Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Un avis d’audience disciplinaire contenant une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC a été signifié au caporal Kondoski. Il aurait agressé sexuellement la plaignante, ce qui, s’il s’avérait, constitue une conduite déshonorante.
Le 18 septembre 2024, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision, dans laquelle le bien-fondé de l’allégation a été établi.
Le 23 septembre 2024, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision sur les mesures disciplinaires, dans laquelle il a ordonné le congédiement immédiat du caporal Kondoski.

Contenu de la décision

Protégé A

OGCA 202133820

2024 DAD 14

Ordonnance de non-publication : Interdiction de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la plaignante.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre :

Commandant de la Division K

 

Autorité disciplinaire

et

Caporal Kire Kondoski

Matricule 57129

Membre visé


 

Décision du Comité de déontologie

Colin Miller

Le 21 novembre 2024

Jonathan Hart, représentant de l’autorité disciplinaire

John Benkendorf, représentant du membre visé


Table des matières

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 4

Ordonnance de non-publication 6

VOIR-DIRE 7

ALLÉGATION 7

Observation du représentant de l’autorité disciplinaire 11

Observation du représentant du membre visé 13

Réfutation du représentant de l’autorité disciplinaire 14

Normes d’évaluation 15

Norme de preuve 15

Évaluation des témoins 15

Décision relative à l’allégation 18

Si l’identité du membre qui a commis les gestes visés par les allégations a été établie 19

Si les gestes qui constituent le comportement allégué ont été établis 19

Si le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie 30

Si le comportement est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du caporal Kondoski pour donner à la Gendarmerie un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son égard 30

MESURES DISCIPLINAIRES 31

Évaluation des mesures disciplinaires appropriées 31

Analyse 33

Respect des objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police 34

Facteurs de proportionnalité 35

Conclusion 36

 

RÉSUMÉ

Un avis d’audience disciplinaire contenant une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC a été signifié au caporal Kondoski. Il aurait agressé sexuellement la plaignante, ce qui, s’il s’avérait, constitue une conduite déshonorante.

Le 18 septembre 2024, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision, dans laquelle le bien-fondé de l’allégation a été établi.

Le 23 septembre 2024, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision sur les mesures disciplinaires, dans laquelle il a ordonné le congédiement immédiat du caporal Kondoski.

INTRODUCTION

[1] Le 20 février 2020, la plaignante a signalé qu’elle a été agressée sexuellement par le caporal Kire Kondoski pendant la période du 30 juillet 2018 au 3 septembre 2018[1], à Edmonton, en Alberta, ou dans les environs, alors qu’ils étaient tous deux affectés au Service divisionnaire des crimes graves. Par conséquent, l’Équipe d’intervention en cas d’incident grave de l’Alberta (ASIRT) a mené une enquête en vertu de la loi. À la suite de l’enquête, le caporal Kondoski a d’abord été accusé d’agression sexuelle. Toutefois, l’accusation a été retirée par la suite.

[2] Le 13 mars 2020, conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC], une enquête relative au Code de déontologie de la GRC sur les agissements du caporal Kondoski a été ordonnée.

[3] Le 19 août 2021, l’autorité disciplinaire a signé un avis à l’officier désigné pour demander la tenue d’une audience disciplinaire. Le 20 août 2021, Josée Thibault a été nommée au Comité de déontologie aux termes du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[4] L’avis d’audience disciplinaire a été signé par l’autorité disciplinaire le 28 septembre 2021. Une modification à l’avis d’audience disciplinaire a été signée le 26 octobre 2021. Il a par la suite été signifié au caporal Kondoski le 6 janvier 2022, et le dossier d’enquête lui a été remis au même moment.

[5] Le 8 février 2022, j’ai été nommé au Comité de déontologie, car Mme Thibault n’était plus disponible.

[6] Le 25 février 2022, le caporal Kondoski a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Il a admis certaines précisions, mais a nié l’allégation.

[7] Le 12 décembre 2022, l’audience disciplinaire a commencé à Edmonton, en Alberta. Au début de l’audience, le caporal Kondoski a présenté une demande interlocutoire de suspension des procédures fondée sur les éléments de preuve à l’appui de l’alibi. Par conséquent, l’audience disciplinaire a tenu un voir-dire de quatre jours, qui a été ajourné pour la collecte et l’analyse d’éléments de preuve supplémentaires.

[8] Le 3 avril 2023, le gendarme Cam Blumel, un examinateur en informatique judiciaire des Services de criminalistique numérique de la Division K, a été chargé d’examiner les données de l’application de santé et de conditionnement physique sur le téléphone cellulaire Samsung du caporal Kondoski. Il a rédigé un rapport détaillant ses conclusions. Le 13 juin 2023, le représentant de l’autorité disciplinaire a transmis le rapport ainsi que les notes du gendarme Blumel au représentant du membre visé et au Comité de déontologie.

[9] Le 15 septembre 2023, après la collecte et l’analyse des éléments de preuve supplémentaires, le caporal Kondoski a présenté ses observations finales concernant sa demande interlocutoire. L’autorité disciplinaire a fourni sa réponse le 1er novembre 2023.

[10] Le 22 décembre 2023, j’ai rendu de vive voix une décision rejetant la demande de suspension des procédures présentée par le caporal Kondoski; ma décision écrite a suivi le 22 février 2024.

[11] Le 29 avril 2024, l’audience disciplinaire a repris à Edmonton, en Alberta. Cependant, en raison d’un problème de santé, le caporal Kondoski n’a pas été en mesure d’y assister. Le représentant du membre visé a demandé un ajournement jusqu’au 1er mai 2024, au cas où une amélioration de l’état du caporal Kondoski lui permettrait d’y assister, et la requête lui a été accordée.

[12] Le 1er mai 2024, le représentant du membre visé a fait savoir que le caporal Kondoski n’était toujours pas en mesure d’assister à l’audience disciplinaire et a demandé un autre ajournement. Après avoir présenté des arguments concernant ma capacité à procéder en l’absence du caporal Kondoski, les parties ont demandé conjointement que l’audience disciplinaire soit ajournée jusqu’au 3 juin 2024. La demande a par la suite été accordée.

[13] En raison de problèmes liés aux déplacements, l’audience disciplinaire a repris le 4 juin 2024 et s’est poursuivie jusqu’au 7 juin 2024. Puisqu’il n’a pas été possible d’entendre tous les témoins dans le temps prévu, le Comité de déontologie a convoqué de nouveau les parties en septembre 2024 à Ottawa, en Ontario.

[14] Le 9 septembre 2024, l’audience disciplinaire a repris. Le représentant du membre visé a appelé deux témoins, dont le caporal Kondoski.

[15] Les 18 et 23 septembre 2024, j’ai rendu de vive voix ma décision concernant l’allégation et celle sur les mesures disciplinaires, respectivement. La présente décision écrite intègre et approfondit ces décisions rendues de vive voix.

Ordonnance de non-publication

[16] En vertu de l’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la GRC, j’ordonne que soient interdites la publication ou la diffusion, de quelque façon que ce soit, de tout renseignement qui pourrait permettre d’établir l’identité de la plaignante.

[17] L’allégation et ses précisions ont été modifiées pour correspondre à l’ordonnance de non-publication.

VOIR-DIRE

[18] Comme il a déjà été mentionné, le caporal Kondoski a présenté une demande interlocutoire de suspension des procédures fondée sur les éléments de preuve à l’appui de l’alibi. Par conséquent, le 12 décembre 2022, l’audience disciplinaire a fait l’objet d’un voir-dire, qui s’est tenu à huis clos.

[19] Le représentant du membre visé a fourni une quantité importante de preuves documentaires, y compris les données de suivi de l’application de santé et de conditionnement physique sur le téléphone cellulaire du caporal Kondoski, qui détaillaient les déplacements du caporal Kondoski entre le 24 août 2018 et le 3 septembre 2018. Le représentant du membre visé a également appelé quatre témoins : le caporal Kondoski, Mme K.K. (l’épouse du caporal Kondoski), le caporal Jason Hoeksma et la plaignante.

[20] Le voir-dire a été ajourné afin de permettre la récupération et l’analyse des données numériques supplémentaires que contenaient les appareils personnels du caporal Kondoski et de la plaignante. Une fois l’analyse terminée, les parties ont présenté des observations écrites concernant les éléments de preuve à l’appui de l’alibi.

[21] Le 22 décembre 2023, la demande de suspension des procédures a été rejetée et une date a été fixée pour la poursuite de l’affaire.

ALLÉGATION

[22] L’avis d’audience disciplinaire modifié indique ce qui suit :

Allégation no 1

Entre le 30 juillet 2018 et le 3 septembre 2018, à Edmonton ou dans les environs, dans la province d’Alberta, le caporal Kire Kondoski s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails

1. Pendant toute la période pertinente, [le caporal Kondoski était] membre [du Groupe des crimes majeurs (GCM) Nord] de la Division K de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »), à Edmonton.

2. [La plaignante] est une employée de la fonction publique au sein de la GRC. En 2018, [la plaignante] travaillait comme ressource administrative au Centre des services opérationnels de la Gestion des cas graves pour la même équipe du GCM Nord que [le caporal Kondoski].

3. [Le caporal Kondoski] et [la plaignante] se sont liés d’amitié lorsqu’ils travaillaient ensemble au GCM Nord. [Le caporal Kondoski était] marié pendant [son] amitié avec [la plaignante]. Il est reconnu que [son] amitié avec [la plaignante] a initialement évolué en relation sexuelle consensuelle. Lorsque [la plaignante] a décidé de mettre fin à la relation sexuelle, [le caporal Kondoski] l’a agressée sexuellement. Le 20 février 2020, [la plaignante] a signalé l’inconduite sexuelle à la GRC, et une enquête en vertu de la loi menée par [l’ASIRT] a été ouverte peu de temps après. Le 22 janvier 2021, [le caporal Kondoski a] été inculpé d’agression sexuelle.

4. Le 28 février 2020, [la plaignante] a fourni une déclaration à l’enquêteur de l’ASIRT, Peter Draganiuk. Dans sa déclaration, [la plaignante] a décrit que, lorsque [le caporal Kondoski] l’a approchée en mars 2018, elle était fragile sur le plan émotionnel en raison d’une rupture amoureuse. Que [leur] relation de travail a évolué, et qu’ils allaient souvent prendre un café ou dîner ensemble et qu’ils communiquaient tous les jours par message texte pendant le printemps et l’été. [La plaignante] a également décrit que [le caporal Kondoski] l’a informée qu’[il] n’était pas heureux dans [son] mariage et qu’[il] : « … n’avait jamais rencontré quelqu’un comme [elle], fou d’[elle]. »

5. [La plaignante] savait que [le caporal Kondoski était] marié et, dans ses propres mots, elle se sentait « extrêmement coupable » d’éprouver des sentiments amoureux à [son] égard. [Note en bas de page omise] [La plaignante] admet qu’au cours des mois d’été, les câlins ont évolué vers des relations sexuelles consensuelles, mais que la culpabilité liée à la liaison extraconjugale lui causait de vouloir mettre fin à la relation. [La plaignante] a également décrit que [le caporal Kondoski] devenait frustré et en colère lorsqu’elle [l’]informait qu’elle n’était pas satisfaite de la relation et que cela ne pouvait pas durer éternellement. [La plaignante] s’est résolue à mettre fin à la relation.

6. Dans sa déclaration, [la plaignante] a décrit des visites clandestines répétées tard le soir à la suite de la participation du [caporal Kondoski] à des événements liés au travail, y compris la nuit où [il] l’a forcée à avoir des relations sexuelles avec [lui] :

[…] Et il était venu à mon appartement après, je pense que c’était après qu’il avait répondu à un appel, il était assez tard le soir, et j’avais décidé que c’était la dernière fois qu’il allait venir. Et nous nous sommes assis sur le canapé pendant un certain temps et je lui ai simplement dit que je ne pouvais plus continuer comme ça. Et, et que j’aimerais qu’on reste amis et que je tenais vraiment à lui, et je, je lui ai dit à un moment donné que je tombais amoureuse de lui, et je me sentais comme une idiote de dire ça, et il m’a dit la même chose, et puis on disait, on se le répétait pendant que nous étions assis sur le canapé ensemble, et que j’avais déjà fait une erreur, mais que je, je ne pouvais tout simplement pas continuer comme ça. Je ne sais même pas pendant combien de temps il était là avant, avant … il était, il a commencé à se diriger vers la porte d’entrée et, genre, il éteignait toujours les lumières quand il entrait dans mon appartement, dès qu’il entrait, peu importe l’heure de la journée, il éteignait toujours les lumières et fermait les stores et tout, donc c’était très sombre dans mon appartement et, et il était juste dans, dans l’entrée, et il disait, eh bien, si c’est, si c’est ce que tu veux vraiment, et il avait la tête comme ça, et il savait que, il, il savait comment me faire sentir que je devais aller le réconforter et tout, et je disais que ce… ce n’est pas ce que je… je ne veux pas arrêter de te voir, mais je dois le faire, je dois le faire.

7. Après que [la plaignante] a informé [le caporal Kondoski] qu’elle ne voulait plus avoir une relation amoureuse avec [lui], elle s’est rendue dans la salle de bain de son appartement. [Il] s’est ensuite approché de [la plaignante] par derrière et a commencé à l’embrasser sur le cou et à lui lécher l’oreille. [La plaignante] [lui] a dit d’arrêter et de quitter son appartement, mais [il] a ignoré ses demandes et l’a prise dans ses bras et l’a transportée dans la chambre à coucher, où il l’a déposée sur le lit. [Note en bas de page omise] [La plaignante] décrit qu’[il] a immédiatement commencé à essayer de lui retirer ses vêtements et que lorsqu’elle essayait de se lever, [il] l’empêchait de partir en poussant sa poitrine vers le bas sur le lit tout en lui disant :

[…] une dernière fois, une dernière fois pour dire au revoir, tu ne peux pas me faire ça, nous ne pouvons pas nous quitter comme ça, une dernière fois genre. Et je disais, je disais juste… je ne voulais pas, s’il te plaît, vas-t’en, tu rends les choses plus difficiles. Et puis, chaque fois que j’essayais de partir, il poussait sur ma poitrine, et il avait déjà ma jambe, genre, mes pyjamas, je portais des culottes courtes pour dormir. Et puis j’ai encore essayé de me relever et je devenais tellement frustrée, et puis il a placé sa main sur ma gorge et m’a repoussée et puis j’ai complètement arrêté et… Et, et il, il me tenait là, sur mon lit. Et c’était l’une des, c’était l’une des fois où je me levais qu’il a… qu’il a enlevé mon haut et j’étais, j’étais juste… j’étais juste allongée sur le lit, j’avais arrêté de dire quoi que ce soit, et j’ai arrêté d’essayer de me lever…

8. [Le caporal Kondoski] a forcé [la plaignante] à se livrer à divers actes sexuels avec [lui] contre son gré. [Il] a maîtrisé physiquement [la plaignante] et l’a agressée pour [sa] propre satisfaction sexuelle :

[…] Et puis il a commencé à me pénétrer de force quand mon, mon dos était toujours sur le lit et c’était de côté, genre je l’étais, et il, il était debout, puis il m’a fait me tourner sur le ventre et il tenait mes cheveux, comme ça, contre le lit avec mon visage, et il tenait, il faisait toujours ça aussi, et les cheveux et les poignets qu’il avait dans une main comme ça, et son autre main tenait mon poignet, il avait les deux, un, il a de grandes mains, donc il pouvait tenir mes deux poignets comme ça, et il les tenait sur mon dos, et il continuait à me pénétrer de force et j’étais, j’étais juste allongée là et je ne disais rien. Et il n’arrêtait pas de répéter, tu sais, une dernière fois, une dernière fois, et je veux que tu aies mal, je veux que tu me sentes. Il a dit, je veux que tu penses à moi demain chaque fois que tu essaies de t’asseoir. Et il, il a lâché mes, mes poignets et me giflait les fesses. Et puis il m’a forcée à me mettre par terre et à placer mes mains par terre, et il me tenait les jambes. Et j’étais encore (inintelligible). Et puis il m’a forcée à me mettre à genoux et à lui faire une fellation pendant qu’il était debout, et il me tenait les cheveux (inintelligible). Et j’étais, j’étais assise là et j’avais l’impression que j’allais vomir. Et puis il a dit qu’il voulait éjaculer sur mon visage, et je lui ai dit, non s’il te plaît, non s’il te plaît, et il a éjaculé sur ma poitrine. Ensuite il disait, genre, oh, c’était tellement bien, c’était tellement bien, ça… ça c’était une bonne façon de dire au revoir, et il est parti peu de temps après et j’ai été vomir.

9. Lorsque [le caporal Kondoski] a téléphoné à [la plaignante] quelques jours après les relations sexuelles forcées, elle [lui] a dit que :

[…] Et je, je pleurais, tu savais que je ne voulais pas, et j’ai dit que j’avais l’impression que tu me punissais. Oh, j’ai dit que j’avais l’impression que tu me punissais quand tu me giflais les fesses et me disais que tu voulais que j’aie mal. Et il a dit, tu essaies seulement de me faire sentir mal, et tu me fais me sentir très mal, tu me fais me sentir très mal.

10. [La plaignante] admet qu’elle n’a pas immédiatement signalé l’inconduite sexuelle, car elle s’en voulait et avait honte d’avoir entamé une relation avec un homme marié. [La plaignante] repassait sans cesse dans son esprit la déclaration du [caporal Kondoski], qui lui avait dit que « le regret n’est pas un viol ». [La plaignante] a signalé les rapports sexuels non consensuels à son amie, Mme [S.B.], en personne et par messagerie texte. Le 14 septembre 2018, [la plaignante] s’est rendue dans une clinique médicale pour subir un test de dépistage des maladies transmissibles sexuellement.

11. [La plaignante] a également décrit qu’elle a ressenti un sentiment de « peur » lorsque [le caporal Kondoski] a placé [sa] main autour de sa gorge et qu’il était impossible pour elle de résister pendant [qu’il] l’agressait :

[Plaignante] : C’était terrifiant et…

Draganiuk : Dites-moi de quoi, de quoi…

[Plaignante] : … (en même temps – inintelligible)

Draganiuk : … vous, de quoi aviez-vous peur? Parlez-moi de cela.

[Plaignante] : J’avais peur de lui, je savais que quoi que je fasse, cela n’aurait pas eu d’importance. Et il est beaucoup plus grand que moi.

Draganiuk : D’accord.

[Plaignante] : Et je, le… le fait d’avoir sa main géante sur ma gorge, je, je (inintelligible), je savais à quel point il était grand.

Draganiuk : D’accord.

[Plaignante] : Et j’avais peur d’aggraver la situation, je pense.

Draganiuk : D’accord. Quelle a été la partie la plus difficile de tout cela pour vous, de cette expérience, c’était quoi?

[Plaignante] : Avoir l’impression que c’est ma faute.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

Observation du représentant de l’autorité disciplinaire

[23] Le représentant de l’autorité disciplinaire a d’abord souligné que la preuve doit être évaluée selon la norme établie dans l’arrêt McDougall[2] : la preuve doit être claire et convaincante.

[24] Le représentant de l’autorité disciplinaire a ensuite mis l’accent sur la nécessité d’adopter une approche tenant compte des traumatismes, comme le reconnaît le Rapport Ceyssens[3]. De plus, il a mis en évidence la nécessité d’éviter de tomber dans le piège des présomptions quant au comportement auquel on devrait s’attendre de la part d’une victime d’agression sexuelle, communément appelées « mythes du viol ». Pour soutenir ce principe, le représentant de l’autorité disciplinaire s’est appuyé sur plusieurs décisions judiciaires[4], qui ont souligné qu’aucune conclusion défavorable ne peut être tirée d’un retard dans la divulgation de l’agression ou d’une absence de comportement d’évitement après l’agression et du fait qu’il n’y a pas de manière normale ou habituelle d’agir pour une personne concernée à la suite d’une agression.

[25] Le représentant de l’autorité disciplinaire a également fait référence à une décision antérieure du Comité de déontologie[5], qui a reconnu qu’il n’est pas nécessaire de corroborer le témoignage de la plaignante lorsqu’une infraction au code de déontologie de la GRC concerne une allégation d’agression sexuelle. De surcroît, le Comité de déontologie dans cette affaire a rejeté toute conclusion défavorable à tirer des « mythes du viol », ce qui est conforme aux récentes constatations des tribunaux.

[26] Le représentant de l’autorité disciplinaire a affirmé que les faits présentés ont démontré que la plaignante a subi un traumatisme, y compris sa réticence à faire une divulgation et l’émotion qu’elle a manifestée lorsqu’elle a révélé l’agression pour la première fois à la GRC, plus précisément au surintendant Brad Wirachowsky. Le surintendant Wirachowsky était responsable du Soutien aux opérations spécialisées, y compris du Centre des services opérationnels de la Gestion des cas graves, où Mme M. était employée.

[27] Le représentant de l’autorité disciplinaire a fait valoir que toute suggestion selon laquelle le comportement de la plaignante devait changer après l’agression est inappropriée, car cela équivaut à jeter le blâme sur la victime. Il a déclaré qu’il importait peu qu’elle veuille faire des voyages en voiture et qu’elle souhaite faire partie de l’équipe.

[28] En ce qui concerne la déclaration fournie à l’ASIRT par le caporal Kondoski en juin 2019, bien que le représentant du membre visé ait affirmé que la déclaration du caporal Kondoski lui était défavorable et avait été fournie contre l’avis de son avocat, le représentant de l’autorité disciplinaire a déclaré que son contenu n’était pas important.

[29] Le représentant du membre visé a examiné de près le comportement de la plaignante après l’incident, mais le représentant de l’autorité disciplinaire a noté qu’elle avait déjà admis être allée dîner avec le caporal Kondoski et avoir assisté à une fête dans sa chambre pendant la réponse à un appel après l’agression présumée.

[30] Le représentant de l’autorité disciplinaire a fait valoir que, même si je trouve le caporal Kondoski crédible, je ne devrais pas le trouver fiable. Le représentant de l’autorité disciplinaire a ensuite souligné les divergences dans le témoignage du caporal Kondoski et a fait valoir que le témoignage fourni par celui-ci était intéressé et incomplet.

[31] Le représentant de l’autorité disciplinaire a conclu en laissant entendre que le témoignage du caporal Kondoski n’était pas fiable et qu’il y avait deux dates précises auxquelles l’incident aurait pu se produire tel qu’il a été décrit par la plaignante : le 30 août 2018 ou le 2 septembre 2018.

Observation du représentant du membre visé

[32] Le représentant du membre visé a fait valoir que je ne devrais pas présumer que le témoignage de la plaignante est véridique. Il a ensuite noté une discordance entre ce qu’elle a dit avoir fait et ce qu’elle a réellement fait. Autrement dit, il laisse entendre que, même si elle a déclaré avoir agi d’une certaine façon, elle a fait le contraire.

[33] Contrairement à la façon dont il a qualifié le témoignage de la plaignante, le représentant du membre visé est d’avis que le témoignage du caporal Kondoski était clair, convaincant et fiable.

[34] Le représentant du membre visé a fait valoir que ses préoccupations ne concernaient pas les « mythes du viol », mais l’analyse de la crédibilité de la plaignante. Il a souligné qu’après l’incident, elle a affirmé qu’elle avait tenté de changer d’équipe et qu’elle ne voulait pas répondre à des appels avec le caporal Kondoski.

[35] Cependant, le témoignage de la sergente Judith Boisvert et de la gendarme Melissa Smits, qui ont toutes deux travaillé avec la plaignante et le caporal Kondoski au GCM, a réfuté ces affirmations.

[36] Elles ont déclaré que la plaignante cherchait des occasions de répondre à des appels avec l’équipe du caporal Kondoski. Cela concorde avec le témoignage du gendarme Stephen Kelly, qui a parlé de ses observations sur les rapports amicaux entre la plaignante et le caporal Kondoski, ainsi que du fait qu’elle demandait de participer aux réponses aux appels.

[37] Le représentant du membre visé a ensuite donné plusieurs exemples qui, selon lui, étaient contraires à ce que la plaignante prétend avoir fait après l’agression, en particulier la quantité de communications qu’elle a échangées avec le caporal Kondoski à la suite de l’incident et les efforts qu’elle a déployés pour l’éviter.

[38] Le représentant du membre visé a fait référence à la déclaration fournie à l’ASIRT par le caporal Kondoski en juin 2019, avant la réception de la divulgation, en mettant l’accent sur les risques qu’il avait pris en fournissant une déclaration et le contenu de celle-ci, qui était contraire au récit de la plaignante.

[39] Le représentant du membre visé a également parlé d’un aveu que la plaignante aurait reçu dans un message texte du caporal Kondoski le 3 septembre 2018. Il s’est demandé pourquoi elle n’a pas conservé cet élément de preuve, surtout puisqu’elle comprend l’importance de préserver ceux-ci compte tenu de son travail en tant que préposée au traitement de l’information (PTI).

[40] Le représentant du membre visé a fait valoir que la plaignante était très influençable, qu’elle adoptait l’opinion de Mme S.B. ou les propositions du représentant de l’autorité disciplinaire. Il a suggéré que la plaignante, dans une tentative improvisée de rétablir sa crédibilité, a adapté son témoignage. Il a donc soutenu qu’elle n’était ni crédible ni fiable.

Réfutation du représentant de l’autorité disciplinaire

[41] Le représentant de l’autorité disciplinaire a d’abord souligné que, lorsque le caporal Kondoski s’est trompé pendant son témoignage, le représentant du membre visé a laissé entendre qu’il s’agissait simplement d’erreurs; mais lorsque la plaignante s’est trompée, il a prétendu qu’elle mentait.

[42] Le représentant de l’autorité disciplinaire a également fait valoir que le représentant du membre visé aurait dû appeler d’autres administrateurs de l’information (AI) ou PTI à témoigner plutôt que de se fier aux comptes rendus de seconde main d’autres témoins pour présenter leurs témoignages.

[43] En ce qui concerne la déclaration fournie à l’ASIRT par le caporal Kondoski, le représentant de l’autorité disciplinaire a fait valoir que le caporal Kondoski ne devrait pas obtenir l’avantage présumé de fournir sa déclaration avant de recevoir la divulgation, puisqu’il savait qu’il faisait l’objet d’une enquête pour agression sexuelle et qu’il avait examiné la demande d’ordonnance de non-communication que la plaignante avait déjà présentée.

Normes d’évaluation

Norme de preuve

[44] Le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC exige qu’on applique la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » au moment de se prononcer sur les contraventions alléguées au Code de déontologie. Il faut déterminer si, selon toute vraisemblance, les actes ou les omissions allégués ont été commis.

[45] Les lignes directrices sur la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » se trouvent dans l’arrêt McDougall, qui stipule :

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. […][6]

Évaluation des témoins

[46] J’ai entendu les témoignages de la plaignante et du caporal Kondoski ainsi que de ceux que je désignerai comme les témoins secondaires, puisqu’ils ne disposent d’aucun élément de preuve direct concernant l’allégation elle-même. Au moment d’évaluer leur crédibilité et leur fiabilité, bien que je me sois appuyé sur des cas de jurisprudence souvent cités, je crois que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique résume bien les principes :

[…]

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que rapporte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. C’est seulement alors qu’un tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la crédibilité de témoins expérimentés, confiants et vifs d’esprit, ainsi que de personnes passées maîtres dans l’art de dire des demi-mensonges et de combiner l’exagération bien calculée avec l’occultation partielle de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge de première instance qui dit « Je crois cette personne parce que je suis convaincu qu’elle dit la vérité » tire en fait une conclusion après n’avoir examiné que la moitié du problème. En réalité, le juge qui agit ainsi risque de faire fausse route.

[…][7]

[47] Au moment d’évaluer les éléments de preuve présentés selon la prépondérance des probabilités, il faut tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve et les utiliser pour tirer des conclusions sur la crédibilité.

[48] Comme il est également indiqué dans l’arrêt McDougall, la « conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie »[8].

[49] Je commencerai par présenter mes conclusions concernant les témoins secondaires avant de passer à la plaignante et au caporal Kondoski.

[50] En ce qui concerne le surintendant Wirachowsky, j’ai conclu que son témoignage était crédible. Cependant, celui-ci comportait certains problèmes de fiabilité, puisqu’il n’a pas pris de notes lors de sa première rencontre avec la plaignante. Néanmoins, j’accepte son témoignage concernant le comportement de la plaignante au moment de sa divulgation et le contenu général de leur discussion.

[51] J’estime que le témoignage du caporal Sabourin était crédible en général. Cependant, la fiabilité des renseignements qu’il a fournis est douteuse, car ils ont été obtenus du caporal Kondoski. Par conséquent, ils n’ont pas été d’une grande utilité.

[52] J’estime que les témoignages du sergent d’état-major Long, qui occupait un poste de superviseur au sein du GCM, et de la sergente Boisvert étaient crédibles et fiables. Ils ont tous deux fourni des comptes rendus logiques et cohérents des événements dont ils avaient été témoins; ils ont donc été acceptés.

[53] J’estime que le gendarme Kelly était crédible en général, mais il était évident que les « mythes du viol », que les tribunaux tentent de dissiper, influençaient son point de vue sur cette question. Son témoignage n’était donc pas fiable. Par conséquent, je reconnais qu’il a entendu la plaignante demander de participer aux réponses aux appels, mais je n’ai accordé aucune importance au reste de son témoignage.

[54] Dans l’ensemble, j’ai trouvé que la gendarme Smits était un témoin crédible et fiable. Elle a fourni un compte rendu logique de ses interactions avec diverses personnes. Toutefois, comme je connais bien la façon dont les enquêtes opérationnelles se déroulent, je me méfie de son affirmation selon laquelle il n’y avait pas d’ordre hiérarchique entre les membres réguliers et les employés de la fonction publique dans un groupe opérationnel. Néanmoins, j’accepte son témoignage en ce qui a trait à ses observations sur la plaignante.

[55] En ce qui concerne la plaignante, j’estime que son témoignage était quelque peu problématique étant donné le contraste entre la précision avec laquelle elle racontait les événements survenus avant l’infraction et ceux qui se sont produits après celle-ci. Bien que j’estime qu’elle est crédible et fiable en ce qui concerne les événements qui ont eu lieu avant et pendant l’agression sexuelle, je n’estime pas qu’elle est crédible ou fiable en ce qui concerne la majorité de son compte rendu des événements qui se sont produits après l’infraction.

[56] En ce qui concerne le caporal Kondoski, j’estime qu’il a témoigné de manière professionnelle, interagissant avec moi lorsqu’il répondait aux questions posées par l’avocat. J’estime qu’il a témoigné de manière organisée et claire. Cependant, son témoignage présentait certains problèmes. Par conséquent, j’estime qu’il était à la fois crédible et fiable en général, à l’exception de l’incident présumé.

[57] Le représentant du membre visé a soutenu que la crédibilité du caporal Kondoski devrait être renforcée en fonction de la déclaration qu’il a fournie à l’ASIRT, laissant entendre que celle-- ci lui serait défavorable[9]. Je ne suis pas d’accord.

[58] Premièrement, je n’estime pas que le fait d’admettre qu’il s’était rendu à l’appartement de la plaignante aurait pu faire du tort au caporal Kondoski, car cela n’a pas été réfuté et aurait pu être établi par d’autres moyens.

[59] Deuxièmement, compte tenu de la quantité de renseignements dont disposait le caporal Kondoski au sujet de l’allégation au moment où il a fourni sa déclaration, il serait plus approprié de considérer qu’il s’agit d’une déclaration antérieure compatible, à laquelle ne s’applique aucune présomption inhérente de crédibilité[10].

[60] Je détaillerai des problèmes précis relativement aux témoignages de la plaignante et du caporal Kondoski dans mon analyse de l’allégation.

Décision relative à l’allégation

[61] Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités. Concrètement, cela signifie que l’autorité disciplinaire doit établir qu’il est plus probable que le contraire que le gendarme Kondoski a contrevenu à l’article 7.1 du Code de déontologie.

[62] Selon le critère relatif à une conduite déshonorante aux termes du paragraphe 7.1 du Code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit prouver ce qui suit, selon la prépondérance des probabilités :

  1. les gestes qui constituent le comportement allégué;

  2. l’identité du membre qui a commis les gestes visés par les allégations;

  3. le fait que le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie;

  4. le fait que le comportement est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du membre pour donner à la Gendarmerie un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son égard.

Si l’identité du membre qui a commis les gestes visés par les allégations a été établie

[63] L’identité du caporal Kondoski en tant que membre qui a commis l’agression sexuelle n’est pas contestée.

Si les gestes qui constituent le comportement allégué ont été établis

[64] L’incident, qui se serait produit entre le 24 août 2018 et le 3 septembre 2018, concerne une allégation selon laquelle le caporal Kondoski aurait agressé sexuellement la plaignante.

[65] L’allégation compte 11 précisions. Il y a une certaine concordance dans les versions des événements fournies par la plaignante et le caporal Kondoski, mais les questions de fond nécessaires pour rendre une décision sur l’allégation sont contestées.

Précision 1

[66] Le caporal Kondoski a admis à quel lieu il était affecté au moment de l’agression présumée.

Précision 2

[67] La plaignante a témoigné qu’elle travaillait comme PTI au sein du GCM avant d’accepter une nomination intérimaire au Centre d’enregistrement des délinquants sexuels de l’Alberta. Lorsque la nomination intérimaire s’est terminée, elle est retournée au GCM en tant que PTI avant d’être finalement promue à un poste d’AI au sein de l’équipe X.

[68] Le caporal Kondoski a convenu que la plaignante était une employée de la fonction publique à la GRC; cependant, il a fourni des détails supplémentaires concernant ses affectations particulières à divers moments de leur relation.

Précision 3

[69] La plaignante a décrit qu’au début de 2018, elle faisait face à plusieurs difficultés personnelles, dont la fin d’une relation à long terme. Elle a déclaré qu’à une occasion, le caporal Kondoski a remarqué qu’elle était bouleversée et lui a demandé si elle allait bien. De plus, ils ont parlé, échangé leurs numéros et commencé à s’envoyer des messages textes. Elle a affirmé que les messages textes étaient devenus plus fréquents, car le caporal Kondoski prenait régulièrement de ses nouvelles, ce qui lui procurait un sentiment de bien-être.

[70] La plaignante a déclaré que, peu de temps après qu’elle a emménagé dans un nouvel appartement, le caporal Kondoski a dit qu’il aimerait voir celui-ci. De plus, comme ils étaient déjà allés prendre un café à quelques reprises, il apportait du café ou du thé à son appartement lors de ses visites.

[71] La plaignante a mentionné que leur relation a continué d’évoluer : ils ont commencé à parler de questions plus personnelles, y compris de l’état du mariage du caporal Kondoski. Le caporal Kondoski a commencé à se rendre régulièrement à l’appartement de la plaignante et, après un certain temps, leur relation est devenue intime. La plaignante a déclaré qu’ils avaient eu des rapports sexuels à deux reprises avant l’incident présumé.

[72] La plaignante a décrit les émotions contradictoires qu’elle ressentait : elle éprouvait de profonds sentiments à l’égard du caporal Kondoski, mais aussi de la honte et de la culpabilité parce qu’elle entretenait une relation avec un homme marié.

[73] La plaignante a décrit la façon dont le caporal Kondoski a accédé à son immeuble la première fois qu’il l’a visitée ainsi que la pratique qu’il a adoptée à chaque occasion subséquente : il venait après le travail, se garait dans le stationnement des visiteurs et lui envoyait des messages textes pour qu’elle le fasse entrer par la porte de côté. Elle a également mentionné que le caporal Kondoski éteignait les lumières et fermait les stores lorsqu’il entrait dans son appartement.

[74] Bien que la plaignante n’ait pas été en mesure de préciser le jour où l’agression a eu lieu, elle a affirmé qu’un jour ou quelques jours avant le 3 septembre 2018, le caporal Kondoski s’était rendu à son appartement et qu’elle avait l’intention de mettre fin à leur relation parce qu’elle n’en tirait pas ce dont elle avait besoin et qu’elle se sentait coupable à propos de celle-ci.

[75] Le jour de l’agression sexuelle, la plaignante a déclaré que le caporal Kondoski a accédé à son appartement de la manière habituelle. Pendant qu’ils étaient assis sur son canapé, elle lui a expliqué qu’elle ne tirait pas de leur relation ce dont elle avait besoin, donc ils ne pouvaient plus se voir. La plaignante a déclaré que le caporal Kondoski s’est alors levé et s’est dirigé vers la porte, l’air triste. Elle pleurait et pensait qu’il allait partir, et elle est allée à la salle de bain, où elle a continué à pleurer.

[76] La plaignante a décrit que le caporal Kondoski est entré dans la salle de bain derrière elle et lui a embrassé et léché le cou et l’oreille. Elle lui a dit d’arrêter, lui disant qu’il ne faisait que rendre les choses plus difficiles. Elle a témoigné qu’il l’a prise dans ses bras et l’a transportée dans la chambre à coucher. Elle a affirmé qu’elle a clairement dit « non, je ne veux pas faire ça, arrête », et qu’il a dit « allez, allez, une dernière fois pour dire au revoir, une dernière fois pour dire au revoir ».

[77] La plaignante a décrit que le caporal Kondoski l’a repoussée sur le lit à plusieurs reprises et a placé sa main sur sa gorge. Elle a fini par rester allongée sans bouger.

[78] La plaignante a témoigné que le caporal Kondoski a enlevé son pyjama, a retiré son pantalon et a commencé à la pénétrer de force. Elle a déclaré qu’il a changé de position, lui a giflé les fesses très fort et, tout en la pénétrant, lui a dit « Je veux que tu aies mal demain ». Elle a dit qu’il l’a ensuite forcée à lui faire une fellation avant d’éjaculer sur sa poitrine.

[79] La plaignante a témoigné qu’il a dit que « c’était une excellente façon de dire au revoir », qu’il s’est habillé, qu’il a pris ses choses et qu’il est parti. Elle a déclaré qu’elle s’est lavée, qu’elle a vomi et qu’elle est allée se coucher, ne croyant pas ce qui venait de se passer.

[80] La plaignante a témoigné qu’elle a rencontré son amie, Mme S.B., le 3 septembre 2018 et qu’elle lui a parlé de l’agression sexuelle. Par la suite, elles ont échangé des messages texte au sujet de l’incident.

[81] La plaignante a déjà mentionné qu’elle a eu des interactions limitées avec le caporal Kondoski après l’agression présumée, qu’elle a fait de son mieux pour l’éviter et qu’elle a même tenté de changer d’équipe au travail. Toutefois, lorsqu’on lui a présenté des registres des appels et des messages textes en contre-interrogatoire, elle a admis qu’elle a continué de communiquer avec lui régulièrement, mais elle a résolument soutenu qu’il n’est jamais retourné à son appartement après l’incident présumé.

[82] La plaignante a témoigné qu’elle a commencé à fréquenter un autre membre du GCM vers décembre 2018 et que la relation s’est terminée en juin ou juillet 2021. Pendant leur relation, elle lui a révélé qu’elle avait été agressée sexuellement par le caporal Kondoski. Compte tenu de ses obligations en tant que membre de la GRC, il lui a dit que si elle ne le signalait pas, il le ferait.

[83] Par conséquent, la plaignante a signalé l’agression sexuelle présumée au surintendant Wirachowsky le 20 février 2020.

[84] Sa plainte a déclenché une enquête en vertu de la loi par l’ASIRT, à la suite de laquelle le caporal Kondoski a été inculpé d’agression sexuelle.

[85] Le caporal Kondoski a reconnu qu’il avait eu une relation extraconjugale avec la plaignante. Il a décrit la même évolution de leur relation, y compris la manière dont il accédait à son immeuble d’habitation et les gestes qu’il posait habituellement une fois à l’intérieur de son appartement.

[86] Le caporal Kondoski a convenu que la plaignante et lui avaient eu des rapports sexuels à trois reprises, mais il a catégoriquement nié que l’événement décrit par la plaignante a eu lieu. Conformément aux éléments de preuve à l’appui de l’alibi entendus au cours du voir-dire, il a nié avoir même eu l’occasion de commettre l’agression sexuelle présumée dans la période précisée.

[87] Le caporal Kondoski a témoigné que sa relation avec la plaignante n’a pas pris fin le 3 septembre 2018, comme l’a déclaré celle-ci. Il a plutôt affirmé qu’ils ont continué de communiquer régulièrement et qu’il était allé à son appartement à plusieurs reprises après cette date.

[88] Il a convenu que la plaignante a déposé une plainte d’agression sexuelle, ce qui a déclenché une enquête de l’ASIRT.

Précision 4

[89] Comme il a été décrit précédemment, à quelques exceptions près, par exemple si le caporal Kondoski a dit à la plaignante qu’il « n’avait jamais rencontré quelqu’un comme elle auparavant » ou « ressenti de tels sentiments à l’égard de qui que ce soit », les comptes rendus de leurs comportements avant la nuit en question sont cohérents.

Précision 5

[90] La plaignante a témoigné qu’elle éprouvait de profonds sentiments à l’égard du caporal Kondoski. Cependant, elle ne tirait pas de leur relation ce dont elle avait besoin et avait décidé d’y mettre fin. Elle a déclaré qu’elle voulait une relation complète et qu’elle ne voulait pas être la blonde secrète de quelqu’un.

[91] Le caporal Kondoski a témoigné qu’il était au courant des sentiments qu’éprouvait la plaignante, y compris qu’elle pensait qu’elle tombait amoureuse de lui. Cependant, il a déclaré qu’il avait toujours été clair avec elle qu’il ne pouvait pas lui offrir plus dans leur relation, car il ne quitterait jamais son épouse. Il a témoigné qu’il ne s’est pas fâché contre la plaignante et qu’elle n’a pas mis fin à la relation.

Précision 6

[92] Comme il est indiqué à la précision 3, la plaignante a décrit en détail les antécédents et les habitudes générales qui ont mené à leurs rapports sexuels et a décrit les événements de la soirée en question.

[93] Le caporal Kondoski était généralement d’accord avec la description fournie par la plaignante avant la nuit de l’agression présumée. Cependant, il a affirmé catégoriquement que l’incident présumé n’a pas eu lieu et qu’il ne l’a jamais agressée sexuellement.

Précision 7

[94] La plaignante a décrit que le caporal Kondoski est entré dans la salle de bain derrière elle et lui a embrassé et léché le cou et l’oreille. Elle lui a dit d’arrêter, lui disant qu’il ne faisait que rendre les choses plus difficiles. Elle a témoigné qu’il l’a prise dans ses bras et l’a transportée dans la chambre à coucher. Elle a affirmé qu’elle a clairement dit « non, je ne veux pas faire ça, arrête », et qu’il a dit « allez, allez, une dernière fois pour dire au revoir, une dernière fois pour dire au revoir ».

[95] La plaignante a décrit que le caporal Kondoski l’a repoussée sur le lit à plusieurs reprises et a placé sa main sur sa gorge. Elle a fini par rester allongée sans bouger.

[96] Dans son témoignage, le caporal Kondoski a nié que cet incident avait eu lieu.

Précision 8

[97] La plaignante a témoigné que le caporal Kondoski a enlevé son pyjama, a retiré son pantalon et a commencé à la pénétrer de force. Elle a déclaré qu’il a changé de position, lui a giflé les fesses très fort et, tout en la pénétrant, lui a dit « Je veux que tu aies mal demain ». Elle a dit qu’il l’a ensuite forcée à lui faire une fellation avant d’éjaculer sur sa poitrine.

[98] La plaignante a témoigné qu’il a dit que « c’était une excellente façon de dire au revoir », qu’il s’est habillé, qu’il a pris ses choses et qu’il est parti. Elle a déclaré qu’elle s’est lavée, qu’elle a vomi et qu’elle est allée se coucher, ne croyant pas ce qui venait de se passer.

[99] Encore une fois, le caporal Kondoski a maintenu que l’incident dans son ensemble tel que décrit par la plaignante n’a jamais eu lieu.

Précision 9

[100] La plaignante a témoigné que, dans les jours suivant l’agression sexuelle, elle a eu une conversation téléphonique avec le caporal Kondoski. Au cours de cette conversation, elle lui a dit qu’elle avait l’impression qu’il la punissait d’avoir rompu avec lui, et qu’il était stupéfait d’entendre cela. Selon elle, il a affirmé qu’il s’agissait des rapports sexuels les plus passionnés qu’il ait jamais eus, qu’il n’avait jamais ressenti cette passion avec qui que ce soit.

[101] Le caporal Kondoski a nié que cette conversation a eu lieu.

Précision 10

[102] La plaignante a témoigné qu’elle n’a pas immédiatement signalé l’agression sexuelle pour plusieurs raisons, notamment : elle voulait conserver un sentiment de normalité; elle ne voulait pas croire que cela s’était réellement produit; et elle craignait qu’on ne la croie pas. Elle a témoigné que le caporal Kondoski lui avait déjà dit que « le regret n’est pas un viol » lorsqu’il parlait de plaintes d’agression sexuelle antérieures sur lesquelles il avait enquêté.

[103] Bien qu’il ait nié avoir agressé sexuellement la plaignante, le caporal Kondoski a reconnu qu’il lui avait déjà dit cette phrase.

[104] La plaignante a témoigné qu’elle a divulgué l’agression à Mme S.B. et qu’elle en a discuté avec elle en personne et par message texte. Le compte rendu de la plaignante est conforme à celui de Mme S.B., qui figure dans la déclaration qu’elle a fournie à l’ASIRT le 29 février 2020[11]. Il est également corroboré par les messages textes échangés entre la plaignante et Mme S.B., qui ont aussi été présentés dans le dossier.

[105] En ce qui concerne le fait de s’être rendue dans une clinique médicale pour subir un test de dépistage des infections transmissibles sexuellement, la plaignante a témoigné qu’elle l’a fait après que Mme S.B. le lui a suggéré.

[106] Le caporal Kondoski a témoigné qu’il a demandé à la plaignante de subir un test parce qu’elle avait une liaison avec un autre homme et qu’il craignait de donner quelque chose à son épouse.

Précision 11

[107] La plaignante a témoigné que, pendant l’agression sexuelle, le caporal Kondoski a placé sa main autour de sa gorge. En raison de la différence de taille et de force entre eux, elle avait peur et n’a pas pu résister.

[108] Conformément à ses dénis antérieurs d’avoir agressé sexuellement la plaignante, le caporal Kondoski a de nouveau nié que l’événement décrit par la plaignante avait eu lieu.

Analyse

[109] En ce qui concerne l’agression sexuelle, la plaignante a donné un compte rendu clair de ce qui s’est passé la nuit en question. Elle a témoigné de manière directe et franche. Son témoignage est renforcé par la déclaration de Mme S.B., qui a décrit que, lors de leur rencontre du 3 septembre 2018, la plaignante était visiblement bouleversée et n’a pas arrêté de pleurer pendant qu’elle décrivait l’agression[12].

[110] En outre, la plaignante et Mme S.B. ont échangé des messages plus tard le même jour et elles discutent sans aucun doute du fait que l’agression sexuelle présumée a eu lieu. Une agression sexuelle que Mme S.B. a déclaré avoir été commise, selon la plaignante, par le caporal Kondoski un jour ou quelques jours avant qu’elle ne lui soit divulguée le 3 septembre 2018[13]. Inexplicablement, Mme S.B. n’a été appelée à témoigner par aucune des parties.

[111] De même, le surintendant Wirachowsky a décrit que la plaignante était très bouleversée lorsqu’elle a discuté de l’allégation avec lui, qu’elle hésitait à fournir des détails et qu’elle voulait même parler à sa thérapeute avant de confirmer qu’elle déposerait une plainte.

[112] La défense du membre visé reposait en grande partie sur les incohérences entre ce que la plaignante a dit avoir fait et ce qu’elle a réellement fait après l’incident.

[113] Le représentant du membre visé a appelé plusieurs témoins pour parler du comportement de la plaignante avec le caporal Kondoski après l’incident. Le représentant du membre visé a expliqué que ces témoignages ont été présentés pour établir que la plaignante n’est pas crédible, et non pour critiquer son comportement en fonction des « mythes du viol ». Cependant, il a frôlé cette limite et l’a même franchie à quelques reprises.

[114] Cela dit, d’après les témoignages fournis par ces témoins, il est clair que la plaignante a continué de communiquer régulièrement avec le caporal Kondoski par message texte, par téléphone ou en personne au travail. Dans sa déclaration et lors de l’interrogatoire principal, la plaignante a déclaré qu’elle avait tenté d’éviter tout contact avec le caporal Kondoski après l’agression.

[115] Toutefois, lorsque ces divergences ont été soulevées en contre-interrogatoire, elle a reconnu avoir été en contact avec lui et a laissé entendre qu’elle se corrigeait maintenant. Cette divergence a eu une incidence négative sur sa crédibilité.

[116] Je tiens toutefois à préciser que, peu importe ce que la plaignante a fait ou n’a pas fait après l’agression sexuelle présumée, qu’il s’agisse de cesser immédiatement tout contact avec le caporal Kondoski ou de continuer à avoir des relations sexuelles avec lui, cela n’a aucune incidence sur la légitimité de sa plainte.

[117] Comme il est mentionné dans les affaires citées par le représentant de l’autorité disciplinaire, les hypothèses désuètes sur ce qu’une victime d’agression sexuelle devrait faire ou sur la façon dont elle devrait réagir ne sont que des mythes qui ont été adoptés au fil des ans et qui sont maintenant dissipés.

[118] Tout comme lors du voir-dire, le caporal Kondoski s’est largement appuyé sur des preuves circonstancielles pour corroborer sa version des événements, comme des registres des appels, des journaux des appels, des données de suivi de la condition physique et des reçus. Bien que ces éléments puissent être quelque peu convaincants, il y a aussi eu des problèmes en ce qui concerne la crédibilité du caporal Kondoski.

[119] Il a témoigné de manière claire et avec confiance, comme on peut s’y attendre de la part d’un membre chevronné d’un GCM, mais certaines de ces réponses semblaient fausses[14].

[120] En ce qui concerne le fait que la plaignante s’est rendue dans une clinique médicale, j’estime qu’il est très difficile de croire la suggestion du caporal Kondoski selon laquelle il a demandé à la plaignante de subir un test. Malgré ses prétendues préoccupations, il n’a pas déclaré qu’il avait subi un test ou cessé d’avoir des relations sexuelles non protégées avec la plaignante.

[121] Je préfère nettement le compte rendu de la plaignante, dans lequel elle a mentionné que Mme S.B. lui a recommandé de subir un test après l’agression sexuelle. Dans sa déclaration, Mme S.B. a également affirmé qu’elle avait donné ce conseil à la plaignante[15].

[122] Dans ses observations finales, le représentant du membre visé a souligné que le comportement après l’incident décrit par la plaignante correspond à la façon dont on pourrait supposer qu’une victime d’agression sexuelle se comporterait. Il a laissé entendre que la plaignante s’appuie sur les mêmes « mythes du viol » que nous devons écarter pour étayer les éléments de preuve qu’elle a fournis.

[123] Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec la caractérisation par le représentant du membre visé de la version du comportement après l’incident fournie par la plaignante. Cependant, je n’en tire pas la même conclusion. Le représentant du membre visé a laissé entendre que la plaignante a faussement détaillé le comportement attendu tant décrié pour que son compte rendu non véridique soit cru. À l’inverse, j’estime qu’elle a faussement adhéré à ces « mythes » pour être crue.

[124] La distinction que je fais dans ce cas n’est pas simplement nuancée; elle est au cœur même de l’intention de la plaignante. Plutôt que d’utiliser ces mythes pour légitimer une fausse déclaration, je crois que la plaignante a essayé de les utiliser pour étayer une plainte réelle.

[125] La plaignante a témoigné du déséquilibre de pouvoir qu’elle a constaté au sein du GCM entre les membres et les employés de la fonction publique. Elle a fait part de sa réticence à faire une divulgation à qui que ce soit, dont aux membres supérieurs de haut rang, car elle ne pensait pas qu’on la croirait plutôt que le caporal Kondoski, un policier chevronné et respecté.

[126] De plus, la plaignante s’est peut-être rendu compte que son comportement après l’incident ne correspondait pas aux « comportements attendus » et a donc déclaré qu’elle a pris des mesures correspondant à celles auxquelles on aurait pu s’attendre ou peut-être celles qu’elle aurait souhaité prendre.

[127] Comme je l’ai mentionné précédemment, les comptes rendus de la plaignante et du caporal Kondoski sont très semblables avant l’agression. Y compris l’aveu du caporal Kondoski qu’il a utilisé l’expression « le regret n’est pas un viol » lors de conversations précédentes avec elle.

[128] Il est bien établi en droit que je peux accepter ou rejeter le témoignage d’un témoin dans son ensemble ou en partie. Malgré les problèmes de crédibilité concernant son comportement après l’incident, pour les raisons susmentionnées, je conclus que la plaignante a fourni un compte rendu crédible de l’agression sexuelle présumée et des événements qui ont mené à celle-ci.

[129] Il est également largement admis qu’il n’est pas nécessaire pour moi d’estimer que toutes les précisions sont établies en vue de rendre une décision favorable sur une allégation. Je dois seulement conclure que suffisamment de précisions sont établies pour étayer que l’infraction a été commise de la façon alléguée.

[130] Par conséquent, je conclus que les précisions alléguées, à l’exception de certains détails contextuels déjà mentionnés, ont été établies.

Si le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie

[131] Les membres de la GRC doivent se conformer au Code de déontologie, qu’ils soient en service ou non. En forçant la plaignante à avoir des relations sexuelles avec lui, ce qui constitue une agression sexuelle, le caporal Kondoski s’est conduit d’une façon qui diffère nettement de la norme attendue d’un membre de la GRC. Par conséquent, j’estime qu’une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles de la GRC en particulier, considérerait ses agissements comme étant susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Ainsi, le troisième volet du critère est établi.

Si le comportement est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du caporal Kondoski pour donner à la Gendarmerie un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son égard

[132] Même si le caporal Kondoski n’était pas en service au moment de l’agression sexuelle, comme je viens de le mentionner, le Code de déontologie s’applique aux membres de la GRC, qu’ils soient en service ou non. Le caporal Kondoski a commis des actes de violence sexuelle, une infraction pour laquelle il pourrait être appelé à répondre, un problème qui afflige notre société et à l’égard duquel la GRC déploie de sérieux efforts pour l’éliminer de son milieu. Par conséquent, j’estime que le comportement du caporal Kondoski est suffisamment lié à ses devoirs et fonctions pour donner à la Gendarmerie un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son égard.

[133] Je conclus donc que sa conduite était déshonorante et que l’allégation est établie selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

Évaluation des mesures disciplinaires appropriées

[134] Au titre de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, j’ai l’obligation d’imposer « des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».

[135] Pour déterminer s’il y a lieu d’adopter la mesure disciplinaire proposée par le représentant de l’autorité disciplinaire ou d’en imposer une autre, je commencerai par appliquer les cinq principes fondamentaux qui guident l’évaluation d’une mesure disciplinaire appropriée, établis dans le Rapport Ceyssens[16].

[136] Le premier principe fondamental stipule que les mesures disciplinaires « doivent pleinement obéir aux objectifs du processus d’examen des plaintes et des sanctions disciplinaires contre la police », ce qui exige d’atteindre un équilibre entre quatre intérêts : 1) l’intérêt du public; 2) l’intérêt de la GRC en tant qu’employeur; 3) l’intérêt du membre visé à être traité équitablement; et 4) l’intérêt des parties touchées par l’inconduite, le cas échéant[17].

[137] Les alinéas 36.2b) et c) de la Loi sur la GRC mettent en évidence ce principe :

36.2 La présente partie a pour objet :

[…]

b) de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres sont censés observer;

c) de favoriser la responsabilité et la responsabilisation des membres pour ce qui est de promouvoir et de maintenir la bonne conduite au sein de la Gendarmerie;

[…]

[138] La Cour suprême du Canada a également souligné l’importance de l’intérêt public en déclarant que « les organismes disciplinaires ont pour but de protéger le public, de réglementer la profession et de préserver la confiance du public dans la profession ».

[139] Les deuxième et troisième principes prévoient que les mesures correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu, et qu’il faut imposer la présomption voulant que la disposition la moins sévère possible soit retenue. Toutefois, ces deux principes seront écartés si l’intérêt public ou d’autres considérations, comme la gravité de l’inconduite, prévalent.

[140] Le quatrième principe est que les mesures disciplinaires imposées doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions. Pour ce faire, le Comité de déontologie doit recenser les facteurs de proportionnalité pertinents et les apprécier pour établir s’ils sont atténuants, aggravants ou neutres. Enfin, le Comité de déontologie doit pondérer et soupeser adéquatement ces différents facteurs en tenant compte des circonstances de l’affaire et des quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police.

[141] Le cinquième principe est que l’on s’attend à ce que les policiers respectent une norme de conduite plus rigoureuse.

[142] Le représentant de l’autorité disciplinaire a fait référence au Rapport Ceyssens[18], dans lequel il est question de la gravité de l’inconduite à caractère sexuel et du fait qu’il « ne devrait jamais arriver ». Autrement dit, cela ne devrait jamais faire partie de la philosophie de la GRC.

[143] Le représentant de l’autorité disciplinaire a mentionné que la société s’attend à ce que de telles inconduites soient prises au sérieux et qu’il est dans l’intérêt public de le faire. De plus, il a souligné l’obligation de la GRC d’assurer la sécurité de ses employés.

[144] Le représentant de l’autorité disciplinaire a fait référence à deux décisions antérieures de comités de déontologie ainsi qu’à une recommandation correspondante du Comité externe d’examen de la GRC (CEE). Dans l’affaire Deagle[19], il a souligné que le Comité de déontologie a conclu que la perpétration d’une agression sexuelle constituait un abus de confiance, ce qui a mené au congédiement du membre.

[145] Le représentant de l’autorité disciplinaire a également renvoyé à la recommandation C-106[20] du CEE, soulignant que le CEE a conclu que la perpétration d’une agression sexuelle contre la personne concernée dans sa propre maison, un endroit où l’on est censé se sentir en sécurité, ajoute à la gravité de l’inconduite du membre visé. De plus, il a attiré l’attention sur la décision d’appel dans la même affaire, où l’arbitre a souligné l’incidence d’une conduite comme celle-ci sur l’ensemble des membres[21].

[146] Enfin, le représentant de l’autorité disciplinaire a insisté sur le fait que même le représentant du membre visé reconnaît les effets traumatisants d’une agression sexuelle, qualifiant celle-ci « d’une des infractions criminelles les plus graves qu’une personne peut commettre au pays »[22] .

[147] Compte tenu de ce qui précède, le représentant de l’autorité disciplinaire a soutenu que le congédiement constituait la sanction appropriée.

Analyse

[148] Le Guide des mesures disciplinaires (le Guide) de novembre 2014 n’est pas normatif et vise à promouvoir la parité des sanctions. Il s’agit d’une référence utile pour déterminer la gamme appropriée de sanctions à imposer pour un type particulier de comportement. Bien que plusieurs catégories de comportements soient énoncées dans le Guide en ce qui concerne l’article 7.1 du Code de déontologie, y compris l’inconduite sexuelle, l’agression sexuelle n’est pas explicitement indiquée.

[149] Toutefois, en examinant de plus près la justification fournie aux pages 59 et 60 du Guide, lorsqu’il y a un élément de déséquilibre de pouvoir ou, plus précisément, il n’y a pas de consentement, ce qui est le cas en l’espèce, selon le Guide, « il n’y a nulle autre solution que le congédiement si le membre ne présente pas sa démission ».

[150] Lorsque j’ai rendu ma décision sur l’allégation, le représentant du membre visé a reconnu qu’une telle décision avait pour effet d’annuler le contrat de travail. Je suis d’accord avec cette conclusion, donc il ne me reste plus qu’à déterminer si la conduite du caporal Kondoski justifie un congédiement immédiat ou s’il faudrait lui accorder 14 jours pour démissionner.

Respect des objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police

[151] Des pouvoirs exceptionnels ont été conférés aux membres de la GRC pour qu’ils puissent appliquer les lois dans notre société. Le public s’attend à ce que ceux-ci fassent respecter les lois et respectent celles-ci non seulement dans leur vie professionnelle, mais aussi dans leur vie personnelle. Par conséquent, le public a tout intérêt à s’assurer que les personnes qui commettent un acte comme celui qui a été établi dans cette affaire ne demeurent pas dans une situation d’autorité.

[152] De même, en tant qu’employeur, la GRC est tenue d’offrir un environnement sécuritaire à ses employés. Elle doit donc prendre les mesures nécessaires pour protéger ses employés contre d’éventuelles menaces. Compte tenu de la nature de l’inconduite du caporal Kondoski et du fait que la personne touchée était une collègue, la GRC serait préoccupée à juste titre si le caporal Kondoski n’était pas retiré du lieu de travail.

[153] En outre, au cours des dernières décennies, la GRC a été confrontée à un nombre élevé de cas signalés de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles. Cela a suscité une attention considérable de la part des médias et a créé un manque de confiance tant au sein de la GRC que dans la société en général. Par conséquent, la réputation de la GRC a été ternie. Pour rétablir cette confiance, la GRC doit démontrer qu’elle tient ses membres responsables de leurs actes lorsqu’ils contreviennent au Code de déontologie.

[154] Il va sans dire que le caporal Kondoski a un intérêt à être traité équitablement. Il doit bénéficier des droits prévus par l’équité procédurale, y compris le droit d’être entendu. De surcroît, puisqu’il est probable que le résultat d’un processus administratif, comme le processus disciplinaire de la GRC, ait des répercussions importantes sur sa vie personnelle ainsi que sur sa carrière, je dois garder à l’esprit les objectifs de correction et de réhabilitation de ce processus.

[155] Enfin, je dois tenir compte de l’intérêt de la plaignante. Dans son témoignage, elle a décrit les répercussions de l’agression sexuelle sur elle. Elle a décrit l’examen minutieux auquel elle s’attendait si elle déposait sa plainte, l’anxiété qu’elle continue de ressentir, ainsi que les conséquences de ce processus sur sa santé physique et mentale.

Facteurs de proportionnalité

[156] La présence de facteurs atténuants, aggravants ou neutres joue un rôle dans ma prise de décision. Je dois donc les soupeser de manière appropriée en tenant compte du contexte de l’affaire et des quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police, qui sont énumérés dans le premier principe fondamental du Rapport Ceyssens.

Facteurs aggravants

[157] J’ai examiné les observations du représentant de l’autorité disciplinaire et j’ai retenu les facteurs aggravants suivants :

  1. la gravité de l’inconduite et la possibilité de mettre en danger d’autres membres;

  2. la violence perpétrée contre une personne avec laquelle le caporal Kondoski entretenait une relation, c’est-à-dire violence familiale;

  3. les répercussions sur la plaignante.

[158] La question de savoir si l’absence de remords est un facteur aggravant ou équivaut à l’absence d’un facteur atténuant a suscité des débats devant les cours et d’autres tribunaux. Par conséquent, je tiens à préciser que, même si le caporal Kondoski avait démontré des remords, cela n’aurait aucune incidence sur ma décision en ce qui concerne les mesures disciplinaires finales.

Facteurs atténuants et facteurs neutres

[159] Le représentant du membre visé n’a présenté aucune observation concernant les mesures disciplinaires. Par conséquent, aucun facteur atténuant n’a été porté à mon attention, et je n’ai relevé aucun facteur atténuant ou neutre par moi-même.

Conclusion

[160] L’allégation dans cette affaire est très grave. Le caporal Kondoski a commis un acte qui constitue l’un des actes les plus graves qui puissent être commis, comme l’ont reconnu lui et le représentant du membre visé. Comme je l’ai souligné dans ma décision sur l’allégation, la violence sexuelle est un problème qui afflige notre société et la GRC déploie de sérieux efforts pour l’éliminer de son milieu. Il faut donc absolument dénoncer les membres de la GRC qui commettent ces actes.

[161] J’ai tenu compte du principe selon lequel les mesures correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu, et du principe voulant que la disposition la moins sévère possible soit imposée. Toutefois, lorsque j’examine les intérêts des parties représentées dans cette affaire, et compte tenu de la gravité de l’inconduite, je conclus que ces principes devraient être écartés.

[162] Par conséquent, j’estime que le caporal Kondoski a rompu le lien d’emploi qui existait entre lui et la GRC. Son maintien en poste saperait la confiance du public à l’égard de l’organisation. Je conclus donc que la mesure disciplinaire demandée par l’autorité disciplinaire est proportionnelle à la gravité de l’inconduite du caporal Kondoski. Par conséquent, j’ordonne que le caporal Kondoski soit congédié immédiatement.

[163] L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au caporal Kondoski, conformément à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.


 

 

 

Le 21 novembre 2024

Colin Miller

Comité de déontologie

 

Ottawa (Ontario)

 



[1] Au début de l’audience disciplinaire, les parties ont réduit la plage de dates pendant laquelle l’incident se serait produit à la période du 24 août 2018 au 3 septembre 2018.

[2] F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], paragraphe 46.

[3] Ceyssens, Paul et Childs, W. Scott, Phase I – Rapport final concernant les mesures disciplinaires et l’imposition de mesures disciplinaires en cas d’inconduite à caractère sexuel au titre de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport de la Gendarmerie royale du Canada (Le 24 février 2022) [Rapport Ceyssens]; pages 72 à 75.

[4] R. c. D.D., 2000 CSC 43, paragraphes 63 et 64; R. c. A.R.D., 2017 ABCA 237 (CanLII), paragraphe 39; R. c Nyznik, 2017 CSJO 4392 (CanLII), paragraphes 192 et 193; R. c ADG, 2015 ABCA 149 (CanLII), paragraphe 33; R. c. T.B., 2018 PESC 3 (CanLII), paragraphes 82 à 85.

[5] Commandant de la Division E et Irvine, 2019 DARD 3, paragraphes 133 et 134.

[6] McDougall, paragraphe 46.

[7] Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, page 357.

[8] McDougall, paragraphe 86.

[9] R. c. Hart, 2012 NLCA 61, paragraphe 106.

[10] R c. Ellard, 2009 CSC 27, paragraphe 31.

[11] Dossier d’enquête, page 431.

[12] Dossier d’enquête, pages 431 à 433.

[13] Dossier d’enquête, pages 431 et 432.

[14] R c. Cinous, 2002 CSC 29, paragraphe 2.

[15] Dossier d’enquête, page 436.

[16] Rapport Ceyssens, pages 17 à 22.

[17] Rapport Ceyssens, page 17.

[18] Rapport Ceyssens, page 79.

[19] Commandant de la Division H et Deagle, 2023 DAD 04 [Deagle], paragraphe 107.

[20] CEE C-2020-008 (C-106), paragraphe 183.

[21] Sous-commissaire Hill et Brown, 2024 DAD 09 [Brown], paragraphe 114.

[22] Transcription de l’audience disciplinaire – GRC-Kondoski-[le 6 juin 2024], volume 10, paragraphe 153.

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