemin jusqu’au Groupe anticorruption de la Division E. Le 19 mars 2019, le Groupe anticorruption de la Division E a entrepris une enquête afin de déterminer si la conduite passée du gendarme Murchie constituait une menace pour la GRC, en particulier son utilisation des bases de données de la GRC. Le sergent Simon Scott a été chargé de l’enquête.
[21] Dans le cadre de son enquête, le sergent Scott a demandé des recherches autonomes sur les recherches faites par le gendarme Murchie dans le CIPC, le SIRP et le système PRIME (les bases de données).
[22] Le Centre d’information de la police canadienne (CIPC) est le seul système national d’échange de renseignements qui relie les organismes d’application de la loi et les autres partenaires de sécurité publique à l’échelle du Canada.
[23] Le Système d’incidents et de rapports de police (SIRP) est le système de gestion des dossiers opérationnels utilisé dans toutes les divisions de la GRC, à l’exception de la Division E, pour consigner les incidents liés à des infractions à la loi et aux règlements, ainsi que les renseignements connexes.
[24] Le système PRIME (Police Records Information Management Environment) est un système complet de gestion des incidents et des dossiers qui permet aux utilisateurs d’accéder électroniquement à d’autres dépôts indexés de renseignements relatifs à l’application de la loi, comme le CIPC et le registre d’immatriculation des véhicules et de permis de conduire de la Colombie-Britannique. Il s’agit d’un système de gestion des dossiers opérationnels que tous les services de police de la Colombie-Britannique sont légalement autorisés à utiliser. Il relie les renseignements des services de police municipaux et de la GRC.
[25] Les trois bases de données peuvent être consultées par les membres autorisés du personnel au bureau à partir d’applications bureautiques ou par les agents de police à partir des terminaux de données mobiles installés dans certains véhicules de police.
[26] L’accès aux bases de données est réservé aux utilisateurs autorisés qui doivent entrer un mot de passe valide. L’activité dans les trois bases de données laisse des empreintes électroniques liées à l’utilisateur. Ce sont ces empreintes électroniques que les recherches autonomes dans les bases de données permettent de repérer.
[27] Le gendarme Murchie a eu accès au CIPC du 15 août 2013 au 15 avril 2020, pendant qu’il était affecté aux Détachements de Fort Smith et de Trail.
[28] Le gendarme Murchie a eu accès au SIRP du 15 août 2013 au 5 août 2016, pendant qu’il était affecté au Détachement de Fort Smith.
[29] Le gendarme Murchie a eu accès au système PRIME du 6 août 2016 au 15 avril 2020, pendant qu’il était affecté au Détachement de Trail. Son indicatif d’appel à Trail était [indicatif d’appel caviardé]. Il a eu accès au système PRIME pendant qu’il était affecté au Détachement de Sooke, mais son passage dans ce détachement ne s’inscrit pas dans la période visée par les allégations.
[30] Le 5 juin 2019, le sergent Scott a préparé une liste de 52 noms qu’il a trouvés dans des publications non privées sur le compte Facebook du gendarme Murchie. Un analyste de la GRC a examiné les résultats des recherches autonomes dans la base de données en fonction de la liste de 52 noms. Les allégations 3 et 4 se rapportent à cette piste d’enquête.
[31] En juin 2019, le sergent Scott a demandé et obtenu une ordonnance de communication concernant les relevés téléphoniques du gendarme Murchie pour la période du 19 août 2016 au 19 juin 2019. Un analyste de la GRC a examiné les résultats de l’ordonnance de communication et a déterminé que Mmes D.T. et A.G. étaient des contacts fréquents. Le sergent Scott a interrogé les deux femmes dans le cadre de son enquête. L’allégation 1 concerne Mme D.T. Cette dernière est aussi concernée par l’allégation 3. L’allégation 2 concerne Mme A.G. Cette dernière est aussi concernée par les allégations 3 et 4.
[32] Le 24 janvier 2020, l’autorité disciplinaire désignée a lancé une enquête relative au code de déontologie à l’égard de trois allégations.
Questions relatives aux allégations 3 et 4
[33] L’allégation 3 relève de l’article 4.6 du code de déontologie, qui renvoie communément à une utilisation inappropriée de biens fournis par le gouvernement. Pour établir une allégation au titre de cet article, l’autorité disciplinaire doit établir chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :
l’identité du membre visé;
si le membre visé a utilisé de l’équipement ou des biens fournis par le gouvernement;
si l’activité pour laquelle le membre visé a utilisé l’équipement ou les biens était autorisée ou si elle visait des fins opérationnelles;
si le membre visé a utilisé l’équipement ou les biens à des fins personnelles.
[34] Comme l’a laissé entendre le représentant du membre visé, ce critère ne crée pas une infraction de responsabilité stricte.
[35] L’identité du gendarme Murchie n’est pas contestée à l’égard des allégations 3 et 4.
[36] Aux fins de ces deux allégations, l’équipement ou les biens fournis par le gouvernement sont les ordinateurs et les bases de données. En réponse aux allégations, le gendarme Murchie a admis, sous certaines conditions, qu’il avait fait les recherches mentionnées aux allégations 3 et 4. Lors de son témoignage à l’audience disciplinaire, il a admis, sans condition, qu’il avait fait les recherches.
[37] Les autres questions relatives aux allégations 3 et 4 ont trait aux deux derniers éléments du critère. Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir ces éléments du critère selon la prépondérance des probabilités. Il n’appartient pas au gendarme Murchie de démontrer que les recherches ont été faites à des fins légitimes.
Conclusions sur l’allégation 3
[38] Selon les 30 détails énoncés dans l’allégation 3, durant la période du 15 août 2013 au 24 octobre 2019, alors qu’il était affecté au Détachement de Fort Smith ou au Détachement de Trail, le gendarme Murchie a utilisé le CIPC, le SIRP ou le système PRIME pour faire des recherches sur lui-même et sur 21 autres personnes. Sept des détails comprennent des sous-détails qui précisent les dates auxquelles le gendarme Murchie a fait plus d’une recherche sur une personne. Le gendarme Murchie n’avait aucune raison opérationnelle ou administrative de faire les recherches. La conclusion sur l’allégation 3 est que les recherches ont été faites à des fins personnelles.
[39] L’accès aux bases de données est réservé aux utilisateurs autorisés. La politique de la GRC établit les restrictions relatives à l’utilisation des bases de données. Lors de l’audience disciplinaire, j’ai entendu trois témoins spécialisés dans les différentes bases de données, qui ont présenté diverses permutations de ces restrictions.
[40] M. Jean Devost a déclaré que les recherches dans le SIRP doivent être effectuées conformément à la politique. Elles ne peuvent pas être effectuées à des fins personnelles. Une recherche faite dans le SIRP qui ne serait pas liée à une enquête serait inappropriée.
[41] Le sergent Alan Ling a déclaré qu’une recherche dans le CIPC doit être faite pour une raison opérationnelle. Un membre ne peut pas faire une recherche simplement par curiosité. Pour qu’une utilisation du CIPC soit acceptable, un besoin opérationnel doit être lié au travail policier.
[42] Mme Trish Epplett a déclaré que les restrictions relatives au système PRIME comportent trois éléments : il doit exister un droit de savoir; il doit exister un besoin de savoir; chaque recherche doit être faite à des fins d’application de la loi. Si l’un de ces trois éléments n’est pas respecté, la recherche est considérée comme une recherche non opérationnelle. À mon avis, cette règle s’applique aux trois bases de données.
[43] Je vais maintenant me pencher sur ce que le gendarme Murchie savait ou aurait dû savoir au sujet de ces restrictions.
[44] Premièrement, au démarrage, un avertissement s’affiche sur chaque ordinateur fourni par la GRC qui est relié à un réseau. L’avertissement s’affiche dans un encadré bleu vif. Il est rédigé dans les deux langues officielles. L’utilisateur doit confirmer qu’il a pris connaissance du message pour passer à l’écran suivant. L’avertissement dit ce qui suit :
[TRADUCTION]
AVERTISSEMENT
Vous accédez à un système RÉSERVÉ aux utilisateurs expressément autorisés par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Les transactions, y compris le courrier électronique, peuvent être surveillées par la GRC. Les utilisateurs non autorisés doivent quitter le système immédiatement, à défaut de quoi ils s’exposent à des poursuites judiciaires au titre de l’article 342.1 du Code criminel du Canada. En poursuivant, vous acceptez de vous conformer à la politique d’utilisation acceptable (Manuel de l’informatique III.1, annexe III-1-2).
[45] L’avertissement fait deux choses : 1) il informe l’utilisateur de l’existence de politiques liées à l’utilisation des systèmes et de l’endroit où se trouvent ces politiques; 2) il informe l’utilisateur que l’utilisation non autorisée du système constitue une infraction criminelle. Cela témoigne de la gravité d’une violation des politiques.
[46] M. Devost a déclaré qu’au moment d’ouvrir une session dans le SIRP, un message d’avertissement s’affiche, et l’utilisateur doit accepter de se conformer aux pratiques établies. Le sergent Ling a déclaré qu’un message d’avertissement s’affiche aussi à l’ouverture du CIPC. Si l’on accède au CIPC par l’intermédiaire du système PRIME, cette base de données comporte un avertissement concernant l’utilisation acceptable. Mme Epplett n’a fait mention d’aucun avertissement directement en lien avec le système PRIME.
[47] Deuxièmement, le gendarme Murchie a signé les documents suivants au cours de la période en cause :
annexe 1-2-A, Reconnaissance des restrictions concernant l’accès au CIPC, possiblement signée en août 2015 et possiblement signée de nouveau en janvier 2017;
document « Contraintes d’usage des technologies de l’information de la GRC » signé le 19 août 2016 et signé de nouveau le 30 janvier 2017.
[48] Ces documents signés par le gendarme Murchie expliquaient l’utilisation et les pratiques acceptables liées aux bases de données concernées.
[49] Le gendarme Murchie a aussi reçu une formation sur les bases de données. C’est à cet égard que ses affectations et ses congés médicaux ou parentaux sont pertinents.
[50] M. Devost a déclaré que tous les membres de la GRC reçoivent une formation sur le SIRP à la Division Dépôt. Au bout de trois jours et demi, l’utilisateur est censé savoir comment utiliser le système. La formation se termine par un examen écrit. Une formation d’appoint sur le SIRP est offerte, mais la participation dépend du coordonnateur du système de gestion des dossiers opérationnels de la division. En outre, il existe une base de données de formation pour la mise à niveau des connaissances.
[51] Le sergent Ling a déclaré que, depuis 1999, les membres de la GRC reçoivent une formation d’un après-midi sur le CIPC à la Division Dépôt, formation au cours de laquelle ils sont informés qu’ils risquent de [TRADUCTION] « perdre leur emploi » s’ils utilisent le CIPC à mauvais escient. De plus, un cours sur les fonctions de demande et de transmission de messages narratifs est offert dans Agora, un système de formation en ligne de la GRC.
[52] Mme Epplett a déclaré qu’une formation sur le système PRIME est offerte aux policiers opérationnels.
[53] Selon la copie papier des renseignements contenus dans le profil d’employé du gendarme Murchie, celui-ci avait suivi les formations suivantes sur les bases de données :
SIRP pour les utilisateurs, en juin 2008;
PRIME pour les policiers opérationnels, en juillet 2008;
Introduction to PRIME (en anglais seulement), en ligne en août 2016.
[54] Par ailleurs, les politiques associées à chacune des bases de données peuvent être consultées facilement en ligne par tous les membres de la GRC.
[55] Le gendarme Murchie a déclaré qu’il n’était pas doué en informatique. Il a reconnu qu’il avait suivi une formation sur le SIRP, mais qu’il n’avait pas reçu de formation d’appoint lorsqu’il avait été affecté à Fort Smith. Il était souvent en congé et avait oublié comment utiliser le SIRP. Il a demandé de l’aide, mais son superviseur à Fort Smith lui a dit de [TRADUCTION] « simplement l’utiliser ». Il a obtenu de l’aide par téléphone d’une personne de soutien à Yellowknife.
[56] Les membres de la Division E suivent, chaque année, une formation de mise à niveau des compétences au Centre de formation de la région du Pacifique. Il a suivi cette formation une fois à Sooke et une fois à Trail. Lorsqu’il est arrivé à Trail, les conseils de ses superviseurs au sujet du système Prime se sont limités à [TRADUCTION] « fais de ton mieux et viens nous voir si tu as besoin d’aide ». Ses superviseurs n’avaient aucune expertise relativement à l’utilisation du système PRIME.
[57] En contre-interrogatoire, le gendarme Murchie ne se rappelait pas s’il avait cherché des formations sur l’une ou l’autre des bases de données dans Agora. Il a mentionné qu’il ne pensait pas qu’il était [TRADUCTION] « grave » de faire des recherches sur des personnes dans ces bases de données.
[58] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’au moment des faits, le gendarme Murchie était lié par les ententes d’utilisation de la GRC, y compris les restrictions concernant l’accès au CIPC et l’utilisation des systèmes de gestion de l’information et de technologie de l’information de la GRC, notamment le SIRP et le système PRIME. Le gendarme Murchie avait reçu des instructions et de nombreux avertissements sous diverses formes au sujet de l’utilisation appropriée des trois bases de données. Malgré le manque apparent d’aide de la part de ses superviseurs immédiats, il avait facilement accès à de nombreux moyens pour trouver des renseignements sur l’utilisation appropriée des bases de données, tant en ligne que par l’entremise des coordonnateurs de la Division. Il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que l’utilisation des bases de données à des fins non opérationnelles était inacceptable et pouvait avoir de graves conséquences.
[59] En ce qui concerne les recherches elles-mêmes, l’autorité disciplinaire soutient qu’il ne lui incombe pas de prouver les raisons exactes des recherches. Il lui suffit de prouver qu’elles ont été faites à des fins non opérationnelles. Je suis d’accord avec cette position.
[60] Dans sa réponse aux allégations et lors de son témoignage, le gendarme Murchie a admis qu’il avait fait des recherches sur huit personnes sans raison opérationnelle ou administrative valide. Il a notamment fait des recherches sur les personnes suivantes :
Mme L.F., une ex-petite amie, dans le SIRP le 13 février 2016;
M. J.F., le père de Mme L.F., dans le SIRP le 13 février 2016;
Mme L.C., une ex-petite amie, dans le SIRP le 13 février 2016;
Mme M.J., une ex-petite amie, dans le SIRP le 13 février 2016;
Mme L.G., la mère de Mme A.G., dans le système PRIME le 2 octobre 2017;
M. J.G., le frère de Mme A.G., dans le système PRIME le 2 octobre 2017;
M. B.K., un ami d’enfance, dans le système PRIME le 2 octobre 2017;
Mme D.C., une amie de l’école secondaire, dans le système PRIME le 21 août 2018.
[61] Compte tenu de ces aveux, l’autorité disciplinaire a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le gendarme Murchie avait utilisé du matériel fourni par le gouvernement, à savoir des ordinateurs et des bases de données, pour faire des recherches sur 8 des 22 personnes nommées. Les recherches contrevenaient à la politique de la GRC ainsi qu’aux ententes d’utilisation signées par le gendarme Murchie. Les recherches n’étaient pas autorisées et elles n’ont pas été faites à des fins opérationnelles ou administratives. Le gendarme Murchie a fait les recherches à des fins personnelles, ce qui comporte un aspect de gain personnel. Je conclus que les détails 10, 11, 12, 13, 23, 24, 25 et 26 ont été établis selon la prépondérance des probabilités.
[62] Les détails 4 et 18 se rapportent aux recherches faites par le gendarme Murchie sur lui-même. À part démontrer que les recherches ont bel et bien été faites, ce que le gendarme a admis, l’autorité disciplinaire n’a présenté aucune preuve relativement à ces recherches.
[63] Selon le détail 4, durant la période du 14 juin 2014 au 2 août 2016, le gendarme Murchie a fait des recherches sur lui-même à sept reprises dans le SIRP. Il a déclaré qu’il avait été souvent en congé au cours de son affectation à Fort Smith et qu’il avait oublié comment utiliser le SIRP. De plus, il aurait peut-être tenté de s’ajouter à un dossier, ce qui, à mon avis, constitue une raison opérationnelle. En l’absence de preuve démontrant que le gendarme Murchie n’a pas fait les recherches sur lui-même pour des raisons opérationnelles ou qu’il les a faites à des fins personnelles, je conclus que ce détail n’a pas été établi.
[64] Selon le détail 18, le gendarme Murchie a fait des recherches sur lui-même dans le système PRIME le 20 août 2016. Il a déclaré qu’à son arrivée à Trail, il ne se rappelait plus comment utiliser le système PRIME. Il n’a pas suivi de formation d’appoint et n’a obtenu aucune aide de la part de ses superviseurs. Il essayait simplement de se familiariser avec le système. Je note que le gendarme Murchie a suivi le cours en ligne « Introduction to PRIME » (en anglais seulement) le 30 août 2016. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il avait peut-être fait la recherche en lien avec une demande présentée à Anciens Combattants Canada (ACC). Il a indiqué qu’après avoir entendu les témoins spécialisés dans les bases de données, il s’était rendu compte que faire des recherches pour se familiariser avec le système PRIME ne constituait pas une utilisation appropriée du système. Compte tenu de ses formations antérieures sur le système PRIME et sur les autres bases de données, je ne souscris pas à l’argument selon lequel, avant d’entendre les témoins experts, il ne savait pas qu’il s’agissait d’une utilisation inappropriée du système. Je comprends qu’après son retour à la Division E, le gendarme Murchie essayait de se familiariser avec le système PRIME sans véritable aide de la part de ses superviseurs. Je comprends aussi que le fait de faire des recherches sur lui-même présentait un risque minime sur le plan de l’atteinte à la vie privée. Néanmoins, je conclus que le détail 18 a été établi par la preuve.
[65] Les détails 5, 6, 7, 8, 9 et 14 se rapportent à la période passée par le gendarme Murchie à Fort Smith.
[66] Tout d’abord, je note que la capacité du gendarme Murchie à expliquer les recherches faites a été entravée par le fait qu’il n’avait pas ses carnets de notes de Fort Smith. Il a déclaré qu’au moment de son arrestation en raison d’accusations criminelles et de sa suspension le 3 juillet 2020, ses carnets de notes se trouvaient dans son casier personnel au Détachement de Trail. Il les a demandés au chef du Détachement, mais on lui a répondu qu’il avait été impossible de les trouver.
[67] Je note aussi que les recherches ont été faites durant la période du 1er septembre 2014 au 6 août 2016, soit de sept à neuf ans avant le témoignage du gendarme Murchie à l’audience disciplinaire. Sur une période de deux ans, un membre de la GRC dans un petit détachement de la Division G aurait eu l’occasion de faire de nombreuses recherches dans le SIRP et le CIPC. Le dossier contient 1 219 pages de recherches autonomes. Ces pages sont grisées en majeure partie parce que l’autorité disciplinaire a jugé les recherches légitimes et non pertinentes à l’égard des allégations. Dans ce contexte, un membre de la GRC aurait du mal à fournir une raison précise pour expliquer une recherche sans avoir recours à ses carnets de notes ou au SIRP.
[68] Enfin, j’ajouterai que le simple fait qu’un membre ait fait des recherches sur une personne qu’il connaît ne signifie pas que la recherche n’a pas été faite à des fins opérationnelles légitimes ou qu’elle a été faite à des fins personnelles.
[69] Les détails 5, 6, 7 et 8 se rapportent aux recherches faites dans le SIRP sur de M. D.P., M. B.M., M. R.S. et M. T.J. Ces quatre hommes étaient des amis du gendarme Murchie, mais ils avaient tous un lien avec le détachement local de la GRC. Il est courant que les membres des petits détachements soient amis avec des membres de la collectivité qui offrent des services en lien avec la GRC.
[70] Le gendarme Murchie a fait des recherches sur M. D.P. le 1er septembre 2014 et le 24 janvier 2015. Selon le gendarme Murchie, M. D.P. était un technicien informatique local. Il travaillait sur l’équipement de surveillance de la GRC. Il était également une source de renseignements généraux et il avait signalé des infractions au Code de la route. Le gendarme Murchie n’a pas été en mesure d’expliquer de façon précise les raisons pour lesquelles il avait fait des recherches sur M. D.P. En l’absence de preuve démontrant que les recherches sur M. D.P. n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 5 n’a pas été établi.
[71] Le gendarme Murchie a fait des recherches sur M. B.M. à quatre reprises durant la période du 1er octobre 2014 au 13 juin 2016. Selon lui, le père de M. B.M. était atteint de démence et avait eu des démêlés avec le détachement local. M. B.M. était un mécanicien qui travaillait sur les véhicules de la GRC. Les raisons possibles fournies par le gendarme Murchie pour expliquer les recherches sont raisonnables. En l’absence de preuve démontrant que ces recherches n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 6 n’a pas été établi.
[72] Le gendarme Murchie a fait des recherches sur M. R.S. à huit reprises durant la période du 3 septembre 2014 au 6 août 2016. M. R.S. était un agent d’application des règlements municipaux local. Il avait fréquemment des interactions avec le Détachement de Fort Smith. Je note que le gendarme Murchie n’aurait pas pu faire une recherche sur M. R.S. le 6 août 2016. Selon les renseignements contenus dans son profil d’employé, le gendarme Murchie a intégré le Détachement de Trail le 5 août 2016. Je pense que certains membres du personnel de la Division E peuvent avoir accès au SIRP, mais pas les membres de la Division E en général. La Division E utilise le système PRIME comme base de données pour la tenue de dossiers. Un jeton est nécessaire pour pouvoir utiliser le SIRP. Selon le gendarme Murchie, la Division G aurait conservé son jeton du SIRP puisqu’il n’en avait plus besoin. Je n’ai aucune preuve du contraire. Les raisons possibles fournies par le gendarme Murchie pour expliquer les recherches sont raisonnables. En l’absence de preuve démontrant que les recherches sur M. R.S. n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 7 n’a pas été établi.
[73] Le gendarme Murchie a fait des recherches sur M. T.J. dans le SIRP à quatre reprises durant la période du 4 septembre 2014 au 3 novembre 2015. M. T.J. était un ambulancier paramédical, un gardien de prison et le coroner local. Il escortait souvent des prisonniers. Ses fonctions constituaient des raisons légitimes de faire des recherches sur lui dans une base de données de la police. En l’absence de preuve démontrant que les recherches sur M. T.J. n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 8 n’a pas été établi.
[74] Le détail 9 se rapporte à une recherche faite sur Mme J.S. dans le SIRP le 10 février 2016. Mme J.S. était l’amie du gendarme Murchie. Le gendarme Murchie a déclaré que le frère de Mme J.S. était décédé d’une possible surdose dans une autre division. Comme elle essayait de faire la lumière sur ce qui s’était passé, elle a communiqué avec le gendarme Murchie. Il a fait une recherche sur le frère de Mme J.S. sur Internet, mais Internet était lent. Il a décidé de chercher le nom de Mme J.S. dans le SIRP parce qu’elle avait parlé avec quelqu’un de la GRC au sujet du décès. Il a fourni à Mme J.S. le nom de l’enquêteur principal et des renseignements sur les services aux victimes. En contre-interrogatoire, le gendarme Murchie n’a pas pu expliquer pourquoi il avait fait une recherche sur Mme J.S. plutôt que sur son frère. Néanmoins, la raison fournie par le gendarme Murchie pour expliquer la recherche est raisonnable et, même si Mme J.S. était une amie, la recherche a été faite pour une raison opérationnelle. Les renseignements que le gendarme Murchie a dit lui avoir fournis à partir de la recherche étaient aussi raisonnables. En l’absence de preuve démontrant que les recherches sur Mme J.S. n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 9 n’a pas été établi.
[75] Selon le détail 14, le gendarme Murchie a fait des recherches sur Mme A.G. dans le SIRP le 21 avril 2016 et le 29 avril 2016. Mme A.G. était infirmière à Fort Smith. Le gendarme Murchie s’était lié d’amitié avec elle. Il a déclaré qu’il avait effectué des contrôles routiers à l’égard de Mme A.G. En outre, elle était une plaignante dans certains dossiers. En l’absence de preuve démontrant que les recherches sur Mme A.G. n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 14 n’a pas été établi.
[76] Les détails 15, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 27 et 28 se rapportent au temps passé par le gendarme Murchie à Trail.
[77] Selon le détail 15, le gendarme Murchie a fait une recherche sur M. R.G. dans le CIPC le 10 septembre 2019. En se fondant sur son interprétation des recherches autonomes effectuées dans le système PRIME, Mme Epplett a déclaré que la recherche qui avait été faite concernait la plaque d’immatriculation de M. R.G. Le gendarme Murchie a déclaré que quelqu’un lui avait dit que M. R.G. avait l’habitude de conduire en ayant les facultés affaiblies. Il a fait une recherche sur la plaque d’immatriculation de M. R.G. pour obtenir des renseignements sur le véhicule et pour voir si M. R.G. avait un permis de conduire. Je suis d’accord pour dire que si une recherche est faite au sujet d’un possible conducteur aux facultés affaiblies, elle est faite pour une raison opérationnelle. Si le gendarme Murchie avait inclus les raisons de la recherche, qui sont obligatoires pour toutes les recherches dans le CIPC, nous saurions pourquoi il l’a faite.
[78] Mme D.T. a déclaré que le gendarme Murchie avait entamé une relation amoureuse avec l’ex-petite amie de M. R.G. au printemps 2019. Le gendarme Murchie a fait la recherche sur M. R.G. à la fin de l’été 2019. Le moment où la recherche a été faite donne à penser qu’elle l’a été à des fins personnelles.
[79] En outre, je note que le gendarme Murchie a échangé 1 896 messages textes avec M. R.G. durant la période du 19 août 2016 au 13 juin 2019, soit la période visée par l’ordonnance de communication obtenue par le sergent Scott relativement aux relevés téléphoniques du gendarme Murchie. Il semble que le gendarme Murchie connaissait bien M. R.G.; par conséquent, il aurait dû savoir que M. R.G. avait l’habitude de conduire en ayant les facultés affaiblies et il aurait probablement su quel type de véhicule M. R.G. conduisait. J’ai peine à croire l’explication fournie par le gendarme Murchie pour justifier sa recherche sur M. R.G. Néanmoins, en l’absence de preuve démontrant que la recherche sur M. R.G. n’a pas été faite pour des raisons opérationnelles ou qu’elle a été faite à des fins personnelles, je conclus que le détail 15 n’a pas été établi.
[80] Selon le détail 16, le gendarme Murchie a fait une recherche sur Mme A.G. dans le CIPC le 21 septembre 2019. Selon le détail 21, le gendarme Murchie a fait des recherches sur Mme A.G. dans le système PRIME le 2 septembre 2016 et le 15 juillet 2018. À la suite de la mutation du gendarme Murchie à Trail, Mme A.G. a déménagé à Trail par hasard. Le gendarme Murchie et Mme A.G. ont ensuite entamé une relation.
[81] Le gendarme Murchie a déclaré que la recherche faite dans le CIPC concernait une possible infraction au Code de la route. Alors qu’il patrouillait, il a vu un véhicule qui circulait à grande vitesse dans sa direction. Il a intercepté le véhicule. Mme A.G. était la conductrice. Il ne lui a pas donné de contravention. La recherche dans le CIPC a été faite sur la personne de Mme A.G. uniquement d’après un âge approximatif. Cela ne concorde pas avec l’explication donnée par le gendarme Murchie au sujet de la recherche. Encore une fois, si le gendarme Murchie avait inclus les raisons de la recherche comme il devait le faire, nous aurions su pourquoi il l’a faite.
[82] Le gendarme Murchie n’a pu fournir aucune raison pour expliquer les recherches faites dans le système PRIME sans examiner les dossiers. Les recherches elles-mêmes n’indiquent pas pourquoi le gendarme Murchis les a faites.
[83] En l’absence de preuve démontrant que le gendarme Murchie n’a pas fait les recherches sur Mme A.G. pour des raisons opérationnelles ou qu’il les a faites à des fins personnelles, je conclus que les détails 16 et 21 n’ont pas été établis.
[84] Selon le détail 17, le gendarme Murchie a fait une recherche sur son ex-épouse, Mme J.M., dans le CIPC le 28 novembre 2018. Il a déclaré qu’il avait fait cette recherche parce qu’il avait vu Mme J.M. commettre une infraction au Code de la route. Il n’a pas donné de contravention. Il n’a pas fourni la raison de la recherche comme il était tenu de le faire. En l’absence de preuve démontrant que le gendarme Murchie n’a pas fait la recherche sur Mme J.M. pour des raisons opérationnelles ou qu’il l’a faite à des fins personnelles, je conclus que le détail 17 n’a pas été établi.
[85] Selon le détail 19, le gendarme Murchie a fait une recherche sur M. J.K. dans le système PRIME le 23 août 2016. M. J.K. est le père du neveu du gendarme Murchie. Selon le détail 20, le gendarme Murchie a fait une recherche sur Mme K.M. dans le système PRIME le 23 août 2016. Mme K.M. est la sœur du gendarme Murchie. Ce dernier a déclaré qu’il avait fait ces recherches dans le cadre de ses efforts pour se familiariser de nouveau avec le système PRIME. Je comprends pourquoi il a fait les recherches, mais je conclus néanmoins que les détails 19 et 20 ont été établis.
[86] Selon le détail 22, le gendarme Murchie a fait une recherche sur M. M.S. dans le système PRIME le 2 octobre 2017. Il a déclaré qu’il avait fait une recherche sur M. M.S. parce que Mme A.G. s’inquiétait à son sujet. Elle était allée à l’école avec lui. Il avait construit la maison de son frère et il y avait des problèmes. Elle voulait savoir si son frère était en danger. Elle n’a pas demandé au gendarme Murchie de faire la recherche. Il l’a faite parce qu’il était curieux et parce que, si M. M.S. était celui que Mme A.G. disait qu’il était, il pensait pouvoir contribuer à une enquête en cours, le cas échéant. Il a admis qu’il n’avait pas fait la recherche sur M. M.S. en lien avec un dossier opérationnel sur lequel il travaillait.
[87] Je n’accepte pas l’explication du gendarme Murchie. J’estime que, même s’il croyait faire la recherche à des fins d’application de la loi, il n’avait ni le droit ni le besoin de savoir quoi que ce soit au sujet de M. M.S. M. M.S. ne vivait pas dans la région du Détachement de Trail, et le gendarme Murchie ne faisait pas enquête sur lui pour une raison précise. Il était tout à fait inapproprié de faire une recherche sur quelqu’un simplement parce que son amie avait des préoccupations. Je n’ai aucune preuve que le gendarme Murchie ait donné suite à la recherche en communiquant les préoccupations de Mme A.G. au détachement de la région où vivait M. M.S. Pour cette raison, je conclus que le détail 22 a été établi.
[88] Selon le détail 27, le gendarme Murchie a fait des recherches sur Mme D.T. à cinq reprises dans le système PRIME durant la période du 6 septembre 2018 au 5 décembre 2018. Il a entamé une relation avec Mme D.T. après l’avoir rencontrée sur les lieux d’une enquête criminelle le 6 septembre 2018. L’ex-époux de Mme D.T. faisait l’objet de l’enquête. Le gendarme Murchie a, par la suite, aidé Mme D.T. à récupérer des biens de son ex-époux à la résidence de celui-ci le 7 septembre 2018. Il a ouvert un dossier dans le système PRIME pour consigner cette aide. Le dossier a été rempli le 8 septembre 2018. Deux des cinq recherches sur Mme D.T. ont été faites les 6 et 8 septembre 2018. Le gendarme Murchie avait donc une raison opérationnelle légitime de faire des recherches sur Mme D.T. à ces deux dates; par conséquent, je conclus que les sous-détails 27 a. et b. n’ont pas été établis.
[89] Les trois autres sous-détails se rapportent à la période du 22 septembre 2018 au 5 décembre 2018. Le gendarme Murchie a déclaré que Mme D.T. signalait les excès de vitesse dans son quartier. Il exerçait ses fonctions d’application des règlements de la circulation dans le secteur au moyen d’un radar en se fondant sur ces signalements. L’explication du gendarme Murchie n’était pas convaincante. Néanmoins, en l’absence de preuve démontrant que les recherches sur Mme D.T. n’ont pas été faites pour des raisons opérationnelles ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles, je conclus que le détail 27 n’a pas été établi.
[90] Selon le détail 28, le gendarme Murchie a fait une recherche sur M. B.T. dans le système PRIME le 8 septembre 2018. L’explication fournie par le gendarme Murchie concernant les recherches faites sur Mme D.T. s’applique aussi à cette recherche. Il avait une raison opérationnelle légitime de faire la recherche. Pour cette raison, je conclus que le détail 28 n’a pas été établi.
Le résumé des conclusions sur l’allégation 3
[91] En résumé, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les recherches faites par le gendarme Murchie sur les personnes nommées aux détails 4, 5, 6, 7, 8, 9, 14, 15, 16, 17, 21, 27 et 28 n’étaient pas autorisées ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles. Par conséquent, ces détails n’ont pas été établis.
[92] Je conclus que l’autorité disciplinaire a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les recherches faites par le gendarme Murchie sur les personnes nommées aux détails 10, 11, 12, 13, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25 et 26 n’étaient pas autorisées ou qu’elles ont été faites à des fins personnelles. Par conséquent, ces détails ont été établis.
[93] L’autorité disciplinaire n’a pas établi un nombre important de détails. Cependant, chacun des douze détails établis constitue un acte réputé constituer une conduite déshonorante. Sur ce fondement, je conclus que l’allégation 3 a été établie.
Conclusions sur l’allégation 4
[94] L’allégation 4 relève aussi de l’article 4.6 du code de déontologie. J’ai énoncé le critère applicable au titre de cet article au paragraphe 33. De plus, j’ai noté, aux paragraphes 35 à 37, qu’il restait seulement à déterminer, à l’égard de cette allégation, si les recherches avaient été faites par le gendarme Murchie pour des raisons opérationnelles ou à des fins personnelles.
[95] L’autorité disciplinaire allègue que, le 24 octobre 2019, alors qu’il était en service, le gendarme Murchie a cherché et consulté le dossier PRIME no 2019-XXYZ. Comme il n’avait pas pris part au dossier, il n’avait aucune raison opérationnelle ou administrative d’y accéder et il a utilisé la base de données à des fins personnelles.
[96] Le dossier no 2019-XXYZ concerne un appel de service fait par Mme A.G. le 22 octobre 2019. Elle avait reçu un appel téléphonique d’un certain Simon Scott, qui s’était identifié comme un agent de la GRC. Il souhaitait interroger Mme A.G. dans un hôtel local pour une raison non déclarée. Mme A.G. cherchait à confirmer que Simon Scott était bel et bien membre de la GRC. Le dossier a été confié au gendarme Ben Smith, qui l’a traité et clos le jour même.
[97] Le gendarme Murchie a déclaré qu’il cherchait un dossier différent qui avait un numéro semblable à 2019-XXYX, mais qu’il avait cherché le dossier no 2019-XXYZ par accident. L’autre dossier a été créé le 23 octobre 2019. Selon l’horaire des quarts de travail du Détachement de Trail, le gendarme Murchie devait effectuer un quart « A3 » ce jour-là. Le dossier concernait une demande d’aide pour trouver une personne qui, croyait-on, vivait à Trail. Le dossier a été confié au gendarme Murchie. Celui-ci a présenté un rapport général d’incident daté du 24 octobre 2019; à 2 h 06, il a clos le dossier avant la fin de son quart de travail.
[98] Bien que ce soit possible, je ne crois pas que le gendarme Murchie ait cherché le dossier 2019-XXYZ par accident. Même si l’utilisateur est pressé ou n’est pas doué en informatique, il existe un écart important entre les chiffres sur un clavier d’ordinateur.
[99] Quelle que soit la manière dont le gendarme Murchie a eu connaissance du dossier, les recherches autonomes montrent qu’il a accédé au dossier no 2019-XXYZ le 24 octobre 2019 à 18 h 24. Selon l’horaire des quarts de travail du Détachement de Trail, il devait faire un quart de nuit qui commençait à 20 h 30. Comme il a été mentionné, il avait clos l’autre dossier avant la fin de son quart de travail précédent. Il n’avait aucune raison de revenir à ce dossier lors de son quart suivant.
[100] Le gendarme Murchie a commencé à récupérer les rapports contenus dans le dossier no 2019-XXYZ à 18 h 34 le 24 octobre 2019. Il a fait une recherche sur Simon Scott à 18 h 37. Il a déclaré qu’il ne savait pas qui était Simon Scott à ce moment-là, mais qu’il l’avait appris plus tard lorsqu’il avait reçu les documents communiqués pour l’instance criminelle, possiblement le 3 juillet 2020. Le sergent Scott a interrogé le gendarme Murchie le 4 avril 2020, soit avant la communication dans l’instance criminelle. Par conséquent, le gendarme Murchie savait manifestement qui était le sergent Scott avant de recevoir les documents communiqués dans l’instance criminelle.
[101] De plus, le gendarme Murchie a admis en contre-interrogatoire qu’il avait ouvert le dossier no 2019-XXYZ à plusieurs reprises. Même s’il avait accédé au dossier par accident la première fois, ce n’était pas le cas les fois suivantes.
[102] Le gendarme Murchie a rencontré Mme A.G. à Fort Smith pendant qu’il y était en poste. Mme A.G. a déménagé à Trail par hasard pour son travail après que le gendarme Murchie y eut été muté. Ils ont entamé une relation après qu’elle eut déménagé à Trail. Cette relation a pris fin en mai 2018. Le gendarme Murchie a déclaré que Mme A.G. avait déjà été la cible d’un harceleur. Comme il pensait être en mesure d’aider l’enquêteur au dossier no 2019-XXYZ, il a examiné le dossier. Il a ajouté qu’il avait parlé du dossier au caporal Splinter, un superviseur du Détachement de Trail, et que celui-ci lui avait dit de ne pas s’en faire. Il avait aussi parlé au gendarme Ben Smith, lequel lui avait dit qu’il ne pouvait pas parler du dossier. Il n’a pas laissé entendre qu’il avait mentionné à l’un ou l’autre le fait que Mme A.G. avait déjà été harcelée lorsqu’il leur avait parlé.
[103] Le gendarme Murchie a déclaré qu’il croyait avoir une raison opérationnelle de consulter le dossier lorsqu’il l’avait fait, mais qu’il savait maintenant que sa conduite était inappropriée.
[104] Rien n’indique que le gendarme Murchie ait parlé du dossier à Mme A.G. En contre-interrogatoire, il a déclaré que Mme A.G. ne lui avait pas demandé de chercher le dossier. Si Mme A.G. pensait que le sergent Scott était un harceleur, il lui appartenait de le dire au gendarme Ben Smith. Il ne revenait pas au gendarme Murchie de le faire pour elle.
[105] Compte tenu de sa formation antérieure sur le système PRIME, je n’accepte pas l’argument du gendarme Murchie selon lequel il ne savait pas, avant d’entendre les témoins experts, qu’il s’agissait d’une utilisation inappropriée du système.
[106] La distinction entre une recherche opérationnelle et une recherche non opérationnelle à des fins personnelles n’est pas toujours claire. Même si le gendarme Murchie croyait chercher le dossier no 2019-XXYZ et faire la recherche sur le sergent Scott à des fins d’application de la loi, je suis d’avis qu’il n’avait ni le droit ni le besoin de savoir quoi que ce soit au sujet du dossier de Mme A.G. Le gendarme Murchie n’avait aucune raison administrative ou opérationnelle légitime d’accéder au dossier. Il a contrevenu à la politique de la GRC. L’autorité disciplinaire a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la recherche du dossier no 2019-XXYZ par le gendarme Murchie n’était pas autorisée ou qu’elle a été faite à des fins personnelles. Par conséquent, l’allégation 4 a été établie.
Conclusions sur l’allégation 1
[107] L’allégation 1 est une allégation de conduite déshonorante qui relève de l’article 7.1 du code de déontologie. Pour établir une allégation au titre de cet article, l’autorité disciplinaire doit établir chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :
les actes qui constituent la conduite alléguée;
l’identité du membre;
si la conduite du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC;
si la conduite du membre est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions pour donner à la GRC un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.
[108] Je peux traiter sommairement du deuxième élément du critère, puisque l’identité du gendarme Murchie n’est pas remise en question. Les trois autres éléments nécessiteront une analyse plus approfondie.
Les actes qui constituent la conduite alléguée
[109] Le détail 10 résume les actes qui, selon l’autorité disciplinaire, constituent la conduite alléguée : [TRADUCTION] « Alors qu’il était en position de confiance et d’autorité, [le gendarme Murchie] a entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme [D.T.], une personne vulnérable [qu’il] avait rencontrée dans l’exercice de ses fonctions. »
[110] Les questions qui découlent de ce détail sont les suivantes :
Le gendarme Murchie était-il en service lorsqu’il a rencontré Mme D.T.?
Mme D.T. était-elle une personne vulnérable?
Le gendarme Murchie était-il en position de confiance et d’autorité par rapport à Mme D.T.?
Le gendarme Murchie a-t-il entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme D.T.?
[111] Je vais examiner ces questions séparément, mais je dois d’abord les mettre en contexte au moyen de renseignements généraux sur le gendarme Murchie et sur Mme D.T.
[112] Au moment où j’ai rendu ma décision orale sur les allégations, le gendarme Murchie était âgé de 43 ans. Il a épousé Mme J.M. en août 2009. Ils ont eu cinq enfants. Le gendarme Murchie et Mme J.M. se sont séparés en mai 2016. Malgré la séparation légale, Mme J.M. a déménagé avec la famille de Fort Smith à Trail.
[113] En septembre 2018, le gendarme Murchie et Mme J.M. partageaient la garde de leurs enfants. Toutefois, avec le temps, le gendarme Murchie a commencé à avoir la garde des enfants plus fréquemment en raison des problèmes de santé de Mme J.M. Mme J.M. a quitté Trail pour retourner en Ontario en octobre 2019, laissant au gendarme Murchie la garde des cinq enfants.
[114] Mme D.T. a quitté l’Alberta pour s’installer à Trail au printemps 2010. Elle a épousé M. B.T. en 2007 ou en 2008. M. B.T. est un ancien combattant. Il souffre du TSPT et d’alcoolisme chronique.
[115] M. B.T. et Mme D.T. ont deux enfants. Ils se sont séparés légalement le 1er avril 2017. M. B.T. a quitté la maison familiale après la séparation, mais il est resté à Trail. M. B.T. et Mme D.T. sont demeurés en contact de façon sporadique après leur séparation. Mme D.T. a divorcé de M. B.T. en mars 2020.
[116] Je ne me livrerai pas à une évaluation très approfondie de la crédibilité du gendarme Murchie et de Mme D.T. Ils avaient tous deux une histoire à raconter et ils l’ont fait avec clarté et assurance. Leurs points de vue sur la relation diffèrent, ce qui est compréhensible. Leurs témoignages au sujet d’événements particuliers diffèrent, de façon importante dans certains cas; cependant, les différences ne sont pas importantes quant à mes conclusions. Si je privilégie une version plutôt qu’une autre, je le préciserai et j’expliquerai pourquoi la différence n’est pas importante. Ils s’entendent sur la plupart des faits importants en l’espèce.
Le gendarme Murchie était-il en service lorsqu’il a rencontré Mme D.T.?
[117] Le gendarme Murchie a rencontré Mme D.T. pour la première fois lors d’une activité des Guides à l’automne 2017 ou au printemps 2018. Mme D.T. et lui avaient tous deux une enfant qui participait à l’activité d’une nuit. Mme D.T. était bénévole. Il s’est présenté à l’activité en uniforme pour régler un problème concernant sa fille. L’interaction entre lui et Mme D.T. a été brève.
[118] Le gendarme Murchie et Mme D.T. se sont rencontrés de nouveau le 6 septembre 2018. Ce jour-là, le gendarme Michael Flewelling a lancé une enquête concernant un cas de conduite avec facultés affaiblies. Le conducteur aux facultés affaiblies avait été intercepté à une station-service locale. Il s’agissait de M. B.T., l’ex-époux de Mme D.T. Le gendarme Kevin Johnson et le gendarme Murchie ont répondu à un appel de renfort passé par le gendarme Flewelling et l’ont aidé à mener l’enquête à leur arrivée sur les lieux.
[119] Mme D.T. se rendait à la station-service lorsqu’elle a vu le camion de son mari et plusieurs véhicules de police. Comme elle ne pouvait pas voir son mari, elle a décidé d’aller s’assurer qu’il allait bien. Elle était inquiète parce que M. B.T. était suicidaire et qu’il avait parlé de [TRADUCTION] « suicide par policier interposé » à plusieurs reprises depuis 2009. Ce n’était pas la première fois que M. B.T. avait des démêlés avec la police.
[120] Lorsque Mme D.T. est sortie de son véhicule, le gendarme Murchie s’est approché d’elle et lui a dit qu’elle devait partir. Elle a refusé catégoriquement. Le gendarme Murchie a déclaré qu’il n’avait pas reconnu Mme D.T., qu’il n’avait vue qu’une fois lors de l’activité des Guides. L’interaction entre eux a été brève et conflictuelle. Mme D.T. était agressive et émotive au point de pleurer.
[121] Le gendarme Johnson est intervenu pour désamorcer la situation. Il a permis à Mme D.T. de parler à son mari, qui était détenu à l’arrière d’un véhicule de police. En contre-interrogatoire, le gendarme Murchie a déclaré qu’il avait demandé au gendarme Johnson qui était son amie parce que le gendarme Johnson était exceptionnellement gentil avec elle. Ce comportement était inhabituel pour lui, car il était généralement très sévère dans l’exercice de ses fonctions. Le gendarme Johnson a répondu au gendarme Murchie que Mme D.T. [TRADUCTION] « est ou était » une cliente. Le gendarme Murchie ne se rappelait pas si le gendarme Johnson avait parlé au passé ou au présent.
[122] M. B.T. a été arrêté pour conduite d’un véhicule à moteur avec facultés affaiblies. Les trois membres ont quitté les lieux. Le gendarme Murchie est retourné au bureau. M. B.T. a été amené au Détachement par d’autres membres, où il a été admis en cellule à 17 h 27. Le registre des détenus indique que le gendarme Murchie a parlé à M. B.T. à ce moment-là.
[123] Selon les données GPS, le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de Mme D.T. le 6 septembre 2018 à 18 h 36. Il est reparti à 19 h pour répondre à un appel concernant un véhicule en feu. Il est retourné à la résidence de Mme D.T. à 20 h 54 et est reparti à 22 h 32.
[124] Le 7 septembre 2018, le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de M. B.T. avec Mme D.T. pour récupérer des biens. Le gendarme Murchie a ouvert un dossier pour consigner cette aide. Le dossier indique que Mme D.T. avait demandé de l’aide pour récupérer les biens. Elle avait peur des autres résidents de la maison. Ils étaient tous d’anciens combattants qui souffraient du TSPT. Mme D.T. a déclaré qu’elle avait l’intention d’aller à la résidence avec un ami civil, mais comme celui-ci venait de l’extérieur de la ville, elle avait plutôt communiqué avec la police.
[125] Le gendarme Murchie a déclaré que la demande de Mme D.T. s’adressait au Détachement de Trail de façon générale, mais comme aucun membre en service n’avait pris le dossier en charge, il avait décidé de s’en occuper. Mme D.T. a mentionné que le gendarme Murchie s’était porté volontaire, mais elle n’a pas précisé de quelle façon cela s’était produit.
[126] Le gendarme Murchie a déclaré que Mme D.T. et lui s’étaient rendus à la résidence dans des véhicules séparés dans le but de prendre des médicaments et des vêtements pour M. B.T. Celui- ci avait été admis dans un établissement de traitement à Trail. Selon son rapport, le gendarme Murchie avait rejoint Mme D.T. à la résidence de M. B.T. Mme D.T. a déclaré qu’elle était montée dans le véhicule de police avec le gendarme Murchie pour aller récupérer les armes à feu de M. B.T. Les deux histoires sont crédibles et sensées. L’enjeu était plus important pour le gendarme Murchie. Il aurait été avantageux pour lui de modifier son témoignage de façon à minimiser l’importance de ce qui s’était passé. Cependant, le gendarme Murchie a fait une déclaration qui m’amène à privilégier sa version des faits. Il a dit que si l’objectif avait été de retirer des armes à feu d’une résidence où vivaient d’anciens combattants, il aurait demandé des renforts. Il s’agit d’une déclaration convaincante d’un point de vue opérationnel. Quoi qu’il en soit, l’élément à retenir est que le gendarme Murchie était en service pour aider Mme D.T. le lendemain de l’arrestation de M. B.T.
[127] Mme D.T. et le gendarme Murchie ont tous deux déclaré qu’au cours des semaines suivantes, le gendarme Murchie s’était rendu à la résidence de Mme D.T. pendant qu’il était en service. Le gendarme Murchie a précisé qu’il avait fait ces visites durant ses pauses, pour boire un café, fumer une cigarette et discuter. Les données GPS confirment que le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de Mme D.T. à pas moins de 16 reprises pendant qu’il était en service au cours des deux semaines qui ont suivi l’arrestation de M. B.T.
[128] Par conséquent, je conclus que le gendarme Murchie était en service lorsqu’il a rencontré Mme D.T. à l’activité des Guides et lorsqu’il l’a vue le 6 septembre 2018. Après ces rencontres, il a continué d’avoir des contacts avec Mme D.T. pendant qu’il était en service.
Mme D.T. était-elle une personne vulnérable?
[129] L’autorité disciplinaire a renvoyé à plusieurs affaires disciplinaires de la GRC dans lesquelles les comités de déontologie ont accepté diverses définitions de l’expression « personne vulnérable ». Le gendarme Murchie a laissé entendre que la bonne définition du terme « victime » était celle énoncée à l’article 722 du Code criminel, définition selon laquelle une victime est une personne qui a subi des dommages corporels ou moraux par suite de la perpétration d’une infraction.
[130] J’accepte la définition du terme « victime ». Cependant, l’observation du gendarme Murchie n’est pas utile puisque la question est de savoir si Mme D.T. était une personne vulnérable, et non si elle était une victime. Une personne peut être victime sans nécessairement être vulnérable.
[131] Je privilégie la définition de « personne vulnérable » énoncée dans les définitions contenues dans le Manuel de sécurité (version du 8 octobre 2014). Dans la décision Hederson[1], le comité de déontologie a renvoyé à cette définition. Selon cette définition, une personne vulnérable est une personne qui, en raison de son âge, d’une déficience ou d’autres circonstances temporaires ou permanentes, soit est en position de dépendance par rapport à d’autres personnes, soit court un risque d’abus ou d’agression plus élevé que la population en général de la part d’une personne en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’elle. Cette définition correspond mieux aux circonstances de l’espèce que d’autres qui m’ont été présentées par l’autorité disciplinaire.
[132] L’insistance de l’autorité disciplinaire à dire que Mme D.T. était une personne vulnérable est fondée sur deux lettres du médecin de famille de Mme D.T., datées du 30 juillet 2018 et du 5 septembre 2018. Selon la première lettre, Mme D.T. souffrait de dépression et d’anxiété, ce qui nuisait à son sommeil, à son humeur, à sa concentration, à sa capacité à traiter avec le public et à sa capacité à s’occuper d’elle-même. La deuxième lettre, que je n’ai pas pu trouver dans le dossier, disait apparemment que Mme D.T. peinait à sortir du lit à certains moments lorsque ses enfants étaient absents, mais qu’elle se sentait mieux lorsqu’ils revenaient et que la routine se réinstallait. Cette deuxième lettre disait aussi que Mme D.T. était instable sur le plan émotionnel. Le témoignage de Mme C.H., une amie de Mme D.T. qui a témoigné à l’audience disciplinaire, appuie ces deux lettres.
[133] Mme D.T. a déclaré que les semaines qui avaient précédé le 6 septembre 2018 avaient été les pires de sa vie. Elle avait découvert accidentellement que M. B.T. avait été hospitalisé. En outre, elle avait rompu avec son petit ami après 10 mois. Comme sa famille vit en Alberta, elle n’avait pas de réseau de soutien dans la région.
[134] Après qu’il eut été remis en liberté, M. B.T. a été admis dans un centre de réhabilitation local. Il y est resté une semaine. À sa sortie, Mme D.T. s’est efforcée de prendre des mesures pour qu’il puisse être admis dans un centre de réhabilitation à l’extérieur de Trail. Elle a mentionné qu’elle pleurait tous les jours et qu’elle réclamait de l’aide. Mme D.T. a expliqué qu’elle s’était sentie comme une [TRADUCTION] « sale loque » durant tout le mois de septembre. Elle réussissait à accomplir ce qu’elle avait à faire parce qu’elle était [TRADUCTION] « complètement en mode survie ». Selon l’autorité disciplinaire, le fait que Mme D.T. était apparemment fonctionnelle ne signifiait pas qu’elle n’était pas vulnérable.
[135] Le gendarme Murchie insiste sur le fait que Mme D.T. n’était pas une personne vulnérable. Durant leur relation, elle était forte, organisée et maternelle. Elle était [TRADUCTION] « à la hauteur » et « faisait ce qu’elle avait à faire ».
[136] Je suis d’avis qu’au moment de sa rencontre avec le gendarme Murchie, le 6 septembre 2018, et durant une brève période par la suite, Mme D.T. était une personne vulnérable. Cependant, sa vulnérabilité s’est atténuée avec le temps. Comme l’indique la définition que j’ai adoptée, la vulnérabilité peut être temporaire. Sur les lieux de l’incident concernant la conduite avec facultés affaiblies, elle s’inquiétait du bien-être de son époux. La police contrôlait ce qui arrivait à celui-ci. M. B.T. est demeuré sous la garde de la GRC jusqu’au lendemain matin. Il revenait à la police, y compris au gendarme Murchie, d’assurer sa sécurité jusqu’à sa libération. En outre, la police pouvait détenir M. B.T. plus longtemps en raison de ses problèmes de santé mentale. À la suite de l’arrestation de M. B.T., la préoccupation de Mme D.T. était de lui obtenir l’aide dont il avait besoin. Elle a immédiatement communiqué avec les parents de M. B.T. et avec ACC pour obtenir de l’aide. Lors de son témoignage, elle a indiqué clairement que, malgré leur séparation et les problèmes de son époux, elle continuait à se soucier profondément de lui. Elle a précisé que la rupture avec son petit ami était attribuable au fait qu’elle était trop présente pour son époux. Le bien-être de M. B.T. était très important pour elle. M. B.T. a été admis dans un centre de réhabilitation à l’extérieur de Trail environ deux semaines après son arrestation. Une fois qu’il a été admis dans ce centre, la dépendance de Mme D.T. à l’égard des autres, y compris le gendarme Murchie, a diminué considérablement.
[137] Mme D.T. était une personne vulnérable jusqu’au moment où M. B.T. a été admis dans le centre de réhabilitation à l’extérieur de Trail. Je suis d’accord avec le gendarme Murchie pour dire que, même si Mme D.T. a continué à avoir des problèmes de santé mentale, les lettres du médecin ne parlent pas de son état de santé mentale et de sa capacité à faire face à la situation ou à prendre des décisions après le 5 septembre 2018. Mme D.T. n’a rien dit au sujet de problèmes de santé mentale ou de sa capacité à faire face à la situation après septembre 2018. Rien n’indique qu’elle soit retournée voir son médecin de famille pour faire le suivi des problèmes de santé mentale mentionnés dans les lettres du médecin. Mme D.T. sait assurément ce qu’elle veut. Elle l’a démontré en tentant à plusieurs reprises et de façon agressive d’affirmer sa position lors de son témoignage à l’audience disciplinaire. Elle a aussi démontré sa capacité à faire face à la situation après avoir entamé une relation avec le gendarme Murchie. Elle menait une vie familiale normale, quoique parsemée d’embûches. Elle s’occupait de ses deux enfants et d’autres questions familiales si bien que le gendarme Murchie admirait la façon dont elle faisait tourner la maison. Elle a aussi fait plus que sa part pour les enfants du gendarme Murchie au cours de sa relation avec lui. Mme D.T. n’était pas une personne vulnérable durant la majeure partie de la relation avec le gendarme Murchie.
Le gendarme Murchie était-il en position d’autorité par rapport à Mme D.T.?
[138] L’autorité disciplinaire affirme que le gendarme Murchie était en position d’autorité par rapport à Mme D.T. Le gendarme Murchie a reconnu qu’il était en position d’autorité et de confiance par rapport à Mme D.T., mais il soutient que cette situation a pris fin lorsque M. B.T. a été admis dans le centre de réhabilitation à l’extérieur de Trail. Je suis d’accord.
[139] Le gendarme Murchie était en position d’autorité et de confiance sur les lieux de l’arrestation de M. B.T. pour conduite avec facultés affaiblies. Comme l’a noté l’autorité disciplinaire en renvoyant à l’arrêt Snelgrove, la relation entre un agent de police en service et un membre du public est généralement une relation de confiance et d’autorité. Cette relation est présumée et n’a pas à être démontrée.
[140] Le jour même de l’arrestation de M. B.T., le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de Mme D.T. à deux reprises, pendant qu’il était en service, pour faire un suivi. En sa qualité de policier, il a offert à Mme D.T. de l’aider à composer avec la situation de son mari. Cependant, je ne sais pas exactement quelle aide il a apportée à cet égard. C’est entièrement grâce à Mme D.T., avec l’aide de professionnels de la santé et, je présume, d’ACC, que M. B.T. a pu être admis dans les centres de réhabilitation. Le gendarme Murchie a dit à Mme D.T. qu’il parlerait au personnel du centre de réhabilitation local, mais rien n’indique qu’il l’ait fait ou, s’il l’a fait, qu’il ait eu une influence sur l’admission de M. B.T. dans l’un ou l’autre des centres.
[141] Le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de Mme D.T. en uniforme durant un certain temps après que M. B.T. eut été admis dans le centre de réhabilitation. Il s’agissait de visites personnelles durant ses pauses de travail. La relation entre le gendarme Murchie et Mme D.T. s’est transformée en une relation purement personnelle qui tournait autour de leurs enfants. Dans sa décision rendue à l’issue du procès criminel mené contre le gendarme Murchie pour abus de confiance[2], le juge Sicotte a conclu que la relation professionnelle qu’entretenait le gendarme Murchie avec Mme D.T. avait pris fin assez rapidement et que la relation qu’ils avaient ensuite entretenue durant plusieurs mois était clairement personnelle. Bien que la conduite du gendarme Murchie en dehors de ses heures de travail puisse être assujettie au code de déontologie, la position d’autorité et de confiance qu’il occupait par rapport à Mme D.T. avait cessé d’exister. Je suis d’accord. J’estime qu’elle a cessé d’exister au moment où M. B.T. a été admis dans le centre de réhabilitation à l’extérieur de Trail. Même si le gendarme Murchie occupait une position d’autorité et de confiance lorsque la relation a commencé, cette position n’existait plus durant la majeure partie de la relation.
Le gendarme Murchie a-t-il entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme D.T.?
[142] Alors qu’il se trouvait sur les lieux de l’enquête concernant le cas de conduite avec facultés affaiblies, le gendarme Murchie a exprimé un intérêt à l’égard de Mme D.T., comme en témoigne la question qu’il a posée au gendarme Johnson. Leur relation n’a pas commencé du bon pied. Ils se sont disputés lors de leur rencontre, le 6 septembre 2018. Le gendarme Murchie s’est ensuite rendu à la résidence de Mme D.T. après avoir parlé à M. B.T. dans les cellules. Le gendarme Murchie a déclaré qu’au cours de cette conversation, M. B.T. lui avait demandé de parler à Mme D.T. Cette tâche ne lui avait pas été confiée par le gendarme Flewelling, enquêteur principal du dossier sur la conduite avec facultés affaiblies, ni par personne d’autre. Il n’avait pas été invité à le faire par Mme D.T. En fait, celle-ci a déclaré que lorsque le gendarme Murchie s’était présenté à sa porte, elle n’avait pas eu l’intention de le laisser entrer.
[143] Lors de sa première visite chez Mme D.T., le gendarme Murchie s’est excusé de la façon dont il s’était comporté plus tôt. Mme D.T. était au téléphone avec son beau-père et ACC afin d’obtenir de l’aide pour son mari. Selon Mme D.T., le gendarme Murchie l’a informée que la police allait détenir M. B.T. pour la nuit. La visite du gendarme Murchie a duré environ 25 minutes. Il a dû répondre à un appel de service. Mme D.T. a déclaré qu’elle n’avait pas demandé au gendarme Murchie de revenir. Le gendarme Murchie affirme que Mme D.T. l’a invité à revenir.
[144] Après s’être occupé de l’appel de service, le gendarme Murchie est retourné à la résidence de Mme D.T. Mme D.T. a déclaré que le gendarme Murchie s’était montré beaucoup plus gentil lors de sa deuxième visite. Il en savait beaucoup sur elle, mais il a posé beaucoup de questions sur sa vie personnelle. Elle en a aussi beaucoup appris sur sa vie personnelle. Mme D.T. a déclaré que, lors de la deuxième visite du gendarme Murchie, elle s’était sentie désolée pour lui après avoir appris son histoire, mais qu’il lui avait aussi donné l’espoir qu’une personne puisse surmonter un traumatisme lié au stress opérationnel. À la fin de la soirée, elle était d’avis qu’il était gentil. Elle estimait qu’elle lui devait quelque chose parce qu’à son avis, nous devons tous quelque chose aux personnes en uniforme en raison de leur service.
[145] Le gendarme Murchie était d’avis que Mme D.T. était accomplie et qu’elle menait les choses à bien. Mme D.T. a déclaré que le gendarme Murchie avait laissé une carte professionnelle sur laquelle il avait noté, à la main, son numéro de téléphone cellulaire personnel. Le gendarme Murchie s’est dit essentiellement d’accord avec Mme D.T. Il a nié avoir été au courant de la violence dans sa situation familiale. Par ailleurs, il a dit qu’il avait laissé deux cartes professionnelles à Mme D.T. Seul son numéro professionnel figurait sur la première. Il lui a laissé la deuxième carte portant son numéro de téléphone cellulaire personnel seulement après qu’ils eurent appris à mieux se connaître.
[146] Le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de Mme D.T. tous les jours après le 6 septembre 2018. Mme D.T. a déclaré qu’au cours de la fin de semaine, le gendarme Murchie l’avait couverte de compliments et lui avait même dit qu’elle était jolie. Le gendarme Murchie a reconnu, lors de son témoignage, qu’il avait bel et bien dit à Mme D.T. qu’elle était jolie.
[147] Le 10 septembre 2018, le gendarme Murchie s’est arrêté dans un parc local pour cueillir des fleurs pendant qu’il était en service. Aux alentours de 5 h 03, le gendarme Murchie s’est rendu à la résidence de Mme D.T. et a déposé les fleurs sur le pare-brise d’un véhicule dans l’entrée. Le gendarme Murchie a nié qu’il s’agissait d’un geste romantique. Il a expliqué qu’il s’agissait d’un acte spontané qui visait à donner un peu de bonheur à Mme D.T. et à sa famille.
[148] Le gendarme Murchie a continué à se rendre à la résidence de Mme D.T. chaque jour durant les deux semaines qui ont suivi le 6 septembre 2018. La plupart de ces visites ont eu lieu pendant qu’il était en service. La relation entre le gendarme Murchie et Mme D.T. s’est transformée en une relation personnelle qui tournait autour de leurs enfants. Certains de leurs enfants s’étaient connus à l’école ou dans le cadre d’activités parascolaires, comme les Guides. Bon nombre des activités familiales comprenaient des repas.
[149] Le gendarme Murchie et Mme D.T. ont eu des rapports sexuels consensuels une fois. Je n’ai pas pu établir la date avec certitude, mais cela se serait vraisemblablement produit après la fête d’anniversaire de l’une des filles de Mme D.T. Selon la preuve, cette fête aurait eu lieu le 21 septembre 2018. Mme D.T. a affirmé que ces rapports avaient été amorcés par le gendarme Murchie. Le gendarme Murchie a affirmé que les rapports avaient été amorcés par Mme D.T. Peu importe qui les a amorcés ou quand ils ont eu lieu, ces rapports ont été très brefs et n’ont plu ni au gendarme Murchie ni à Mme D.T. Le gendarme Murchie a expliqué qu’il avait besoin de médicaments pour traiter une dysfonction érectile. Il n’avait pas ce médicament avec lui. Ni l’un ni l’autre n’avait prévu ces rapports intimes. Ils étaient spontanés, et le gendarme Murchie et Mme D.T. les ont immédiatement regrettés. Rien n’indique que le gendarme Murchie ait eu des rapports sexuels avec Mme D.T. avant cet incident.
[150] Après cet incident, la relation entre le gendarme Murchie et Mme D.T. a changé considérablement. Mme D.T. a déclaré qu’ils étaient plutôt devenus comme un frère et une sœur. Ils ont continué à faire des activités en famille, notamment des repas et la fête d’anniversaire d’un enfant dans un motel de Castlegar. Le gendarme Murchie et Mme D.T. se sont entendus pour dire qu’ils avaient dormi dans le même lit sans aucun geste romantique. Le gendarme Murchie a décrit la relation comme une relation fondée sur le respect mutuel et le confort.
[151] Mme C.H. a déclaré que la relation était mutuelle et que le gendarme Murchie et Mme D.T. y contribuaient à parts égales. Mme D.T. a déclaré qu’elle contribuait à la relation dans une plus grande mesure que le gendarme Murchie.
[152] Les relevés téléphoniques se rapportant à la période de la relation montrent que Mme D.T. était plus souvent à l’origine des contacts téléphoniques que le gendarme Murchie.
[153] Le gendarme Murchie est parti en vacances en octobre 2018. Il a mentionné qu’un appel téléphonique reçu durant ses vacances l’avait amené à réaliser qu’il ne souhaitait plus poursuivre sa relation avec Mme D.T. La relation a commencé à se détériorer par la suite. Le gendarme Murchie et Mme D.T. fréquentaient tous deux d’autres personnes. La relation entre eux a pris fin le 10 mai 2019, à la suite d’une dispute au sujet d’une personne que le gendarme Murchie fréquentait.
[154] Dans sa décision rendue à l’issue du procès criminel mené contre le gendarme Murchie, le juge Sicotte a conclu[3] que le gendarme Murchie était personnellement attiré par Mme D.T. et qu’il avait entretenu une relation personnelle avec elle. Je suis d’accord avec cette conclusion. Les seuls éléments de preuve dont je dispose selon lesquels le gendarme Murchie aurait entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme D.T. sont le bouquet de fleurs laissé sur un véhicule dans l’entrée de Mme D.T., certains gestes de séduction, notamment dire à Mme D.T. qu’elle était jolie à une occasion, et une seule relation sexuelle consensuelle spontanée. Ces éléments ne suffisent pas à établir qu’il a entretenu une relation amoureuse et sexuelle avec Mme D.T.
[155] Cette conclusion n’est pas déterminante à l’égard de cette allégation. Le fait que le gendarme Murchie ait entretenu une relation personnelle dans les circonstances peut tout de même constituer une conduite déshonorante. Par conséquent, une analyse plus poussée du troisième élément du critère relatif à la conduite déshonorante est nécessaire.
Le risque de jeter le discrédit sur la Gendarmerie
[156] Le critère relatif à la conduite déshonorante est bien établi. Il s’agit de déterminer si une personne raisonnable, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités de la police en général et de celles de la GRC en particulier, jugerait que la conduite est déshonorante ou susceptible de jeter le discrédit sur la GRC.
[157] Les représentantes de l’autorité disciplinaire ont indiqué, à juste titre, que le code de déontologie s’applique aux membres de la GRC qu’ils soient en service ou non. Elles ont aussi indiqué, à juste titre, que les policiers sont tenus de respecter des normes plus élevées que le grand public.
[158] En concluant que le gendarme Murchie était personnellement attiré par Mme D.T. et qu’il avait entretenu une relation personnelle avec elle, le juge Sicotte a aussi conclu qu’il ne pouvait pas dire, hors de tout doute raisonnable, que la conduite du gendarme Murchie constituait un écart grave et marqué par rapport à la conduite attendue de la part d’un agent de la GRC dans une telle situation[4]
[159] Une conclusion tirée par un juge de la Cour provinciale est convaincante, mais je ne me sens pas lié par la décision du juge Sicotte en ce qui a trait à la question de la conduite déshonorante, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, la norme de preuve qui s’applique dans un procès criminel est celle de la preuve hors de tout doute raisonnable alors que, dans la présente affaire disciplinaire, une norme inférieure s’applique, soit celle de la prépondérance des probabilités. Deuxièmement, le juge Sicotte devait statuer sur un abus de confiance criminel, auquel s’applique un critère différent de celui qui s’applique à une conduite déshonorante. Enfin, le juge Sicotte n’a pas entendu les mêmes témoignages que moi. Je n’ai pas entendu le même témoignage que lui de la part du gendarme Johnson. Il n’a pas entendu le même témoignage que moi de la part du gendarme Murchie. Je dois rendre ma propre décision sur la question de savoir si la conduite du gendarme Murchie était déshonorante ou susceptible de jeter le discrédit sur la GRC en me fondant sur le critère que je dois appliquer selon la norme de preuve que je dois appliquer.
[160] Je commencerai par dire qu’il n’est pas complètement interdit aux membres de la GRC d’entretenir des relations avec des personnes rencontrées dans l’exercice de leurs fonctions. Comme l’a noté le représentant du membre visé, la GRC n’a pas de politique particulière à ce sujet. Je n’en connais aucune. Néanmoins, les membres de la GRC doivent faire preuve de prudence de façon à ne pas créer de conflit d’intérêts ou à ne pas contrevenir au code de déontologie. Les circonstances propres à chaque cas doivent être prises en compte.
[161] La position de l’autorité disciplinaire sur la conduite déshonorante repose sur ma conclusion selon laquelle le gendarme Murchie s’est servi de son statut de policier pour obtenir des renseignements sur Mme D.T. et qu’il l’a ensuite conditionnée afin qu’elle entame une relation amoureuse et sexuelle avec lui. Le conditionnement est l’élément de l’allégation qui constitue la conduite déshonorante.
[162] Le gendarme Murchie admet avoir entretenu une relation avec Mme D.T., mais il nie qu’il a profité de sa position en tant que policier et que Mme D.T. était une personne vulnérable. Sa relation avec Mme D.T., bien qu’elle ait commencé lorsqu’il était en service, s’est transformée en une relation personnelle axée sur la famille et n’avait aucun lien avec son travail de policier. Le fait qu’il se soit [TRADUCTION] « trop engagé » avec Mme D.T. n’équivaut pas à une conduite déshonorante.
[163] Compte tenu de la situation personnelle de Mme D.T., le gendarme Murchie aurait dû avoir certaines réserves et il aurait dû attendre avant d’amorcer une relation avec elle. M. B.T. était suicidaire et il avait parlé de [TRADUCTION] « suicide par policier interposé » à plusieurs reprises depuis 2009. Par conséquent, le gendarme Murchie aurait pu être en danger, tout comme d’autres policiers et M. B.T. si ce dernier s’était offusqué de la relation qu’entretenait le gendarme Murchie avec son ex-épouse et qu’il avait décidé de passer de la parole aux actes. M. B.T. ne devait pas rester au centre de réhabilitation indéfiniment. Il avait déjà eu des démêlés avec les membres du Détachement de Trail. La possibilité que le gendarme Murchie le rencontre dans l’exercice de ses fonctions était grande. Dans un tel cas, il aurait risqué de se trouver en situation de conflit d’intérêts. Heureusement pour lui, rien de tout cela ne s’est produit.
[164] Mme D.T. avait déjà eu des démêlés avec la police elle aussi. En 2012, des accusations criminelles avaient été portées contre elle parce qu’elle avait menti à la police au sujet d’un incident de violence conjugale lors duquel M. B.T. l’avait gravement blessée. Comme je l’ai entendu à maintes reprises, Trail est une petite ville où tout le monde est au courant des affaires de tout le monde. Bon nombre des amis de Mme D.T., y compris Mme C.H., étaient au courant de sa relation avec le gendarme Murchie, et ils étaient d’avis que la relation n’était pas appropriée, surtout compte tenu de la façon dont elle avait commencé. Mme C.H. était extrêmement fâchée que le gendarme Murchie ait laissé des fleurs sur le véhicule que Mme D.T. lui avait emprunté.
[165] Cela dit, même si la relation a commencé pendant que le gendarme Murchie était en service, il l’a surtout entretenue en sa qualité personnelle. Bien que le gendarme Murchie ait entretenu une relation personnelle avec Mme D.T., j’estime qu’il ne l’a pas fait d’une façon déshonorante ou d’une façon qui risque de jeter le discrédit sur la GRC. Le dossier ne contient aucune preuve que le gendarme Murchie ait conditionné Mme D.T. pour l’amener à avoir une relation amoureuse ou sexuelle avec lui. Le gendarme Murchie a, tout au plus, fait preuve d’un important manque de discernement. Bien qu’un tel manque de discernement soit généralement à l’origine des cas d’inconduite, comme en ce qui concerne les allégations 3 et 4, il n’entraîne pas automatiquement une conduite déshonorante. Aucun conflit d’intérêts ne s’est produit avec M. B.T. Le gendarme Murchie n’a commis aucune infraction criminelle durant sa relation avec Mme D.T. L’acte sexuel isolé, bien que regretté par les deux parties, était consensuel et imprévu. Mme D.T. regrette profondément d’avoir eu cette relation avec le gendarme Murchie, mais pas parce qu’il était policier ni parce qu’il a fait quelque chose à ce titre. Elle est encore d’avis qu’il est un bon père, un bon policier et une bonne personne. Il n’était tout simplement pas fait pour elle. La dynamique de leur relation ne lui convenait pas. Par conséquent, j’estime qu’une personne raisonnable, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités de la police en général et de celles de la GRC en particulier, ne jugerait pas que le gendarme Murchie a eu une conduite déshonorante.
[166] Je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas établi cet élément du critère relatif à la conduite déshonorante. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine le quatrième élément du critère, mais je le ferai brièvement.
L’intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires contre le gendarme Murchie
[167] Le quatrième élément du critère relatif à la conduite déshonorante exige de l’autorité disciplinaire qu’elle démontre que la conduite du membre est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions pour donner à la GRC un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.
[168] Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, même si la relation entre le gendarme Murchie et Mme D.T. a commencé pendant qu’il était en service, elle est rapidement devenue une relation purement personnelle. Il n’est rien découlé de cette relation qui soit suffisamment lié aux devoirs et fonctions du gendarme Murchie pour donner à la GRC un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.
[169] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas établi les quatre éléments du critère relatif à la conduite déshonorante selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, l’allégation 1 n’a pas été établie.
MESURES DISCIPLINAIRES
[170] Puisque j’ai conclu que les allégations 3 et 4 avaient été établies, je suis tenu de prendre au moins une mesure disciplinaire, en application du paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC. Je peux prendre diverses mesures disciplinaires, notamment recommander le congédiement du membre, lui ordonner de démissionner et « une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles ». Les mesures disciplinaires « prévues dans les règles » se trouvent aux articles 3, 4 et 5 des CC (déontologie).
[171] Les représentantes de l’autorité disciplinaire m’ont informé dans leurs observations que l’autorité disciplinaire ne demandait plus le congédiement du gendarme Murchie. L’autorité disciplinaire a plutôt proposé les mesures disciplinaires suivantes :
la confiscation de 30 jours de solde pour l’allégation 3;
la confiscation de 3 à 5 jours de solde supplémentaires pour l’allégation 4;
le retour à l’échelon de la solde inférieur précédent pour une période d’un an;
l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an;
l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’un an;
l’ordre de suivre la formation obligatoire sur les bases de données.
[172] Les mesures disciplinaires proposées par le gendarme Murchie sont moins sévères que celles proposées par l’autorité disciplinaire. Il a proposé ce qui suit :
la confiscation de 6 à 15 jours de solde;
l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an;
l’obligation de suivre la formation recommandée par l’autorité disciplinaire.
[173] Mon rôle consiste à déterminer les mesures disciplinaires appropriées et proportionnelles aux circonstances de l’affaire, compte tenu de la preuve dont je dispose, des témoignages que j’ai entendus lors de l’audience disciplinaire et des observations reçues de la part des parties aux deux étapes de l’audience disciplinaire.
Analyse
[174] Afin de moderniser la façon dont la GRC traite la conduite des membres, la haute direction de la GRC a adopté les recommandations formulées dans deux rapports distincts rédigés par Paul Ceyssens et Scott Childs. Lorsque le premier rapport[5] a été publié, les comités de déontologie de la GRC, y compris moi-même, nous sommes écartés du critère désuet appliqué pour déterminer les mesures disciplinaires, qui avait été établi par le Comité externe d’examen de la GRC avant l’entrée en vigueur des dispositions modifiées de la Loi sur la GRC le 28 novembre 2014.
[175] Le processus actuel employé pour déterminer les mesures disciplinaires appropriées repose sur cinq principes généraux. Le Rapport final de la phase 1 résume ainsi ces cinq principes fondamentaux :
[…]
a) Une mesure disciplinaire doit pleinement obéir aux objectifs suivants du processus d’examen des plaintes et des sanctions disciplinaires contre la police :
i. l’intérêt du public : il est nécessaire que la force constabulaire observe des normes de conduite élevées, et que la confiance du public à l’endroit de la force constabulaire soit maintenue;
ii. les intérêts de l’employeur sont liés au double rôle qu’il exerce en sa qualité d’employeur responsable du maintien de l’intégrité et de la discipline en milieu de travail policier, et en sa qualité « d’organisme public responsable de la sécurité du public »;
iii. le policier intimé a le droit d’être traité de manière équitable;
iv. lorsque d’autres personnes sont touchées, les intérêts de ces personnes (par exemple, les plaignants qui sont membres du public ou les autres employés de la GRC) – sont pris en compte.
b) Les mesures correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu.
c) Il existe une présomption voulant que la mesure la moins sévère possible soit retenue, mais cette présomption est réfutée dans les cas où l’intérêt du public ou d’autres facteurs précis doivent prévaloir.
d) La proportionnalité.
e) Une norme plus rigoureuse s’applique à la conduite des policiers, comparativement aux autres employés, essentiellement parce qu’ils sont en position de confiance.
[…][6]
[176] J’appliquerai ces principes aux circonstances de l’affaire et aux observations des parties.
Le respect des objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC
[177] Selon le premier principe fondamental, les mesures disciplinaires doivent obéir aux objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC. Cette partie traite du processus d’examen des plaintes et des sanctions disciplinaires de la GRC. L’article 36.2 de la Loi sur la GRC énonce les objectifs de la partie IV. Cette partie porte sur quatre intérêts particuliers :
l’intérêt du public;
les intérêts de la GRC à titre d’employeur et d’organisme public;
l’intérêt du membre à être traité de manière équitable;
les intérêts des personnes touchées.
[178] Les objectifs de la partie IV en ce qui a trait à l’intérêt du public sont énoncés aux alinéas 36.2b) et 36.2c) de la Loi sur la GRC :
[…]
b) de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres [de la GRC] sont censés observer;
c) de favoriser la responsabilité et la responsabilisation des membres pour ce qui est de promouvoir et de maintenir la bonne conduite au sein de la Gendarmerie;
[…].
L’intérêt du public
[179] Dans la décision Eden, le délégué de la commissaire a noté que l’on attend des membres de la GRC qu’ils assurent la sécurité de leur collectivité et qu’ils véhiculent les valeurs fondamentales de la GRC. Le public doit avoir l’assurance que les renseignements confidentiels confiés aux services de police ne sont utilisés qu’aux fins pour lesquelles ils sont fournis, à savoir des fins d’application de la loi.
[180] En l’espèce, le gendarme Murchie a profité de son rôle de membre de la GRC pour faire des recherches dans les bases de données afin d’obtenir des renseignements personnels sur 11 personnes à des fins personnelles. Ce faisant, il n’a pas respecté les valeurs fondamentales de la GRC et il a causé une perte de confiance de la collectivité envers la GRC.
L’intérêt de la GRC
[181] L’intérêt de la GRC est lié à son double rôle en tant qu’employeur et organisme public.
[182] En tant qu’employeur, la GRC est responsable du maintien de l’intégrité et de la discipline en milieu de travail. La direction de la GRC a signalé son intention de traiter plus sérieusement les mesures disciplinaires dans les cas d’utilisation inappropriée, par les membres, des bases de données de la police. Cette intention s’applique aux deux rôles de la GRC.
[183] En tant qu’organisme public, la GRC est responsable de la sécurité du public. À ce titre, il lui incombe de veiller à ce que ses membres respectent les attentes du public en ce qui a trait à la grande quantité de renseignements confidentiels sur les citoyens que les services de police canadiens recueillent et conservent à des fins d’application de la loi. Cette responsabilité est d’autant plus importante alors que la société s’inquiète de la protection des renseignements personnels confiés aux institutions gouvernementales.
L’intérêt du gendarme Murchie
[184] L’intérêt du gendarme Murchie est d’être traité de manière équitable. Celui-ci a bénéficié de toutes les possibilités d’équité procédurale prévues par le processus disciplinaire de la GRC. Il aura toujours la possibilité d’interjeter appel de mes conclusions sur les allégations et des mesures disciplinaires que j’aurai imposées une fois que la présente décision lui aura été signifiée.
L’intérêt des personnes touchées
[185] Par sa conduite, le gendarme Murchie a porté atteinte à la vie privée d’au moins 11 personnes qui étaient raisonnablement en droit de s’attendre à ce que leurs renseignements personnels contenus dans les bases de données ne soient pas utilisés par un membre de la GRC à des fins autres que pour l’application de la loi. À ma connaissance, ces 11 personnes ne savent pas que le gendarme Murchie a fait les recherches en question. Le fait que certaines personnes soient des membres de la famille ou des amis n’excuse en rien la conduite du gendarme Murchie.
[186] L’intrusion du gendarme Murchie dans la vie privée de ces 11 personnes est irréversible. Toutefois, si les personnes touchées étaient mises au courant de la conduite du gendarme Murchie, elles pourraient être rassurées de savoir que la GRC a traité cette affaire avec sérieux et a pris des mesures pour tenir le gendarme Murchie responsable de ses actes.
La conclusion sur les objectifs de la Loi sur la GRC
[187] Les quatre intérêts visés par les objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC militent en faveur de l’imposition de mesures disciplinaires graves en l’espèce.
Les mesures disciplinaires correctives doivent prévaloir
[188] Le deuxième principe fondamental est que les mesures disciplinaires correctives doivent prévaloir. Selon l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, l’un des objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC est l’imposition de mesures disciplinaires qui sont adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, qui sont éducatives et correctives plutôt que punitives.
[189] La gravité des actes du gendarme Murchie l’emporte sur la prévalence habituelle des mesures correctives en l’espèce.
La présomption voulant que la mesure la moins sévère s’applique
[190] Le troisième principe est qu’il existe une présomption voulant que la mesure la moins sévère devrait s’appliquer. La présomption peut être réfutée si l’intérêt du public ou d’autres considérations l’emportent. Je suis d’avis que c’est le cas en l’espèce. L’utilisation inappropriée des bases de données par le gendarme Murchie est grave et mine le rôle de la police.
La proportionnalité
[191] L’analyse de la proportionnalité est l’aspect le plus technique et le plus complexe de l’application des cinq principes fondamentaux.
[192] L’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC et le paragraphe 24(2) des CC (déontologie) prévoient que les mesures disciplinaires doivent être adaptées à la nature et aux circonstances de la contravention aux dispositions du code de déontologie.
[193] L’application de ce quatrième principe est similaire au cadre établi par le Comité externe d’examen de la GRC sous le régime de l’ancien système disciplinaire de la GRC. Selon l’ancien cadre, les comités de déontologie devaient examiner l’éventail des mesures disciplinaires appropriées, puis examiner les facteurs atténuants et aggravants afin de déterminer les mesures disciplinaires adaptées au cas. Jusqu’à tout récemment, les comités d’examen appliquaient ce critère pour déterminer les mesures disciplinaires adaptées.
[194] Selon l’approche modernisée énoncée dans le Rapport final de la phase 1, les comités de déontologie doivent d’abord recenser les facteurs de proportionnalité pertinents, puis déterminer si chaque facteur est atténuant, aggravant ou neutre. Enfin, le comité de déontologie doit soupeser ces facteurs pour déterminer quelles mesures disciplinaires sont adaptées.
[195] Le Rapport final de la phase 1 énumère 15 facteurs de proportionnalité. Cette liste n’est pas exhaustive. J’examinerai chacun des facteurs d’une manière ou d’une autre.
L’intérêt du public
[196] J’ai déjà examiné le facteur de l’intérêt du public dans une certaine mesure, mais j’ajouterai que, compte tenu de la nature de la conduite du gendarme Murchie et du lien direct entre sa conduite et ses fonctions d’application de la loi, l’intérêt du public milite en faveur de mesures disciplinaires importantes. Il s’agit d’un facteur aggravant.
La gravité de la conduite
[197] La gravité de la conduite est un facteur fondamental dans toute procédure disciplinaire. Je relève plusieurs aspects de ce facteur de proportionnalité en l’espèce.
[198] Premièrement, la conduite du gendarme Murchie est grave parce qu’il a violé la confiance du public en accédant aux renseignements personnels des 11 personnes touchées. Les forces de l’ordre recueillent un vaste éventail de renseignements personnels. Les renseignements recueillis et stockés dans les diverses bases de données du gouvernement auxquelles les policiers peuvent avoir accès sont essentiels à l’application de la loi. Toute utilisation inappropriée de ces bases de données, même occasionnelle, mine la confiance du public à l’égard de la police et alimente le débat sur la limitation des pouvoirs de la police en matière de collecte et de conservation de renseignements.
[199] Le gendarme Murchie a également violé la confiance des partenaires de la GRC dans le domaine de l’application de la loi. Le système PRIME et le CIPC sont des bases de données partagées par de nombreux services de police. Une violation des politiques associées à ces bases de données par un membre de l’un des services de police a des répercussions sur tous les services de police qui partagent les bases de données.
[200] Rien n’indique que le gendarme Murchie ait communiqué les renseignements qu’il a obtenus à la suite de ses recherches non autorisées ou qu’il les ait utilisés de quelque façon que ce soit. Ce n’est pas un facteur atténuant; il est, au mieux, neutre[7].
[201] Le gendarme Murchie a accédé à des renseignements à des fins autres que l’application de la loi alors qu’il n’avait ni le droit ni le besoin de connaître ces renseignements. Il s’agit d’une infraction grave. Le gendarme Murchie a trahi la confiance de son employeur et, une fois perdue, cette confiance est difficile à regagner.
[202] Un deuxième aspect de la gravité de la conduite du gendarme Murchie est qu’il a utilisé les bases de données à mauvais escient durant six ans. Au cours de cette période, le gendarme Murchie s’est vu rappeler, de diverses façons, que ce qu’il faisait n’était pas autorisé.
[203] Un troisième aspect est que, même si je n’examine que deux allégations, chacun des détails établis de l’allégation 3 aurait pu être présenté comme une allégation à part entière. J’examine un grand nombre d’actes d’inconduite distincts qui ont touché un grand nombre de personnes.
[204] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la gravité de la conduite du gendarme Murchie constitue un facteur aggravant important.
La reconnaissance de la gravité de l’inconduite
[205] Le gendarme Murchie a accepté la responsabilité de sa conduite en admettant de nombreux détails. Les détails de l’allégation 3 qui ont été établis n’auraient pas pu l’être sans les aveux du gendarme Murchie, car l’autorité disciplinaire n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle les recherches faites par le gendarme Murchie n’étaient pas autorisées, à l’exception du détail 22.
[206] Plusieurs des personnes qui appuient le gendarme Murchie ont mentionné dans leurs lettres que celui-ci leur avait dit qu’il regrettait ce qu’il avait fait.
[207] Il a également exprimé des remords à Esa Porter lors de ses séances de counseling avec elle. J’accepte cette déclaration faite par Esa Porter dans son rapport comme un fait plutôt que comme un avis médical.
[208] Dans la déclaration qu’il m’a faite lors de l’audience disciplinaire, le gendarme Murchie a reconnu la gravité de sa conduite. Je crois que sa déclaration était sincère.
[209] Durant l’enquête et lors de son témoignage, le gendarme Murchie s’est montré quelque peu désinvolte quant au fait qu’il avait accédé aux bases de données. Cependant, il a compris la gravité de sa conduite lors de l’audience disciplinaire après avoir entendu les divers témoins experts. Je suis convaincu qu’il ne reproduira pas ce genre de comportement à l’avenir. Par conséquent, ce facteur de proportionnalité est atténuant.
L’existence d’un handicap et d’autres circonstances pertinentes
[210] Le gendarme Murchie a présenté plusieurs rapports médicaux, qui indiquent qu’il a reçu un diagnostic de traumatisme lié au stress opérationnel et qu’il a été traité à cet égard. Ni le gendarme Murchie ni les rapports présentés n’ont établi de lien de cause à effet entre son traumatisme lié au stress opérationnel et sa conduite.
[211] En outre, le gendarme Murchie a connu des revers dans sa vie personnelle. Rien n’indique que sa situation personnelle ait eu quelque lien que ce soit avec les allégations établies.
[212] J’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité neutre.
Les antécédents professionnels
[213] J’ai déjà énoncé les antécédents professionnels du gendarme Murchie. Je constate qu’il cumule 16 années de service. Au cours de ces 16 années, le gendarme Murchie a pris plusieurs congés de maladie prolongés et des congés parentaux, et il a été suspendu avec solde durant 3,5 ans dans le cadre de la présente procédure disciplinaire. La plupart des congés de maladie semblent être liés au service, et il avait droit à ses congés parentaux.
[214] Il n’a aucun antécédent d’inconduite.
[215] Les parties n’ont fourni aucun renseignement concernant le rendement du gendarme Murchie au sein de la GRC. Toutes les lettres d’appui mettent l’accent sur le fait qu’il élève seul cinq enfants. Cela ne me dit rien sur lui en tant que membre de la GRC. Selon plusieurs lettres, il aborde son travail avec compassion et il se soucie des autres.
[216] En l’absence de preuve concernant ses antécédents professionnels, j’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité neutre.
La possibilité de réforme ou de réhabilitation
[217] Dans son témoignage, le gendarme Murchie a indiqué qu’après avoir entendu les trois témoins experts, il comprenait mieux le caractère inapproprié de sa conduite. Selon plusieurs des lettres d’appui, il aurait dit à certaines personnes qu’il avait appris de sa participation au processus disciplinaire. J’estime qu’il est peu probable que le gendarme Murchie utilise de nouveau les bases de données de la GRC à des fins personnelles. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité atténuant.
L’effet sur le policier et sa famille
[218] Le Rapport final de la phase 1 indique ce qui suit : « Une certaine incertitude entoure l’effet de la mesure disciplinaire sur un policier intimé (et peut-être sur la famille de l’intimé).[8] »
[219] Lors de son témoignage, le gendarme Murchie a mentionné qu’il avait déclaré faillite, peut- être en 2018. Je ne sais pas s’il a été libéré de cette faillite. Je ne dispose que des observations du représentant du membre visé sur l’état général actuel de ses finances. Il élève seul cinq enfants. Le coût de la vie est élevé de nos jours. De nombreuses familles qui peuvent compter sur deux revenus ont du mal à joindre les deux bouts. L’emploi du gendarme Murchie au sein de la GRC est une source de revenu pour lui. Il reçoit également une pension importante d’ACC.
[220] Les parties m’ont demandé d’imposer des pénalités financières différentes, à déduire directement de la solde du gendarme Murchie[9]. La confiscation directe de la solde a une certaine valeur éducative et réparatrice. Cependant, je suis d’avis que la confiscation directe de la solde est une mesure qui manque d’imagination et qui est surtout punitive. Elle occasionne des [TRADUCTION] « difficultés à court terme » ou des « inconvénients d’une courte durée », au moment où les déductions sont effectuées, et elle risque d’avoir des conséquences imprévues à la fois pour le membre et pour la GRC si la somme confisquée dépasse les moyens financiers du membre. Cela est d’autant plus vrai lorsque le membre éprouve déjà des difficultés financières. En l’espèce, je crois que toute confiscation de la solde doit être atténuée afin d’éviter de graves répercussions sur la capacité du gendarme Murchie à s’occuper de sa famille et à respecter ses obligations financières. Cela ne signifie pas que je n’imposerai pas de mesures disciplinaires ayant des conséquences pécuniaires.
[221] J’estime qu’il s’agit d’un facteur atténuant en ce qui a trait à des mesures disciplinaires qui entraînent la confiscation directe de la solde. Il s’agit d’un facteur neutre en ce qui a trait à toute autre mesure disciplinaire.
La parité des sanctions
[222] Le Rapport final de la phase 2[10] traite de la possibilité qu’une utilisation inappropriée des bases de données soit considérée comme une infraction criminelle au titre de l’article 342.1 du Code criminel. J’ai expressément demandé aux parties d’aborder cette question dans leurs observations.
[223] Je conviens que la conduite du gendarme Murchie peut constituer une infraction criminelle, comme le suggère le Rapport final de la phase 2; cependant, je ne la traiterai pas comme telle en l’espèce. Le Rapport final de la phase 2 n’a été publié qu’en janvier 2023. Dans un communiqué daté du 5 juillet 2023 envoyé à l’ensemble de la GRC, trois officiers supérieurs ont clairement indiqué qu’une utilisation inappropriée des bases de données de la GRC constituait une inconduite grave qui risquait d’entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. Du point de vue de l’équité procédurale, il ne s’agit pas d’allégations d’infraction criminelle. Il s’agit d’allégations d’utilisation inappropriée d’ordinateurs et de bases de données. Le gendarme Murchie devait savoir dès le début de la présente instance que le critère pénal pouvait être appliqué aux allégations afin qu’il puisse préparer sa réponse complète en conséquence. En l’espèce, je trouve inéquitable sur le plan procédural d’appliquer la position actuelle de la direction sur l’utilisation inappropriée des bases de données.
[224] Bien que la GRC ait toujours pris au sérieux l’utilisation inappropriée de ses bases de données, le communiqué daté du 5 juillet 2023 envoyé à l’ensemble de la GRC signale un changement important dans les conséquences d’un tel comportement. Non seulement la position plus ferme de la GRC est du ressort de la direction, mais je crois aussi qu’il est de son obligation de veiller à ce que les renseignements confidentiels qui lui ont été confiés soient protégés. Une page a été tournée avec le communiqué de la direction concernant la prise de mesures disciplinaires plus sévères à l’égard de l’utilisation inappropriée des bases de données de la GRC. Toutefois, je dois tenir compte des affaires antérieures relatives à des contraventions à l’article 4.6 du code de déontologie qui ont été tranchées avant la directive mentionnée. Dans ces affaires, seule la confiscation de la solde a été utilisée comme mesure disciplinaire adaptée.
[225] J’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité neutre.
La dissuasion spécifique et générale
[226] Mon analyse de la parité des sanctions est également pertinente à l’égard de ce facteur de proportionnalité. La Cour d’appel du Québec a fait remarquer[11] que la fréquence des affaires de déontologie policière au Québec mettant en cause l’utilisation illégale ou non autorisée des bases de données de la police s’expliquait possiblement par les sanctions relativement clémentes imposées dans de telles affaires par le passé, malgré le caractère objectivement grave de ce type de manquement. La Cour écrit ensuite : « En bref, le moment est venu de mettre l’accent sur la dissuasion lors de l’imposition des sanctions pour ce genre de comportement plutôt que d’imposer des sanctions qui ne constituent que de simples inconvénients d’une courte durée.[12] » Les commentaires de la Cour trouvent écho en l’espèce.
[227] Ces commentaires ont été faits il y a sept ans. Les affaires de la GRC tranchées après l’arrêt Fraternité des policiers et policières qui ont été présentées par l’autorité disciplinaire montrent que les choses ont peu changé au sein de la GRC en ce qui concerne les cas d’utilisation inappropriée des bases de données de la GRC. Les mesures disciplinaires imposées sont des confiscations de solde sans importance.
[228] J’estime que la nécessité de viser la dissuasion générale en l’espèce constitue un facteur aggravant. Compte tenu des commentaires que j’ai formulés dans la section précédente, les mesures disciplinaires à l’avenir pourraient comporter des sanctions plus sévères pour viser la dissuasion générale de façon à veiller à ce que la position plus ferme de la direction soit bien comprise par tous les employés de la GRC.
[229] Pour ce qui est de la dissuasion spécifique, on m’a dit que le présent processus disciplinaire avait eu un effet dissuasif suffisant sur le gendarme Murchie. Il s’agit d’un facteur de proportionnalité atténuant.
La défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel
[230] J’ai fait remarquer que le gendarme Murchie avait une formation et des connaissances suffisantes pour comprendre clairement que l’utilisation des bases de données de la GRC à des fins personnelles était inacceptable. De plus, j’ai mentionné que des possibilités de formation en ligne s’offraient à lui par l’intermédiaire d’Agora. Le gendarme Murchie a déclaré qu’il n’avait reçu que peu ou pas de soutien de la part de ses superviseurs à Fort Smith et à Trail sur les plans de l’encadrement opérationnel, de l’orientation et de la formation. Je n’ai aucune preuve du contraire.
[231] En ce qui concerne les recherches que le gendarme Murchie a dit avoir faites dans le but de se familiariser de nouveau avec la base de données en question, j’estime que le fait que la GRC, en tant qu’organisation, n’ait pas veillé à ce qu’il reçoive une formation d’appoint adéquate lorsqu’il est passé d’une division à une autre employant des bases de données différentes pour la tenue de dossiers et le fait que ses superviseurs ne lui aient pas fourni de directives opérationnelles adéquates ont contribué à son comportement. S’il avait reçu une formation et des directives opérationnelles adéquates de ses superviseurs, le gendarme Murchie n’aurait pas eu à faire des recherches inappropriées pour se familiariser de nouveau avec les bases de données. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité légèrement atténuant. Ces observations ne s’appliquent pas à neuf des personnes sur lesquelles il a fait des recherches à des fins personnelles.
[232] J’estime que, grâce à la formation qu’il avait reçue, à la politique de la GRC sur l’utilisation des bases de données, facilement accessible, et aux nombreux rappels contenus dans les ententes d’utilisation qu’il avait signées, le gendarme Murchie connaissait la bonne façon d’utiliser les bases de données. Il connaissait aussi les conséquences d’une mauvaise utilisation. En ce qui concerne les recherches faites à des fins purement personnelles, j’estime qu’il s’agit d’un facteur aggravant[13].
L’atteinte à la réputation de la GRC
[233] La Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Fraternité des policiers et policières[14] et le délégué de la commissaire dans la décision Eden[15] ont tous deux déterminé que l’utilisation inappropriée d’une base de données de la police par un policier donnait lieu à une perte de confiance du public. Bien que je ne dispose d’aucune preuve concernant l’ampleur de l’atteinte à la réputation de la GRC, je suis convaincu que la conduite du gendarme Murchie entraînerait une perte de confiance du public si celui-ci était mis au courant de la conduite en question. Il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant.
La mise en balance des facteurs de proportionnalité
[234] Quatre des facteurs de proportionnalité qui figurent dans le Rapport final de la phase 1 ne sont pas pertinents dans le cadre de la présente instance. Il s’agit des facteurs suivants : l’incidence de la publicité; la provocation; les considérations relatives à l’équité procédurale; la perte résultant d’une suspension administrative provisoire sans solde.
[235] Je suis d’avis que les facteurs de proportionnalité liés à l’intérêt du public, à la gravité de la conduite du gendarme Murchie, à la dissuasion générale et à l’atteinte à la réputation de la GRC sont aggravants. En ce qui a trait à une pénalité financière, la reconnaissance par le gendarme Murchie de la gravité de sa conduite, son potentiel de réforme, la dissuasion spécifique et l’effet sur le gendarme Murchie et sa famille constituent des facteurs de proportionnalité atténuants. Quatre facteurs de proportionnalité, notamment l’existence d’un handicap, les antécédents professionnels, l’effet des mesures disciplinaires non financières sur le gendarme Murchie et sa famille de même que la parité des sanctions constituent des facteurs neutres.
[236] Les facteurs aggravants l’emportent sur les facteurs atténuants. Chacun des facteurs aggravants est important et milite en faveur de mesures disciplinaires importantes. Trois des facteurs atténuants sont, en quelque sorte, liés. Les autres facteurs atténuants concernent uniquement une pénalité financière dont j’ai tenu compte.
Des normes plus élevées s’appliquent aux policiers
[237] Selon l’alinéa 36.2b) de la Loi sur la GRC, l’un des objectifs du régime disciplinaire de la GRC est de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres sont censés observer.
[238] Les tribunaux et les comités de déontologie de la GRC reconnaissent depuis longtemps que les policiers sont assujettis à des normes de conduite plus élevées que le grand public. Le public est en droit d’attendre des membres de la GRC, à qui il a confié le soin de faire respecter et de faire appliquer la loi, qu’ils fassent preuve de courtoisie et de respect envers autrui à tout moment et qu’ils restent en service pour s’acquitter des responsabilités qui leur sont confiées pendant leur quart de travail prévu, à moins qu’ils ne soient dûment autorisés à faire autrement. Le gendarme Murchie, par son comportement, a trahi cette confiance de manière importante.
Décision sur les mesures disciplinaires
[239] Après avoir conclu que les allégations 3 et 4 avaient été établies et avoir appliqué les cinq principes fondamentaux aux circonstances de l’espèce, j’impose les mesures disciplinaires suivantes :
une réprimande aux termes de l’alinéa 3(1)i) des CC (déontologie), la présente décision constituant la réprimande;
l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à compter du retour au travail du gendarme Murchie, aux termes de l’alinéa 3(1)b) des CC (déontologie);
l’obligation de suivre le Cours sur les fonctions de demande et de transmission de messages narratifs (CN0091) et le cours Introduction to PRIME – “E” Division (000839 – en anglais seulement) du CIPC en ligne dans Agora et de fournir une preuve de réussite au chef de détachement dans les deux semaines suivant le retour au travail du gendarme Murchie aux termes de l’alinéa 3(1)c) des CC (déontologie);
une pénalité financière de 120 heures à déduire de la solde du gendarme Murchie aux termes de l’alinéa 5(1)j) des CC (déontologie);
l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans aux termes de l’alinéa 5(1)b) des CC (déontologie) à compter de maintenant.
[240] Je n’ai pas ajouté la formation sur le SIRP à l’obligation de suivre des formations en ligne; étant donné que le gendarme Murchie n’a plus accès au SIRP, une formation sur cette base de données ne serait pas utile et n’aurait aucune valeur corrective.
[241] Les mesures disciplinaires que j’ai imposées sont un mélange de mesures correctives, comme l’exige le deuxième principe fondamental. Elles comprennent également des mesures punitives qui, à mon avis, ne vont pas à l’encontre de la présomption voulant que la mesure disciplinaire la moins sévère devrait s’appliquer en raison des aspects d’intérêt public que j’ai examinés.
[242] Le gendarme Murchie en est à une étape de sa carrière où la plupart des membres sont impatients d’être promus à l’échelon supérieur. La promotion au grade supérieur au sein de la GR Cest une considération importante pour la plupart des membres. C’est pourquoi la rétrogradation est une mesure disciplinaire importante. Cependant, comme le gendarme Murchie a atteint l’échelon de la solde le plus élevé, la seule rétrogradation que je pourrais imposer serait le retour à l’échelon de la solde inférieur précédent aux termes de l’alinéa 5(1)e) des CC (déontologie). L’inadmissibilité à une promotion a des répercussions monétaires. Le gendarme Murchie a fait preuve d’un important manque de discernement en l’espèce. Le report de toute promotion lui permettra d’améliorer ses aptitudes en matière de prise de décisions en ce qui a trait à ses responsabilités en tant que membre de la GRC et à l’incidence de ses décisions sur la confiance du public à l’égard de la GRC.
[243] La conduite du gendarme Murchie ne correspond pas à l’image exemplaire et à l’intégrité nécessaires pour exercer les fonctions d’un policier. Il a abusé de son pouvoir et de ses privilèges en tant que policier. Sa conduite a gravement terni l’image de la GRC et a causé une perte de confiance et de respect du public à l’égard de la GRC et de la police en général.
[244] Le gendarme Murchie s’est vu offrir la possibilité de poursuivre sa carrière au sein de la GRC. Ses superviseurs et toute autorité disciplinaire compétente examineront de près toute infraction future au code de déontologie, qui pourrait entraîner son congédiement de la GRC.
CONCLUSION
[245] La présente décision constitue ma décision écrite au titre du paragraphe 45(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Le paragraphe 25(3) des Consignes du commissaire (déontologie) exige que j’en fasse signifier copie aux parties. Celles-ci peuvent interjeter appel de la décision auprès du commissaire en déposant une déclaration d’appel dans les 14 jours suivant la signification de la décision (article 45.11 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289).
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16 septembre 2024
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Kevin L.Harrison
Comité de déontologie
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[1] Commandante, Division E c. Gendarme Hederson, 2018 DARD 19 [Hederson], au paragraphe 93.
[2] R. v. Murchie, Cour provinciale de la Colombie-Britannique (greffe de Rossland), dossier no 22787-1 (non publiée) [Murchie], au paragraphe 19. 3 Murchie, au paragraphe 19.
[3] Murchie, au paragraphe 19
[4] Murchie, au paragraphe 20.
[5] Ceyssens, Paul et Childs, W. Scott, Phase I – Rapport final concernant les mesures disciplinaires et l’imposition de mesures disciplinaires en cas d’inconduite à caractère sexuel au titre de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, 24 février 2022 (Rapport final de la phase 1).
[6] Rapport final de la phase 1, à la page 22.
[7] Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu inc. c. Saint-Jean-sur-Richelieu (Ville de), 2016 QCCA 1086 [Fraternité des policiers et policières], aux paragraphes 78 et 79.
[8] Rapport final de la phase 1, à la page 52.
[9] Les alinéas 3(1)j), 4d) et 5j) des CC (déontologie) prévoient la confiscation directe de la solde à titre de mesure disciplinaire.
[10] Ceyssens, Paul et Childs, W. Scott, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada, Rapport final de « Phase 2 » concernant les mesures disciplinaires et les questions connexes en vertu de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, 31 janvier 2023 (Rapport final de la phase 2), à partir de la page 40.
[11] Fraternité des policiers et policières, au paragraphe 96.
[12] Fraternité des policiers et policières, au paragraphe 97.
[13] Dans ma décision orale sur les mesures disciplinaires, j’ai conclu, dans la dernière partie de mon analyse de cet élément, qu’il s’agissait d’un facteur de proportionnalité neutre; toutefois, après mûre réflexion, j’estime qu’il s’agit d’un facteur aggravant. Le fait que le gendarme Murchie ait su que l’utilisation des bases de données à des fins personnelles était inappropriée, mais qu’il ait tout de même fait les recherches, constitue manifestement un facteur aggravant. Cette conclusion n’a aucune incidence sur les mesures disciplinaires que j’ai imposées.
[14] Fraternité des policiers et policières, au paragraphe 86.
[15] Eden, au paragraphe 116.