Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’avis d’audience disciplinaire original contient quatre allégations formulées contre le gendarme Sean Avery. L’allégation no 1 relève de l’article 5.1 du code de déontologie de la GRC (employer seulement la force raisonnablement nécessaire). Les allégations nos 2, 3 et 4 relèvent de l’article 8.1 du code de déontologie et précisent que le gendarme Avery aurait sciemment fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes à trois reprises. Le 6 octobre 2023, l’autorité disciplinaire a signé un avis d’audience disciplinaire modifié, qui contient des modifications aux trois allégations de contravention à l’article 8.1. Selon celles-ci, le gendarme Avery a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes.
Le comité de déontologie conclut que l’autorité disciplinaire a établi les quatre allégations et il impose une pénalité financière de 12 jours (96 heures), à déduire de la solde du gendarme Avery, et une réduction de la banque de congés annuels de 6 jours (48 heures) à l’égard de l’allégation no 1, ainsi qu’une réprimande à l’égard des trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie.

Contenu de la décision

Protégé A

OGCA 202233812

2024 DAD 11

Ordonnance de non‑publication : Interdiction de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de Mme K.C.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Affaire intéressant une

audience disciplinaire tenue au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

entre

Autorité disciplinaire de niveau III, Division K

 

Autorité disciplinaire

et

Gendarme Sean Avery

Numéro de matricule 49063

Membre visé


 

Décision du comité de déontologie

Kevin L. Harrison

1er novembre 2024

Sabine Georges, représentante de l’autorité disciplinaire

John Benkendorf, représentant du membre visé


TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE 4

INTRODUCTION 5

Interdiction de publication 6

ALLÉGATIONS 7

DÉCISION AU SUJET DES ALLÉGATIONS 11

Conclusions de fait pour les quatre allégations 11

Conclusions relatives à l’allégation no 1 14

a) L’identité du membre visé 14

b) Les actes du membre visé qui constituent le recours à la force 14

c) La force employée n’était pas raisonnablement nécessaire dans les circonstances 15

i. Gestes posés dans le cadre des fonctions légitimes 15

ii. Motifs raisonnables de recourir à la force 16

iii. Emploi de force excessive 18

Conclusions relatives aux allégations nos 2, 3 et 4 19

Conclusions relatives à l’allégation no 2 22

Conclusions relatives à l’allégation no 3 25

Conclusions relatives à l’allégation no 4 26

MESURES DISCIPLINAIRES 27

Analyse 28

Conformité avec l’objet de la partie IV de la Loi sur la GRC 29

a) L’intérêt public 30

b) Les intérêts de la GRC 31

c) L’intérêt du gendarme Avery 32

d) L’intérêt de Mme K.C. en tant que personne concernée 32

Mesures disciplinaires simples et correctives 33

Présomption de la mesure la moins sévère possible 33

Proportionnalité 34

L’intérêt public 34

La gravité de la conduite 35

La reconnaissance de la gravité de l’inconduite 36

L’existence d’un handicap et d’autres circonstances personnelles pertinentes 37

La provocation 37

Les antécédents professionnels 38

La possibilité de réformer ou de réhabiliter le policier 39

La parité des sanctions 40

La dissuasion spécifique et générale 46

La défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel 46

L’atteinte à la réputation de la GRC 47

La mise en balance des facteurs de proportionnalité 47

Des normes plus strictes applicables aux policiers 48

Conclusion concernant les mesures disciplinaires 49

Décision relative aux mesures disciplinaires 50

CONCLUSION 51

 

SOMMAIRE

L’avis d’audience disciplinaire original contient quatre allégations formulées contre le gendarme Sean Avery. L’allégation no 1 relève de l’article 5.1 du code de déontologie de la GRC (employer seulement la force raisonnablement nécessaire). Les allégations nos 2, 3 et 4 relèvent de l’article 8.1 du code de déontologie et précisent que le gendarme Avery aurait sciemment fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes à trois reprises. Le 6 octobre 2023, l’autorité disciplinaire a signé un avis d’audience disciplinaire modifié, qui contient des modifications aux trois allégations de contravention à l’article 8.1. Selon celles-ci, le gendarme Avery a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes.

Le comité de déontologie conclut que l’autorité disciplinaire a établi les quatre allégations et il impose une pénalité financière de 12 jours (96 heures), à déduire de la solde du gendarme Avery, et une réduction de la banque de congés annuels de 6 jours (48 heures) à l’égard de l’allégation no 1, ainsi qu’une réprimande à l’égard des trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie.

INTRODUCTION

[1] Le gendarme Sean Avery fait face à quatre allégations relatives à des manquements aux articles 5.1 et 8.1 du code de déontologie de la GRC.

[2] Le 14 avril 2022, l’autorité disciplinaire a signé un avis à l’officier désigné pour convoquer une audience disciplinaire. Le 26 avril 2022, l’officier désigné m’a nommé pour constituer un comité de déontologie conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [Loi sur la GRC].

[3] Le 11 août 2022, l’autorité disciplinaire a signé un avis d’audience disciplinaire qui contenait quatre allégations. L’allégation no 1 au titre de l’article 5.1 du code de déontologie a trait à un incident survenu au travail le 14 avril 2021, à Fort Saskatchewan, en Alberta. Le gendarme Avery et deux autres membres de la GRC se sont rendus chez Mme K.C. pour l’appréhender en application de la Mental Health Act, RSA 2000, c M-13 [Mental Health Act]. Alors qu’il escortait Mme K.C. de sa résidence, le gendarme Avery a placé sa main derrière la tête de Mme K.C., qui était menottée, et l’a poussée de manière agressive la tête première au sol. Mme K.C. a eu besoin de trois points de suture pour une coupure à la tête qu’elle a subie lorsqu’elle a heurté le sol. L’autorité disciplinaire prétend que le gendarme Avery a employé une force excessive.

[4] Selon les allégations nos 2, 3 et 4 au titre de l’article 8.1 du code de déontologie, le gendarme Avery a sciemment fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes à trois reprises quant à l’emploi de la force contre Mme K.C.

[5] L’audience disciplinaire a commencé le 3 octobre 2023 à Edmonton, en Alberta. Le 4 octobre 2023, je l’ai toutefois ajournée au 14 novembre 2023 sans avoir examiné d’éléments de preuve pour des raisons qui sont survenues avant le début de l’audience disciplinaire.

[6] Le 6 octobre 2023, l’autorité disciplinaire a signé un avis d’audience disciplinaire modifié. L’allégation no 1 n’a pas été modifiée, mais le libellé des allégations nos 2, 3 et 4, toujours au titre de l’article 8.1 du code de déontologie, précise maintenant que le gendarme Avery a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes.

[7] Le 14 novembre 2023, le gendarme Avery a admis les quatre allégations formulées dans l’avis d’audience disciplinaire modifié. En outre, j’ai entendu le témoignage du gendarme Avery et les observations des parties quant aux allégations. Le 15 novembre 2023, j’ai rendu ma décision de vive voix et j’ai conclu que l’ensemble des allégations avaient été établies selon la prépondérance des probabilités.

[8] Le 16 novembre 2023, j’ai entendu les observations des parties à l’égard des mesures disciplinaires. J’ai rendu ma décision de vive voix le lendemain. Pour ce qui est de l’allégation no 1, j’ai imposé une pénalité financière de 12 jours (96 heures), à déduire de la solde du gendarme Avery, ainsi qu’une réduction de la banque de congés annuels de 6 jours (48 heures). J’ai imposé une réprimande à l’égard de chacune des trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie.

Interdiction de publication

[9] Dans la pratique, les comités de déontologie anonymisent leurs décisions écrites lorsqu’ils font référence aux plaignants, aux témoins, à des mineurs ou à toute autre personne qui n’agit pas à titre d’employé de la GRC dans le cours normal de ses fonctions. Néanmoins, l’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la GRC habilite un comité de déontologie, de sa propre initiative ou sur demande de toute personne, à interdire la publication de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’un plaignant, d’un témoin ou d’une personne âgée de moins de 18 ans.

[10] Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé d’interdiction de publication. Mme K.C. n’est pas visée par les trois catégories de personnes à l’égard desquelles une interdiction de publication peut être imposée. Cependant, les renseignements communiqués à son sujet pendant l’audience disciplinaire sont fort personnels. Il n’est pas essentiel de connaître son identité pour comprendre la présente décision.

[11] Le paragraphe 13(4) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], précise qu’un comité de déontologie peut donner toute directive appropriée au sujet de toute question soulevée dans le cadre d’une procédure relative au code de déontologie qui n’est pas prévue par la Loi sur la GRC. Au début de l’audience disciplinaire, j’ai interdit, en vertu de l’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la GRC et du paragraphe 13(4) des CC (déontologie), la publication ou la diffusion, de quelque façon que ce soit, de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de Mme K.C.

ALLÉGATIONS

[12] L’avis d’audience disciplinaire modifié contient les quatre allégations suivantes et les énoncés détaillés correspondants :

Allégation no 1

Le ou vers le 14 avril 2021, à Fort Saskatchewan ou à proximité, en Alberta, le gendarme Sean Avery a, dans le cadre de ses fonctions, effectivement employé plus de force que nécessaire à l’encontre de Mme [K.C.] lorsqu’elle se faisait escorter vers un véhicule de police. On allègue donc que le gendarme Sean Avery a eu recours à une force excessive en contravention de l’article 5.1 du code de déontologie de la GRC.

Énoncé détaillé de la contravention

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), exerçant des fonctions policières générales à la Division K, Détachement de Fort Saskatchewan, en Alberta.

2. Le 14 avril 2021, le Détachement de Fort Saskatchewan a reçu une demande au titre du formulaire 1 du médecin de Mme [K.C.] pour qu’elle soit appréhendée en application de la Mental Health Act. Il ressort aussi de cette demande que Mme [K.C.] avait un couteau en sa possession.

3. La caporale Jolee Marianicz ([la caporale] Marianicz), le gendarme Joel Forhart ([le gendarme] Forhart) et vous-même étiez à la résidence sise au [adresse caviardée], à Fort Saskatchewan, en Alberta, pour appréhender Mme [K.C.].

4. À votre arrivée, [la caporale] Marianicz, [le gendarme] Forhart et vous-même êtes descendus au sous-sol de la résidence pour appréhender Mme [K.C.]. Vous lui avez passé des menottes dans le dos et l’avez accompagnée à l’extérieur de la résidence.

5. Lorsque vous sortiez de la résidence et teniez Mme [K.C.], vous avez perdu l’équilibre et êtes tous deux tombés en bas des marches. Vous avez retrouvé l’équilibre et avez gardé le contrôle de Mme [K.C.]. Vous avez ensuite continué à l’accompagner vers les véhicules de police garés devant la résidence.

6. Lorsque vous marchiez dans l’entrée, Mme [K.C.] vous a bousculé avec sa hanche. Vous l’avez donc agrippée par la tête et avez étiré votre jambe droite devant vous. Vous l’avez ensuite poussée violemment au sol, de sorte qu’elle est tombée tête première sur l’entrée asphaltée.

7. La mise au sol était excessive, déraisonnable, injustifiée et allait à l’encontre de la politique et des normes de formation de la GRC.

8. Par conséquent, Mme [K.C.] a subi une blessure au visage, qui a causé des ecchymoses et des saignements nécessitant des points de suture.

Allégation no 2

Entre le 14 avril 2021 et le 17 avril 2021 à Fort Saskatchewan ou à proximité, en Alberta, le gendarme Sean Avery dans le cadre de ses fonctions n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, ce qui va à l’encontre de l’article 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Les énoncés détaillés nos 1 à 8 sont identiques à ceux de l’allégation no 1.

9. À la suite de l’arrestation de Mme [K.C.], vous avez rédigé un rapport sur le comportement du sujet et l’intervention de l’agent (CSIA) à l’égard du numéro d’incident 2021-[XXXXXX]. L’extrait suivant est tiré de ce rapport :

Alors que le sujet s’approchait d’un véhicule dans l’entrée, il s’est avancé vers le membre, qui était seulement habitué à le sentir s’éloigner la plupart du temps, et le membre s’est heurté au côté du véhicule. Le membre a aussi senti le sujet donner un coup de pied vers lui à ce moment-là. Compte tenu de toutes les préoccupations du membre à ce stade-ci et de l’intensification du comportement du sujet, qui était maintenant agressif, le membre a décidé d’importuner le sujet en le mettant à terre afin de réévaluer son comportement à ce moment-là pour voir s’il devait faire autre chose pour réaliser le transfert dans le véhicule. Le membre a fait un balayage de la jambe vers l’avant, mais le sujet essayait encore de s’éloigner; le membre a perdu sa prise sur les bras du sujet, qui est tombé au sol. Comme le sujet était menotté, il est tombé assez violemment au sol, tête première. Le sujet s’est donc coupé le front.

10. Vous avez été négligent, insouciant ou imprudent lorsque vous avez consigné des renseignements faux et trompeurs dans le rapport sur le CSIA. Plus précisément, vous avez faussement prétendu que :

a. Mme [K.C.] a donné un coup de pied dans votre direction.

b. Mme [K.C.] essayait encore de s’éloigner de vous après que vous lui avez fait un « balayage de la jambe vers l’avant ».

11. Vous avez été négligent, insouciant ou imprudent lorsque vous avez consigné des renseignements faux et trompeurs dans le rapport sur le CSIA parce que vous avez omis un détail important. Plus précisément, vous avez omis de dire que vous avez poussé la tête de Mme [K.C.] vers le bas, ce qui l’a fait tomber.

Allégation no 3

Le ou vers le 14 avril 2021, à Fort Saskatchewan ou à proximité, en Alberta, le gendarme Sean Avery dans le cadre de ses fonctions n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, ce qui va à l’encontre de l’article 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Les énoncés détaillés nos 1 à 8 sont identiques à ceux de l’allégation no 1.

9. À la suite de l’arrestation, [la caporale] Marianicz vous a demandé ce qui s’était passé et si Mme [K.C.] avait fait quelque chose pour que vous la mettiez ainsi au sol. Vous lui avez répondu que vous aviez perdu prise, que Mme [K.C.] avait donné un coup de pied dans votre direction et qu’elle vous avait poussé contre la voiture.

10. Vous avez été négligent, insouciant ou imprudent lorsque vous avez fourni des renseignements faux et trompeurs à un superviseur. Plus précisément, vous avez faussement prétendu que :

a. vous aviez perdu prise.

b. Mme [K.C.] avait donné un coup de pied dans votre direction.

Allégation no 4

Entre le 29 juillet 2021 et le 2 novembre 2021, à Fort Saskatchewan ou à proximité, en Alberta, le gendarme Sean Avery dans le cadre de ses fonctions n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, ce qui va à l’encontre de l’article 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Les énoncés détaillés nos 1 à 8 sont identiques à ceux de l’allégation no 1.

9. Une enquête prévue par la loi a été lancée et une accusation de voies de fait, infraction prévue à l’article 266 du [Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [Code criminel]] a été portée contre vous devant la cour provinciale de Fort Saskatchewan.

10. Le 29 juillet 2021, vous avez acheminé une déclaration écrite par courriel au caporal Frederic [d]e Billy ([le caporal] [d]e Billy) qui contenait notamment les notes suivantes :

Comme nous marchions à côté d’une voiture qui se trouvait dans l’entrée, [Mme K.C.] s’est poussée vers moi et s’est servie de son corps pour me bousculer. Ma hanche et mon ceinturon ont donc buté contre la porte arrière du côté du conducteur. Comme je heurtais l’arrière de la voiture, j’ai senti que [Mme K.C.] essayait de faire quelque chose avec ses pieds; j’ai senti qu’elle essayait de me donner un coup de pied.

[…]

J’avais l’intention de lui faire un balayage de la jambe et de lui tenir les bras pour la mettre au sol. Malheureusement, [Mme K.C.] a continué à se débattre et à s’éloigner de moi lorsque j’ai commencé la manœuvre. J’ai essayé d’aider [Mme K.C.], mais j’ai perdu la maîtrise. Par conséquent, [Mme K.C.] est tombée et s’est cogné la tête et a subi une coupure au front. Je ne pouvais pas bien voir la coupure parce que les cheveux de [Mme K.C.] lui couvraient le front.

[…]

J’ai décidé de mettre [Mme K.C.] au sol après lui avoir donné de nombreuses consignes verbales; elle ne les a pas suivies et elle s’est comportée de façon agressive à deux reprises dans l’entrée. Je croyais qu’il y avait un fort risque qu’elle agresse les policiers ou qu’elle se blesse si elle ne se calmait pas ou si je ne désamorçais pas la situation. Elle s’est calmée presque immédiatement lorsqu’elle a été mise au sol.

11. Vous avez été négligent, insouciant ou imprudent lorsque vous avez fourni des renseignements faux et trompeurs à un enquêteur dans le cadre d’une enquête prévue par la loi. Plus précisément, vous avez faussement prétendu que :

a. vous avez essayé d’aider Mme [K.C.].

b. vous avez perdu la maîtrise de Mme [K.C.].

c. Mme [K.C.] s’est comportée de façon agressive à deux reprises dans l’entrée.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

DÉCISION AU SUJET DES ALLÉGATIONS

[13] Selon le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC, mon rôle en tant que comité de déontologie est de décider si les allégations formulées au titre du code de déontologie ont été établies. Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir les allégations selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire que je dois conclure qu’il est plus probable que le contraire que le gendarme Avery a contrevenu au code de déontologie. L’autorité disciplinaire s’est acquittée de ce fardeau en présentant des éléments de preuve suffisamment clairs et convaincants.

[14] L’autorité disciplinaire n’a pas à prouver chacun des énoncés détaillés dans l’avis de l’audience disciplinaire, car certains ne sont présentés que pour situer les allégations dans leur contexte.

Conclusions de fait pour les quatre allégations

[15] Pendant toute la période pertinente, le gendarme Avery était un membre de la GRC, exerçant des fonctions policières générales à la Division K, Détachement de Fort Saskatchewan, en Alberta.

[16] Le 14 avril 2021, le Détachement de la GRC de Fort Saskatchewan a reçu une demande au titre du formulaire 1 du Dr A.O.[1], le psychiatre traitant de Mme [K.C.] pour qu’elle soit appréhendée en application de la Mental Health Act. Le formulaire 1 s’entend d’une demande présentée par un médecin pour qu’une personne subisse une évaluation psychiatrique afin d’établir si elle doit être admise dans un établissement psychiatrique pour obtenir d’autres soins, volontairement ou non[2].

[17] Le Dr A.O. a avisé la caporale Marianicz que Mme K.C. avait un couteau en sa possession[3]. Mme K.C. était connue des membres du Détachement de Fort Saskatchewan comme une toxicomane dont le comportement pouvait être fort imprévisible lorsqu’elle avait à faire avec des policiers. Elle avait des antécédents de maladie mentale associée à sa consommation de drogues. De plus, elle avait un casier judiciaire pour des actes de violence commis envers des policiers[4]. À la lumière de ces facteurs, la caporale Marianicz, le gendarme Forhart et le gendarme Constable Avery ont été dépêchés sur les lieux.

[18] Les gendarmes Avery et Forhart sont arrivés chez Mme K.C. avant la caporale Marianicz. Les parents de Mme K.C. les ont guidés vers le sous-sol.

[19] Le gendarme Avery a constaté qu’il y avait [TRADUCTION] « un gros couteau » et des gouttelettes de sang « relativement fraîches » sur le plancher à l’extérieur de la chambre à coucher de Mme K.C.[5] Cette dernière se trouvait dans sa chambre et la porte était fermée. Même s’ils ont vu le couteau au sol, les membres craignaient que Mme K.C. puisse encore avoir une arme. Les gendarmes Avery et Forhart sont entrés dans la chambre à coucher sans incident[6].

[20] Lorsqu’elle est arrivée chez Mme K.C., la caporale Marianicz est descendue au sous-sol pour prêter main-forte aux gendarmes Avery et Forhart. Ceux-ci avaient déjà menotté Mme K.C. dans le dos. Bien que Mme K.C. ait proféré des injures aux gendarmes Avery et Forhart, elle avait par ailleurs collaboré pendant le menottage[7]. Le comportement de Mme K.C. a toutefois changé lorsque la caporale Marianicz l’a fouillée avant de l’escorter du sous-sol. Mme K.C. a accusé la caporale Marianicz de l’avoir agressée sexuellement[8].

[21] Le gendarme Avery a pris Mme K.C. en charge pour l’escorter de la résidence. Il a dû la tirer pour la sortir de la chambre à coucher. En outre, elle s’est tellement démenée à l’extérieur de la chambre que le gendarme Avery et elle ont heurté le mur et l’ont endommagé[9].

[22] Comme ils quittaient la résidence, Mme K.C. a mis le pied sur des marches en sortant de la maison. Le gendarme Avery la suivait de près et tenait son bras. Mme K.C. a perdu l’équilibre sans raison apparente. Elle est tombée au pied des marches et a entraîné le constable Avery avec elle. Mme K.C. est tombée au sol, mais le gendarme Avery a pu rester debout et a continué à la maîtriser. Lorsqu’il a retrouvé l’équilibre, le gendarme Avery a aisément relevé Mme K.C. et a continué à l’escorter vers les véhicules de police garés dans la rue devant la résidence de Mme K.C.[10]

[23] La caporale Marianicz et le gendarme Forhart suivaient de près le gendarme Avery et Mme K.C. Le gendarme Forhart s’est arrêté quelques instants pour ramasser quelque chose au sol. La caporale Marianicz l’a dépassé et se trouvait directement derrière le gendarme Avery et Mme K.C. lorsqu’ils sont entrés dans l’entrée à l’avant de la maison. Le gendarme Forhart était derrière elle[11].

[24] Dans l’entrée, Mme K.C. se trouvait à la droite du gendarme Avery. Celui-ci tenait le coude gauche de Mme K.C. de la main droite. Lorsqu’ils marchaient, Mme K.C. a donné un coup de hanche au gendarme Avery, et il a perdu l’équilibre. Il a placé sa main gauche sur l’aile arrière d’un véhicule garé dans l’entrée pour se redresser[12].

[25] Après avoir retrouvé l’équilibre et avoir franchi l’arrière du véhicule garé avec Mme K.C., le gendarme Avery a étiré son pied droit et l’a placé devant Mme K.C. En même temps, il a changé la prise qu’il avait sur le bras de Mme K.C., plaçant sa main gauche sur son bras. Il a ensuite saisi l’arrière de la tête de Mme K.C. avec sa main droite, qui était maintenant libre. Avec ses main et jambe droites, le gendarme Avery l’a fait tomber violemment, la tête vers le sol. Il a utilisé tellement de force qu’il n’a pas pu garder sa prise sur le bras de Mme K.C. Celle-ci est tombée tête première sur l’entrée asphaltée[13].

[26] Mme K.C. a eu des ecchymoses, des saignements et une coupure au visage[14].

[27] Les gendarmes Avery et Forhart ont amené Mme K.C. au Détachement de Fort Saskatchewan, où le personnel des services médicaux d’urgence l’ont examinée. Le gendarme Forhart a suivi leurs conseils et a accompagné Mme K.C. à l’hôpital où elle a reçu des soins médicaux, dont trois points de suture pour fermer la coupure à sa tête[15].

[28] Le gendarme Avery a été accusé d’une infraction de voies de fait prévue à l’article 266 du Code criminel. Il a plaidé coupable à cette accusation. Le 13 décembre 2022, une amende de 1 200 $ ainsi qu’une suramende compensatoire lui ont été imposées[16].

Conclusions relatives à l’allégation no 1

[29] Selon l’allégation no 1, le gendarme Avery a utilisé plus de force que nécessaire en contravention de l’article 5.1 du code de déontologie. Afin de déterminer si une allégation est fondée au titre de cette disposition, l’autorité disciplinaire doit établir chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre visé;

  2. les actes du membre visé qui constituent le recours à la force;

  3. la force employée n’était pas raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

a) L’identité du membre visé

[30] L’identité du gendarme Avery n’est pas remise en cause en l’espèce.

b) Les actes du membre visé qui constituent le recours à la force

[31] Le gendarme Avery a employé de la force pendant l’arrestation de Mme K.C. et la majorité de ses actes qui constituent le recours à la force ne sont pas en litige. L’énoncé détaillé no 6 présente les actes qui, selon l’autorité disciplinaire, constituent le recours à la force. Ces gestes ont été posés immédiatement après le coup de hanche. Le gendarme Avery a alors agrippé la tête de Mme K.C. et l’a mise au sol violemment, de sorte qu’elle est tombée tête première dans l’entrée.

[32] Le gendarme Avery a plaidé coupable à une accusation de voies de fait. Selon l’alinéa 265(1)a) du Code criminel, commet des voies de fait quiconque, d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement. Lorsque le gendarme Avery a saisi Mme K.C. par l’arrière de la tête et lui a ensuite poussé la tête au sol violemment, il a employé la force directement contre elle. Mme K.C. n’a pas consenti aux gestes du gendarme Avery, qui constitueraient un recours à la force. Le gendarme Avery a avoué devant moi dans le cadre de la présente audience disciplinaire qu’il a posé ces gestes.

[33] Je conclus à la lumière de mon examen de la preuve et des aveux que le gendarme Avery a faits dans le cadre des poursuites criminelles et devant moi que l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités le deuxième volet du critère au titre de l’article 5.1 du code de déontologie.

c) La force employée n’était pas raisonnablement nécessaire dans les circonstances

[34] Les trois conditions suivantes doivent être remplies pour que le recours à la force soit considéré comme raisonnablement nécessaire :

  1. le membre visé n’agissait pas dans le cadre de ses fonctions légitimes;

  2. le membre visé n’avait pas de motifs raisonnables de recourir à la force;

  3. la force employée était excessive[17].

i. Gestes posés dans le cadre des fonctions légitimes

[35] Je conclus que la première condition est remplie. Le gendarme Avery agissait dans le cadre de ses fonctions. Le gendarme Avery et les autres agents sur place appréhendaient légitimement Mme K.C. en application de la Mental Health Act après avoir reçu une demande au titre du formulaire 1 de son médecin.

ii. Motifs raisonnables de recourir à la force

[36] Il faut se poser la question suivante à l’égard de la deuxième condition : est-ce que la conviction du membre qu’il était nécessaire d’appliquer une certaine force était objectivement raisonnable[18]? La croyance subjective du membre quant à l’utilisation de la force et à la quantité de force requise doit être objectivement raisonnable à la lumière de l’ensemble des circonstances qui existaient au moment où la force a été employée.

[37] Le gendarme Avery a donné plusieurs raisons pour expliquer pourquoi il croyait qu’il était nécessaire d’appliquer la force en cause contre Mme K.C.

[38] Dans son rapport sur le CSIA, le gendarme Avery a indiqué qu’il avait employé la force contestée contre Mme K.C. parce qu’elle avait [TRADUCTION] « un comportement agressif ». Il a décidé de « [l’]importuner […] en [la] mettant à terre afin de réévaluer son comportement à ce moment-là pour voir s’il devait faire autre chose pour réaliser le transfert dans le véhicule de police »[19].

[39] Dans la déclaration qu’il a faite à la caporale Marianicz, le gendarme Avery a tout simplement dit qu’il avait perdu prise et que Mme K.C. avait donné un coup de pied dans sa direction et l’avait poussé contre une voiture[20].

[40] Dans la déclaration qu’il a remise au caporal de Billy, le gendarme Avery avait indiqué qu’il avait décidé de mettre Mme K.C. au sol après lui avoir donné de nombreuses consignes verbales qu’elle avait ignorées et parce qu’elle s’était comportée de façon agressive à deux reprises dans l’entrée. Qui plus est, il croyait qu’il y avait un fort risque qu’elle agresse les policiers ou qu’elle se blesse si elle ne se calmait pas ou s’il ne désamorçait pas la situation[21].

[41] Les éléments de preuve faisant état des ordres verbaux que le gendarme Avery a donnés à Mme K.C. avant de la mettre au sol sont limités. Le rapport sur le CSIA du gendarme Avery précise tout simplement qu’elle [TRADUCTION] « s’est fait dire d’arrêter ce qu’elle faisait et d’écouter les ordres »[22]. Ni la caporale Marianicz ni le gendarme Forhart n’ont fait état d’ordres verbaux dans leur déclaration.

[42] Dans sa déclaration, Mme M.A.K., la mère de Mme K.C., a dit que sa fille se débattait comme [TRADUCTION] « un petit chat sauvage » lorsqu’elle et les membres étaient encore dans la maison[23]. Elle n’a toutefois pas résisté démesurément après sa chute dans les marches.

[43] Pendant l’audience disciplinaire, le gendarme Avery a déclaré qu’il avait gardé un bon contrôle de Mme K.C. malgré sa résistance.

[44] Tant la caporale Marianicz[24] que le gendarme Forhart[25] ont affirmé dans leur déclaration qu’ils n’avaient pas remarqué de comportements agressifs de la part de Mme K.C. Le gendarme Avery n’a pas contesté ces déclarations dans sa réponse aux allégations ou pendant l’audience disciplinaire.

[45] Il appert de la vidéo provenant de la caméra située à la porte avant de la résidence de Mme K.C. que cette dernière s’éloignait du gendarme Avery parce qu’il l’avait relevée après sa chute dans les marches. Le gendarme Avery a été légèrement déséquilibré après le coup de hanche parce que le geste de Mme K.C. l’a pris par surprise. Le coup de hanche n’était pas particulièrement violent. Le mouvement subit de Mme K.C. vers le gendarme Avery a diminué la résistance ressentie lorsqu’elle s’éloignait[26]. Bien que le gendarme Avery ait affirmé avoir senti ce qu’il croyait être un coup de pied, rien dans la vidéo du Système vidéo numérique à l’intérieur du véhicule (SVNIV) n’indique que Mme K.C. lui a donné un coup de pied. Immédiatement après avoir donné le coup de hanche, Mme K.C. a fait quelques pas en direction du véhicule de police garé au bout de l’entrée. Le gendarme Avery n’avait pas encore tout à fait retrouvé son équilibre[27]. Même si les pieds de Mme K.C. ne touchaient pas le sol lorsqu’elle marchait vers l’avant après avoir donné son coup de hanche, le gendarme Avery n’avait aucun motif raisonnable de croire que Mme K.C. tentait de lui donner un coup de pied.

[46] À la lumière de ce qui précède, je conclus que la croyance du gendarme Avery selon laquelle il était nécessaire d’appliquer la force dont il est question à l’énoncé détaillé no 6 contre Mme K.C. n’était pas objectivement raisonnable. Par conséquent, je conclus que le gendarme Avery n’avait pas de motifs raisonnables de recourir à la force qu’il a employée dans les circonstances.

iii. Emploi de force excessive

[47] Pour ce qui est de la troisième condition, la question à trancher est celle de savoir si la force employée par le gendarme Avery était excessive. Cet élément s’articule autour du degré de force employé[28]. Je conclus pour les motifs suivants que la force employée par le gendarme Avery était excessive :

  1. Comme Mme K.C. était convenablement menottée avec les mains dans le dos, sa capacité de se blesser ou de blesser les agents sur place était limitée.

  2. Le gendarme Avery avait gardé le contrôle de Mme K.C., notamment pendant sa chute dans les marches, jusqu’à ce qu’il perde sa prise sur le bras de Mme K.C. lorsqu’il l’a poussée violemment.

  3. Il y avait une bonne différence de taille entre le gendarme Avery et Mme K.C. La capacité du gendarme Avery de contrôler Mme K.C. grâce à cette différence de taille ressort clairement de la facilité avec laquelle il l’a relevée après leur chute dans les marches.

  4. Pour ce qui est de la résistance physique, Mme K.C. a simplement essayé de s’éloigner, parfois de façon agressive. Je caractérise ses gestes comme se situant à l’extrémité inférieure de la catégorie « résistant actif » du comportement du sujet catégorisé dans le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents[29]. Selon ce modèle, l’intervention qui convient dans le cas d’une résistance active de faible niveau est un contrôle physique modéré; le contrôle physique intense et l’utilisation d’options d’intervention intermédiaires étant réservées pour les niveaux élevés de « résistance active ».

  5. Le gendarme Avery et Mme K.C. se trouvaient près des véhicules de police. Le gendarme Avery avait aisément accès à deux membres pour l’aider à installer Mme K.C. dans le véhicule de police. Les membres qui se trouvaient à la résidence de Mme K.C. avaient connaissance, avant même de quitter le bureau pour se rendre sur les lieux, des interactions antérieures de Mme K.C. avec la police, notamment qu’elle avait craché sur d’autres membres ou les avait agressés. Le 14 avril 2021, rien n’indiquait que Mme K.C. avait l’intention d’agir ainsi. Si elle avait résisté au gendarme Avery lorsqu’il la plaçait à l’arrière du véhicule de police, les trois membres sur place auraient pu faire face à la situation. Bref, rien ne démontre que le gendarme Avery avait demandé l’aide des autres membres, ou avait besoin de leur aide, avant de mettre Mme K.C.au sol.

[48] Comme j’ai conclu que le gendarme Avery a employé une force excessive, je conclus aussi que l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités le troisième volet du critère au titre de l’article 5.1 du code de déontologie.

[49] En conclusion, l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités les trois volets du critère au titre de l’article 5.1 du code de déontologie. Par conséquent, je conclus que l’autorité disciplinaire a établi l’allégation no 1.

Conclusions relatives aux allégations nos 2, 3 et 4

[50] Les allégations nos 2, 3 et 4 relèvent de l’article 8.1 du code de déontologie qui traite de façon générale des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes. Il existe trois catégories pour classifier les cas où des agents ont présenté des renseignements erronés dans les rapports de police faisant état de leurs actions et responsabilités, à savoir :

[25] […]

a. le cas où le policier savait que ses déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes;

b. le cas où le policier a été négligent, insouciant ou imprudent quant à la validité de ses déclarations;

c. le cas où le policier a fait des déclarations sincères mais erronées qui se sont par la suite avérées être inexactes, fausses ou trompeuses[30].

[51] Les deux premières catégories sont susceptibles d’engager une responsabilité tandis que la troisième ne l’est pas.

[52] Selon l’avis d’audience disciplinaire original, le gendarme Avery a sciemment fourni des renseignements faux et trompeurs. Il s’agit de la première catégorie qui est susceptible d’engager une responsabilité. Toutefois, l’avis d’audience disciplinaire modifié précise plutôt que le gendarme Avery a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fourni des renseignements faux et trompeurs. Il s’agit de la deuxième catégorie qui est susceptible d’engager une responsabilité.

[53] Afin de déterminer si une allégation est fondée au titre de l’article 8.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit établir chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre visé;
  2. la déclaration ou le compte rendu des actions dans un dossier en question;
  3. la déclaration ou le compte rendu était inexact; et
  4. le membre
  1. savait que la déclaration ou le compte rendu était inexact;

  2. a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fait la déclaration ou fourni le compte rendu.

[54] L’identité du gendarme Avery n’est pas remise en cause en l’espèce.

[55] Le gendarme Avery a fourni les déclarations dans le cadre de deux dossiers : l’arrestation de Mme K.C. à la suite de la diffusion d’un formulaire 1 (allégations nos 2 et 3) et l’enquête prévue par la loi à l’égard de son comportement pendant l’arrestation (allégation no 4).

[56] Le gendarme Avery a reconnu que les déclarations dont il est question dans chacune des trois allégations sont inexactes. Après avoir examiné la preuve, je conviens que les déclarations énoncées dans les allégations nos 2, 3 et 4 sont inexactes.

[57] Par conséquent, l’autorité disciplinaire a établi les trois premiers volets du critère au titre de l’article 8.1 du code de déontologie. L’autorité disciplinaire ne prétend pas que le gendarme Avery a sciemment fait les déclarations inexactes. La question que je dois donc expressément aborder pour en arriver à une conclusion relative aux allégations nos 2, 3 et 4 est celle de savoir si le gendarme Avery a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fait les déclarations inexactes.

[58] L’insouciance est plus que la simple négligence. Il s’agit d’un écart marqué par rapport à ce que ferait une personne raisonnable. L’insouciance se distingue de la négligence puisque l’insouciance comporte un élément de connaissance ou d’intention. L’insouciance est considérée comme exigeant un effort conscient pour être indifférent aux conséquences de ses gestes, même si ces conséquences ne sont pas voulues[31].

[59] De façon générale, la négligence s’entend de l’omission d’exercer la norme de diligence qu’une personne raisonnable et prudente aurait exercée dans une situation semblable[32]. Dans la décision Edmonton (City) and ATU Local 569[33], l’arbitre a admis que la négligence englobe un éventail qui va de l’imprudence à la simple inadvertance. J’abonde dans le même sens. Les termes « négligence » et « imprudence » sont donc synonymes. Qui plus est, l’imprudence sous-tend souvent une négligence non intentionnelle.

Conclusions relatives à l’allégation no 2

[60] Selon l’énoncé détaillé no 9 de l’avis d’audience disciplinaire modifié, le gendarme Avery a rempli un rapport sur le CSIA après l’arrestation de Mme K.C. Les déclarations qui, selon l’autorité disciplinaire, constituent des déclarations fausses ou inexactes dans le rapport sur le CSIA se trouvent aux énoncés détaillés nos 10 et 11; des renseignements ont aussi été omis de ces énoncés :

  1. Mme K.C. a donné un coup de pied en direction du gendarme Avery;

  2. Mme K.C. essayait encore de s’éloigner après que le gendarme Avery lui a fait un [TRADUCTION] « balayage de la jambe vers l’avant »;

  3. le gendarme Avery a omis d’indiquer qu’il a poussé Mme K.C. tête première, de sorte qu’elle est tombée au sol.

[61] Dans sa réponse modifiée aux allégations, le gendarme Avery a admis qu’il n’avait pas parlé de l’incident survenu le 14 avril 2021 avec la caporale Marianicz ou le gendarme Forhart avant de remplir le rapport sur le CSIA et qu’il n’avait pas visionné la vidéo du SVNIV concernant cet incident, mais il a précisé qu’il ignorait que ses déclarations étaient inexactes et qu’il n’avait pas remarqué l’omission lorsqu’il a rédigé son rapport. De même, le gendarme Avery a reconnu avoir rempli le rapport sur le CSIA le jour après l’incident. En outre, il a admis que s’il avait parlé à la caporale Marianicz et au gendarme Constable Forhart et rempli son rapport sur le CSIA immédiatement après l’incident, il aurait pu avoir un meilleur souvenir des événements.

[62] L’alinéa 3.1.5. du chapitre 17.8 (Rapports sur le [CSIA]) du Manuel des opérations (version du 1er avril 2021 partout) est ainsi libellé : « Le membre termine le rapport CSIA et le joint au dossier versé dans le système de gestion des dossiers (SGD) ou au dossier opérationnel dans les 48 heures suivant l’incident. » Selon le témoignage du gendarme Avery, il avait connaissance de cette politique et il croyait qu’il s’y était conformé. Je conclus que le gendarme Avery s’est conformé à la politique. Il a parafé le rapport sur le CSIA avant la fin de son quart de travail. Il a terminé le rapport et l’a joint au dossier opérationnel le lendemain, pendant son quart de travail. Il s’est conformé à la politique de la GRC et il n’a donc pas été négligent, insouciant ou imprudent à cet égard.

[63] Les commentaires au titre du chapitre 17.8.2.1 du Manuel des opérations revêtent aussi une grande importance. L’objet du rapport sur le CSIA constitue une méthode « d’explication des moyens d’intervention que les policiers ont choisi d’employer pour gérer un incident ». En outre, le libellé suivant est tiré d’une note explicative qui a trait au chapitre 17.8.2.1. :

NOTA : Il importe de se rappeler que l’explication se fonde sur les perceptions subjectives du policier au moment des événements et sur le sens que ce dernier leur a attribué. Les rapports CSIA renforcent l’obligation redditionnelle des policiers et favorisent la prestation de formations connexes.

[64] Les perceptions de l’agent et l’appréciation des facteurs situationnels mettent l’accent sur ce que l’agent avait en tête au moment de l’incident. Comme l’a signalé le représentant du membre visé, la situation peut évoluer très rapidement pendant un incident. L’arrestation d’une personne récalcitrante peut comporter des risques considérables et générer un stress, surtout lorsque la personne est réputée pour ses antécédents de violence envers la police. La perception qu’a un agent de la situation et son appréciation de facteurs situationnels ne sont pas infaillibles. Il faut faire attention lorsqu’on apprécie l’exactitude d’une déclaration qu’un agent fait dans un rapport sur le CSIA. Il faut tenir compte tant de l’ensemble de la situation que des déclarations faites par l’agent dans son rapport. Les déclarations faites dans un rapport sur le CSIA ne peuvent pas être prises isolément. Le gendarme Avery a consigné sa perception des événements et a fourni son appréciation situationnelle. Il a consigné ce qu’il croyait à ce moment-là.

[65] Les évaluations de rendement du gendarme Avery m’ont été fournies en vue de l’étape des mesures disciplinaires de la présente audience et je me pencherai davantage sur celles-ci dans le cadre de mon analyse des mesures disciplinaires. Je constate dans le cadre de mon analyse de l’allégation no 2 que la rédaction de rapports et le souci du détail dans ses rapports étaient des points à améliorer depuis plusieurs années. Il a admis qu’il aurait pu faire plus attention lorsqu’il a préparé le rapport sur le CSIA. C’est aussi mon avis.

[66] L’autorité disciplinaire a affirmé que le gendarme Avery a été négligent lorsqu’il a rempli le rapport sur le CSIA. Cette affirmation repose sur le fait que le gendarme Avery n’avait pas communiqué avec les autres agents sur place et qu’il n’avait pas visionné la vidéo du SVNIV pour confirmer l’exactitude de ses déclarations. À cet égard, j’estime qu’il n’est pas inapproprié pour un membre de confirmer des faits mineurs (notamment l’heure d’arrivée sur les lieux) auprès d’autres membres. Je souscris toutefois à l’affirmation du gendarme Avery selon laquelle des échanges plus approfondis pourraient influer sur la crédibilité d’un membre si l’affaire était portée devant les tribunaux. Je conclus donc que le gendarme Avery n’a pas été négligent ou insouciant parce qu’il n’a pas parlé aux autres membres ou n’a pas visionné la vidéo du SVNIV pour prendre des notes ou remplir son rapport sur le CSIA.

[67] Enfin, la caporale Marianicz a passé en revue le rapport sur le CSIA du gendarme Avery et l’a approuvé tel quel. Elle était sur les lieux et avait connaissance des événements. Si elle avait cru que le rapport sur le CSIA était inexact, elle aurait pu le remettre au gendarme Avery pour qu’il le rectifie. Rien ne démontre qu’elle lui a demandé de rectifier son rapport.

[68] Je conclus que le gendarme Avery s’est conformé à la politique de la Gendarmerie lorsqu’il a rempli son rapport sur le CSIA. Même si des points précis du rapport étaient inexacts, le gendarme Avery a consigné sa perception des événements et son appréciation de la situation. De plus, il ne s’agit pas d’insouciance; il a tout simplement été imprudent lorsqu’il a rempli le rapport.

[69] À la lumière de ce qui précède, l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités les quatre volets du critère au titre de l’article 8.1 du code de déontologie. L’allégation no2 est donc fondée.

Conclusions relatives à l’allégation no 3

[70] Selon l’énoncé détaillé no 9 de l’avis d’audience disciplinaire modifié, après l’arrestation de Mme K.C. la caporale Marianicz a demandé au gendarme Avery ce qui s’était passé et si Mme K.C. avait fait quelque chose pour qu’il la [TRADUCTION] « mette au sol » comme il l’a fait. Le gendarme Avery lui a répondu qu’il avait perdu prise et que Mme K.C. lui avait donné un coup de pied et l’avait poussé contre une voiture.

[71] D’après l’énoncé no 10, les déclarations du gendarme Avery selon lesquelles il a perdu prise et selon lesquelles Mme K.C. lui a donné un coup de pied étaient fausses ou trompeuses et il a été négligent, insouciant ou imprudent lorsqu’il a fait les déclarations à la caporale Marianicz.

[72] Le gendarme Avery a admis que les déclarations étaient inexactes, mais il a précisé qu’il n’avait pas sciemment fourni une fausse déclaration à la caporale Marianicz. En outre, il a reconnu que, s’il avait pris le temps de faire le bilan avec ses collègues et/ou de visionner la vidéo du SVNIV avant de parler à sa superviseure, ses déclarations auraient été exactes. J’ai déjà conclu que son explication sur ce sujet était légitime dans les circonstances.

[73] La caporale Marianicz devait comparaître, mais comme le gendarme Avery a admis les allégations, son témoignage n’était plus nécessaire. Je tiens à préciser qu’elle n’a pas eu l’occasion de s’expliquer.

[74] La caporale Marianicz se trouvait immédiatement derrière le gendarme Avery et Mme K.C. lors de l’incident. Elle était là pour apporter un renfort. Elle aurait dû prêter attention à ce qui se passait devant elle. Dans les circonstances, elle aurait dû voir le déroulement des événements et n’aurait pas dû être obligée de poser des questions au gendarme Avery à cet égard.

[75] Le gendarme Avery a déclaré que la caporale Marianicz lui a posé la question lorsqu’il se trouvait à son bureau environ une heure après l’incident. Il ne s’agissait pas d’une entrevue officielle. La caporale Marianicz lui a tout simplement posé la question pour qu’elle puisse remplir son rapport de situation. Si elle avait eu des doutes quant aux événements que le gendarme Avery lui avait relatés, elle aurait dû lui en parler à ce moment-là. Comme elle était sa superviseure immédiate, il lui incombait de s’assurer que son rapport de situation était exact.

[76] À l’instar des déclarations qu’il a faites dans son rapport sur le CSIA, les déclarations que le gendarme Avery a faites à la caporale Marianicz étaient fonction de sa perception des événements qui se sont produits dans une situation stressante qui évoluait. Il croyait que les faits qu’il avait relatés à la caporale Marianicz étaient véridiques.

[77] Je conclus que le gendarme Avery n’a pas été insouciant. Cependant, il aurait dû faire preuve de plus de prudence lorsqu’il a répondu à la question de la caporale Marianicz. À la lumière de cette conclusion, l’autorité disciplinaire a établi le quatrième volet du critère au titre de l’article 8.1 du code de déontologie.

[78] Par conséquent, l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités les quatre volets du critère au titre de l’article 8.1 du code de déontologie. Je conclus donc que l’allégation no 3 est fondée.

Conclusions relatives à l’allégation no 4

[79] Selon l’énoncé détaillé no 10 de l’avis d’audience disciplinaire modifié, le 29 juillet 2021 le gendarme Avery a remis une déclaration écrite au caporal de Billy, l’enquêteur affecté à l’enquête prévue par la loi.

[80] D’après l’énoncé détaillé no 11 de l’avis d’audience disciplinaire modifié, le gendarme Avery a fourni des renseignements faux et trompeurs au caporal de Billy dans le cadre d’une enquête prévue par la loi. Le gendarme Avery a expressément relaté les faits suivants :

  1. il a tenté d’aider Mme K.C.;
  2. il a perdu contrôle de Mme K.C.;
  3. Mme K.C. s’est comportée de façon agressive à deux reprises dans l’entrée.

[81] Dans sa réponse aux allégations, le gendarme Avery a précisé que, pour autant qu’il s’en souvienne, la déclaration qu’il a faite au caporal de Billy était véridique. Il a admis qu’il aurait pu fournir des renseignements plus précis au caporal de Billy s’il avait fait un bilan de l’incident avec ses deux collègues qui étaient sur les lieux ou s’il avait visionné la vidéo du SVNIV. Ce n’est pas ce qu’il a fait.

[82] Je constate que le gendarme Avery a préparé la déclaration remise au caporal de Billy avec l’aide d’un conseiller juridique.

[83] Je reconnais que le gendarme Avery croyait que les événements relatés dans sa déclaration faite au caporal de Billy étaient véridiques et fonction de sa perception des événements. Il aurait dû avoir connaissance de l’importance de cette déclaration et savoir que d’autres éléments de preuve pouvaient le contredire. Quoi qu’il en soit, ce qu’il a écrit était inexact. J’estime qu’il n’a pas été insouciant, mais il aurait pu avoir accordé plus d’attention au contenu de la déclaration.

[84] J’ai déclaré dans d’autres affaires que si une autorité disciplinaire entend alléguer qu’un renseignement inexact dans une déclaration fournie dans le cadre d’une enquête menée au titre du code de déontologie constitue une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, le membre devrait avoir l’occasion de s’expliquer. Le caporal de Billy a rencontré le gendarme Avery après avoir reçu sa déclaration, mais le caporal de Billy ne lui a pas signalé de préoccupations quant à des inexactitudes. S’il l’avait fait, cette allégation ne m’aurait vraisemblablement pas été soumise.

[85] L’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités le quatrième volet du critère au titre de l’article 8.1 du code de déontologie.

[86] Par conséquent, l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités les quatre volets du critère au titre de l’article 8.1 du code de déontologie. Par conséquent, je conclus que l’allégation no 4 est fondée.

MESURES DISCIPLINAIRES

[87] Comme j’ai conclu que les quatre allégations sont établies conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC, je n’ai d’autre choix que d’imposer au moins une mesure disciplinaire parmi les différentes mesures disciplinaires possibles, à savoir un congédiement, un ordre donné au membre de démissionner et « une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles ». Ces mesures disciplinaires se trouvent aux articles 3, 4 et 5 des CC (déontologie).

[88] L’autorité disciplinaire m’a demandé d’ordonner au gendarme Avery de démissionner de la Gendarmerie comme mesure globale. Le gendarme Avery, lui, m’a demandé de lui imposer une pénalité financière. En ce qui concerne l’allégation no 1, il n’a pas précisé de montant, mais il a donné à entendre que la confiscation d’une journée de solde pour chacune des trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie est appropriée à la lumière de mes conclusions relatives aux allégations.

[89] Mon rôle est de trouver les mesures disciplinaires appropriées dans les circonstances de l’espèce. Pour ce faire, je dois tenir compte des documents dont je suis saisi, des témoignages que j’ai entendus pendant l’audience disciplinaire ainsi que des observations soumises par les parties aux étapes des allégations et des mesures disciplinaires de la présente instance.

Analyse

[90] Le processus actuel qui est employé par les comités de déontologie pour déterminer les mesures disciplinaires appropriées comporte, à la base, cinq principes généraux clairement exposés dans deux rapports distincts préparés pour la GRC[34].

[91] Les cinq principes fondamentaux sont ainsi résumés au paragraphe 8.2 du Rapport final de Phase 1 :

8.2 […]

1. Une mesure disciplinaire doit pleinement obéir aux objectifs suivants du processus d’examen des plaintes et des sanctions disciplinaires contre la police :

i. l’intérêt du public : il est nécessaire que la [GRC] observe des normes de conduite élevées, et que la confiance du public à l’endroit de la [GRC] soit maintenue;

ii. les intérêts de [la GRC] sont liés au double rôle qu’[elle] exerce en sa qualité d’employeur responsable du maintien de l’intégrité et de la discipline en milieu de travail policier, et en sa qualité « d’organisme public responsable de la sécurité du public »;

iii. le [membre visé] a le droit d’être traité de manière équitable;

iv. lorsque d’autres personnes sont touchées, les intérêts de ces personnes (par exemple, les plaignants qui sont membres du public ou les autres employés de la GRC) - sont pris en compte.

2. Les mesures correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu.

3. Il existe une présomption voulant que la mesure la moins sévère possible soit retenue, mais cette présomption est réfutée dans les cas où l’intérêt du public ou d’autres facteurs précis doivent prévaloir.

4. La proportionnalité.

5. Une norme plus rigoureuse s’applique à la conduite des policiers, comparativement aux autres employés, essentiellement parce qu’ils sont en position de confiance.

[92] J’appliquerai ces principes aux circonstances de l’espèce et aux observations des parties.

Conformité avec l’objet de la partie IV de la Loi sur la GRC

[93] La partie IV de la Loi sur la GRC traite du processus de plainte et de discipline de la GRC. L’article 36.2 de la Loi sur la GRC énonce l’objet de la partie IV qui, de façon générale, vise à aborder quatre intérêts précis :

  1. l’intérêt public;
  2. les intérêts de la GRC, tant en sa qualité d’employeur que d’institution publique;
  3. le droit des membres d’être traités de manière équitable;
  4. les intérêts de personnes touchées.

[94] Mon rôle consiste à mettre en balance ces intérêts opposés pour en arriver à des mesures disciplinaires appropriées en tenant compte des quatre principes fondamentaux.

a) L’intérêt public

[95] Les alinéas 36.2b) et c) de la Loi sur la GRC énoncent les objets de la partie IV qui ont trait à l’intérêt public :

[…]

b) de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres [de la GRC] sont censés observer;

c) de favoriser la responsabilité et la responsabilisation des membres pour ce qui est de promouvoir et de maintenir la bonne conduite au sein de la Gendarmerie;

[…]

[96] Le nom de George Floyd a été prononcé à plusieurs reprises pendant la présente instance. Le 25 mai 2020, l’agent Derek Chauvin a tué M. Floyd à Minneapolis, au Minnesota, alors qu’il en avait la garde. Une peine d’emprisonnement de 22,5 ans a été infligée à l’agent Chauvin. Cet incident a déclenché des manifestations à l’échelle mondiale contre la brutalité policière, le racisme et le manque de responsabilisation de la police. Le décès tragique de M. Floyd n’a pas changé les règles applicables aux forces policières canadiennes quant à l’emploi de la force, et il ne devrait pas les changer. L’application de l’article 25 du Code criminel quant à l’emploi de la force par la police demeure inchangée. Toutefois, l’intérêt public par rapport aux policiers qui emploient la force a donné lieu à une responsabilisation accrue des policiers qui ont recours à la force excessive.

[97] La Cour provinciale de la Colombie-Britannique a judicieusement abordé l’importance du bon emploi par la police de la force du point de vue de l’intérêt public dans une affaire où un agent de la GRC avait été accusé d’avoir agressé un suspect pendant une arrestation. Il importe de signaler que le membre a été acquitté dans cette affaire. La Cour s’est ainsi exprimée :

[TRADUCTION]

[3] La police joue un rôle essentiel dans notre société. Nous comptons sur elle pour nous protéger. Pour ce faire, une autorité et des pouvoirs spéciaux lui sont conférés. Lorsque des policiers dépassent la portée de leur autorité et de leurs pouvoirs, la confiance de la population envers la police et le système judiciaire s’érode. Cette perte de confiance peut miner la sécurité de tous, y compris celle des policiers. Nous avons été témoins de tragédies où il y a eu abus de pouvoir de la part de la police ou, inversement, où des policiers ont été pris pour cible en raison de leur uniforme. L’emploi légitime de la force par la police constitue un outil important pour le maintien d’une société juste, pacifique et sécuritaire. Le recours illégitime à la force menace cette société. Il est donc essentiel d’apprécier la preuve correctement en l’espèce et d’appliquer la loi de façon juste, transparente et, en fin de compte, correcte[35].

[98] Du point de vue de la GRC, l’intérêt public exige que les affaires concernant le recours à la force excessive par un policier soient traitées de manière uniforme, transparente et, surtout, sérieuse par la GRC dans le cadre de son processus disciplinaire.

[99] Le public a aussi un intérêt à dissuader les policiers à avoir recours à la force excessive parce qu’il y a habituellement des coûts associés pour le trésor public. En effet, la ville de Minneapolis a versé 27 millions de dollars pour régler une action pour homicide délictuel dans l’affaire de M. Floyd. On m’a dit que Mme K.C. a introduit une action au civil contre la GRC et le gendarme Avery à l’égard de la présente affaire.

b) Les intérêts de la GRC

[100] La GRC a un double intérêt à prendre des mesures relatives au comportement de ses membres. En tant qu’employeur, il lui incombe de maintenir l’intégrité et la discipline en milieu de travail. Le maintien du régime disciplinaire de la GRC est essentiel pour préserver la confiance du public envers la Gendarmerie, ce qui est indispensable à son bon fonctionnement et, à mon avis, à son existence même, telle que nous la connaissons aujourd’hui. L’objectif premier de la GRC, en sa qualité d’organisme public, est la sécurité du public. La demande du public pour une transparence accrue à l’égard des services de police et une meilleure responsabilisation des gestionnaires qui s’occupent d’affaires où il y a eu recours à la force excessive a considérablement évolué.

[101] La GRC doit s’assurer que son processus disciplinaire favorise une culture où ses membres ne craignent pas d’exercer l’autorité qui leur a été confiée d’avoir recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions de manière décisive, mais légitime et que, s’ils n’exercent pas cette autorité légitimement, leur inconduite sera traitée de manière uniforme, juste et ferme.

c) L’intérêt du gendarme Avery

[102] L’intérêt du gendarme Avery est essentiellement d’être traité de manière équitable. Le gendarme Avery a bénéficié de toutes les possibilités d’équité procédurale prévues dans le processus disciplinaire de la GRC jusqu’à maintenant. Comme il a admis les allégations, la portée de l’audience disciplinaire est limitée. Néanmoins, il a eu l’occasion de défendre sa cause devant moi. En outre, il peut interjeter appel de ma décision, le cas échéant.

d) L’intérêt de Mme K.C. en tant que personne concernée

[103] Je crois comprendre que Mme K.C.et les membres de sa famille ont refusé de participer au processus disciplinaire. Je ne suis donc pas directement saisi des intérêts personnels de Mme K.C. Je me pencherai cependant sur ceux-ci pour en arriver à une décision relative aux mesures disciplinaires.

[104] Mme K.C. était en pleine crise de santé mentale. Elle était vulnérable et avait besoin de l’aide du système de santé publique. La demande au titre du formulaire 1 présentée par son médecin était une façon de lui procurer cette aide par l’intermédiaire des responsabilités de la GRC issues de la Mental Health Act. Les gendarmes qui se sont rendus chez elle pour l’appréhender avaient pour rôle de protéger Mme K.C. et le public par l’exécution légitime de leurs fonctions. Mme K.C. avait parfaitement le droit de s’attendre à ce que les membres qui se sont rendus chez elle le 14 avril 2021 la traitent conformément à la loi ainsi qu’aux politiques, procédures et valeurs fondamentales de la GRC. Le gendarme Avery n’était pas à la hauteur des attentes raisonnables de Mme K.C. Elle s’attend donc raisonnablement à ce que la GRC prenne l’inconduite du gendarme Avery au sérieux dans le cadre du processus disciplinaire, y compris dans l’application de mesures disciplinaires appropriées.

[105] Je conclus que mon examen des quatre intérêts liés à l’objet de la partie IV de la Loi sur la GRC justifie l’imposition d’importantes mesures disciplinaires en l’espèce.

Mesures disciplinaires simples et correctives

[106] Ce principe est énoncé à l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC qui prévoit des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives.

[107] Dans une autre décision disciplinaire de la GRC, soit la décision Potts, le comité de déontologie a affirmé que les pénalités financières constituent à la fois des mesures disciplinaires punitives et correctives qui s’inscrivent dans un objectif de dissuasion. Le congédiement et l’ordre de démissionner, eux, sont des mesures disciplinaires qui sont purement punitives[36]. De plus, le comité de déontologie dans la décision Potts a signalé que les pénalités financières doivent être comprises comme étant une dure condamnation de l’inconduite du membre. Les pénalités financières ont donc aussi un effet dissuasif général. J’abonde dans le même sens.

[108] La gravité des actes du gendarme Avery dont il est question à l’allégation no 1 l’emporte sur la prévalence ordinaire des mesures disciplinaires simples et correctives. Ce n’est pas le cas pour les trois autres allégations.

Présomption de la mesure la moins sévère possible

[109] Bien qu’il existe une présomption selon laquelle la mesure la moins sévère possible devrait s’appliquer, cette présomption peut être réfutée si l’intérêt public ou d’autres considérations prévalent.

[110] Compte tenu de mes commentaires antérieurs concernant l’intérêt public, je souscris à l’affirmation de l’autorité disciplinaire selon laquelle l’intérêt public l’emporte sur la présomption en l’espèce.

[111] J’estime que toutes les affaires dans lesquelles sont alléguées des contraventions aux articles 5.1 et 8.1 du code de déontologie, qui sont des affaires d’intégrité, devraient être examinées attentivement au titre de cette présomption et en tenant compte des circonstances de l’affaire.

Proportionnalité

[112] Il s’agit du volet le plus technique et le plus complexe de l’analyse des cinq principes fondamentaux. Tant l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC que le paragraphe 24(2) des CC (déontologie) précisent que les mesures disciplinaires doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions au code de déontologie.

[113] Selon l’approche modernisée énoncée dans le Rapport final de Phase 1, le comité de déontologie doit recenser les facteurs de proportionnalité pertinents, puis apprécier chacun d’eux pour établir s’il est atténuant, aggravant ou neutre. Enfin, le comité de déontologie pondère, ou soupèse, chacun de ces facteurs pour déterminer des mesures disciplinaires appropriées.

[114] Le Rapport final de Phase 1 comporte une liste non exhaustive de 15 facteurs de proportionnalité. Je n’examinerai que les facteurs de proportionnalité que j’estime être pertinents en l’espèce.

L’intérêt public

[115] Je me suis déjà penché sur le volet « intérêt public » compris dans le premier principe fondamental dans la mesure où il s’applique à l’allégation no 1.

[116] L’intérêt public exige que les affaires qui ont trait au recours à la force excessive ou au manquement à l’intégrité, notamment faire de fausses déclarations, soient traitées sérieusement. Le recours à la force excessive mine la confiance du public envers l’organisation policière, la profession dans son ensemble et l’administration du système judiciaire. L’intégrité est au cœur des fonctions d’un policier. Il s’agit d’un facteur aggravant.

La gravité de la conduite

[117] La gravité de l’inconduite est une considération fondamentale dans presque toutes les procédures disciplinaires. Bon nombre de facteurs entrent en ligne de compte dans l’appréciation du facteur de proportionnalité.

[118] Le juge Shaigec, saisi de la poursuite criminelle intentée contre le gendarme Avery, a conclu que la conduite de ce dernier était grave, car il s’agissait d’un abus de confiance[37]. En outre, il a conclu que Mme K.C. était vulnérable et sans défense. Elle était vulnérable parce qu’elle était en pleine crise de santé mentale. Elle était essentiellement sans défense parce que des menottes lui avaient été passées dans le dos et en raison du déséquilibre du pouvoir auquel elle était confrontée[38].

[119] Le gendarme Avery a été reconnu coupable de voies de fait contre Mme K.C. dans le cadre d’une instance pénale. Comme la représentante de l’autorité disciplinaire l’a signalé en citant le paragraphe 3.1 du Rapport final de Phase 2, une condamnation au criminel remet en question l’autorité morale et l’intégrité dont un policier a besoin pour s’acquitter de sa responsabilité de faire respecter la loi et de protéger la population. Une telle condamnation sape la confiance du public dans la capacité d’un policier à exercer fidèlement ses fonctions.

[120] De plus, le juge Shaigec a tenu compte de la nature violente de la conduite du gendarme Avery ainsi que des répercussions sur Mme K.C., notamment la blessure physique qu’elle a subie. Le juge Shaigec a bien résumé la situation :

[…]

[TRADUCTION] Le gendarme Avery se trouvait sur les lieux pour appréhender une personne atteinte d’une maladie mentale qui était en pleine crise pour qu’elle soit amenée à l’hôpital pour y être traitée. Mme [K.C.] était une personne vulnérable. Elle était sous la garde du gendarme Avery parce qu’elle avait besoin de protection, et il incombait au gendarme Avery de la protéger. Il l’a plutôt commis des voies de fait contre elle. Je le répète, le crime commis est grave.

[…][39]

[121] La gravité de la contravention à l’article 5.1 du code de déontologie constitue un important facteur aggravant.

[122] En ce qui concerne les trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire leur a accordé peu d’égard. Néanmoins, l’analyse susmentionnée concernant une condamnation au criminel peut aussi s’appliquer à des allégations qui ne sont pas d’ordre criminel visant un membre qui a fourni un faux compte rendu de ses fonctions. Il s’agit de manquements à l’intégrité au cœur des fonctions d’un policier. De toute évidence, une conclusion selon laquelle un membre a sciemment fait une fausse déclaration ou a été insouciant lorsqu’il a fait la fausse déclaration qui requiert un élément de connaissance donnera lieu à des mesures disciplinaires plus graves qu’une conclusion selon laquelle le membre a tout simplement été négligent ou imprudent lorsqu’il a fait les fausses déclarations, comme je l’ai conclu en l’espèce à l’égard du gendarme Avery. En fait, j’estime que les déclarations inexactes dont il est question dans les trois allégations s’assimilent davantage à la troisième catégorie, c’est-à-dire que le policier a fait une déclaration sincère, mais erronée qui s’est par la suite avérée être fausse. Les fausses déclarations de cette catégorie ne sont pas susceptibles d’engager une responsabilité.

[123] À la lumière de cette conclusion, il s’agit d’un facteur atténuant à l’égard des trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie.

La reconnaissance de la gravité de l’inconduite

[124] Ce facteur de proportionnalité, soit la reconnaissance par le membre de la gravité de l’inconduite, est souvent qualifié de « remords ».

[125] Le juge Shaigec a reconnu la sincérité des excuses que le gendarme Avery a présentées devant lui[40]. Le gendarme Avery s’est aussi excusé devant moi. En outre, je conclus que ses excuses étaient sincères. Le fait qu’il a reconnu les vastes répercussions de son inconduite m’a marqué. Bien qu’il ait mis l’accent sur les effets de ses actes sur Mme K.C., il a aussi avoué que sa conduite a influé sur ses collègues, son détachement, la GRC dans son ensemble, la collectivité de Fort Saskatchewan, le grand public, la famille de Mme K.C. ainsi que sa propre famille.

[126] Je conclus que les remords sincères qu’il a exprimés constituent un important facteur atténuant.

L’existence d’un handicap et d’autres circonstances personnelles pertinentes

[127] Aucune preuve faisant état de l’existence d’un handicap qui pourrait influer sur ma décision ne m’a été soumise. Pendant son témoignage, le gendarme Avery a toutefois parlé de situations personnelles sérieuses qu’il vivait lorsque l’incident en cause s’est produit. Plus précisément, il a fait référence aux graves problèmes de santé mentale de sa conjointe, qui est aussi membre de la GRC. Il a aussi mentionné qu’il a un jeune enfant qui a reçu un diagnostic d’autisme. J’admets que ces circonstances poseraient des difficultés, mais aucun élément de preuve ne démontre que l’une ou l’autre a joué un rôle en l’espèce. En l’absence d’éléments de preuve concrets qui s’appliquent à ce facteur de proportionnalité, je conclus qu’il s’agit d’un facteur neutre.

La provocation

[128] Il ressort de la page 48 du Guide des mesures disciplinaires de novembre 2014 (le Guide des mesures disciplinaires) que les voies de fait non provoquées ou gratuites constituent un facteur de proportionnalité aggravant.

[129] J’ai conclu que, le jour de son appréhension en application de la Mental Health Act, Mme K.C. ne collaborait pas avec les membres qui étaient sur les lieux. Elle leur lançait des injures. Elle essayait sans cesse de s’éloigner du gendarme Avery lorsqu’il la contrôlait; elle agissait parfois de manière agressive. Bien que son coup de hanche soit, en principe, des voies de fait contre le gendarme Avery, j’ai conclu qu’il ne s’agissait pas d’un acte de résistance ou de provocation d’importance de sa part. Le juge Shaigec a souligné que le manque de collaboration de la part de Mme K.C. était prévisible[41]. La preuve dont je suis saisi étaye cette conclusion. Les trois membres sur les lieux avaient connaissance des confrontations violentes antérieures de Mme K.C. avec la police. Il semblerait que sa réaction envers les policiers sur les lieux ce jour-là était fort atténuée comparativement à ses réactions antérieures. J’estime que son comportement le 14 avril 2021 se situait dans le niveau faible de la catégorie « résistant actif ». Il y avait un léger élément de provocation dans son comportement. Le gendarme Avery n’a pas rejeté le blâme sur Mme K.C. Il a assumé l’entière responsabilité de ses actes. Je conclus que l’absence relative de provocation constitue un facteur aggravant.

Les antécédents professionnels

[130] Les antécédents professionnels du membre sont un autre facteur de proportionnalité.

[131] Le gendarme Avery m’a remis ses évaluations de rendement pour les exercices 2014-2015 à 2020-2021. Les évaluations étaient toutes équilibrées; elles faisaient état d’un bon rendement et précisaient les points à améliorer. Règle générale, le gendarme Avery avait un excellent rendement. Il excédait invariablement les attentes. La souplesse dont fait preuve le gendarme Avery pour modifier ses quarts de travail afin de répondre aux besoins opérationnels du détachement, même à court préavis, a été signalée à maintes reprises. Cette souplesse est louable, notamment à la lumière de sa situation familiale. Il est un enquêteur chevronné solide. Bien qu’il semble préférer les appels de demandes à court terme immédiats, ses réponses aux appels de services sont systématiquement supérieures à la moyenne, ce qui se traduit par une charge de travail supérieure à la moyenne. Il prêche par l’exemple et est un modèle à suivre pour les membres subalternes.

[132] De plus, le gendarme Avery m’a remis 14 lettres de soutien provenant d’un grand nombre de personnes, dont des subordonnés, des pairs et des supérieurs de la GRC ainsi que des fonctionnaires. Selon un thème commun qui ressort de ces lettres, le gendarme Avery est un membre dévoué de la GRC qui excède continuellement les attentes pour soutenir ses collègues et promouvoir les objectifs de la GRC dans la collectivité. Il incarne les valeurs fondamentales de la GRC et fait notamment preuve de compassion envers des personnes vulnérables comme Mme K.C. Il est très respecté des personnes qui lui ont manifesté leur soutien. La majorité de ces personnes affirment que le comportement du gendarme Avery le 14 avril 2021 n’était pas représentatif de son comportement habituel. Ces personnes sont toutes convaincues qu’il ne récidivera pas.

[133] Le gendarme Avery n’a pas de dossier disciplinaire antérieur.

[134] L’excellent dossier de travail du gendarme Avery constitue un facteur atténuant majeur.

La possibilité de réformer ou de réhabiliter le policier

[135] La possibilité de réformer ou de réhabiliter concerne la probabilité de récidive et est étroitement liée aux remords et aux antécédents professionnels[42]. Ce facteur de proportionnalité doit être considéré comme un facteur de décision dans toutes les procédures disciplinaires.

[136] Le gendarme Avery a assumé la responsabilité de ses actes dans le cadre de l’instance pénale et dans le cadre de la procédure relative au code de déontologie quant au recours à la force excessive. J’estime que si l’avis d’audience disciplinaire original n’avait pas fait référence à la notion de « fournir sciemment des renseignements inexacts » et avait plutôt fait référence à la deuxième catégorie de négligence, d’insouciance ou d’imprudence qui a été insérée dans l’avis d’audience disciplinaire modifié à l’égard des trois allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, la présente affaire aurait été réglée depuis longtemps. Le gendarme Avery a nié dès le départ qu’il avait sciemment fourni les renseignements inexacts, ce qui est considérablement plus grave que d’avoir été négligent, insouciant ou imprudent. Comme je l’ai déjà indiqué, la preuve correspond davantage à une conclusion d’insouciance.

[137] Le gendarme Avery a exprimé des remords sincères pour ses actes.

[138] Il appert du dossier d’emploi du gendarme Avery et des lettres de soutien qu’il s’agit d’un incident isolé au cours d’une carrière qui est par ailleurs brillante. Tout me porte à croire que sa conduite à l’avenir sera conforme aux attentes élevées associées à son poste en tant que membre de la GRC.

[139] Il s’agit d’un facteur de proportionnalité atténuant appréciable.

La parité des sanctions

[140] La parité des sanctions représente, pour moi, un facteur de proportionnalité de premier plan en l’espèce. Je m’attarderai au recours à la force excessive parce qu’il s’agit de l’allégation la plus grave parmi les quatre allégations établies.

[141] Les deux parties m’ont soumis de nombreuses décisions à examiner, dont des décisions de comités de déontologie de la GRC; des comptes rendus de décisions de la GRC, qui découlent de rencontres disciplinaires; des décisions rendues par des cours et d’autres tribunaux, notamment des décisions de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral dans le contexte des services correctionnels. Les cas internes de la GRC soulèvent deux principaux sujets de préoccupation pour moi.

[142] Le représentant du sujet visé a attiré l’attention sur ma première préoccupation, soit qu’il n’existe pas de précédents au sein de la GRC concernant le congédiement comme mesure disciplinaire, même dans de graves cas mettant en cause un recours à la force excessive. Dans toutes les décisions de la GRC, tant les décisions des comités de déontologie que les comptes rendus de décisions, des mesures disciplinaires autres que le congédiement ont été imposées. L’autorité disciplinaire n’a pu produire de décision interne de la GRC dans laquelle un membre visé avait été congédié même s’il y avait plusieurs facteurs aggravants énoncés dans le Guide des mesures disciplinaires. L’autorité disciplinaire a plutôt invoqué des affaires de congédiement sur lesquelles les cours et les tribunaux s’étaient penchés, surtout dans le contexte des services correctionnels. L’absence de telles décisions internes est contrariante si l’on considère le commentaire du juge Shaigec selon lequel la condamnation d’un policier pour voies de fait contre une personne sous sa garde mettra vraisemblablement fin à sa carrière[43].

[143] Deuxièmement, le manque d’uniformité dans le règlement des affaires mettant en cause le recours à la force excessive au sein de la GRC me préoccupe. Bien que l’on puisse opérer une distinction à certains égards entre les décisions qui m’ont été soumises et le cas qui nous occupe, les circonstances se ressemblent dans tous les cas. Les résultats diffèrent pourtant malgré les similitudes. Il s’agit d’une situation préoccupante puisque le sous-titre de ce facteur de proportionnalité est l’« uniformité des décisions ». L’uniformité est un volet primordial de l’équité.

[144] Le gendarme Avery m’a remis trois comptes rendus de décisions qui concernent des allégations de contravention à l’article 5.1 du code de déontologie aux fins d’examen. Ces trois décisions ont été rendues par diverses autorités disciplinaires de niveau II ou III de la Division K. J’hésite à en tenir compte pour trois raisons.

[145] D’abord, les comités de déontologie ne sont pas liés par les précédents des comptes rendus de décisions. Même s’ils l’étaient, les comptes rendus de décisions revêtent peu de valeur de précédent pour diverses raisons. Les décisions consignées dans les comptes rendus de décisions ont été rendues par divers niveaux de comités de déontologie partout au pays. Elles visent un vaste éventail de circonstances qui n’ont pas nécessairement trait à la situation dont un comité de déontologie est saisi. Des nuances locales ou divisionnaires qui ne sont pas consignées dans le compte rendu de décision peuvent avoir influé sur la décision; ces nuances ont habituellement trait aux mesures disciplinaires. Enfin, ces décisions sont prises par le décideur qui n’a pas examiné d’éléments de preuve autres que les observations du membre visé. La plupart du temps, aucun conseiller juridique ne représente le membre visé lorsqu’il présente ses observations à l’autorité disciplinaire pendant la rencontre disciplinaire.

[146] Deuxièmement, les comptes rendus de décisions ne sont pas publiés et sont censés être confidentiels. Le représentant du membre visé m’a assuré que le membre visé dans chacun des trois cas qu’il m’a soumis avait consenti à la consultation du compte rendu de décision qui le concernait dans la présente procédure relative au code de déontologie. Le consentement des membres visés n’avait toutefois pas été donné par écrit. J’ai cru le représentant du membre visé sur parole. En outre, je ne peux pas déterminer avec certitude s’il s’agissait d’un consentement éclairé.

[147] Troisièmement, les décisions des autorités disciplinaires peuvent être révisées par l’autorité de révision désignée par le commissaire en application de l’article 9 des CC (déontologie) pour établir si une conclusion est manifestement déraisonnable ou si les mesures disciplinaires sont vraisemblablement disproportionnées avec la nature et les circonstances de la contravention. À l’instar des comptes rendus de décisions, les décisions de l’autorité de révision ne sont pas publiées. Par conséquent, un compte rendu de décision peut ne pas être la décision définitive d’une procédure relative au code de déontologie. Les parties et l’autorité disciplinaire ne le savent peut-être pas.

[148] Néanmoins, j’ai décidé d’étudier le compte rendu de décision dans l’affaire concernant le caporal K.M. parce que les circonstances de cette affaire ressemblent beaucoup aux circonstances de l’espèce. L’autorité disciplinaire qui a entamé la présente audience disciplinaire était aussi l’autorité disciplinaire dans l’affaire mettant en cause le caporal K.M. et l’auteur du compte rendu de décision dans cette affaire. Qui plus est, le compte rendu de décision a été diffusé le 9 avril 2021, un peu plus d’un an avant que la décision d’entamer la présente audience disciplinaire soit prise.

[149] Lorsque j’ai passé en revue le compte rendu de décision concernant le caporal K.M., j’ai constaté qu’il y avait bon nombre de similitudes avec les présentes et que bien des facteurs de proportionnalité étaient plus graves et que d’autres l’étaient moins que les facteurs en l’espèce. Voici mon analyse comparative des faits présentés dans le compte rendu de la décision concernant le caporal K.M. et des faits en l’espèce :

  • À l’instar de Mme K.C., le prisonnier qui a été agressé par le caporal K.M. (la victime) était une personne vulnérable. Il était dans un tel état d’ébriété qu’il avait de la difficulté à accomplir des tâches simples, comme enlever ses chaussures. Tout comme les menottes de Mme K.C., l’état d’ébriété de la victime l’empêchait de réagir raisonnablement pour se protéger des gestes du caporal K.M. Il était essentiellement sans défense.

  • La victime avait été agressée plus tôt par des inconnus. Il donnait des câlins de façon aléatoire à des membres du public et il se cognait contre des véhicules. Il a été arrêté parce qu’il se trouvait en état d’ébriété dans un lieu public. À l’instar de Mme K.C., il a été arrêté pour sa protection et la protection du public.

  • La différence de taille entre les policiers et les victimes est comparable. Lorsque l’incident est survenu, le gendarme Avery pesait deux fois plus que Mme K.C. Le caporal K.M. mesure 198 centimètres et pèse 109 kilogrammes. La victime dans cette affaire pesait 72 kilogrammes, donc beaucoup moins que le caporal K.M.

  • Les voies de fait dans l’affaire concernant le caporal K.M. ont été commises dans la zone du bloc cellulaire du détachement alors que la victime était détenue par la police. En l’espèce, Mme K.C. ne se trouvait pas encore dans un endroit sûr duquel elle ne pouvait pas s’échapper.

  • L’interaction entre le caporal K.M. et la victime dans la zone du bloc cellulaire s’est poursuivie pendant 20 minutes. L’autorité disciplinaire a conclu que le caporal K.M. avait eu amplement de temps pour [TRADUCTION] « changer les circonstances et désamorcer la situation avant d’avoir recours à la force ». L’interaction entre le gendarme Avery et Mme K.C. a été beaucoup plus courte que celle entre le caporal K.M. et la victime. J’ai conclu que le gendarme Avery n’avait pas à prendre de mesures pour désamorcer la situation. Il maîtrisait Mme K.C. Elle ne collaborait pas, mais elle n’opposait qu’une légère résistance active.

  • Le caporal K.M. a asséné un coup de poing à la victime, qui s’est retrouvée inconsciente au sol. Il ressort de l’enregistrement vidéo de l’incident survenu dans le bloc cellulaire que la victime a été inconsciente ou, à tout le moins, est restée inerte pendant cinq minutes. Je conclus que même si la coupure à la tête de Mme K.C. était grave, cette dernière n’a pas perdu connaissance.

  • D’autres membres de la GRC se trouvaient dans la zone du bloc cellulaire lorsque les événements se sont produits dans le cas du caporal K.M. comme d’autres membres de la GRC se trouvaient avec le gendarme Avery en l’espèce. Non seulement le caporal K.M. n’a pas demandé l’aide des autres membres sur les lieux, il a refusé l’aide offerte par un membre. Ni l’un ni l’autre des membres qui accompagnaient le gendarme Avery n’a offert de l’aider, et il n’a pas demandé d’aide.

  • Le caporal K.M. était le membre ayant le grade le plus élevé dans cet incident. Le gendarme Avery était simplement le gendarme supérieur. Une sous-officière, la superviseure immédiate du gendarme Avery, était sur les lieux.

  • Après l’incident, le caporal K.M. a communiqué avec un des membres impliqués dans l’incident pour lui dire ce qu’il devait indiquer dans son rapport. Le gendarme Avery a été en contact avec l’un des membres impliqués dans l’incident et il a refusé d’en parler avec lui. Au lieu de dire au membre ce qu’il devait écrire dans son rapport, le gendarme Avery lui a demandé de raconter la vérité sur les événements et de ne rien faire qui pourrait lui causer des ennuis parce que le gendarme Avery assumait la responsabilité de ses gestes[44].

  • Le caporal K.M. a fait des blagues avec le personnel des services médicaux d’urgence parce qu’il avait neutralisé la victime d’un coup de poing. Le gendarme Avery a été horrifié par ses gestes lorsqu’il a pris pleinement connaissance de leur véritable nature.

  • L’autorité disciplinaire a non seulement conclu que les voies de fait du caporal K.M. contre la victime étaient non provoquées, mais elle a aussi conclu que les gestes du caporal K.M. ont entraîné la réaction de la victime qui a mené le caporal K.M. à avoir recours à la force excessive. Même si le comportement de Mme K.C était mitigé et ne justifiait pas la réaction du gendarme Avery, j’ai conclu qu’il était provocateur.

  • Le rapport sur le CSIA du caporal K.M. comportait des incohérences par rapport à l’enregistrement vidéo du bloc cellulaire et aux récits des autres membres sur les lieux. Même si je n’ai pas le rapport sur le CSIA du caporal K.M., certaines des incohérences que l’autorité disciplinaire a soulevées dans son compte rendu de décision sont graves. J’estime que certaines de ces incohérences sont plus sérieuses que celles qui se trouvent dans le rapport sur le CSIA du gendarme Avery. Malgré les incohérences flagrantes entre le rapport sur le CSIA du caporal K.M. et la preuve vidéo, aucune allégation de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie n’a été présentée à son égard. En fait, l’autorité disciplinaire a reconnu que les perceptions du caporal K.M. et sa présence sur les lieux de l’incident donnaient une perspective tout autre que celle de la personne qui visionne la vidéo après coup.

  • La décision de l’autorité disciplinaire précède la condamnation au criminel du caporal K.M. Celui-ci a contesté cette condamnation. La condamnation au criminel du gendarme Avery a été prononcée après la signification de l’avis d’audience disciplinaire, mais avant la tenue de l’audience essentiellement parce que le gendarme Avery a plaidé coupable à son accusation au criminel peu après que l’avis d’audience disciplinaire lui a été signifié.

  • Le gendarme Avery s’est vu imposer une amende de 1 200 $ ainsi qu’une suramende compensatoire devant la cour criminelle. Le caporal K.M. a été condamné à une peine avec sursis de 120 jours, soit une peine purgée dans la collectivité. Cette peine en dit long sur le fait que les cours criminelles ont conclu que le comportement du caporal K.M. était considérablement plus grave que celui du gendarme Avery.

[150] Dans le cas du caporal K.M., l’autorité disciplinaire a imposé une pénalité financière de 18 jours (144 heures) à déduire de sa solde (à savoir 12 jours de salaire et 6 jours de congés annuels). Le taux de réduction applicable à la solde du caporal K.M. était un taux approuvé inférieur de 10 %.

[151] L’absence de précédent concernant un congédiement au sein de la GRC et le manque d’uniformité dans le règlement des affaires mettant en cause le recours à la force excessive au sein de la GRC constituent un facteur atténuant considérable.

La dissuasion spécifique et générale

[152] La dissuasion spécifique et la dissuasion générale sont des objectifs légitimes du processus disciplinaire de la GRC.

[153] Le gendarme Avery a exprimé des remords sincères et a assumé la responsabilité de ses actes devant moi et devant les cours criminelles. J’ai déjà conclu qu’il était peu probable qu’il commette de tels actes ou toute autre forme d’inconduite à l’issue de ce processus. Par conséquent, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’imposer des mesures disciplinaires qui visent une dissuasion spécifique. Il s’agit d’un facteur de proportionnalité atténuant.

[154] Pour tous les motifs que j’ai avancés quant au besoin de responsabilisation et de transparence pour faire face au recours à la force excessive, à la gravité de l’inconduite et à l’atteinte potentielle à la réputation de la GRC et du milieu policier de façon générale, je conclus que des mesures disciplinaires qui favorisent l’objectif de dissuasion générale s’imposent. Il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant.

La défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel

[155] L’extrait suivant concernant le facteur de proportionnalité qu’est la défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel est tiré du paragraphe 21.1 du Rapport final de Phase 1 :

21.1 Ce facteur de proportionnalité est peut-être mieux défini comme étant le degré auquel [TRADUCTION] « les politiques, les consignes du commissaire et les procédures internes de l’employeur, ou les gestes posés par le superviseur du membre, ont contribué à l’inconduite [note de bas de page omise] » ou encore comme étant le « contexte organisationnel/institutionnel [note de bas de page omise] ».

[156] Le terme « contexte organisationnel/institutionnel » n’est pas pleinement expliqué dans le Rapport final de Phase 1. Cependant, j’estime que mes commentaires concernant le manque d’uniformité dans le règlement des affaires mettant en cause le recours à la force excessive au sein de la force font partie de cette catégorie. Un membre visé qui a commis une inconduite semblable à celle d’un autre membre devrait s’attendre à être traité de la même façon, en ce qui a trait à l’issue et au niveau du décideur. Il appert des décisions internes de la GRC qui m’ont été soumises, tant de comités de déontologie que de niveau II ou III, que ce n’est pas le cas. Il s’agit d’un facteur de proportionnalité atténuant appréciable.

L’atteinte à la réputation de la GRC

[157] L’atteinte à la réputation de la GRC et l’incidence de la publicité sont des facteurs de proportionnalité qui sont examinés séparément dans le Rapport final de Phase 1. Je vais toutefois les étudier ensemble parce qu’ils vont de pair. La mauvaise publicité concernant l’inconduite d’un membre porte atteinte à la réputation de la GRC.

[158] L’autorité disciplinaire m’a remis deux reportages médiatiques qui avaient trait à cet incident, qui présentaient simplement des faits essentiels au sujet de l’affaire.

[159] L’autorité disciplinaire peut difficilement produire des éléments de preuve concrets quant à l’atteinte à la réputation de la GRC à la suite de l’inconduite d’un membre ou à l’incidence de la publicité dans la plupart des cas disciplinaires. J’ai précisé dans d’autres affaires disciplinaires que l’inconduite de membres de la GRC fait souvent l’objet d’une couverture médiatique. Je peux raisonnablement déduire que chaque reportage médiatique sur l’inconduite d’un membre nuit à la réputation de la GRC et mine dans une certaine mesure la confiance du public. Je maintiens cette position en l’espèce. La représentante de l’autorité disciplinaire a à peine abordé ce facteur dans ses observations. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité neutre.

La mise en balance des facteurs de proportionnalité

[160] J’ai conclu que les facteurs de proportionnalité suivants constituent des facteurs aggravants, soit l’intérêt public, la gravité de l’inconduite, la provocation et la dissuasion générale. J’ai conclu que la reconnaissance, par le gendarme Avery, de la gravité de son inconduite, ses antécédents professionnels, la possibilité de réhabiliter le policier, la parité des sanctions, la dissuasion spécifique et générale et la défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel constituent des facteurs atténuants. J’estime que l’existence d’un handicap et d’autres circonstances personnelles pertinentes ainsi que l’atteinte à la réputation de la GRC sont des facteurs de proportionnalité neutres. Les autres facteurs qui figurent sur la liste des 15 facteurs de proportionnalité du paragraphe 9.5 du Rapport final de Phase 1 ne sont pas pertinents en l’espèce. Tout bien pesé, j’estime que la conduite du gendarme Avery à l’égard des allégations se situe entre l’extrémité supérieure de la catégorie des cas mineurs et l’extrémité inférieure de la catégorie des cas graves.

Des normes plus strictes applicables aux policiers

[161] Selon le cinquième principe fondamental, une norme plus rigoureuse s’applique à la conduite des policiers, comparativement aux autres employés, essentiellement parce qu’ils sont en position de confiance. L’alinéa 36.2b) de la Loi sur la GRC précise que l’un des objets du régime disciplinaire de la GRC est de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres sont censés observer.

[162] Ce principe est soulevé dans chaque affaire dont je suis saisi. Cependant, j’estime que cette notion revêt beaucoup plus d’importance lorsqu’il s’agit du recours à la force par des membres de la GRC. L’article 25 du Code criminel assure la protection des représentants des forces de l’ordre qui, en s’appuyant sur des motifs raisonnables, emploient la force nécessaire pour exercer leurs fonctions d’exécution de la loi, notamment le recours à la force meurtrière. Il s’agit d’une protection primordiale qui sépare les policiers d’autres types de professionnels. La protection conférée aux représentants des forces de l’ordre d’utiliser la force pour exercer leurs fonctions comporte des attentes élevées du public. Le recours abusif à la force peut gravement miner la confiance du public, comme nous l’avons constaté après le décès de M. Floyd.

[163] Le gendarme Avery a affirmé que ses actes découlaient d’une décision spontanée prise en une fraction de seconde. Certains pourraient prétendre qu’il serait injuste qu’une personne perde son emploi à cause de cette décision. Je soutiens qu’il s’agit-là de la nature même du travail de la police — les policiers s’entraînent à prendre des décisions de vie et de mort en une fraction de seconde dans des situations très stressantes et ils sont payés pour ce faire. Il s’agit du genre de décision que le public s’attend à ce que les représentants des forces de l’ordre prennent de manière légitime. Il s’agit d’une lourde responsabilité que les membres de la GRC assument lorsqu’ils décident de devenir membres de la Gendarmerie.

[164] C’est une responsabilité que le gendarme Avery a acceptée devant moi. Il m’a aussi fait part de sa volonté d’assumer les conséquences de ses gestes, quelles qu’elles soient. Il est tout à son honneur de le faire.

Conclusion concernant les mesures disciplinaires

[165] Ma décision concernant les mesures disciplinaires en l’espèce a été des plus difficiles. L’autorité disciplinaire m’a demandé d’adopter une position ferme et d’ordonner au gendarme Avery de démissionner de la GRC. Le représentant du membre visé a donné à entendre qu’il ne s’agit plus d’un cas de congédiement puisque j’ai conclu que les déclarations fausses ou trompeuses étaient attribuables à l’insouciance. Je ne suis pas d’accord. Au début de l’audience, j’étais prêt à ordonner au gendarme Avery de démissionner de la GRC en me fondant uniquement sur l’allégation no 1, même s’il n’existe pas de précédent au sein de la GRC quant au congédiement d’un membre pour recours à la force excessive.

[166] Les voies de fait commises par le gendarme Avery contre Mme K.C. étaient troublantes. Il a non seulement commis des voies de fait contre elle, mais il lui a causé une blessure très grave. J’estime qu’il a eu de la chance parce qu’elle n’a eu besoin que de trois points de suture. Dans les circonstances de l’espèce, l’ordre de démissionner de la GRC appartient aux issues acceptables. Les facteurs aggravants sont de première importance.

[167] Cela dit, les facteurs atténuants sont aussi importants. Le gendarme Avery a exprimé des remords, il a assumé l’entière responsabilité pour ses actes, tant dans le cadre de la procédure criminelle que dans le cadre de la procédure relative au code de déontologie, et il a exprimé sa volonté d’accepter les conséquences de ses gestes. Ces facteurs jouent fortement en sa faveur. Le fait d’assumer la responsabilité de ses gestes constitue l’une des valeurs fondamentales de la GRC. En assumant la responsabilité de ses gestes, il démontre qu’il éprouve des remords sincères à cet égard et qu’il est fort probable qu’il ne récidivera pas. Ces facteurs, de même que ses solides antécédents professionnels et ses futures possibilités d’emploi, ont fait pencher la balance en sa faveur. Le gendarme Avery a établi qu’il mérite de conserver son emploi en tant que membre de la GRC. J’impose donc des mesures disciplinaires autres que le renvoi.

[168] La parité des sanctions ainsi que la défaillance systémique et le contexte organisationnel/institutionnel sont les facteurs de proportionnalité qui ont validé ma décision de maintenir le gendarme Avery en poste. Lorsque je lisais le compte rendu de décision concernant le caporal K.M., je me suis demandé comment je pouvais, en toute bonne conscience, ordonner au gendarme Avery de démissionner de la GRC lorsque l’autorité disciplinaire qui a entamé la présente audience disciplinaire a permis à un autre membre de maintenir son poste au sein de la GRC dans des circonstances semblables, mais où il y avait plus de facteurs aggravants. Je ne pouvais pas le faire.

[169] Le comité de déontologie ne devrait pas être la première instance à prendre une affaire disciplinaire de la GRC au sérieux. La haute direction doit d’abord adopter une position ferme puis la maintenir systématiquement en joignant le geste à la parole pour que sa position soit bien comprise et rayonne dans l’ensemble de l’organisation. Ce n’est pas ce que j’ai constaté de façon générale lorsque j’ai été saisi d’affaires qui avaient trait au recours à la force excessive au sein de la GRC et ce n’est pas ce que j’ai constaté en l’espèce.

Décision relative aux mesures disciplinaires

[170] Après avoir conclu que les quatre allégations étaient fondées et appliqué les cinq principes fondamentaux aux circonstances de la présente affaire, j’impose les mesures disciplinaires suivantes :

Allégation no 1

a) Une pénalité financière qui équivaut à 12 jours (96 heures) de travail à déduire de la solde du gendarme Avery, conformément à l’alinéa 5(1)j) des CC (déontologie).

i. Le taux de réduction de la solde du gendarme Avery applicable est le taux approuvé inférieur de 10 %.

b) Une réduction de la banque de congés annuels de 6 jours (48 heures), conformément à l’alinéa 5(1)i) des CC (déontologie).

Allégation no 2

c) Une réprimande, conformément à l’alinéa 3(1)i) des CC (déontologie).

Allégation no 3

d) Une réprimande, conformément à l’alinéa 3(1)i) des CC (déontologie).

Allégation no 4

e) Une réprimande, conformément à l’alinéa 3(1)i) des CC (déontologie).

[171] La présente décision finale constitue la réprimande à l’égard des allégations nos 2, 3 et 4.

[172] Je donne au gendarme Avery la chance de continuer sa carrière au sein de la GRC. Cependant, toute infraction future au code de déontologie sera examinée de très près par ses superviseurs et l’autorité disciplinaire compétente et pourrait entraîner son congédiement de la GRC.

CONCLUSION

[173] La présente décision constitue ma décision écrite, comme l’exige le paragraphe 45(3) de la Loi sur la GRC. Toute mesure provisoire en place devrait être résolue dans les meilleurs délais, conformément à l’alinéa 23(1)b) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.

[174] Le paragraphe 25(3) des CC (déontologie) précise que le comité de déontologie fait signifier la décision aux parties. Les parties peuvent faire appel de la décision devant le commissaire en déposant une déclaration d’appel dans les 14 jours suivant la signification de la décision (article 45.11 de la Loi sur la GRC; article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289).

 

 

1er novembre 2024

Kevin L. Harrison

Comité de déontologie

 

 

 



[1] Gend. Sean Avery — divulgation de la DRAD — cartable du rapport d’enquête [CRE], annexe F « Rapport complémentaire de la cap. Marianicz », à la page 89.

[2] Mental Health Act, article 2.

[3] CRE, annexe F « Rapport complémentaire de la cap. Marianicz », à la page 89; CRE, annexe S « Déclaration de la cap. Marianicz », à la page 280.

[4] CRE, annexe K « Rapport sur le CSIA du gend. Avery », à la page 159.

[5] CRE, annexe K « Rapport sur le CSIA du gend. Avery », à la page 106.

[6] CRE, annexe K « Rapport sur le CSIA du gend. Avery », à la page 103.

[7] CRE, annexe E « Rapport général du gend. Forhart », à la page 87.

[8] CRE, annexe F « Rapport complémentaire de la cap. Marianicz », à la page 89.

[9] CRE, annexe E « Rapport général du gend. Forhart », à la page 87; annexe P « Photos des dommages causés au mur », à la page 265.

[10] CRE, annexe I « Vidéo de la porte avant ».

[11] CRE, annexe I « Vidéo de la porte avant ».

[12] CRE, annexe J « Watchguard FS205 (vidéo) ».

[13] CRE, annexe J « Watchguard FS205 (vidéo) ».

[14] CRE, annexe R « «Mme [K.C.] – Blessures, aux pages 275 et 276.

[15] CRE, annexe Q « Déclaration du gend. Forhart », à la page 270.

[16] Transcription de His Majesty the King v Sean R Avery, action no : 220013882P1, 13 décembre 2022.

[17] Le commandant de la Division H et le gendarme Aaron MacGillivray, 2021 DAD 16 [MacGillivray], au paragraphe 69.

[18] MacGillivray, au paragraphe 69.b.

[19] CRE, annexe K « Rapport sur le CSIA du gend. Avery », à la page 106.

[20] CRE, annexe S « Déclaration de la cap. Marianicz », à la page 284.

[21] CRE, annexe T « Déclaration et consentement par courriel du gend. Avery », à la page 297.

[22] CRE, annexe K « Rapport sur le CSIA du gend. Avery », à la page 106.

[23] CRE, annexe N « Déclaration de Mme [M.A.K.], à la page 250.

[24] CRE, annexe S « Déclaration de la cap. Marianicz », aux pages 289 et 290.

[25] CRE, annexe Q « Déclaration du gend. Forhart », à la page 274.

[26] CRE, annexe K « Rapport sur le CSIA du gend. Avery », à la page 106.

[27] CRE, annexe J « Watchguard FS205 (vidéo) ».

[28] MacGillivray, au paragraphe 69.c.

[29] Selon le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents, « résistant actif » s’entend d’un sujet qui [TRADUCTION] « résiste de façon physique au contrôle de l’agent sans commettre une agression. Par exemple, il peut s’écarter brusquement pour empêcher le contrôle par le policier ou pour échapper à ce contrôle; il peut aussi s’éloigner, fuir ou agripper un objet d’une manière manifeste pour faire obstacle aux tentatives légitimes de l’agent de le contrôler ».

[30] Le sous-commissaire Curtis Zablocki et le gendarme Jason Girard, 2020 DAD 30, au paragraphe 25.

[31] Calgary (City) v Canadian Union of Public Employees, Local 37 (Irvine Grievance), 2015 CarswellAlta 535, au paragraphe 84.

[32] Black’s Law Dictionary, 7e éd., s.v. « negligence ».

[33] Edmonton (City) and A.T.U., Loc. 569 (Employee X) (Re), 1998 CanLII 30159 (AB GAA) [Edmonton (City) and ATU Local 569], à la page 14.

[34] Ceyssens, Paul et Childs, W. Scott, Phase 1 - Rapport final concernant les mesures disciplinaires et l’imposition de mesures disciplinaires en cas d’inconduite à caractère sexuel au titre de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (24 février 2022) [le Rapport final de Phase 1]; Ceyssens, Paul et Childs, W. Scott, Rapport final de « Phase 2 » concernant les mesures disciplinaires et les questions connexes en vertu de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (31 janvier 2023) [le Rapport final de Phase 2].

[35] R. v Pietrzak, 2022 BCPC 290 (CanLII), au paragraphe 3.

[36] Le commandant de la Division K et le caporal Mark Potts, 2018 DARD 11 [Potts], au paragraphe 210.

[37] His Majesty the King v Sean R. Avery, action no 220013882P1 devant la cour provinciale de l’Alberta, centre judiciaire d’Edmonton [Avery] (non publiée), at pages 3 et 4.

[38] Avery, aux pages 4 et 5.

[39] Avery, à la page 5.

[40] Avery, à la page 2.

[41] Avery, à la page 4.

[42] Rapport final de Phase 1, au paragraphe 17.1.

[43] Avery, à la page 3.

[44] Transcription de l’audience disciplinaire, 14 novembre 2023, page 38, lignes 9 à 21.

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