Déontologie
Informations sur la décision
L’avis d’audience disciplinaire contenait au départ cinq contraventions alléguées au Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Après le retrait de deux allégations par l’autorité disciplinaire, l’allégation 2 (article 8.3 – signaler la contravention d’un membre au Code de déontologie); l’allégation 3 (article 7.1 – se comporter de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie) et l’allégation 5 (article 8.1 – rendre compte de manière exacte) sont les seules allégations restantes. Selon les allégations, le gendarme Durdle a omis de prendre les mesures appropriées pour arrêter ou prévenir les contraventions au Code de déontologie commises par un autre membre et omis de signaler ces contraventions, a mis la sécurité du public en danger et a fourni des renseignements faux ou trompeurs au cours d’une enquête interne.
L’affaire a fait l’objet d’une audience disciplinaire, qui a eu lieu la semaine du 19 février 2024, à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. Le Comité de déontologie a conclu que les trois allégations étaient fondées. Avant l’étape des mesures disciplinaires, le gendarme Durdle a démissionné de la GRC, laissant le Comité de déontologie sans compétence pour imposer des mesures disciplinaires.
Contenu de la décision
Protégé A
OGCA 202033833
2024 DAD 15
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Dans l’affaire d’une
audience disciplinaire au titre de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., (1985), ch. R-10
Entre :
l’autorité disciplinaire désignée de la Division B
Autorité disciplinaire
et
le gendarme Paul Durdle
Numéro de matricule 56291
Membre visé
Décision du Comité de déontologie
Sara Novell Le 22 novembre 2024
|
Jonathan Hart, représentant de l’autorité disciplinaire
Gordon Campbell, représentant du membre visé
TABLE DES MATIÈRES
CRÉDIBILITÉ ET FIABILITÉ DES TÉMOINS
Crédibilité et fiabilité de V.S.
Crédibilité et fiabilité du gendarme Durdle
Décision relative à l’allégation 2
Décision relative à l’allégation 3
Omission de préserver la paix et de prévenir les infractions
Décision relative à l’allégation 5
RÉSUMÉ
L’avis d’audience disciplinaire contenait au départ cinq contraventions alléguées au Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Après le retrait de deux allégations par l’autorité disciplinaire, l’allégation 2 (article 8.3 – signaler la contravention d’un membre au Code de déontologie); l’allégation 3 (article 7.1 – se comporter de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie) et l’allégation 5 (article 8.1 – rendre compte de manière exacte) sont les seules allégations restantes. Selon les allégations, le gendarme Durdle a omis de prendre les mesures appropriées pour arrêter ou prévenir les contraventions au Code de déontologie commises par un autre membre et omis de signaler ces contraventions, a mis la sécurité du public en danger et a fourni des renseignements faux ou trompeurs au cours d’une enquête interne.
L’affaire a fait l’objet d’une audience disciplinaire, qui a eu lieu la semaine du 19 février 2024, à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. Le Comité de déontologie a conclu que les trois allégations étaient fondées. Avant l’étape des mesures disciplinaires, le gendarme Durdle a démissionné de la GRC, laissant le Comité de déontologie sans compétence pour imposer des mesures disciplinaires.
INTRODUCTION
[1] Le 14 octobre 2020, l’autorité disciplinaire de niveau III qui avait été désignée à ce moment a signé l’avis à l’officier désigné, dans lequel elle demandait la tenue d’une audience disciplinaire.
[2] Le 16 juillet 2020, un Comité de déontologie a été nommé. Le 22 février 2023, j’ai été nommée au Comité de déontologie aux termes du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [la Loi sur la GRC].
[3] Le 26 novembre 2021, l’avis d’audience disciplinaire comprenait cinq contraventions présumées au Code de déontologie de la GRC : trois allégations de conduite déshonorante, au titre de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC [le Code], dont l’une d’entre elles (l’allégation 1), a été retirée de l’avis; et deux contraventions présumées aux articles 8.3 et 8.1 du Code, respectivement. Toutes les allégations portent sur un incident présumé qui a eu lieu à la résidence du gendarme Durdle à l’île Bell le 23 janvier 2018 ainsi que sur l’enquête subséquente connexe.
[4] Le 15 juillet 2021, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, le gendarme Durdle a fourni sa réponse aux allégations, niant les quatre dernières allégations, mais admettant certaines précisions avec explications.
[5] Le 2 février 2024, l’allégation 4, une infraction présumée à l’article 7.1 du Code de déontologie, a été retirée à la demande de l’autorité disciplinaire.
[6] Le jour même, à la suite de mon examen du dossier, j’ai présenté le document Détermination des faits établis.
[7] L’audience disciplinaire a eu lieu en personne, à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador, du 19 au 23 février 2024. J’ai rendu ma décision de vive voix le 23 février 2024. J’ai conclu que les allégations 2, 3 et 5 étaient établies. La présente décision écrite intègre et approfondit les motifs de ma décision rendue de vive voix.
ALLÉGATIONS
[8] Les trois allégations énoncées dans l’avis d’audience disciplinaire sont les suivantes :
Allégation 2
Le 22 janvier 2018 ou entre le 22 janvier 2018 et le 30 janvier 2018, à l’île Bell ou dans les environs, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, le gendarme Paul Durdle a adopté un comportement contraire à l’article 8.3 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Précisions
1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de la GRC de l’île Bell, à la Division B. Vous résidiez dans un logement de l’État situé à [adresse caviardée], à l’île Bell.
2. Dans la soirée du 22 janvier 2018, alors que vous n’étiez pas en service, vous et votre petite amie, [V.S.], étiez à votre résidence et vous consommiez de l’alcool.
3. Vers minuit, le gendarme Michael Wheeler, membre du Détachement de l’île Bell, s’est rendu à votre résidence. Le [gendarme] Wheeler était « en disponibilité » jusqu’à [6 h]; il conduisait un véhicule de police identifié et portait son uniforme, y compris sa ceinture de service et son pistolet de service.
4. Le [gendarme] Wheeler a consommé de l’alcool à votre résidence.
5. Aux premières heures du 23 janvier 2018, lorsque vous avez quitté votre cuisine pour retourner dans le salon, vous avez vu le [gendarme] Wheeler pointer son pistolet de service vers [V.S.]. Vous avez immédiatement poussé le bras du [gendarme] Wheeler en criant « mais qu’est-ce que tu fous là? » ou quelque chose à cet effet. [V.S.] s’est dépêchée de sortir de votre maison et est partie en voiture.
6. [V.S.] est retournée à votre résidence plus tard cette nuit-là. Elle vous a dit que, pendant que vous étiez dans la cuisine, elle luttait de façon amicale avec le [gendarme] Wheeler; puis, il a soudainement dégainé son pistolet de service et l’a posé sur le côté de sa tête, avant de se lever et de le pointer vers elle.
7. La conduite du [gendarme] Wheeler, incluant sa consommation d’alcool alors qu’il était en uniforme et « en disponibilité »; et la manipulation de son pistolet de service de manière non sécuritaire, contrevenaient au Code de déontologie de la GRC.
8. Vous avez omis de prendre les mesures appropriées pour arrêter ou prévenir les contraventions et omis de signaler la conduite du [gendarme] Wheeler dès que possible.
Allégation 3
Le 22 janvier 2018 ou entre le 22 janvier 2028 et le 30 janvier 2018, à l’île Bell ou dans les environs, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, le gendarme Paul Durdle a adopté un comportement contraire à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Précisions
1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de la GRC de l’île Bell, à la Division B. Vous résidiez dans un logement de l’État situé à [adresse caviardée], à l’île Bell.
2. Dans la soirée du 22 janvier 2018, alors que vous n’étiez pas en service, vous et votre petite amie, [V.S.], étiez à votre résidence et vous consommiez de l’alcool.
3. Vers minuit, le gendarme Michael Wheeler, membre du Détachement de l’île Bell, s’est rendu à votre résidence. Le [gendarme] Wheeler était « en disponibilité » jusqu’à [6 h]; il conduisait un véhicule de police identifié et portait son uniforme, y compris sa ceinture de service et son pistolet de service.
4. Le [gendarme] Wheeler a consommé de l’alcool à votre résidence.
5. Aux premières heures du 23 janvier 2018, lorsque vous avez quitté votre cuisine pour retourner dans le salon, vous avez vu le [gendarme] Wheeler pointer son pistolet de service vers [V.S.]. Vous avez immédiatement appuyé sur le bras du [gendarme] Wheeler en criant « mais qu’est-ce que tu fous là » ou quelque chose à cet effet. [V.S.] s’est dépêchée de sortir de votre maison et est partie en voiture.
6. [V.S.] est retournée à votre résidence plus tard cette nuit-là. Elle vous a dit que, pendant que vous étiez dans la cuisine, elle luttait de façon amicale avec le [gendarme] Wheeler; puis, il a soudainement dégainé son pistolet de service et l’a posé sur le côté de sa tête, avant de se lever et de le pointer vers elle.
7. Cette nuit-là, vous avez servi de l’alcool au [gendarme] Wheeler en sachant qu’il était « en disponibilité ».
8. Vous saviez également que le [gendarme] Wheeler était le seul membre « en disponibilité » cette nuit-là, et qu’il serait impossible que des membres des détachements voisins répondent aux appels de service, car le traversier reliant l’île au continent ne fonctionne pas la nuit.
9. Même si le [gendarme] Wheeler a pointé son pistolet de service vers [V.S.], vous n’avez pas pris les mesures appropriées pour préserver les éléments de preuve critiques et vous avez compromis une enquête criminelle.
10. Vous avez manqué à votre devoir, en tant que policier, de préserver la paix et de prévenir les infractions aux lois du Canada, en contravention de l’article 18 de la Loi sur la GRC.
11. Vos gestes ont mis en danger la sécurité du public et constituaient une conduite déshonorante.
Allégation 5
Le ou vers le 4 février 2020, à St. John’s, ou dans les environs, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, le gendarme Paul Durdle a adopté un comportement contraire à l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Précisions
1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au quartier général de la Division B.
2. Dans la soirée du 22 janvier 2018, alors que vous n’étiez pas en service, vous et votre petite amie, [V.S.], étiez à votre résidence et vous consommiez de l’alcool. Vers minuit, le gendarme Michael Wheeler, un membre du Détachement de l’île Bell qui était « en disponibilité » jusqu’à [6 h], s’est rendu à votre résidence et a consommé de l’alcool avec vous.
3. Aux premières heures du 23 janvier 2018, vous avez vu le [gendarme] Wheeler pointer son pistolet de service vers [V.S.]. Elle vous a par la suite dit que, pendant que vous étiez dans la cuisine, elle luttait de façon amicale avec le [gendarme] Wheeler; puis, il a soudainement dégainé son pistolet de service et l’a posé sur le côté de sa tête, avant de se lever et de le pointer vers elle.
4. Le 14 janvier 2020, une enquête relative au Code de déontologie a été menée concernant l’incident qui s’est déroulé le 23 janvier 2018 à votre résidence. Le [gendarme] Wheeler était le membre visé dans cette enquête.
5. Le 4 février 2020, vous avez présenté une déclaration de témoin au sergent Trevor Baldwin en lien avec l’enquête relative au Code de déontologie visant le [gendarme] Wheeler.
6. Dans votre déclaration, vous avez signalé que vous n’avez jamais vu le [gendarme] Wheeler sortir son pistolet de son étui la nuit de l’incident présumé. Vous avez également déclaré que l’allégation faisant l’objet de l’enquête était fausse et mentionné : « C’est une fausse allégation »; « Je suis ici aujourd’hui pour un code de déontologie pour une fausse allégation »; « Elle me mêle à cette affaire, cette allégation complètement fausse »; « C’est une allégation complètement fausse, c’est une allégation folle » et « Encore une fois, juste que c’est une allégation fausse et grotesque [traduit tel que reproduit dans la version anglaise] ».
7. Vous avez fourni des renseignements faux ou trompeurs dans le cadre d’une enquête interne.
PREUVE
[9] Le dossier devant moi comprend les éléments suivants :
- le rapport d’enquête relative au Code de déontologie du 5 octobre 2020 et les annexes;
- la réponse du gendarme Durdle aux allégations fournie le 15 juillet 2021;
- les transcriptions complémentaires du procès criminel du gendarme Wheeler, lors duquel le gendarme Durdle a témoigné ainsi que la décision[1] rendue;
- les esquisses du logement d’État du gendarme Durdle situé à l’île Bell;
- le rapport d’enquête complémentaire du 11 janvier 2024 et les annexes;
- les éléments de preuve provenant de la procédure de l’audience disciplinaire du gendarme Durdle.
[10] Au cours de l’étape des allégations de l’audience disciplinaire, j’ai entendu les témoignages de vive voix de V.S. et du gendarme Durdle. Comme l’ont indiqué les deux représentants dans leurs observations, les témoignages offerts présentaient des versions diamétralement opposées des mêmes événements, que je vais résumer et évaluer l’un après l’autre.
Témoignage de V.S.
[11] V.S. a déclaré que sa relation intermittente avec le gendarme Durdle a débuté en octobre 2017 et s’est terminée à la fin de 2019 ou au début de 2020. Elle a décrit la relation comme étant toxique, en indiquant qu’elle était principalement fondée sur la consommation d’alcool, la jalousie et les disputes. Elle a déclaré que le 22 janvier 2018, elle s’était rendue à la résidence du gendarme Durdle à l’île Bell pour prendre quelques verres pour célébrer son anniversaire prochain. Elle ne se souvenait pas de l’heure à laquelle elle est arrivée, mais estimait qu’il était tard en soirée. Elle a déclaré qu’elle et le gendarme Durdle ont commencé à boire et s’amusaient bien : ils riaient et bavardaient, et le gendarme Durdle jouait de la guitare dans le salon. Elle n’arrivait pas à se souvenir de la personne qui avait invité le gendarme Wheeler à se joindre à eux après son quart, mais a indiqué qu’il était arrivé après son quart de travail régulier, soit à minuit ou à 2 h, dans sa voiture de police et portant son uniforme complet. C’était la première fois que les trois d’entre eux passaient du temps ensemble et ce fut la seule.
[12] V.S. a témoigné qu’elle et le gendarme Durdle étaient tous les deux en état d’ébriété, « probablement au niveau quatre ou cinq. […] je me sentais juste bien. »
[2] Elle a déclaré que le gendarme Durdle a offert un verre au gendarme Wheeler à son arrivée et qu’il avait continué de leur servir des boissons au cours de la nuit. Elle a remarqué que le gendarme Wheeler buvait beaucoup et rapidement, comme s’il essayait de se « rattraper »[3] pour atteindre leur niveau d’ébriété.
[13] V.S. a déclaré que le gendarme Durdle les recevait chez lui et qu’il était le seul à préparer et à servir leurs boissons au cours de la nuit. Elle a dit que c’était souvent le cas pendant leur relation. Elle ne se souvenait pas de ce que tout le monde buvait, mais a déclaré qu’elle consommait probablement de la vodka et que les gendarmes Durdle et Wheeler buvaient probablement de la vodka ou une boisson riche en alcool, expliquant que c’était de l’alcool foncé fortement alcoolisé.
[14] V.S. a affirmé qu’après quelques heures passées à bavarder, à boire et à s’amuser dans le salon, elle et le gendarme Wheeler ont commencé à lutter et à se chamailler amicalement sur le canapé, tandis que le gendarme Durdle les regardait depuis son fauteuil La-Z-Boy. Elle a indiqué que la partie lutte n’a pas duré longtemps. Elle a décrit que le gendarme Wheeler la soumettait à différentes « prises de police » et qu’elle essayait de se libérer, et a ajouté qu’elle s’était sentie particulièrement fière lorsqu’elle s’était libérée d’une clé de bras. Elle a remarqué que le gendarme Wheeler commençait à être frustré. Il a ensuite effectué une prise de tête dont elle a eu beaucoup de difficulté à se libérer et cela l’avait frustrée. Elle décrit que le gendarme Durdle était passé devant eux en sortant du salon pour aller préparer d’autres boissons dans la cuisine. Elle avait eu l’impression qu’il était peut-être un peu jaloux et a confirmé que c’est la seule fois que le gendarme Durdle est sorti de la pièce pendant la partie lutte.
[15] V.S. a déclaré que lorsqu’elle a réussi à se libérer de la prise de tête, elle a fait un commentaire moqueur sur sa capacité de s’échapper. Elle a affirmé que c’est à ce moment-là que le gendarme Wheeler a placé son pistolet de service contre sa tête et a dit quelque chose du genre : « T’es plus si forte maintenant, hein [V.S.]? »
.[4] V.S. a reproduit physiquement ce qui s’était passé en décrivant les positions dans lesquelles ils se trouvaient, ce à quoi elle pensait, ce qu’elle regardait, ainsi que l’état de choc qu’elle avait ressenti. Elle a déclaré que le gendarme Durdle était dans la cuisine pendant cette interaction et que le gendarme Wheeler avait ensuite arrêté et ri. Elle a indiqué qu’il s’était levé du canapé et qu’elle était restée assise, qu’il avait contourné la petite table, et qu’il s’était placé en diagonale par rapport à elle, en position de policier, pointant son arme à feu vers son visage.
[16] V.S. a décrit qu’après quelques secondes, le gendarme Durdle était sorti de la cuisine et était arrivé dans le salon, où il avait vu le gendarme Wheeler pointer son pistolet de service vers elle. Elle a affirmé que le gendarme Durdle a dit : « mais qu’est-ce que tu fous là? »
, et a poussé les bras du gendarme Wheeler vers le bas pour baisser l’arme. Elle a déclaré que les gendarmes Wheeler et Durdle avaient échangé quelques mots, mais qu’elle ne savait pas ce qu’ils s’étaient dit, parce que son instinct immédiat avait été de se lever et de quitter la maison. Elle est entrée dans sa voiture et s’est rendue sur un terrain à quelques minutes de la résidence du gendarme Durdle, où elle a fumé quelques cigarettes en pleurant.
[17] V.S. a déclaré avoir reçu un appel du gendarme Durdle qui lui disait de revenir parce qu’elle avait bu et qu’elle ne devrait pas être à l’extérieur. Elle est retournée à la résidence et est allée se coucher dans la chambre du gendarme Durdle. Elle a reconnu qu’elle avait peu de souvenirs de ce qui s’est passé exactement à son retour à la résidence.
[18] V.S. a déclaré que ce dont elle se souvient ensuite, c’est que c’était le lendemain matin. Alors qu’elle était assise sur le canapé et que le gendarme Durdle se trouvait dans son fauteuil dans le salon, il lui a dit qu’ils devaient parler de ce qui s’était passé et qu’il allait s’occuper de la situation et parler au gendarme Wheeler. Elle se rappelle que le gendarme Durdle lui a dit plus tard qu’il était sorti dîner avec le gendarme Wheeler et qu’il lui avait parlé de l’incident, ajoutant que le gendarme Wheeler l’avait informé qu’il s’excuserait auprès de V.S.
[19] Le 30 janvier 2018, V.S. a reçu un message sur Facebook du gendarme Wheeler, qu’elle a décrit comme une excuse peu sentie, qui se lit comme suit :
Hé « Douche » – Paul m’a dit que je t’ai fait peur l’autre soir! Désolé! :). Mais pour te rassurer, il n’y avait aucun danger – je suppose que je suis un peu plus à l’aise avec mon équipement que je ne le devrais. :). C’est toujours le genre de merde qui m’arrive lors de nuits comme ça, comme tu le sais [émoji].[5]
[20] V.S. a déclaré qu’elle a ensuite discuté de l’incident à plusieurs reprises avec le gendarme Durdle. Cependant, elle avait décidé de ne pas le signaler à ce moment-là.
Témoignage du gendarme Durdle
[21] Lors de son interrogatoire, le gendarme Durdle a décrit sa relation avec V.S. en disant qu’ils étaient des « amis avec privilèges », rien de plus. Il a déclaré que le 23 janvier 2018, entre 1 h et 2 h, il a appelé et invité le gendarme Wheeler à venir chez lui à la fin de son quart de nuit. Le gendarme Durdle se rappelait que le gendarme Wheeler était arrivé à 2 h ou autour de 2 h dans sa voiture de police identifiée, portant son pantalon et sa chemise d’uniforme. Il lui a offert un verre de Pepsi diète avec de la glace, qu’il a versé d’une canette dans la cuisine. Le gendarme Durdle buvait également du Pepsi diète avec de la glace et a confirmé qu’il n’avait pas consommé d’alcool ce soir-là.
[22] Le gendarme Durdle a déclaré que lui et le gendarme Wheeler étaient tous les deux assis dans le salon en train de regarder la télévision lorsque V.S. est arrivée à l’improviste entre 2 h 20 et 2 h 30. Elle semblait avoir déjà consommé de l’alcool. Elle est entrée par la porte arrière, a pris une bouteille de vin rouge dans un porte-bouteilles situé dans le coin de sa salle à manger sans le lui demander et s’est versé un verre avant d’entrer dans le salon et de s’asseoir sur le canapé, à côté du gendarme Wheeler. Le gendarme Durdle a estimé que les trois d’entre eux ont passé environ une heure ou une heure et demie dans le salon. Il se souvenait qu’à un moment donné, il avait quitté le salon pour aller à la salle de bain et se verser peut-être deux autres verres de Pepsi diète dans la cuisine.
[23] Le gendarme Durdle a déclaré qu’à un moment donné, V.S. l’a suivi dans la cuisine et qu’ils s’étaient disputés au sujet de son ex-petite amie. V.S. était contrariée et était sortie de la résidence par la porte arrière, pour une durée estimée de cinq à dix minutes.
[24] Se souciant de sa sécurité, le gendarme Durdle est allé à sa recherche et l’a trouvée assise dans son véhicule, qui était stationné dans l’entrée de son voisin. Le moteur était en marche. Il a déclaré qu’il ne semblait pas qu’elle ait conduit quelque part et qu’il ne l’avait pas non plus vue en train de conduire. Il a indiqué qu’il savait qu’elle avait bu son vin, mais à ce moment-là, il ne savait pas quelle quantité d’alcool elle avait consommée, car elle avait elle-même versé le vin. Il l’a ensuite informée qu’elle avait la garde et le contrôle d’un véhicule à moteur et qu’elle avait bu, alors il lui a demandé de revenir à l’intérieur de la maison.
[25] Plus tard lors de son témoignage, le gendarme Durdle a déclaré qu’il avait remarqué son pas chancelant, une odeur d’alcool et un certain manque d’articulation lorsqu’elle est sortie du véhicule pour retourner à la maison. Il a évalué le niveau d’ébriété de V.S. à « sept ou huit. Elle [n’était] pas incapable de se tenir debout, mais elle [était] en état d’ébriété. »
[6] Il a déclaré qu’elle avait accepté de rentrer et qu’ils sont retournés s’asseoir à leur place respective dans le salon, où le gendarme Wheeler était toujours assis.
[26] Le gendarme Durdle a témoigné qu’il s’était assis brièvement avec eux, puis qu’il s’était levé de nouveau pour aller jouer de la guitare électrique dans sa salle de musique, qui était une pièce au fond. Il a confirmé que depuis cette pièce, il ne pouvait ni voir ni entendre ce qui se passait dans le salon, et il estimait qu’il avait passé entre 20 et 30 minutes à jouer de la guitare, pendant que V.S. et le gendarme Wheeler étaient restés dans le salon. Le gendarme Durdle était ensuite retourné dans le salon.
[27] Le gendarme Durdle a déclaré qu’environ 20 minutes plus tard, V.S. s’était rendue dans la chambre principale pour dormir pendant que lui et le gendarme Wheeler avaient continué de bavarder et de regarder la télévision jusqu’à environ 5 h, au moment du départ du gendarme Wheeler.
[28] Le gendarme Durdle a confirmé que ce fut la seule fois que les trois d’entre eux ont passé du temps ensemble. Il a décrit la nuit comme étant banale et a témoigné qu’il n’avait pas observé le gendarme Wheeler boire de l’alcool et qu’il ne lui en avait pas servi. En outre, le gendarme Durdle n’avait pas vu le gendarme Wheeler porter sa ceinture de service ni manipuler ou pointer son pistolet de service de façon non sécuritaire à un moment ou à un autre au cours de la nuit. Par conséquent, le gendarme Durdle a confirmé qu’il n’avait jamais discuté de l’incident lié à l’arme à feu avec le gendarme Wheeler ou V.S.
[29] Le gendarme Durdle a maintenu catégoriquement qu’il n’avait pas servi ou offert des boissons alcoolisées à V.S. cette nuit-là et qu’il ne lui en avait pas préparé, comme il ne lui avait jamais préparé de boissons pendant toute la durée de leur relation. Enfin, il a conclu son interrogatoire en confirmant que, parmi tous les événements survenus le 23 janvier 2018, aucun ne l’a porté à croire qu’il avait quelque chose à signaler à ses supérieurs.
CRÉDIBILITÉ ET FIABILITÉ DES TÉMOINS
[30] En tant que juge des faits, je dois déterminer si les témoins disent la vérité et si leur témoignage est fiable. L’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances; il se peut que je considère les éléments de preuve offerts par un témoin comme étant sincères, mais non fiables. Je suis en droit d’accepter ou de rejeter une partie, la totalité ou aucun des éléments de preuve apportés par un témoin au sujet d’un fait particulier.[7] Comme l’ont soutenu les deux représentants, pour évaluer la crédibilité, je ne dois pas examiner le témoignage d’un témoin de façon isolée, mais plutôt l’ensemble de la preuve. Je dois également tenir compte de l’incidence des incohérences dans cette preuve et déterminer si, prises globalement dans le contexte de l’ensemble de la preuve, elles ont une incidence sur la crédibilité du témoin.[8]
[31] De plus, je ne peux fonder mon évaluation de la preuve apportée par un témoin en tenant uniquement compte de son comportement. Je dois plutôt déterminer si sa version des faits est conforme à l’interprétation la plus probable des circonstances.[9] La question de savoir si le témoignage d’un témoin a une « apparence de vraisemblance » est subjective, mais pour y répondre, il faut prendre en considération l’ensemble de la preuve.
[32] Enfin, la conclusion selon laquelle le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, parce que le fait de « croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige ».
[10]
Crédibilité et fiabilité de V.S.
[33] Dans l’ensemble, je conclus que le témoignage de V.S. est à la fois crédible et fiable. Bien que le passage du temps et le niveau d’ébriété de V.S. lors de la nuit en question aient pu avoir eu une incidence sur la fiabilité de ses souvenirs lorsqu’elle se rappelle certains détails secondaires, comme le nombre de boissons consommées, la personne qui a invité le gendarme Wheeler ou son heure d’arrivée, je juge que son témoignage de vive voix sur les événements principaux concorde avec l’ensemble de la preuve dont je dispose.
[34] J’estime que la description de V.S. et sa démonstration visuelle des différentes positions dans lesquelles elle s’est retrouvée lorsque le gendarme Wheeler luttait avec elle, lorsqu’il a placé son arme contre le côté de son visage alors que son cou était appuyé contre le divan et encore une fois lorsque l’arme à feu a été pointée vers elle, sont particulièrement convaincantes. Sa description est conforme à l’aménagement de la pièce,[11] relativement à l’endroit ou elle et le gendarme Wheeler se trouvaient sur le canapé,[12] ainsi qu’à ses déclarations précédentes et à son témoignage. Elle avait des souvenirs clairs et a résisté de façon convaincante à certaines des questions soulevées lors du contre-interrogatoire, notamment les questions sur le moment auquel le gendarme Durdle a quitté la pièce et le moment auquel il est revenu.[13]
[35] Elle n’a pas cherché à embellir ou à exagérer ses réponses et a reconnu qu’elle avait des trous de mémoire. Ses explications sur ce dont elle pouvait ou ne pouvait pas se rappeler sont logiques, ainsi que les raisons fournies. Plus important encore, j’estime que son témoignage est cohérent à l’interne et corroboré par d’autres faits indépendants établis, comme les messages du gendarme Wheeler qu’elle a reçus sur Facebook.
[36] Aussi bien dans ses déclarations que dans son témoignage de vive voix, V.S. a répondu directement aux questions et était franche, même si ceux-ci risquaient de la faire mal paraître ou d’engager sa responsabilité criminelle. Malgré la détérioration de sa relation avec le gendarme Durdle, V.S. s’exprimait de façon équilibrée pendant son témoignage; non seulement elle a reconnu certaines des qualités du gendarme Durdle, mais elle a aussi dit qu’il avait été « un peu comme un héros »
[14] en raison de la façon dont il était intervenu lors de l’incident présumé impliquant l’arme à feu.
[37] Dans l’ensemble, V.S. a fait preuve de sincérité et de franchise. Finalement, je conclus que son témoignage est logique, crédible et fiable lorsqu’il est examiné dans le contexte de la totalité de la preuve.
Crédibilité et fiabilité du gendarme Durdle
[38] J’ai quelques préoccupations quant à la crédibilité et à la fiabilité du témoignage du gendarme Durdle. Dans plusieurs cas, son compte rendu ne concorde pas avec l’ensemble de la preuve dont je dispose et semble manquer de vraisemblance. De plus, je trouve que certaines incohérences entre son témoignage présenté de vive voix à l’audience disciplinaire, sa déclaration du 4 février 2020 au sergent Baldwin, son témoignage sous serment lors du procès criminel du gendarme Wheeler et sa réponse aux allégations sont problématiques.
[39] Les explications du gendarme Durdle quant aux divergences dans ses déclarations au sujet de sa consommation d’alcool pendant la soirée en question en sont un exemple. Lors d’un contre- interrogatoire, le gendarme Durdle avait affirmé catégoriquement qu’il n’avait pas consommé d’alcool ce soir-là. Le gendarme Durdle a également confirmé à maintes reprises qu’il n’y avait aucune bouteille de vin ouverte dans sa résidence avant l’arrivée de V.S., lorsqu’elle a ouvert et bu à elle seule une bouteille entière de vin rouge. Lorsqu’on lui a présenté sa réponse signée aux allégations, dans laquelle le gendarme Durdle avait déclaré : «… J’ai consommé un verre de vin avant l’arrivée de [V.S.]. Je n’ai pas consommé d’alcool quand elle était présente. »
[15] et qu’on lui a demandé d’expliquer la provenance du vin, il a témoigné qu’il se souvenait qu’il y avait une petite quantité de vin blanc dans une bouteille dans son réfrigérateur. J’estime que le souvenir spontané du gendarme Durdle concernant la quantité de vin dans son réfrigérateur plus de cinq ans après ce qu’il a qualifié comme une soirée banale nuit à sa crédibilité générale.
[40] De plus, le gendarme Durdle a maintenu avec insistance qu’il avait consommé un verre de vin en soupant ce soir-là. Cependant, dans sa déclaration du 4 février 2020 au sergent Baldwin, il a déclaré qu’il avait pris « une couple » de verres[16] et « quelques »[17] verres de vin cette nuit-là. J’estime que les explications fournies par le gendarme Durdle sur le sens de ces mots dans son témoignage présenté devant moi, où il a fait valoir que les Terre-Neuviens utilisent souvent le pluriel pour faire référence à une seule chose, ont considérablement affecté sa crédibilité.
[41] J’accepte l’argument du représentant de l’autorité disciplinaire selon lequel le déni absolu de nombreux faits anodins ou les nombreuses explications rapides fournies par le gendarme Durdle semblent avoir été moulés pour étayer son récit. Parmi ces exemples, mentionnons le statut de sa relation avec V.S. à l’époque, le fait qu’il nie qu’ils célébraient l’anniversaire de V.S. la nuit en question, sa déclaration catégorique selon laquelle il n’a jamais préparé de boissons pour V.S. pendant toute la durée de leur relation, le fait qu’il nie que V.S. était à sa résidence avant l’arrivée du gendarme Wheeler et même sa description détaillée de la tenue du gendarme Wheeler, soulignant qu’il n’avait pas vu le gendarme Wheeler porter sa ceinture de service. Je conclus que le refus du gendarme Durdle d’accepter toute preuve contradictoire, peu importe le caractère anodin des allégations, a une incidence défavorable sur sa crédibilité et sa fiabilité.
[42] En outre, le récit du gendarme Durdle semble parfois être adapté pour limiter les contradictions avec la version des événements du gendarme Wheeler ou pour éviter de s’incriminer davantage. Par exemple, le gendarme Durdle a maintenu qu’il n’avait pas servi d’alcool ou qu’il n’avait pas observé le gendarme Wheeler boire de l’alcool la nuit en question, malgré les allusions du gendarme Wheeler à sa consommation d’alcool dans les messages[18] qu’il a échangés sur Facebook avec V.S.[19] et ses aveux répétés dans sa déclaration écrite et dans son témoignage lors de son procès indiquant qu’il avait consommé au moins trois boissons.
[43] La déclaration du gendarme Durdle selon laquelle il n’avait pas vu V.S. conduire son véhicule alors qu’elle était en état d’ébriété est un autre élément démontrant qu’il a minutieusement élaboré son témoignage. Il a plutôt affirmé qu’il l’a trouvée assise dans sa voiture qui était stationnée dans l’entrée du voisin. Le gendarme Durdle est allé jusqu’à corriger le représentant de l’autorité disciplinaire lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas agi en raison du niveau d’ébriété de V.S. pendant qu’elle avait la garde et le contrôle d’un véhicule. Le gendarme Durdle a fourni l’explication suivante :
[…]
Eh bien, en fait, elle n’aurait pas eu, techniquement, la garde et le contrôle, parce qu’elle se trouvait dans l’entrée privée d’une résidence […] à l’intérieur d’une clôture. Alors, est-ce qu’on l’arrêterait? Légalement? Non, on ne l’arrêterait pas. À ce moment-là, lorsque j’ai fait ces observations et que je lui ai parlé à l’extérieur, c’était parce que je craignais qu’elle parte avec l’auto après notre dispute […] J’ai réussi à la faire sortir du véhicule et je lui ai demandé de rentrer. Puis elle pourrait aller se coucher ou continuer de socialiser.
[…][20]
[44] De plus, j’estime qu’il est improbable que V.S. admette avoir conduit avec les facultés affaiblies par l’alcool si ce n’était pas le cas.
[45] Une autre préoccupation que j’ai relativement au témoignage du gendarme Durdle concerne l’augmentation du temps qu’il semble avoir passé dans sa salle de musique. Bien qu’on ne lui ait pas demandé exactement combien de temps il y a passé, le gendarme Durdle a déclaré ce qu’il suit lors du procès du gendarme Wheeler :
[…]
Parfois, je me rendais à la cuisine pour prendre une collation ou dans ma salle, dans ma pièce arrière, qui était ma salle de musique, pour aller chercher la guitare et gratter les cordes, des choses comme ça.
[…] [Soulignement ajouté][21]
[46] Selon le témoignage du gendarme Wheeler et de V.S., le gendarme Durdle a joué de la guitare acoustique dans le salon/salle à manger pendant la nuit en question. Aucun des deux n’a mentionné une guitare électrique ni une absence de 30 minutes pendant les quelques heures qu’ils ont passées ensemble. Lorsqu’il a témoigné devant moi, le gendarme Durdle a indiqué qu’il ne se souvenait pas d’avoir joué de la guitare acoustique dans le salon. Cependant, il a déclaré qu’il se souvenait vivement d’avoir joué exclusivement de la guitare électrique pendant une période de 20 à 30 minutes dans la salle de musique. Il a également expliqué :
[…]
Comme [V.S.] et le [gendarme Wheeler] aiment tous deux la musique des années 90 et du début des années 2000 et la musique rock, je me rendais dans ma salle de musique, je branchais ma guitare électrique et je jouais dans cette salle. On ne peut pas sortir mon équipement de la salle de musique, et c’est là que je jouerais.
[…] [Soulignement ajouté][22]
[47] J’estime que l’absence de souvenir du gendarme Durdle d’avoir joué de la guitare acoustique dans son salon nuit à sa fiabilité. Cependant, ce qui est plus inquiétant, c’est qu’une fois de plus, son témoignage semble être adapté à son récit selon lequel il n’a pas vu le gendarme Wheeler pointer son pistolet de service vers V.S., car le moment de cet événement pourrait coïncider avec la demi-heure pendant laquelle il aurait pu être à l’extérieur de la pièce pour jouer de la guitare électrique, seul, alors que ses invités restaient hors de vue dans le salon.
[48] En conclusion, j’estime que les problèmes liés au témoignage du gendarme Durdle sont tels que, pris dans leur ensemble, ils nuisent à la crédibilité globale de son témoignage.
CONSTATATION DES FAITS
[49] À la suite de l’examen du document Détermination des faits établis du 2 février 2024 et des témoignages entendus lors de l’audience disciplinaire, je conclus que les faits suivants sont établis :
- Pendant la période pertinente, le gendarme Durdle était un membre de la GRC affecté au Détachement de l’île Bell, à la Division B.
- Le gendarme Durdle résidait dans un logement de l’État situé à [adresse caviardée], à l’île Bell.
- Pendant la soirée du 22 janvier 2018, alors qu’il n’était pas en service, le gendarme Durdle et V.S., qui entretenaient une relation intime, se trouvaient à sa résidence et consommaient de l’alcool.
- V.S. est un membre du public.
- Plus tard cette nuit-là, après son quart de travail régulier, entre minuit et 2 h le 23 janvier 2018, le gendarme Wheeler, un membre du Détachement de l’île Bell, s’est rendu à la résidence du gendarme Durdle. Le gendarme Wheeler était en disponibilité jusqu’à 6 h. Il est arrivé au volant d’un véhicule de police identifié et portait son uniforme de la GRC, y compris sa ceinture de service, qui contient son pistolet de service fourni par la GRC.
- Il n’y a pas de mécanisme de sûreté sur les pistolets de service de 9 mm fournis par la GRC.
- Le gendarme Durdle savait que le gendarme Wheeler était le seul membre en disponibilité cette nuit-là et qu’il serait impossible que des membres des détachements voisins répondent aux appels de service, car le traversier reliant l’île au continent ne fonctionne pas la nuit.
- Cette nuit-là, le gendarme Wheeler, le gendarme Durdle et V.S. ont passé du temps ensemble à la résidence du gendarme Durdle.
- Pendant la majeure partie de la nuit, V.S. et le gendarme Wheeler étaient assis côte à côte sur un canapé dans le salon, tandis que le gendarme Durdle était assis dans son fauteuil La-Z-Boy.
- V.S. et le gendarme Wheeler buvaient de l’alcool, et V.S. était en état d’ébriété.
- À un moment donné au cours de la nuit, V.S. et le gendarme Wheeler se sont adonnés à une partie de lutte consensuelle et amicale, où le gendarme Wheeler faisait différentes prises et V.S. tentait de se libérer.
- Le gendarme Durdle a observé la partie de lutte, mais a quitté le salon à un moment donné pendant ces interactions.
- Après que V.S. a réussi à se libérer de la prise de tête dans laquelle le gendarme Wheeler l’avait placée, le gendarme Wheeler a dégainé son arme à feu et l’a placée contre le côté de la tête de V.S. Le gendarme Durdle n’a pas observé ce geste, car il était dans la cuisine.
- Le gendarme Wheeler s’est ensuite levé et a pointé l’arme à feu vers V.S.
- Le gendarme Durdle est retourné dans le salon et est intervenu en disant « mais qu’est- ce que tu fous là? » ou quelque chose à cet effet, en poussant les avant-bras du gendarme Wheeler vers le bas.
- V.S. a ensuite quitté la résidence et a conduit une courte distance le long de la route.
- Elle est revenue à la résidence peu de temps après et est allée se coucher.
- V.S. et le gendarme Durdle ont discuté de l’incident lié à l’arme à feu le lendemain matin.
- Entre le 23 et le 30 janvier 2018, le gendarme Durdle et le gendarme Wheeler ont discuté de l’incident lié à l’arme à feu.
- Le 30 janvier 2018, V.S. a reçu un message du gendarme Wheeler sur Facebook qui se lisait comme suit :
Hé « Douche » – Paul m’a dit que je t’ai fait peur l’autre soir! Désolée. Mais pour te rassurer, il n’y avait aucun danger – je suppose que je suis un peu plus à l’aise avec mon équipement que je ne le devrais. :). C’est toujours le genre de merde qui m’arrive lors de nuits comme ça, comme tu le sais [émoji].
- Le 14 janvier 2020, une enquête relative au Code de déontologie a été ordonnée relativement à l’incident qui a eu lieu le 23 janvier 2018 à la résidence du gendarme Durdle. Le gendarme Wheeler faisait l’objet de cette enquête.
- Le 4 février 2020, dans le cadre de l’enquête relative au Code de déontologie du gendarme Wheeler, le gendarme Durdle a présenté une déclaration de membre témoin au sergent Baldwin.
- Dans sa déclaration, le gendarme Durdle a signalé qu’il n’avait jamais vu le gendarme Wheeler sortir son pistolet de son étui la nuit de l’incident présumé. Le gendarme Durdle a également déclaré que l’allégation faisant l’objet de l’enquête était fausse et mentionné :
« C’est une fausse allégation »
;« Je suis ici aujourd’hui pour un code de déontologie pour une fausse allégation »
;« Elle me mêle à cette affaire, cette allégation complètement fausse »
;« C’est une allégation complètement fausse, c’est une allégation folle »
et« Encore une fois, juste que c’est une allégation fausse et grotesque [
traduit tel que reproduit dans la version anglaise
] ».
- Le 1er décembre 2023, le gendarme Wheeler a été reconnu coupable d’avoir enfreint les paragraphes 86(1) et 87(1) du Code criminel, RSC, 1985, ch. C-46 [Code criminel], en utilisant une arme à feu de manière négligente en la tenant contre la tête de V.S. et en la pointant vers elle.
ANALYSE
[50] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans McDougall, « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités [...] »[23]
Décision relative à l’allégation 2
[51] Selon l’allégation 2, le gendarme Durdle a omis de signaler les infractions commises par d’autres membres, ce qui est contraire à l’article 8.3 du Code de déontologie.
[52] Pour établir une allégation au titre de cet article, l’autorité disciplinaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités :
- l’identité du membre;
- si le membre avait une connaissance directe de l’inconduite en question ou en avait été informé;
- si membre a omis de la signaler.
[53] Le premier et le troisième éléments de ce critère ne sont pas contestés. L’identité du gendarme Durdle n’est pas en cause dans cette procédure et le gendarme Durdle a admis qu’il n’a pas signalé la contravention au Code de déontologie puisqu’il a affirmé qu’aucune infraction n’avait été commise. Il a admis que si les contraventions présumées se produisaient, il aurait alors le devoir de les signaler.
[54] Par conséquent, le seul élément contesté du critère consiste à déterminer si le gendarme Durdle avait une connaissance directe de l’inconduite du gendarme Wheeler ou s’il en avait été informé; il s’agit de l’élément qui est consigné dans les précisions 3 à 8 et qui inclut la consommation d’alcool du gendarme Wheeler pendant qu’il portait l’uniforme et qu’il était en disponibilité, ainsi que la manipulation de son pistolet de service de manière non sécuritaire.
[55] Dans le cadre de sa réponse aux allégations, de sa déclaration au sergent Baldwin, de son témoignage lors du procès du gendarme Wheeler et de son témoignage devant moi, le gendarme Durdle a maintenu sa position. Il a affirmé qu’il n’a jamais observé le gendarme Wheeler manipuler son pistolet de service d’une manière non sécuritaire, ou de quelque manière que ce soit, car il soutient qu’il n’a pas vu le gendarme Wheeler porter sa ceinture de service la nuit en question.
[56] Le gendarme Durdle affirme également sans équivoque qu’il n’a pas vu le gendarme Wheeler consommer de l’alcool; il l’a plutôt vu boire un verre de Pepsi diète qu’il lui avait lui-même servi au début de la nuit.
[
57
]
Le témoignage de V.S. a également toujours été cohérent : Le gendarme Wheeler a placé son arme à feu contre le côté de son visage et l’a pointée vers elle, et le gendarme Durdle est intervenu en baissant les bras du gendarme Wheeler après avoir dit « mais qu’est-ce que tu fous là? »
[58] V.S. a déclaré que le gendarme Wheeler consommait de l’alcool au cours de la nuit. Cette déclaration est corroborée par les aveux du gendarme Wheeler dans la déclaration écrite qu’il a fournie le 29 mai 2020, dans son témoignage lors de son procès criminel et dans les messages[24] qu’il a échangés avec elle sur Facebook.
[59] Je conclus que le compte rendu de V.S. est plus crédible et plus fiable que celui du gendarme Durdle, car il est compatible avec l’ensemble de la preuve dont je dispose. Je conclus que le gendarme Durdle a vu le gendarme Wheeler consommer de l’alcool et savait qu’il buvait de l’alcool, qu’il a vu le gendarme Wheeler pointer son arme à feu vers V.S. et qu’il est intervenu. Par conséquent, je conclus que les précisions 1 à 8 sont établies selon la prépondérance des probabilités.
[60] Ainsi, puisque l’autorité disciplinaire a démontré que le gendarme Durdle avait une connaissance directe de l’inconduite du gendarme Wheeler, le deuxième élément du critère permettant de conclure à une contravention à l’article 8.3 du Code de déontologie est rempli.
[61] Comme le gendarme Durdle n’a pas signalé les contraventions au Code de déontologie commises par le gendarme Wheeler lorsqu’il avait l’obligation de le faire, il s’ensuit que le troisième élément du critère est également rempli.
[62] Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 est établie.
Décision relative à l’allégation 3
[63] Selon l’allégation 3, le gendarme Durdle a manqué à son devoir de préserver la paix et de prévenir les infractions aux lois du Canada et a mis en danger la sécurité du public, se livrant à une conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie.
[64] Pour établir une allégation au titre de cet article, l’autorité disciplinaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités :
- l’identité du membre;
- les gestes qui constituent le comportement allégué;
- si le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC;
- si le comportement du membre est suffisamment lié à ses devoirs et fonctions pour donner à la GRC un motif légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.
[65] L’identité du gendarme Durdle n’est pas en cause. Je vais donc concentrer mon analyse sur les trois autres éléments du critère.
[66] Pour établir les gestes constituant le comportement allégué, il faut démontrer que les précisions essentielles aux allégations ont effectivement eu lieu. Autrement dit, il n’est pas nécessaire d’établir le bien-fondé de chaque précision; il suffit que celles établies satisfassent le seuil relatif à la conduite déshonorante.
[67] Les précisions 3 à 6 de l’allégation 3 sont les mêmes que pour l’allégation 2. J’ai déjà conclu que ces précisions étaient établies et je ne les réexaminerai pas.
[68] Les autres précisions de l’allégation 3 peuvent être séparées en deux comportements différents pouvant constituer une conduite déshonorante. Le premier comportement, aux précisions 7 et 11, fait référence au fait que le gendarme Durdle a servi de l’alcool au gendarme Wheeler en sachant qu’il était en disponibilité, mettant ainsi en jeu la sécurité du public. Le deuxième comportement aux précisions 9 et 10 concerne l’omission présumée du gendarme Durdle de préserver la paix et de prévenir les infractions. Je vais d’abord examiner cet élément.
Omission de préserver la paix et de prévenir les infractions
[69] Les précisions 10 et 11 résument le deuxième comportement déshonorant présumé au titre de l’article 7.1, alors qu’il est allégué que le gendarme Durdle a manqué à son devoir en tant que policier de préserver la paix et de prévenir les infractions aux lois du Canada, en contravention de l’article 18 de la Loi sur la GRC. Il est allégué que ses gestes ont mis en danger la sécurité du public et étaient déshonorants.
[70] Les précisions 5, 6 et 9 sont liées à ce comportement. Les précisions 5 et 6 ont déjà été établies puisqu’elles concernent l’arme à feu qui avait été pointée, et la précision 9 fournit les renseignements suivants :
9. Même s’il a vu le gendarme Wheeler pointer son pistolet de service vers [V.S.], le [gendarme Durdle] n’a pas pris les mesures appropriées pour préserver les éléments de preuve critiques et a compromis une enquête criminelle.
[71] Dans le cadre de ses observations, le représentant de l’autorité disciplinaire a affirmé que le gendarme Durdle avait le pouvoir de mettre le gendarme Wheeler en état d’arrestation au moment où l’arme à feu était pointée. Par ailleurs, il avait le devoir de signaler l’incident dès que possible, afin que l’arme à feu et la ceinture de service puissent être saisies et que l’affaire puisse faire l’objet d’une enquête en temps opportun. Le représentant de l’autorité disciplinaire soutient qu’en n’agissant pas, le gendarme Durdle a compromis une enquête criminelle et a échoué dans ses fonctions de policier.
[72] Même si je conviens que le gendarme Durdle aurait dû signaler l’incident au moment où il s’est produit, je n’ai pas reçu de preuve claire, solide et convaincante concernant les éléments de preuve critiques qui auraient dû être conservés ni de preuve qu’une enquête criminelle avait été compromise. Au contraire, le gendarme Wheeler a été reconnu coupable de deux infractions au Code criminel le 1er décembre 2023.
[73] Le représentant de l’autorité disciplinaire soutient, en outre, que les gestes du gendarme Durdle ont mis en danger la sécurité du public, car V.S. est un membre du public.
[74] Il a été établi que le gendarme Durdle est intervenu dès qu’il a vu le gendarme Wheeler pointer une arme à feu vers V.S. en disant « mais qu’est-ce que tu fous là? » ou quelque chose à cet effet et en baissant les avant-bras du gendarme Wheeler. V.S. a ensuite quitté la résidence et, à son retour, elle est allée se coucher. L’autorité disciplinaire ne m’a pas fourni de preuve claire, solide et convaincante que la sécurité de V.S. était menacée par les gestes du gendarme Durdle. Par conséquent, les précisions 9 et 10 ne sont pas établies. De plus, je ne peux conclure que la précision 11 est établie dans le contexte de ce comportement présumé. Cependant, je vais analyser la précision 11 de nouveau dans le contexte du premier comportement présumé : servir de l’alcool.
Servir de l’alcool
[75] La précision 8 fournit un contexte supplémentaire et se lit comme suit :
8. le seul membre « en disponibilité » cette nuit-là, et qu’il serait impossible que des membres des détachements voisins répondent aux appels de service, car le traversier reliant l’île au continent ne fonctionne pas la nuit.
[76] La précision 8 est établie à la suite de l’aveu du gendarme Durdle et de ma conclusion des faits.
[77] Lors de son témoignage à l’audience disciplinaire, le gendarme Durdle a reconnu que les membres en disponibilité ne sont pas autorisés à consommer de l’alcool. Il a également déclaré qu’à aucun moment le gendarme Wheeler n’a consommé de l’alcool ni qu’il lui a servi autre chose qu’un verre de Pepsi diète. Le gendarme Durdle est demeuré inébranlable en ce qui a trait aux faits qu’il a présentés dans sa déclaration, à sa réponse aux allégations, à son témoignage lors du procès criminel et à son témoignage de vive voix présenté devant moi.
[78] V.S. a indiqué dans son témoignage que le gendarme Wheeler avait consommé de l’alcool. En fait, après son arrivée, il jouait à « se rattraper » et buvait rapidement pour atteindre un niveau d’ébriété semblable au sien et à celui du gendarme Durdle. Elle a déclaré que le gendarme Durdle était un hôte accueillant et qu’il leur avait préparé et servi des boissons tout au long de la nuit. En contre-interrogatoire, elle a déclaré que le gendarme Durdle était le seul à servir des boissons cette nuit-là et qu’elle n’avait aucun souvenir concernant un Pepsi diète. Ces renseignements correspondent à son témoignage lors du procès criminel et à ses déclarations.
[79] Bien que le gendarme Wheeler n’ait pas été appelé par l’une ou l’autre des parties comme témoin dans le cadre de la présente audience disciplinaire, je dispose de la déclaration écrite qu’il a fournie et de la transcription de son témoignage lors du procès criminel. J’ai déjà conclu que le gendarme Wheeler avait consommé de l’alcool à la résidence du gendarme Durdle lors de la nuit en question. Au cours de son procès criminel, il a témoigné qu’il avait consommé de l’alcool, mais que le gendarme Durdle n’avait pas préparé les boissons. Il se rappelait que le gendarme Durdle lui avait offert un verre de Pepsi et que V.S. lui avait versé une boisson par la suite. Lorsqu’on lui a posé des questions sur sa consommation d’alcool cette nuit-là, il a déclaré qu’il avait consommé environ trois boissons.
[80] J’ai également examiné les messages [25] échangés entre le gendarme Wheeler et V.S. sur Facebook, qui étaient datés du 23 au 30 janvier 2018. Ces messages faisaient allusion au niveau d’ébriété du gendarme Wheeler. Je constate qu’on ne mentionne pas précisément le nom de la personne qui préparait ou servait les boissons. Bien que je dispose d’éléments contradictoires, et malgré la concordance des comptes rendus du gendarme Durdle et du gendarme Wheeler quant à la personne qui mélangeait et servait les boissons cette nuit-là, je conclus que la contradiction entre les témoignages des gendarmes Wheeler et Durdle concernant la consommation d’alcool du gendarme Wheeler a été fabriquée pour éviter de jeter des doutes sur le compte rendu de l’un ou de l’autre. Par conséquent, je préfère le témoignage de V.S. sur ce point, car il semble le plus vraisemblable. Je conclus que le gendarme Durdle a servi de l’alcool au gendarme Wheeler la nuit en question. Par conséquent, je conclus que la précision 7 est établie.
[81] Puisque l’autorité disciplinaire a libéré son fardeau dans le premier et le deuxième éléments du critère en ce qui a trait au point 7, je dois maintenant déterminer si le fait que le gendarme Durdle ait servi de l’alcool au gendarme Wheeler en sachant qu’il était le seul membre sur appel à l’île Bell cette nuit-là est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Pour ce faire, il faut déterminer si une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles de la GRC en particulier, serait d’avis que le comportement est déshonorant.
[82] Le gendarme Wheeler était le membre responsable de répondre aux appels d’urgence éventuels aux premières heures du 23 janvier 2018 à l’île Bell et d’intervenir.
[83] Même si je n’ai pas tiré de conclusion quant au niveau d’ébriété du gendarme Wheeler cette nuit-là, il a admis qu’il avait consommé au moins trois boissons. Je reconnais que la responsabilité ultime d’être apte au travail incombe au gendarme Wheeler. Cependant, le gendarme Durdle a facilité la consommation d’alcool du gendarme Wheeler même s’il savait que les membres des détachements voisins ne pouvaient pas répondre aux appels de service si le gendarme Wheeler avait les facultés affaiblies. Ce faisant, les gestes du gendarme Durdle ont mis en danger la sécurité des membres de la collectivité de l’île Bell. Par conséquent, j’estime qu’une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles de la GRC en particulier, considérerait que la conduite est déshonorante.
[84] Le dernier élément du critère consiste à déterminer si le comportement du membre est suffisamment lié à ses devoirs et fonctions pour que la Gendarmerie ait un motif légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.
[85] Il est bien établi que le Code de déontologie s’applique à la conduite des membres de la GRC, tant en service qu’en dehors des heures de travail, et que les agents de police sont tenus de respecter des normes plus élevées que le reste de la population.
[86] En outre, l’article 3.2 du Manuel de la sécurité au travail de la GRC, chapitre 17, « Consommation de substances » (version du 18 octobre 2018), prévoit que les employés doivent se présenter au travail et demeurer aptes à travailler pendant leur période de disponibilité. Il interdit également aux employés de consommer de l’alcool pendant qu’ils sont en service ou au travail et énonce à l’article 4.1.5 les rôles et responsabilités des autres employés lorsqu’un collègue présente des signes de facultés affaiblies. J’estime que les gestes du gendarme Durdle, qui a servi de l’alcool au gendarme Wheeler tout en sachant qu’il était en disponibilité, sont suffisamment liés à ses fonctions en tant qu’agent de la GRC pour donner à la GRC un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son endroit. Par conséquent, je conclus que la précision 11 est établie dans le contexte du premier comportement énoncé dans cette allégation.
[87] Pour les raisons susmentionnées, l’allégation 3 est établie selon la prépondérance des probabilités.
Décision relative à l’allégation 5
[88] Selon l’allégation 5, le gendarme Durdle a fourni des renseignements faux ou trompeurs au cours d’une enquête, contrevenant ainsi à l’article 8.1 du Code de déontologie.
[89] Pour établir une allégation au titre de cet article, l’autorité disciplinaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités :
- l’identité du membre;
- la déclaration ou le compte rendu des gestes en cause;
- si la déclaration ou le compte rendu fourni était faux, trompeur ou inexact;
- si le membre :
savait que les déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes;
s’est montré négligent, imprudent ou insouciant quant à la validité des déclarations.
[90] Encore une fois, l’identité du gendarme Durdle n’est pas en cause dans cette procédure.
[91] Les précisions 4 et 5 fournissent le contexte et font partie des faits que j’ai établis tels qu’ils ont été admis par le gendarme Durdle. Par conséquent, elles sont établies.
[92] La précision 6 porte sur la déclaration ou le compte rendu des gestes en cause. De plus, le gendarme Durdle a admis cette précision. Par conséquent, elle est établie.
[93] La précision 7 concerne la communication de renseignements faux ou trompeurs dans le cadre d’une enquête interne.
[94] Dans ses observations, le représentant de l’autorité disciplinaire déclare que l’allégation 5 dépend de ma décision sur l’allégation 2 ou 3. Je suis d’accord. Comme j’ai conclu que ces deux allégations étaient établies, je conclus que la déclaration du gendarme Durdle au sergent Baldwin dans le cadre de l’enquête relative au Code de déontologie est fausse et trompeuse. Le gendarme Durdle a présenté une déclaration de témoin, et non une déclaration en tant que personne faisant l’objet d’une enquête relative au Code de déontologie. Bien que je reconnaisse que le gendarme Durdle n’aurait peut-être pas voulu s’incriminer, ce qui est son droit, il avait l’obligation d’être honnête. Par conséquent, je conclus que ses déclarations allaient au-delà du déni d’avoir été au fait des événements en question et qu’elles sont fausses et trompeuses. Ainsi, la précision 7 est établie.
[95] Je conclus que l’allégation 5 a été établie selon la prépondérance des probabilités.
CONCLUSION
[96] Comme j’ai conclu que les allégations 2, 3 et 5 étaient fondées, je serais normalement tenue, au titre du paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC, d’imposer au moins l’une des mesures disciplinaires prévues dans ce paragraphe.
[97] L’étape des mesures disciplinaires devait se tenir en mode virtuel au cours de la semaine du 26 février 2024. Cependant, le 26 février 2024, le représentant de l’autorité disciplinaire m’a remis un formulaire 1733 dûment signé – Demande de renvoi, prenant effet ce même jour. Par conséquent, la procédure disciplinaire a été conclue avant l’imposition de mesures disciplinaires, car j’ai perdu la compétence relativement à l’affaire avant que des mesures ne puissent être imposées.
[98] La présente constitue ma décision écrite, comme l’exige le paragraphe 45(3) de la Loi sur la GRC. L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente au caporal Durdle, conformément à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.
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22 novembre 2024
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Sara Novell
Comité de déontologie
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Date
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[1] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 7 – R. c. Wheeler, 2023 NLSC 152, page 279.
[2] Transcription de l’audience disciplinaire, 19 février 2024, page 36, lignes 10 et 11.
[3] Transcription de l’audience disciplinaire, 19 février 2024, page 60, ligne 22.
[4] Transcription de l’audience disciplinaire, 19 février 2024, page 73, ligne 6.
[5] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 11 – [V.S.] Messages dans les médias sociaux soumis, page 427.
[6] Transcription de l’audience disciplinaire, 20 février 2024, page 218, lignes 23 à 25.
[7] R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, paragraphe 65.
[8] F. H. c. McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], paragraphes 57 et 58.
[9] Faryna c Chorney, [1952] 2 DLR 354 (BC CA), page 357.
[10] McDougall, paragraphe 86.
[11] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RM-01 – 27 photos de [adresse caviardée]-Île Bell, photo 90.
[12] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 16 – déclaration du Gendarme Wheeler du 29 mai 2020, page 480, paragraphe 1; Transcription de l’audience disciplinaire, 19 février 2024, page 61, ligne 22.
[13] Transcription de l’audience disciplinaire, 20 février 2024, page 98, lignes 5 à 17.
[14] Transcription de l’audience disciplinaire, 19 février 2024, page 75, ligne 2.
[15] Transcription de l’audience disciplinaire, 20 février 2024, page 74, lignes 23 à 17.
[16] Éléments de preuve de l'audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 8 – Déclaration du gendarme Durdle, 4 février 2020, page 376, ligne 6.
[17] Éléments de preuve de l'audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 8 – Déclaration du gendarme Durdle, 4 février 2020, page 391, ligne 13.
[18] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 11 – [V.S.] Messages dans les médias sociaux soumis, pages 436 et 441.
[19] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 16 – Déclaration du gendarme Wheeler, 29 mai 2020, page 479, paragraphe 10.
[20] Transcription de l’audience disciplinaire, 21 février 2024, pages 58 et 59, lignes 23 à 11.
[21] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 4 – Sa Majesté le Roi – WHEELER Michael, 29 juin 2023, [V.S.] et Durdle, page 165, page 134 de la transcription, lignes 21 à 24.
[22] Transcription de l’audience disciplinaire, 21 février 2024, page 32, lignes 3 à 8.
[23] McDougall, paragraphe 46.
[24] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 11 – [V.S.] Messages sur les médias sociaux soumis, pages 428-429.
[25] Éléments de preuve de l’audience disciplinaire, RAD-02 – Recueil de documents du RAD, ONGLET 11 – [V.S.] Messages dans les médias sociaux soumis, pages 436 et 441.