Déontologie
Informations sur la décision
Le 21 septembre 2023, le gendarme Dayne Lyons s’est vu signifier un avis d’audience disciplinaire, daté du 7 septembre 2023, qui énonce deux contraventions alléguées à l’article 2.1 du code de déontologie de la GRC. Le gendarme Lyons se serait livré à des actes de harcèlement sexuel en faisant des commentaires grossiers et inappropriés à un autre membre et en le touchant sans son consentement.
Le 6 juin 2024, après avoir entendu le plaignant et le gendarme Lyons, le comité de déontologie a conclu que les allégations 1 et 2 n’étaient pas fondées.
Contenu de la décision
Ordonnance de non-publication : Interdiction de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité du plaignant.
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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Affaire intéressant une
audience disciplinaire tenue au titre de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10
Entre :
le commandant de la Division F
Autorité disciplinaire
et
le gendarme Dayne Lyons
Numéro de matricule 64429
Membre visé
Décision du comité de déontologie
Gina Lévesque
December 16, 2024
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Sabine Georges, représentante de l’autorité disciplinaire
Anita Atwal, représentante du membre visé
FAITS ÉTABLIS PAR LE COMITÉ DE DÉONTOLOGIE
Principes juridiques applicables pour déterminer la crédibilité et la fiabilité de la preuve
Crédibilité et fiabilité des témoins
Définition du harcèlement sexuel
Commentaire [traduction]« sexy et attirant »
Commentaire selon lequel il [traduction] « voulait toucher les muscles abdominaux »
Commentaires [traduction] « rempli de sperme » et « bottom avec un gros cul »
RÉSUMÉ
Le 21 septembre 2023, le gendarme Dayne Lyons s’est vu signifier un avis d’audience disciplinaire, daté du 7 septembre 2023, qui énonce deux contraventions alléguées à l’article 2.1 du code de déontologie de la GRC. Le gendarme Lyons se serait livré à des actes de harcèlement sexuel en faisant des commentaires grossiers et inappropriés à un autre membre et en le touchant sans son consentement.
Le 6 juin 2024, après avoir entendu le plaignant et le gendarme Lyons, le comité de déontologie a conclu que les allégations 1 et 2 n’étaient pas fondées.
INTRODUCTION
[1] Le 16 mars 2023, l’autorité disciplinaire a signé un avis à l’officier désigné pour convoquer une audience disciplinaire dans cette affaire. Le 17 mars 2023, j’ai été nommée au comité de déontologie en application du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10 [Loi sur la GRC].
[2] Le 21 septembre 2023, un avis d’audience disciplinaire, daté du 7 septembre 2023, ainsi que le dossier d’enquête, ont été signifiés au gendarme Dayne Lyons. L’avis d’audience disciplinaire contient deux allégations de harcèlement sexuel en contravention à l’article 2.1 du code de déontologie de la GRC.
[3] Le 24 novembre 2023, le gendarme Lyons a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Bien que le gendarme Lyons ait admis plusieurs détails, il a nié les deux allégations dans leur ensemble.
[4] L’audience disciplinaire s’est tenue en personne à Kelowna, en Colombie-Britannique, du 3 au 6 juin 2024. J’ai entendu les témoignages du plaignant (le gendarme M.R.) et du gendarme Lyons.
[5] Le 6 juin 2024, j’ai rendu verbalement une décision sur les allégations. J’ai conclu que les allégations 1 et 2 n’étaient pas établies selon la prépondérance des probabilités.
[6] La présente décision est ma décision écrite finale sur les allégations et intègre, clarifie et approfondit la décision que j’ai rendue verbalement.
Ordonnance de non‑publication
[7] Le 3 juin 2024, au début de l’audience disciplinaire, j’ai rendu une ordonnance interdisant la publication de l’identité du plaignant en vertu de l’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la GRC. Par conséquent, il est interdit de publier, de diffuser ou de transmettre de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’identifier le plaignant, qui est appelé le gendarme M.R. dans la présente décision.
[8] Dans la présente décision, le texte cité de l’avis d’audience disciplinaire et de la détermination des faits établis a été modifié de manière à tenir compte de l’ordonnance de non‑publication.
ALLÉGATIONS
[9] Les allégations, telles qu’elles sont énoncées dans l’avis d’audience disciplinaire, sont les suivantes :
[Détails communs aux allégations 1 et 2 :]
1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] qui travaillait aux services généraux et en tant qu’agent des relations avec les médias au Détachement [caviardé].
2. Vous avez participé à une fête de Noël destinée aux membres de l’équipe de veille [caviardé].
3. Vous aviez bu ce soir-là et vous présentiez des signes d’intoxication grave.
4. Vous avez déclaré que vous avez été malade et que vous avez vomi ce soir-là.
5. Le [gendarme M.R.] a participé à la fête de l’équipe de veille avec son épouse.
Allégation 1
Entre le 1er décembre 2021 et le 25 décembre 2021, à [caviardé] ou à proximité, en Colombie-Britannique, le gendarme Dayne Lyons s’est livré à des actes de harcèlement sexuel en faisant des commentaires grossiers et inappropriés à un autre membre, actes qui contreviennent à l’article 2.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
[Détails propres à l’allégation 1]
1. Vous avez dit que le [gendarme M.R.] était [traduction] « sexy » et qu’il vous attirait.
2. Vous vous êtes approché du [gendarme M.R.] et lui avez dit que vous vouliez voir et toucher ses muscles abdominaux.
3. Vous avez également déclaré à voix haute que vous vouliez [traduction] « être rempli de sperme » ou quelque chose de ce genre.
4. En outre, vous vous êtes ouvertement qualifié de [traduction] « bottom avec un gros cul », ce qui fait allusion à vos préférences sexuelles.
5. Le [gendarme M.R.] ne vous avait pas posé de questions sur vos préférences sexuelles. Le [gendarme M.R.] ne souhaitait pas connaître vos préférences sexuelles.
6. Votre comportement envers le [gendarme M.R.] était non désiré, non sollicité, grossier, inapproprié et offensant et constituait du harcèlement sexuel.
Allégation 2
Entre le 1er décembre 2021 et le 25 décembre 2021, à [caviardé] ou à proximité, en Colombie-Britannique, le gendarme Dayne Lyons s’est livré à des actes de harcèlement sexuel en touchant de manière inappropriée un autre membre de la GRC sans son consentement, actes qui contreviennent à l’article 2.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
[Détails propres à l’allégation 2]
6. Vous avez essayé de glisser vos mains dans la chemise du [gendarme M.R.] à plusieurs reprises.
7. Vous avez persisté à poser votre main sur la chaise du [gendarme M.R.], puis sur sa jambe.
8. Vous avez ensuite mis votre main sous la chemise du [gendarme M.R.], sur sa peau nue, tout en essayant de mettre votre main dans son pantalon.
9. Le [gendarme M.R.] vous a demandé d’arrêter à plusieurs reprises, mais vous avez ignoré sa volonté et avez continué.
10. Le [gendarme M.R.] n’a pas consenti à ce que vous le touchiez.
11. Votre comportement envers le [gendarme M.R.] était de nature sexuelle et constituait du harcèlement sexuel, qui comprend l’agression sexuelle.
[traduit tel que reproduit dans la version anglaise]
FAITS ÉTABLIS PAR LE COMITÉ DE DÉONTOLOGIE
[10] Bien qu’il ait nié que son comportement constituait du harcèlement sexuel, le gendarme Lyons a admis la plupart des détails contenus dans l’avis d’audience disciplinaire dans sa réponse aux allégations. Le 10 mai 2024, j’ai publié une détermination des faits établis sur la base des aveux du gendarme Lyons.
[11] Le 22 mai 2024, le gendarme Lyons a admis des détails supplémentaires.
[12] Par conséquent, le lendemain, j’ai publié une détermination des faits établis modifiée de manière à prendre en compte les aveux supplémentaires du gendarme Lyons, que j’ai considérés comme cohérents avec les éléments du dossier. La détermination des faits établis modifiée énonce les faits suivants, qui ne sont pas contestés par les parties :
Faits se rapportant à l’ensemble des allégations
a) Pendant toute la période pertinente, le gendarme Lyons était un membre de la [GRC] qui travaillait aux services généraux au Détachement [caviardé] en Colombie-Britannique.
b) Le 18 décembre 2021, le gendarme Lyons a assisté à une partie d’une fête de Noël destinée aux membres de l’équipe de veille [caviardé] du Détachement [caviardé]. La fête s’est déroulée au pub [caviardé] à [caviardé], en Colombie-Britannique.
c) Le gendarme Lyons avait bu ce soir-là et présentait des signes d’intoxication grave.
d) Le gendarme Lyons a déclaré qu’il avait été malade et qu’il avait vomi ce soir-là.
e) Le gendarme [M.R.] a participé à la fête de l’équipe de veille avec son épouse.
Faits se rapportant à l’allégation 1
f) Lors de la fête, le gendarme Lyons a dit que le gendarme [M.R.] était [traduction] « sexy » et attirant.
g) Lors de la fête, le gendarme Lyons a dit au gendarme [M.R.] qu’il voulait voir et toucher ses muscles abdominaux.
h) Lors de la fête, le gendarme Lyons a déclaré à voix haute qu’il voulait [traduction] « être rempli de sperme » ou quelque chose de ce genre.
i) De plus, au cours de la fête, le gendarme Lyons s’est qualifié de [traduction] « bottom avec un gros cul », ou quelque chose de ce genre.
j) Le gendarme [M.R.] n’a pas questionné le gendarme Lyons sur ses préférences sexuelles.
Faits se rapportant à l’allégation 2
k) Le gendarme Lyons a essayé de glisser ses mains dans la chemise du gendarme [M.R.] à plusieurs reprises.
l) Le gendarme Lyons a continué de poser sa main sur la chaise du gendarme [M.R.], puis sur sa jambe.
m) Lors de la fête, le gendarme Lyons a touché la peau nue du gendarme [M.R.] dans la région du ventre.
n) Le gendarme [M.R.] a dit au gendarme Lyons d’arrêter à plusieurs reprises.
o) Le gendarme [M.R.] n’a pas consenti à ce que le gendarme Lyons le touche.
PREUVE
[13] Le dossier dont je dispose comprend les éléments suivants :
- le rapport d’enquête relative au code de déontologie, daté du 31 août 2022, et les documents justificatifs;
- la déclaration transcrite du gendarme M.R.;
- les déclarations transcrites de six témoins interrogés;
- une déclaration écrite du gendarme Lyons;
- un enregistrement audio et la transcription d’une déclaration du gendarme Jonathon Williams, obtenus à la suite d’une demande d’enquête complémentaire;
- des copies de divers échanges de messages textes et Instagram entre le gendarme Lyons et le gendarme M.R.;
- une photo des gendarmes Lyons et M.R.;
- des copies de messages échangés dans une discussion de groupe de l’équipe de veille.
[14] Au cours de l’audience disciplinaire, j’ai entendu les témoignages des gendarmes M.R. et Lyons.
[15] La crédibilité et la fiabilité des témoins n’étaient pas en cause dans la présente affaire, étant donné que le gendarme Lyons a admis les éléments essentiels des allégations. Néanmoins, étant donné que les représentants des parties ont émis des commentaires sur cette question dans leurs observations, j’aborderai la question de la crédibilité et de la fiabilité des témoins qui ont témoigné lors de l’audience, en commençant par énoncer les principes juridiques applicables.
Principes juridiques applicables pour déterminer la crédibilité et la fiabilité de la preuve
[16] Pour évaluer la crédibilité des témoins, je dois évaluer s’ils disent la vérité et si leur témoignage est digne de foi (c’est-à-dire si le témoin était en mesure de percevoir correctement ce qui s’est passé et de se rappeler ce qu’il a observé). Je pourrais conclure qu’un témoin dit la vérité, mais que son témoignage n’est pas digne de foi. Je pourrais également accepter une partie, la totalité ou aucun des éléments de preuve apportés par un témoin sur un point donné[1].
[17] Pour évaluer la crédibilité, je ne dois pas examiner le témoignage d’un témoin en vase clos, mais plutôt l’ensemble de la preuve. Je dois également prendre en considération l’incidence des contradictions contenues dans le témoignage et déterminer si elles ont une incidence sur la crédibilité du témoin lorsqu’elles sont prises dans leur ensemble, dans le contexte de la totalité de la preuve[2].
[18] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique souligne que le témoignage d’un témoin ne peut être évalué uniquement en fonction du comportement du témoin, c’est-à-dire s’il semble dire la vérité[3]. Le juge des faits doit plutôt déterminer si le récit du témoin est compatible avec l’interprétation la plus probable des circonstances.
[19] La question de savoir si le récit du témoin a une apparence de vraisemblance est subjective, mais, pour y répondre, il faut prendre en considération l’ensemble de la preuve[4].
Crédibilité et fiabilité des témoins
[20] J’estime que le gendarme M.R. et le gendarme Lyons étaient des témoins crédibles.
[21] Le gendarme M.R. était un témoin franc, calme et éloquent. Il s’est exprimé de manière nuancée et n’a pas cherché à embellir ou à exagérer ses réponses, ni à les améliorer au fil du temps. Lorsqu’il ne se souvenait pas de quelque chose, il a répondu honnêtement. Je conclus que son témoignage était digne de foi.
[22] Le gendarme Lyons était un témoin articulé et direct. Il a répondu directement et clairement aux questions lors de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire.
[23] La représentante de l’autorité disciplinaire a fait valoir que le gendarme Lyons ne pouvait pas être considéré comme un témoin fiable parce qu’il a admis que ses souvenirs de la fête étaient fragmentaires en raison de l’alcool qu’il avait consommé ce soir-là.
[24] Je conviens que le gendarme Lyons ne peut être considéré comme un témoin fiable en ce qui concerne les événements qui se sont produits lors de la fête. Cependant, il a admis pour l’essentiel tous les détails de son comportement ce soir-là, comme ils sont décrits dans l’avis d’audience disciplinaire, et ces faits n’ont pas été contestés devant moi. J’estime que le gendarme Lyons était un témoin fiable en ce qui concerne les autres éléments de son témoignage, notamment son amitié avec le gendarme M.R. et son interprétation des différents messages échangés entre eux.
CONCLUSIONS DE FAITS
[25] Après les témoignages du gendarme M.R. et du gendarme Lyons entendus lors de l’audience disciplinaire, j’ai tiré d’autres conclusions de faits.
[26] Lors de son témoignage à l’audience disciplinaire, le gendarme M.R. a précisé que le gendarme Lyons l’avait touché au niveau des côtes droites. Par conséquent, je modifie mes conclusions de faits et considère que, lors de la fête, le gendarme Lyons a touché la peau nue du gendarme M.R. au niveau de la partie droite de sa cage thoracique. Je remarque également que le gendarme M.R. n’a pas affirmé que le gendarme Lyons lui avait touché la jambe.
[27] Le gendarme M.R. et le gendarme Lyons sont devenus amis dès l’arrivée du gendarme Lyons au Détachement en septembre 2021. Ils travaillaient dans la même équipe de veille et avaient une bonne relation de travail. Ils se rencontraient parfois pour le déjeuner ou le dîner en dehors des heures de travail.
[28] Ils se sentaient à l’aise l’un avec l’autre et se soutenaient mutuellement. Le gendarme M.R. était conscient de l’orientation sexuelle du gendarme Lyons et n’en était pas gêné. Le gendarme Lyons a confirmé que le gendarme M.R. ne l’avait jamais traité différemment en raison de son orientation sexuelle. Il a expliqué qu’il avait généralement du mal à être lui-même, mais qu’il se sentait à l’aise en présence du gendarme M.R.
[29] Le gendarme M.R. et le gendarme Lyons ont commencé à communiquer fréquemment pendant et après les heures de travail, par message texte et sur les médias sociaux, où ils se livraient à des plaisanteries et à des échanges amicaux. Ils communiquaient sur divers sujets, certains liés au travail, d’autres à leur vie personnelle. Leurs échanges comprenaient des émojis, des photos et des vidéos TikTok. Le gendarme M.R. ne se souvenait pas qu’ils aient échangé des vidéos à caractère sexuel, mais il a admis que c’était possible. Je n’ai pas reçu les vidéos TikTok mentionnées dans les échanges de messages textes. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de me prononcer sur la nature de ces vidéos.
[30] J’estime que les messages textes et les messages Instagram échangés de septembre 2021 à novembre 2021 établissent l’existence d’une amitié entre le gendarme M.R. et le gendarme Lyons. Toutefois, ces messages démontrent également que leur amitié s’est progressivement détériorée au fil du temps. Le gendarme M.R. et le gendarme Lyons ont témoigné qu’à un moment donné, ils ont réalisé qu’ils avaient des styles et des points de vue différents en ce qui a trait au travail policier.
[31] Je constate que le gendarme Lyons faisait davantage usage d’émojis et de surnoms que le gendarme M.R. dans leurs échanges. Cependant, j’estime que ces styles différents s’expliquent par leurs personnalités différentes.
[32] Le gendarme M.R. a déclaré que si certains des messages du gendarme Lyons pouvaient être interprétés comme ayant une connotation sexuelle, il n’a jamais interprété ces messages comme tels et [traduction] « il ne l’a jamais mal pris »[5]. Il a précisé que les messages textes échangés avec le gendarme Lyons étaient de l’ordre de la blague.
[33] Selon le gendarme Lyons, leurs messages étaient des [traduction] « échanges plaisants, joyeux, charmeurs »[6]. Il a admis que certains de ses messages avaient une connotation sexuelle, mais a estimé qu’ils avaient été envoyés en réponse aux messages du gendarme M.R., qui avaient un ton semblable.
[34] Je crois que deux personnes peuvent percevoir le même message ou le même émoji différemment en fonction de leur perception et de leur expérience. Selon les éléments de preuve dont je dispose, je ne considère pas que le contenu des messages dans la présente affaire soit d’un caractère excessivement sexuel. Seulement deux échanges contiennent des commentaires ou des émojis qui peuvent être interprétés comme ayant une connotation sexuelle. Je ne suis pas d’accord avec la position de la représentante de l’autorité disciplinaire selon laquelle ces échanges étaient à sens unique. Je constate que le gendarme Lyons et le gendarme M.R. ont tous deux envoyé des messages ou des émojis qui pourraient être perçus comme ayant une signification sexuelle.
[35] Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait du fait que le gendarme Lyons ait commenté sur Instagram qu’il était [traduction] « tellement sexy », le gendarme M.R. a répondu que cela ne le dérangeait pas parce qu’il se sentait à l’aise avec lui-même, avec le gendarme Lyons et avec leur amitié. De même, lorsqu’on lui a demandé de donner son interprétation de certains émojis présents dans les messages du gendarme Lyons, le gendarme M.R. a indiqué qu’il n’avait pas d’interprétation particulière, qu’il n’était pas gêné par les émojis et que le gendarme Lyons utilisait toujours beaucoup d’émojis dans ses messages.
[36] Le gendarme M.R. et le gendarme Lyons ont fini par s’éloigner l’un de l’autre, car ils commençaient à avoir des points de vue différents. Le gendarme M.R. avait l’impression que le gendarme Lyons essayait souvent de lui donner des directives sur des questions opérationnelles, tandis que le gendarme Lyons observait que le gendarme M.R. s’isolait de plus en plus en réaction à différents facteurs de stress dans sa vie professionnelle.
[37] Le 8 novembre 2021, le gendarme M.R. et le gendarme Lyons sont allés déjeuner pour discuter de leurs problèmes et tenter de les régler. Ils n’ont pas trouvé de solutions à leurs problèmes, mais ils ont convenu qu’ils continueraient à travailler ensemble de manière professionnelle. Malgré leurs différences, le gendarme M.R. et le gendarme Lyons sont demeurés amis.
[38] Selon le gendarme M.R., l’incident survenu lors de la fête de Noël a mis fin à leur amitié. Le gendarme M.R. et le gendarme Lyons ont continué à travailler ensemble pendant deux ou trois mois après la fête, sans aucun problème. Toutefois, des tensions subsistaient entre eux, car le gendarme Lyons estimait que le gendarme M.R. ne prenait pas sa juste part des appels de service et le gendarme M.R. estimait que le gendarme Lyons essayait souvent de lui donner des directives sur des questions opérationnelles et le critiquait à la radio.
[39] Le 22 mars 2022, le gendarme M.R. a demandé à être transféré à une autre équipe de veille en raison d’un incident au cours duquel le gendarme Lyons a exprimé des frustrations à la radio. Le gendarme M.R. a signalé l’incident de la fête de Noël au même moment. C’est ce signalement qui a déclenché le processus disciplinaire contre le gendarme Lyons. Le gendarme M.R. a été transféré à une autre équipe de veille en raison du signalement de ces incidents.
ANALYSE
[40] Le gendarme Lyons est accusé de deux contraventions alléguées à l’article 2.1 du code de déontologie. Cet article est libellé comme suit : « La conduite des membres envers toute personne est empreinte de respect et de courtoisie; ils ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement. » Bien que l’article 2.1 du code de déontologie vise un grand nombre de comportements discourtois, les allégations formulées à l’encontre du gendarme Lyons se limitaient plus particulièrement à des actes de harcèlement sexuel. Il est donc nécessaire d’examiner la définition du harcèlement sexuel.
Définition du harcèlement sexuel
[41] La politique de la GRC en vigueur au moment des faits se trouve dans le Manuel d’administration, au chapitre 2.1 « Politique sur la prévention, les enquêtes et le règlement en matière de harcèlement et de violence dans le lieu de travail ». Cette version de la politique est entrée en vigueur le 30 juillet 2021, à la suite de la modification du Code canadien du travail, L.R.C., 1985, ch. L‑2.
[42] À la section 2.1.2.1.25 du Manuel d’administration, le harcèlement sexuel est défini comme suit :
2. 1. 25. « Tout comportement, propos, geste ou contact qui, sur le plan sexuel, soit est de nature à offenser ou à humilier un employé, soit peut, pour des motifs raisonnables, être interprété par celui-ci comme subordonnant son emploi ou une possibilité de formation ou d’avancement à des conditions à caractère sexuel ».
[43] La même définition figure également dans le Guide des mesures disciplinaires de la GRC (novembre 2014), à la page 13.
[44] En outre, la section 2.1.3.1.6 du Manuel d’administration prévoit ce qui suit :
3. 1. 6. Le harcèlement implique généralement une série de comportements qui persistent au fil du temps. Toutefois, un incident ponctuel grave peut également être considéré comme du harcèlement. Le harcèlement peut être direct ou indirect, évident ou subtil, physique ou psychologique. Il peut s’exercer sous différents modes d’expression, par exemple la parole, l’écrit, l’image ou les gestes. Qu’une personne ait ou non eu l’intention de harceler n’est pas pertinent pour déterminer s’il y a eu harcèlement. La seule question à se poser est celle de savoir si une personne raisonnable aurait su que le comportement en question était importun.
[45] Selon la section 2.1.1.9 du Manuel administratif, la politique de la GRC s’applique aux situations de harcèlement qui se produisent sur les lieux de travail contrôlés par la GRC, mais aussi aux incidents qui se produisent en dehors du lieu de travail, si les incidents qui surviennent sont liés à l’emploi.
Critère applicable
[46] Pour établir une allégation de harcèlement sexuel en contravention de l’article 2.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit établir chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :
- l’identité du membre visé;
- les comportements, commentaires, gestes ou contacts reprochés au membre visé;
- la nature sexuelle des comportements, des commentaires, des gestes ou des contacts;
- le fait que les actes du membre visé témoignent ou non d’un manque de respect et de courtoisie et constituent du harcèlement sexuel. En d’autres termes, une personne raisonnable connaissant tous les faits de l’affaire ainsi que les réalités du travail policier en général, et à la GRC en particulier, aurait-elle su ou aurait-elle dû savoir que les actes du membre visé seraient susceptibles d’offenser ou d’humilier un employé ou pouvaient être perçus par ce dernier comme une condition de nature sexuelle nécessaire pour obtenir un emploi, une promotion ou pour suivre un programme de formation.
[47] Je dois, pour appliquer ce critère, tenir compte du contexte dans son ensemble.
Décision sur les allégations
[48] Conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC, je dois décider, selon la prépondérance des probabilités, si chaque allégation énoncée dans l’avis d’audience disciplinaire est établie. En d’autres termes, je dois déterminer s’il est plus probable qu’improbable que le gendarme Lyons ait contrevenu au code de déontologie en adoptant des comportements qui constituent du harcèlement sexuel. Conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC, si je décide que l’une ou l’autre des allégations est établie, je dois alors imposer les mesures disciplinaires appropriées.
[49] Il incombe à l’autorité disciplinaire de démontrer que les allégations sont établies à l’aide d’une preuve suffisamment « claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités »[7]. La Cour suprême du Canada précise également qu’« aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment »[8]. À titre de comité de déontologie dans cette affaire, il m’incombe de déterminer si l’autorité disciplinaire s’est acquittée de ce fardeau.
[50] Les incidents au cœur de la présente affaire ont eu lieu lors d’une fête de Noël organisée par un employé du Détachement. La réservation au restaurant avait été faite dans le cadre d’une activité de la GRC. Tous les participants étaient des employés du Détachement, y compris des membres et du personnel de soutien administratif, ainsi que leurs conjoints.
[51] Je suis donc convaincue que la fête était une activité liée au travail. Elle était liée à l’emploi et relève donc de la définition d’un lieu de travail, comme le précise la politique de la GRC en matière de harcèlement. Par ailleurs, il est bien établi que les agents de police sont tenus à des normes plus élevées que le grand public et que les membres de la GRC doivent se conformer au code de déontologie, qu’ils soient en service ou non.
[52] L’identité du gendarme Lyons n’étant pas en doute, je considère que le premier élément du critère pour l’application de l’article 2.1 du code de déontologie est rempli pour les deux allégations.
[53] En outre, compte tenu des aveux du gendarme Lyons, de mes conclusions de faits tirées de la détermination des faits établis modifiée et des témoignages entendus lors de l’audience disciplinaire, je conclus que l’autorité disciplinaire a également établi le deuxième élément du critère pour l’application de l’article 2.1 du code de déontologie, pour les deux allégations, à savoir les actes qui constituent la conduite.
[54] Le gendarme Lyons nie que son comportement le soir de la fête de Noël constitue du harcèlement sexuel. Par conséquent, je dois examiner si les troisième et quatrième éléments du critère pour démontrer le harcèlement sexuel ont été établis par l’autorité disciplinaire, à savoir si les actes du gendarme Lyons étaient de nature sexuelle et si une personne raisonnable aurait su ou aurait dû savoir que les actes du gendarme Lyons étaient susceptibles d’offenser ou d’humilier le gendarme M.R. J’examinerai ces éléments du critère pour chacune des allégations.
Allégation 1
[55] Selon l’allégation 1, le gendarme Lyons s’est livré à des actes de harcèlement sexuel en faisant des commentaires grossiers et inappropriés à un autre membre de la GRC.
[56] En ce qui concerne cette allégation, le gendarme Lyons a admis avoir fait les commentaires suivants :
- Le gendarme M.R. était sexy et attirant.
- Il voulait toucher les muscles abdominaux du gendarme M.R.
- Il voulait [traduction] « être rempli de sperme » ou quelque chose de ce genre.
- Il s’est qualifié de [traduction] « bottom avec un gros cul », ou quelque chose de ce genre.
[57] La représentante de l’autorité disciplinaire soutient que ces commentaires témoignent de la persistance du comportement non professionnel du gendarme Lyons au cours d’une activité liée au travail et que les commentaires du gendarme Lyons constituent du harcèlement sexuel puisqu’ils étaient de nature sexuelle et qu’ils étaient importuns.
[58] La représentante du membre visé soutient que les commentaires faits par le gendarme Lyons ne constituent pas du harcèlement sexuel, car ils ne sont pas de nature sexuelle, selon le critère objectif établi par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Chase[9]. À titre subsidiaire, elle soutient que, même si les commentaires sont considérés comme étant de nature sexuelle, ils ne satisfont pas au [traduction] « critère de la connaissance présumée dans le cadre du critère du harcèlement » si l’on considère les types de plaisanteries échangées entre le gendarme M.R. et le gendarme Lyons dans le cadre de leur amitié.
[59] Je souligne que la Cour suprême donne une définition de l’infraction criminelle d’agression sexuelle et des directives concernant le critère à appliquer pour déterminer la nature sexuelle d’un comportement reproché dans le contexte d’une agression sexuelle[10]. Bien que l’arrêt Chase ne s’applique pas directement aux commentaires qui constituent le fondement de l’allégation 1, il fournit des indications utiles. Pour déterminer si un comportement donné est de nature sexuelle, il faut appliquer le critère de la personne raisonnable dans les circonstances. Autrement dit, la question est de savoir si la nature sexuelle du comportement ou du commentaire serait évidente pour une personne raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.
[60] J’examinerai chacun des commentaires contenus dans l’allégation 1 afin de déterminer s’ils satisfont aux troisième et quatrième éléments du critère pour l’application de la section 2.1 du code de déontologie.
Commentaire [traduction]« sexy et attirant »
[61] La représentante de l’autorité disciplinaire affirme que ce commentaire est de nature sexuelle, mais ne fournit aucune explication à l’appui de sa position. Elle soutient que le gendarme Lyons était attiré par le gendarme M.R. et que, pour cette raison, le commentaire qu’il a fait au gendarme M.R., soit qu’il était sexy et attirant, était de nature sexuelle.
[62] Je n’ai reçu aucune preuve que le gendarme Lyons était attiré par le gendarme M.R. Les deux ont déclaré à l’audience qu’ils étaient amis. Le gendarme Lyons a admis qu’il a fait le commentaire que le gendarme M.R. était [traduction] « sexy et attirant ». Il a expliqué qu’il a fait ce commentaire sur le physique du gendarme M.R. pour lui faire un compliment, et non pas parce qu’il est attiré par le gendarme M.R.
[63] Par ailleurs, aucun élément ne permet de savoir si ce commentaire a été fait en une seule occasion, s’il a été répété tout au long de la soirée ou même s’il a été fait directement au gendarme M.R. ou après qu’il eut quitté le rassemblement.
[64] J’accepte la justification du gendarme Lyons selon laquelle le commentaire était simplement un compliment à l’égard du gendarme M.R., sans connotation sexuelle. J’estime que cette conclusion est cohérente avec les messages textes échangés entre le gendarme Lyons et le gendarme M.R. au cours de leur amitié, où le gendarme Lyons a fait un commentaire semblable au gendarme M.R. dans l’un de leurs échanges sur Instagram et l’a également désigné comme [traduction] « gars de hockey » et « gars d’entraînement à domicile » pour parler de son niveau de forme physique.
[65] J’estime que l’autorité disciplinaire ne m’a pas fourni de preuve suffisamment claire et convaincante pour étayer la position selon laquelle ce commentaire était de nature sexuelle. Je ne suis pas convaincue qu’une personne raisonnable au fait de toutes les circonstances, en particulier de l’amitié qui existait entre le gendarme M.R. et le gendarme Lyons, conclurait qu’un commentaire complimentant une personne sur son apparence physique dans les circonstances de la présente affaire était de nature sexuelle.
[66] Par conséquent, je conclus que le commentaire du gendarme Lyons sur le fait que le gendarme M.R est [traduction] « sexy et attirant », dans le contexte de leur relation, était un compliment et n’était pas de nature sexuelle. Je considère donc que l’autorité disciplinaire n’a pas établi le troisième élément du critère du harcèlement sexuel pour l’application de l’article 2.1 du code de déontologie.
[67] En outre, je ne suis pas convaincue que l’autorité disciplinaire ait établi le quatrième élément du critère non plus. En effet, je ne crois pas qu’une personne raisonnable connaissant tous les faits de l’affaire aurait su ou aurait dû savoir que le fait de commenter que le gendarme M.R. était sexy et attirant risquait de l’offenser ou de l’humilier.
[68] La preuve révèle que le gendarme Lyons a fait un commentaire semblable au gendarme M.R. sur Instagram lors d’un de leurs échanges. Le 15 novembre 2021, il écrit [traduction] « Tu es tellement sexy ». Interrogé sur ce commentaire en particulier, le gendarme M.R. a répondu que cela ne l’avait pas dérangé, car il se sentait à l’aise avec le gendarme Lyons et se sentait à l’aise dans le cadre de leur amitié. En fait, en réponse à ce commentaire, le gendarme M.R. a ri et a répondu [traduction] « c’aurait [sic] été [émojis d’un visage en sueur et de 3 flammes] si l’invitation était arrivée à temps ».
[69] En outre, lorsque l’on a demandé au gendarme M.R. lors de son interrogatoire principal, si le gendarme Lyons avait fait des commentaires sur son apparence physique le soir de l’incident, il a répondu qu’il ne se souvenait d’aucun commentaire particulier, si ce n’est que le gendarme Lyons avait dit qu’il voulait toucher ses abdominaux. Je souligne qu’il n’a pas non plus mentionné le commentaire [traduction] « sexy et attirant » dans la déclaration qu’il a fait au cours de l’enquête en déontologie.
[70] Par conséquent, au vu de l’ensemble des circonstances, je ne peux pas conclure qu’une personne raisonnable connaissant tous les faits de l’affaire ainsi que les réalités du travail policier en général, et à la GRC en particulier, conclurait que le fait de dire au gendarme M.R. qu’il était sexy et attirant serait susceptible de l’offenser ou de l’humilier et constituerait du harcèlement sexuel.
Commentaire selon lequel il [traduction] « voulait toucher les muscles abdominaux »
[71] Une fois de plus, pour établir que ce commentaire constitue du harcèlement sexuel, l’autorité disciplinaire doit établir le troisième élément du critère, à savoir qu’il s’agit d’un commentaire à caractère sexuel.
[72] La représentante de l’autorité disciplinaire soutient que ce commentaire était un commentaire sexuel non sollicité et inapproprié qui doit être considéré dans le contexte où le gendarme Lyons disait au gendarme M.R. qu’il était sexy et attirant. Elle soutient que, c’est en raison de cette attirance que le gendarme Lyons voulait toucher les abdominaux du gendarme M.R. La représentante de l’autorité disciplinaire conclut que, par conséquent, ce commentaire est également de nature sexuelle.
[73] Je ne peux pas être d’accord avec les arguments de la représentante de l’autorité disciplinaire pour diverses raisons.
[74] Comme je l’ai expliqué dans mon analyse du commentaire précédent, on ne m’a fourni aucun élément qui établit que le gendarme Lyons était attiré par le gendarme M.R. Les éléments de preuve dont je disposais établissaient clairement que le gendarme Lyons et le gendarme M.R étaient des amis. Le gendarme Lyons a admis avoir dit au gendarme M.R. qu’il était sexy et attirant, et non qu’il était attiré par lui.
[75] En outre, je conclus, pour les motifs exposés dans mon analyse de la section précédente, que l’autorité disciplinaire n’a pas établi que le commentaire que le gendarme Lyons a fait au gendarme M.R., soit qu’il était sexy et attirant, était de nature sexuelle.
[76] Par ailleurs, l’argument présenté par l’autorité disciplinaire suppose que le gendarme Lyons devait être attiré par le gendarme M.R. en raison de son orientation sexuelle. Or, les éléments de preuve ne confirment pas l’existence d’une telle attirance.
[77] Lors de son témoignage, le gendarme Lyons a expliqué que le fait de demander s’il pouvait toucher les muscles abdominaux du gendarme M.R. s’inscrivait dans la même veine que le commentaire sur le fait qu’il était [traduction] « sexy et attirant », à savoir qu’il s’agissait de complimenter le gendarme M.R. sur son apparence.
[78] Il ne fait aucun doute que le commentaire du gendarme Lyons était inapproprié. Ce genre de discussion n’a pas sa place lors d’une activité liée au travail, même s’il s’agit d’un compliment. Toutefois, la représentante de l’autorité disciplinaire ne m’a pas fourni une preuve suffisamment claire et convaincante pour étayer sa position selon laquelle le commentaire du gendarme Lyon, selon lequel il voulait toucher les muscles abdominaux du gendarme M.R., était de nature sexuelle, selon la prépondérance des probabilités. De plus, je ne suis pas convaincue qu’un personne raisonnable, au courant de toutes les circonstances, parviendrait à cette conclusion.
[79] Par conséquent, je ne peux pas conclure que le commentaire du gendarme Lyons sur son désir de toucher les muscles abdominaux du gendarme M.R. constitue un acte de harcèlement sexuel.
Commentaires [traduction] « rempli de sperme » et « bottom avec un gros cul »
[80] Il ressort des éléments de preuve que le gendarme Lyons, tout au long de la soirée, a déclaré à plusieurs reprises qu’il voulait être [traduction] « rempli de sperme » et qu’il était un [traduction] « bottom avec un gros cul ».
[81] Le gendarme M.R. a mentionné que, pour lui, le commentaire [traduction] « bottom avec un gros cul » faisait référence aux préférences sexuelles du gendarme Lyons. D’autres personnes, présentes à la fête, ont eu la même compréhension.
[82] Le gendarme Lyons précise que ce commentaire d’autodérision qui s’adressait à lui-même. Il explique que, dans la communauté gaie, le terme [traduction] « bottom » est utilisé comme argot pour [traduction] « tête en l’air ».
[83] Bien que je comprenne l’explication donnée par le gendarme Lyons concernant la signification de ce commentaire, je n’ai reçu aucun élément de preuve pour l’étayer. Par conséquent, je suis d’accord avec la représentante de l’autorité disciplinaire pour dire que le sens communément accepté de ce mot dans la communauté gaie est généralement celui d’un homme qui reçoit des rapports sexuels.
[84] En ce qui concerne le commentaire selon lequel il voulait être [traduction] « rempli de sperme », la représentante du membre visé a précisé, lors de ses observations orales, que le gendarme Lyons avait admis que ce commentaire était de nature sexuelle.
[85] Par conséquent, j’estime que les commentaires [traduction] « bottom avec un gros cul » et [traduction] « rempli de sperme » étaient de nature sexuelle.
[86] Il ne fait aucun doute que ces commentaires étaient très inappropriés, non professionnels, grossiers et discourtois. La fête de Noël s’est déroulée dans un lieu public, et le gendarme Lyons a tenu ces propos en présence de collègues, d’une recrue et de civils. Je suis d’accord avec la représentante de l’autorité disciplinaire pour dire que ce type de langage n’a pas sa place, et encore moins dans le contexte d’une activité liée au travail.
[87] Je suis également d’accord avec la représentante de l’autorité disciplinaire pour dire que, dans certaines circonstances, les commentaires ne doivent pas nécessairement être dirigés vers une personne pour constituer un acte de harcèlement sexuel.
[88] Cependant, comme l’a souligné la représentante du membre visé, le libellé de l’allégation 1 précise que les commentaires inappropriés et grossiers ont été adressés à un autre membre. Selon les détails de l’allégation 1, « l’autre membre » est en fait le gendarme M.R.
[89] Le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC, prévoit que je dois décider, selon la prépondérance des probabilités, si chaque allégation de contravention au code de déontologie telle qu’elle est énoncée dans l’avis d’audience disciplinaire est établie.
[90] Bien que je sois d’accord avec la représentante de l’autorité disciplinaire pour dire qu’il n’est pas nécessaire de prouver tous les détails relatifs à une allégation pour établir cette dernière, je souligne que chaque élément essentiel formant l’allégation doit être prouvé selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, en raison du libellé de l’avis d’audience disciplinaire, pour établir l’allégation 1, l’autorité disciplinaire devait démontrer que les commentaires inappropriés étaient adressés au gendarme M.R.
[91] Je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que les commentaires [traduction] « bottom au gros cul » et [traduction] « rempli de sperme » étaient adressés au gendarme M.R. En fait, au cours de ses observations orales, la représentante de l’autorité disciplinaire a reconnu que ces commentaires n’étaient pas expressément adressés au gendarme M.R.
[92] L’ensemble des éléments de preuve confirme que ces commentaires ne visaient personne en particulier. Lors de son témoignage, le gendarme M.R. a mentionné que ces commentaires ne s’adressaient à personne, et certainement pas à lui. D’autres personnes présentes à la fête ont également rapporté que le gendarme Lyons faisait continuellement ces commentaires à propos de lui-même sans viser personne en particulier.
[93] Il est établi que les commentaires étaient de nature sexuelle, et je suis convaincue qu’une personne raisonnable connaissant tous les faits de l’affaire ainsi que les réalités du travail policier en général, et à la GRC en particulier, aurait su ou aurait dû savoir que ces commentaires seraient susceptibles d’offenser ou d’humilier une personne.
[94] Toutefois, je ne peux pas conclure que l’allégation 1 est établie en ce qui concerne les commentaires [traduction] « bottom au gros cul » et [traduction] « plein de sperme » parce que l’un des éléments essentiels de l’allégation, qui a été énoncé dans le libellé de l’allégation elle-même dans l’avis d’audience disciplinaire, à savoir que les commentaires étaient adressés au gendarme M.R., n’a pas été établi par l’autorité disciplinaire.
[95] Pour les raisons susmentionnées, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas réussi, selon la prépondérance des probabilités, à établir que le gendarme Lyons s’est livré à des actes de harcèlement sexuel en faisant des commentaires grossiers et inappropriés à un autre membre.
[96] Compte tenu de mes conclusions sur chacun des commentaires formulés, tels qu’ils sont énoncés dans l’avis d’audience disciplinaire, l’allégation 1 à l’encontre du gendarme Lyons n’est pas établie.
Allégation 2
[97] Selon l’allégation 2, le gendarme Lyons s’est livré à des actes de harcèlement sexuel en touchant de manière inappropriée un autre membre de la GRC, sans son consentement, ce qui constitue une agression sexuelle.
[98] Dès le départ, le gendarme Lyons a admis avoir touché la peau nue du gendarme M.R. au niveau du ventre. Le 22 mai 2024, il a admis les autres détails de l’allégation 2, à savoir :
- il a essayé de glisser ses mains dans la chemise du gendarme M.R. à plusieurs reprises;
- il a continué de poser sa main sur la chaise du gendarme M.R., puis sur sa jambe;
- le gendarme M.R. lui a dit d’arrêter à plusieurs reprises;
- le gendarme M.R. n’a pas consenti à ce qu’il le touche.
[99] La représentante de l’autorité disciplinaire renvoie au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ewanchuk[11] pour affirmer que les actes posés par le gendarme Lyons constituent une agression sexuelle. Toutefois, elle rappelle que le processus disciplinaire n’est pas un processus de justice pénale. Par conséquent, l’autorité disciplinaire n’est pas tenue de prouver les faits essentiels de l’infraction d’agression sexuelle selon la norme appliquée au pénal. Elle renvoie à l’arrêt McDougall et soutient qu’il n’existe qu’une seule norme civile applicable, à savoir la prépondérance des probabilités, quelle que soit la gravité des allégations. Je suis aussi de cet avis.
[100] Je suis également d’accord avec la représentante de l’autorité disciplinaire pour dire que le critère énoncé dans l’arrêt Ewanchuk pour établir une agression sexuelle est pertinent dans les contextes criminel et administratif compte tenu de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire MacLeod[12]. Pour prouver une agression sexuelle, il faut démontrer que l’accusé a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise[13]. L’actus reus de l’agression sexuelle requiert la preuve de trois éléments [14]:
- les attouchements;
- la nature sexuelle des contacts;
- l’absence de consentement.
[101] Le gendarme Lyons a admis avoir touché la jambe et les côtes droites du gendarme M.R. sans son consentement. Par conséquent, les éléments « attouchements » et « absence de consentement » sont établis selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire les éléments d’une agression.
[102] La représentante de l’autorité disciplinaire fait valoir que les attouchements physiques dans le cas présent étaient de nature sexuelle lorsqu’ils étaient considérés dans le contexte des commentaires sexuels du gendarme Lyons et des compliments à l’endroit du gendarme M.R. sur son physique.
[103] La représentante du membre visé fait valoir que la nature sexuelle des attouchements doit être déterminée de manière objective. Elle renvoie à la décision rendue dans l’affaire Chase, qui définit les facteurs à prendre en considération pour déterminer si un attouchement est de nature sexuelle pour une personne raisonnable[15]. La représentante du membre visé renvoie également à la Cour provinciale de la Colombie-Britannique pour étayer sa position selon laquelle l’attouchement des côtes droites, avec un contact sous la chemise, n’est pas de nature sexuelle[16].
[104] Je constate que la représentante de l’autorité disciplinaire n’aborde pas les facteurs énoncés dans l’arrêt Chase dans ses observations.
[105] Selon l’arrêt Chase, les facteurs à prendre en compte pour déterminer si un attouchement est de nature sexuelle sont les suivants :
11. […] La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s’est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force […][17].
[106] Lors de son témoignage, le gendarme M.R. n’a pas mentionné que le gendarme Lyons lui avait touché la jambe. Il a affirmé que le gendarme Lyons l’avait touché au niveau des côtes droites. Je souligne que la jambe et la région des côtes ne sont pas des parties du corps habituellement associées à des activités sexuelles, comme le sont les organes génitaux et les fesses d’une personne.
[107] Le gendarme M.R. a relaté que le gendarme Lyons l’a touché six fois sur le côté, dont une fois sur sa peau nue.
[108] Les attouchements ont eu lieu lors de la fête de Noël, alors que le gendarme Lyons était très intoxiqué.
[109] Le gendarme Lyons a dit à au gendarme M.R. qu’il voulait toucher ses muscles abdominaux.
[110] L’attouchement aux côtes droites du gendarme M.R. s’est produit après que le gendarme Lyons ait tenté de mettre ses mains sous sa chemise à plusieurs reprises. Le gendarme M.R. a continué à repousser la main du gendarme Lyons, mais ce dernier a continué même si le gendarme M.R. lui a dit d’arrêter à plusieurs reprises.
[111] Selon la Cour suprême du Canada, l’agression sexuelle est une agression « qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime »[18]. Je ne suis pas convaincue qu’une personne raisonnable conclurait que l’attouchement de la jambe et des côtes droites du gendarme M.R. était de nature sexuelle.
[112] Bien que je sois convaincue que l’attouchement de la jambe et des côtes droites du gendarme M.R. a certainement violé son intégrité personnelle et l’a mis mal à l’aise, je ne crois pas que cet attouchement a violé son intégrité sexuelle. Par conséquent, je ne peux pas conclure que le gendarme Lyons a agressé sexuellement le gendarme M.R. à la lumière du critère établi dans l’arrêt Ewanchuk et des considérations énoncées dans l’arrêt Chase.
[113] La représentante de l’autorité disciplinaire soutient que, même si le critère applicable à l’agression sexuelle n’est pas rempli, les actes du gendarme Lyons constituent néanmoins du harcèlement sexuel, car une personne raisonnable ayant connaissance de tous les faits conclurait que le comportement était de nature sexuelle et était susceptible d’offenser ou d’humilier l’employé.
[114] Je ne suis pas de cet avis. Je suis convaincue que les actes du gendarme Lyons étaient clairement importuns au vu de la réaction du gendarme M.R. aux attouchements, mais l’autorité disciplinaire devait également établir la « nature sexuelle » des attouchements pour établir une allégation de harcèlement sexuel en contravention à l’article 2.1 du code de déontologie.
[115] Comme je l’ai expliqué précédemment dans l’analyse du critère de l’agression sexuelle, je considère que l’autorité disciplinaire n’a pas démontré que les attouchements à la jambe et aux côtes droites du gendarme M.R. par le gendarme Lyons étaient de nature sexuelle. Par conséquent, il serait incohérent de conclure que le même comportement est de nature sexuelle dans le cadre de l’analyse d’une contravention à l’article 2.1 du code de déontologie.
[116] Par conséquent, je considère que l’autorité disciplinaire n’a pas démontré le troisième élément du critère permettant d’établir une contravention à l’article 2.1 pour harcèlement sexuel, à savoir que le comportement était de nature sexuelle.
[117] Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 n’est pas établie selon la prépondérance des probabilités.
[118] Toutefois, il est important de souligner que cette décision ne doit en aucun cas être interprétée comme une acceptation du comportement du gendarme Lyons. Le fait que les allégations n’aient pas été établies ne signifie pas que les commentaires et les actes du gendarme Lyons étaient acceptables.
[119] Au contraire, les commentaires grossiers et inappropriés de nature sexuelle du gendarme Lyons et les attouchements qu’il a faits au gendarme M.R. pendant la fête de Noël démontrent un sérieux manque de jugement. Son comportement était totalement inapproprié et n’a pas sa place dans une activité liée au travail de la GRC.
[120] Sur le fondement des éléments de preuve qui m’ont été présentés, son comportement aurait mérité d’être sanctionné. Toutefois, la manière dont les allégations ont été formulées dans l’avis d’audience disciplinaire a limité la possibilité d’établir les allégations sur un fondement autre que le harcèlement sexuel.
[121] Le libellé des allégations exigeait une preuve claire et convaincante pour établir que les commentaires et les attouchements étaient de nature sexuelle, un élément essentiel du harcèlement sexuel ou de l’agression sexuelle. Je n’ai pas reçu ce type de preuve.
CONCLUSION
[122] Je conclus que les allégations 1 et 2 ne sont pas établies.
[123] Toute mesure disciplinaire provisoire en place devrait être réglée conformément à l’alinéa 23(1)b) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.
[124] L’une ou l’autre des parties peut faire appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au gendarme Lyons, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.
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Le 31 octobre 2024
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Gina Lévesque
Comité de déontologie
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OTTAWA (ONTARIO)
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[1] R. c. R.E.M., 2008 C.S.C. 51, au paragraphe 65.
[2] F.H. c. McDougall, 2008 C.S.C. 53 [McDougall], au paragraphe 58.
[3] Faryna v Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA), à la page 357.
[4] McDougall, au paragraphe 58.
[5] Transcription du 3 juin 2024, page 17, ligne 1.
[6] Transcription du 3 juin 2024, page 80, lignes 17-18.
[7] McDougall, au paragraphe 46.
[8] McDougall, au paragraphe 46.
[9] R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293 [Chase], au paragraphe 11.
[10] Chase, au paragraphe 11.
[11] R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330 [Ewanchuk].
[12]MacLeod c. Canada (Procureur général), 2013 C.F. 770 [Macleod].
[13] Ewanchuk, au paragraphe 23.
[14] Ewanchuk, au paragraphe 25.
[15] Chase, au paragraphe 11.
[16] R. v. A.A., 2019 B.C.P.C. 299, au paragraphe 71.
[17] Chase, au paragraphe 11.
[18] Chase, au paragraphe 11.