Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’Avis d’audience disciplinaire contient quatre allégations de contravention au Code de déontologie de la GRC. Les allégations 1 et 2 concernent le recours à la force par le gendarme Craig Murray lors d’interactions avec un membre du public pendant l’arrestation de celui-ci et pendant qu’il l’escortait jusqu’au bloc cellulaire du Détachement. Les allégations 3 et 4 concernent le compte rendu du gendarme Murray à propos de ces interactions.
Le Comité de déontologie a conclu que les quatre allégations n’étaient pas fondées.

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier no 202333839

2025 DAD 02

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

Entre :

l’autorité disciplinaire désignée pour la Division F

 

Autorité disciplinaire

et

le gendarme Craig Murray

matricule 66199

Membre visé

Décision du comité de déontologie

Sandra Weyand, comité de déontologie

14 mars 2025

Pierre-Olivier Lemieux, représentant de l’autorité disciplinaire

Gordon Campbell, représentant du membre visé


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 4

ALLÉGATIONS 5

PREUVES 9

Principes juridiques applicables pour déterminer la crédibilité et la fiabilité de la preuve 9

Gendarme Murray 9

Témoignage d’expert de M. Butler 10

Témoignage d’expert du sergent d’état-major Malacko 11

Évaluation du témoignage d’expert 12

ANALYSE 13

Observations des représentants 13

Recours à la force – critère juridique applicable 13

Allégation 1 : 15

Constatation des faits 15

Application du critère du recours à la force 17

Allégation 2 : 23

Constatation des faits 23

Application du critère de recours à force 24

Production de rapports – Critère juridique applicable 29

Allégation 3 : 30

Constatation des faits 30

Application du critère juridique sur la production de rapports 30

Allégation 4 : 33

Constatation des faits 33

Élément problématique concernant l’allégation 4 33

Application du critère juridique sur la production de rapports 35

CONCLUSION 36

 

RÉSUMÉ

L’Avis d’audience disciplinaire contient quatre allégations de contravention au Code de déontologie de la GRC. Les allégations 1 et 2 concernent le recours à la force par le gendarme Craig Murray lors d’interactions avec un membre du public pendant l’arrestation de celui-ci et pendant qu’il l’escortait jusqu’au bloc cellulaire du Détachement. Les allégations 3 et 4 concernent le compte rendu du gendarme Murray à propos de ces interactions.

Le Comité de déontologie a conclu que les quatre allégations n’étaient pas fondées.

INTRODUCTION

[1] Le gendarme Craig Murray fait l’objet de quatre allégations d’infraction au code de déontologie de la GRC. Les allégations concernent les interactions du gendarme Murray avec T.V., un membre du public, au moment de son arrestation et à son arrivée au Détachement de La Ronge.

[2] Le 11 juillet 2022, le gendarme Murray a arrêté T.V. pour voies de fait, puis l’a emmené au bloc cellulaire du Détachement de La Ronge. Le gendarme Murray est accusé d’avoir utilisé plus de force que raisonnablement nécessaire contre T.V., en contravention de l’article 5.1 du Code de déontologie, lorsqu’il l’a fait monter dans le véhicule de police au moment de l’arrestation (allégation 1) et lorsqu’ils marchaient dans le couloir du Détachement pour l’amener en cellule (allégation 2). Il est également allégué que le gendarme Murray a rédigé un récit faux et trompeur sur ses interactions avec T.V., en contravention de la section 8.1 du Code de déontologie, dans un courriel qu’il a envoyé au chef du Détachement au sujet de l’incident survenu dans le couloir (allégation 3) et dans le Rapport sur le comportement du sujet et l’intervention de l’agent (CSIA) qu’il a rédigé par la suite (allégation 4).

[3] Les allégations sont énoncées dans l’Avis d’audience disciplinaire daté du 15 décembre 2023. Le 8 mars 2024 et le 29 avril 2024, le gendarme Murray a fourni ses réponses à l’Avis d’audience disciplinaire, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Il a nié les quatre allégations.

[4] J’ai été désignée « comité de déontologie » dans cette affaire en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10 (Loi sur la GRC). Conformément à l’article 45 de la Loi sur la GRC, je dois décider si chaque allégation est fondée selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, pour chaque allégation, je dois déterminer si, selon toute vraisemblance, le gendarme Murray a contrevenu au Code de déontologie de la GRC. Si je conclus au bien-fondé d’une ou de plusieurs des allégations, je dois imposer des mesures disciplinaires.

[5] L’audience disciplinaire s’est tenue durant la semaine du 20 janvier 2025. La décision de vive voix concernant les allégations a été rendue le 22 janvier 2025. La présente décision écrite intègre et approfondit la décision rendue de vive voix.

[6] J’ai examiné attentivement le dossier, qui comprend des preuves documentaires et vidéo, les dépositions orales des témoins (y compris de témoins experts sur le recours à la force), ainsi que les observations des représentants.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les quatre allégations ne sont pas fondées.

ALLÉGATIONS

[8] Les allégations énoncées dans l’Avis d’audience disciplinaire sont les suivantes :

Énoncés détaillés communs à toutes les allégations

Au moment des faits, vous [le gendarme Craig Murray] étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division F, dans la province de la Saskatchewan.

Allégation 1 : Le 11 juillet 2022 ou vers cette date, à La Range (Saskatchewan) ou dans les environs, durant ses heures de travail, le gendarme Craig Murray a utilisé plus de force que raisonnablement nécessaire dans les circonstances, contrairement à l’article 5.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 1

1. Vous avez reçu une demande de service concernant une plainte dans le cadre de laquelle vous avez légalement fouillé, arrêté et menotté [T.V.], ce qui a été capté sur vidéo WatchGuard (images et son). Vous avez utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances de l’arrestation de [T.V.], un détenu sous votre garde envers qui vous aviez un devoir de diligence, lorsque vous l’avez projeté tête première, tandis qu’il avait les mains menottées derrière lui, sur la banquette arrière d’un véhicule de police.

2. Vous avez fait preuve d’un manque total de respect envers [T.V.], et on peut vous entendre sur la vidéo WatchGuard vous vanter de votre recours excessif à la force; vous riez et plaisantez en faisant au gendarme Thomas Attardo un compte rendu après l’arrestation de [T.V.], déclarant : « Tu as raté mon moment de gloire » et « ... je l’ai jeté à l’arrière du véhicule d’une seule main ». Vous avez ensuite dit au gendarme Attardo : « [T.V.] m’aime pas trop en ce moment parce que je l’ai un peu bousculé » et « [T.V.] est monté un peu vite à l’arrière de mon véhicule » et « il va pas être content quand on va arriver au bloc cellulaire ».

3. M. Christopher Butler, expert en recours à la force par la police, a examiné l’ensemble de vos interactions avec [T.V.] et a rédigé un avis d’expert indépendant. Dans son rapport, M. Butler a conclu que, selon lui :

a. Une technique de contrôle physique intense n’était pas proportionnée à l’ensemble des circonstances décrites.

b. Par conséquent, j’estime que, bien que le recours à la force ait été nécessaire pour forcer [T.V.] à monter dans le véhicule, la tactique choisie a dépassé le seuil de proportionnalité prévu par la formation de la police et le [Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents (MIGI)] et que plusieurs options moins radicales auraient pu être utilisées à la place.

4. Par conséquent, vous avez utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances, en contravention de l’article 5.1 du Code de déontologie de la GRC.

Allégation 2 : Le 11 juillet 2022 ou vers cette date, à La Ronge (Saskatchewan) ou dans les environs, durant ses heures de travail, le gendarme Craig Murray a utilisé plus de force que raisonnablement nécessaire dans les circonstances, contrairement à l’article 5.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 2

5. Vous avez emmené [T.V.], un détenu sous votre garde et envers qui vous aviez un devoir de diligence, au Détachement de la GRC de La Ronge; sur la vidéo WatchGuard, on vous voit escorter [T.V.] dans le couloir du bloc cellulaire, puis utiliser plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire et pousser [T.V.], dont les mains étaient menottées derrière lui, contre le montant d’une porte métallique, ce qui a entraîné une perte de conscience temporaire, un hématome à l’os occipital derrière l’oreille droite, des vertiges, des étourdissements et des douleurs au cou et au dos.

6. M. Christopher Butler, expert en recours à la force par la police, a examiné l’ensemble de vos interactions avec [T.V.] et a rédigé un avis d’expert indépendant. Dans son rapport, il a conclu que, selon lui :

a. Je suis d’avis que, compte tenu des facteurs atténuants que sont l’environnement contrôlé, le fait que [T.V.] avait été fouillé et menotté, qu’un autre agent se trouvait à proximité immédiate et l’écart important de taille et de force, des options de contrôle physique modéré auraient été appropriées et efficaces pour contrôler [T.V.].

b. Le fait de pousser [T.V.] contre le mur était manifestement une technique de contrôle physique intense et particulièrement risquée étant donné la probabilité que sa tête heurte le mur s’il devait y avoir perte d’équilibre. Comme je l’ai déjà mentionné, après avoir visionné la vidéo, je ne suis pas d’avis que [T.V.] « a penché la tête en avant tandis qu’il se dirigeait vers le mur ».

c. La technique choisie par le gendarme MURRAY a échoué à l’analyse de proportionnalité telle qu’exigée par une application correcte du MIGI dans la totalité des circonstances de cette affaire.

7. Par conséquent, vous avez utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances, en contravention de l’article 5.1 du Code de déontologie de la GRC.

Énoncé détaillé de l’allégation 3

Allégation 3 : Le 11 juillet 2022 ou vers cette date, à La Ronge (Saskatchewan) ou dans les environs, durant ses heures de travail, le gendarme Craig Murray a omis de rendre compte de manière exacte et détaillée de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions, du déroulement d’enquêtes et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, en contravention de l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 3

9. Le 12 juillet 2022 (à 0 h 26), vous avez envoyé un courriel au sergent d’état-major Dean Bridle, chef du Détachement de la GRC de La Ronge, concernant vos interactions avec [T.V.], un détenu menotté en état d’arrestation, tandis que vous l’escortiez dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de la GRC de La Ronge, ce qui constitue le fondement de l’allégation 2 telle qu’énoncée ci-dessus.

10. Dans ce courriel, vous déclarez : « Hier soir, tandis que j’escortais [T.V.] dans le bloc cellulaire, il s’est tendu et a tenté de me heurter avec son épaule. J’ai réagi en le poussant contre le mur pour mettre fin à son comportement. [T.V.] a baissé la tête à ce moment-là et s’est cogné la tête contre le mur avant de perdre connaissance. »

11. Votre courriel du 12 juillet 2023 au sergent d’état-major Bridle ne concorde pas avec ce que l’on voit dans la vidéo WatchGuard prise dans le couloir du bloc cellulaire le 11 juillet 2022.

12. Par conséquent, votre courriel du 12 juillet 2022 (0 h 26) au sergent d’état-major Bridle contient un compte rendu inexact de l’incident mettant en cause [T.V.], qui a eu lieu dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de la GRC de La Ronge dans la nuit du 11 juillet 2023, en contravention de l’article 8.1 du Code de déontologie de la GRC.

Énoncé détaillé de l’allégation 4

Allégation 4 : Le 9 octobre 2022 ou vers cette date, à La Ronge (Saskatchewan) ou dans les environs, durant ses heures de travail, le gendarme Craig Murray a omis de rendre compte de manière exacte et détaillée de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions, du déroulement d’enquêtes et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, en contravention de l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

13. Le 9 octobre 2022, vous avez rédigé un rapport [CSIA] (2022-955748) dans lequel vous avez indiqué que, dans la nuit du 11 juillet 2022, tandis que vous escortiez [T.V.], un détenu en état d’arrestation, menotté mains dans le dos, dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de la GRC de La Ronge, [T.V.] « a contracté les muscles des bras, serré les poings » et a traité les membres de « pussies ».

14. Dans le rapport CSIA du 9 octobre 2022, vous avez écrit ce qui suit : « Le gendarme Murray a jugé qu’il s’agissait d’un comportement agressif », que « [T.V.] se préparait psychologiquement à passer à l’attaque », et que [T.V.] « avait commencé à se tortiller, et il a tenté de frapper le gendarme Murray avec son épaule; le gendarme Murray a donc utilisé la force pour pousser [T.V.] contre le mur afin de mettre fin à son comportement agressif. C’est à ce moment-là que [T.V.] a baissé la tête, s’est cogné la tête contre le montant de la porte dans le couloir et s’est assommé. »

15. Votre rapport CSIA du 9 octobre 2022 ne concorde pas avec ce que l’on voit dans la vidéo WatchGuard prise dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de la GRC de La Ronge le 11 juillet 2022.

16. Par conséquent, votre rapport CSIA du 9 octobre 2022 contient un compte rendu inexact de l’incident impliquant [T.V.], qui a eu lieu dans le couloir du bloc cellulaire de la GRC de La Ronge, dans la nuit du 11 juillet 2023, contrevenant ainsi à l’article 8.1 du Code de déontologie de la GRC.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

PREUVES

[9] J’ai reçu des rapports d’experts et entendu les témoignages de vive voix de M. Chris Butler, du sergent d’état-major Brad Malacko et du gendarme Murray. J’ai aussi tenu compte des déclarations orales et transcrites figurant dans le dossier, en particulier celles du commissionnaire Wade Midgett et du gendarme Thomas Attardo.

Principes juridiques applicables pour déterminer la crédibilité et la fiabilité de la preuve

[10] Lorsque j’évalue le témoignage de chaque témoin, je dois déterminer s’il est véridique et fiable. Il arrive parfois que l’on conclue que les éléments de preuve d’un témoin sont sincères mais non fiables. Je peux aussi accepter une partie, la totalité ou aucun des éléments de preuve apportés par un témoin au sujet d’un fait particulier.

[11] Pour évaluer la crédibilité, je ne dois pas examiner le témoignage en vase clos mais plutôt en fonction de l’ensemble de la preuve. Je dois aussi tenir compte des contradictions dans cette preuve et déterminer si, lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble dans le contexte de la totalité de la preuve, la crédibilité du témoin en est affectée[1].

[12] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique fait observer que le témoignage d’un témoin ne peut pas être évalué uniquement en fonction du fait que le témoin semble dire la vérité. Le juge des faits doit plutôt déterminer si le récit du témoin est conforme à l’interprétation la plus probable des circonstances.

[13] Enfin, la question de savoir si le récit du témoin a une « apparence de vraisemblance » est subjective, mais pour y répondre, il faut prendre en considération l’ensemble de la preuve.

Gendarme Murray

[14] J’ai trouvé le témoignage du gendarme Murray crédible et fiable. Il a présenté son témoignage de façon directe et franche. Son témoignage oral était conforme à la preuve vidéo et aux déclarations des autres témoins. Le gendarme Murray n’a pas tenté d’exagérer les actions de T.V. Bien que son souvenir de certains événements ne soit pas clair, comme les mots exacts prononcés par T.V. et le moment où ils l’ont été, je n’ai pas trouvé que cela avait un impact important sur la fiabilité globale de son témoignage.

[15] J’ai trouvé le témoignage du gendarme Murray particulièrement percutant lorsqu’il a évoqué ses problèmes de santé mentale liés au fait de travailler dans un détachement où le volume d’appels est élevé et d’exercer des fonctions policières dans des environnements particulièrement violents. Plus précisément, son récit de la fusillade qui s’était déroulée dans la région le 19 juin 2022 et de l’impact que cela avait eu sur lui a été poignant. Le gendarme Murray a expliqué que ses troubles du sommeil, déjà importants, se sont encore aggravés après cet incident, certaines nuits se soldant par une absence totale de sommeil, et qu’il sursautait au moindre bruit. Il a cherché de l’aide pour ces problèmes à la première occasion. En outre, il continue de recevoir le soutien de son psychologue et de fréquenter le River Valley Resilience Centre en Saskatchewan.

[16] Le gendarme Murray a décrit en détail son environnement au moment où il a arrêté T.V. et ses perceptions pendant les incidents en question. J’aborderai son témoignage à cet égard aux moments opportuns de mon analyse.

Témoignage d’expert de M. Butler

[17] M. Butler possède une grande expertise dans les techniques d’intervention par la force et dans l’analyse des preuves vidéo. Son témoignage était clair, direct et objectif. Je l’ai trouvé crédible et j’ai jugé fiables les preuves qu’il a présentées.

[18] M. Butler a souligné les limites de l’utilisation de la preuve vidéo, notamment l’absence de son, l’incapacité à déceler les signes de menace basés sur la tension corporelle ou d’autres signes du langage corporel, et les problèmes éventuels de fiabilité de la vidéo en l’absence d’une analyse judiciaire. Il a estimé que le gendarme Murray avait agi dans le cadre de ses pouvoirs légaux, mais que son recours à la force était disproportionné dans les circonstances. En particulier, M. Butler a conclu que la décision de projeter T.V. dans le véhicule n’était pas une technique enseignée et n’était pas conforme au MIGI et aux politiques de la GRC.

[19] De même, M. Butler a conclu que la technique de contrôle utilisée par le gendarme Murray lors de l’incident dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de La Ronge était disproportionnée.

[20] M. Butler a fourni une explication détaillée du modèle MIGI et des hypothèses qu’il a formulées pour parvenir à ses conclusions concernant les actions (ou le recours à la force) du gendarme Murray. Plus précisément, il a expliqué que le MIGI est l’outil que les membres de la GRC utilisent pour évaluer et gérer les risques dans toutes leurs rencontres avec le public. Il aide les membres à déterminer l’intervention nécessaire en évaluant continuellement le risque, en fonction de la situation dans son ensemble.

[21] Il a ensuite souligné les différences fondamentales entre son rapport d’expert et celui du sergent d’état-major Malacko. Lors du contre-interrogatoire, il a concédé un certain nombre de points, notamment qu’il était incapable de dire l’intensité de la force que le gendarme Murray aurait exercée sur T.V.; ce que le gendarme Murray aurait perçu de son point de vue (dont l’angle diffère de celui de la preuve vidéo); quelles étaient les intentions du gendarme Murray; quels étaient ses antécédents; et quelle aurait pu être sa relation avec T.V., la réserve de Lac La Ronge ou la région servie par le Détachement en général. M. Butler a reconnu que tous ces points constituaient des facteurs pertinents à prendre en compte et qu’il n’avait pas eu l’avantage de les connaître lorsqu’il a formulé son opinion.

[22] Le témoignage précis de M. Butler concernant les actes (ou l’usage de la force) contestés du gendarme Murray sera intégré à mon analyse de chaque allégation.

Témoignage d’expert du sergent d’état-major Malacko

[23] Le sergent d’état-major Malacko a procédé à une évaluation du recours à la force par le gendarme Murray dans le cadre de l’examen par la GRC des incidents concernant T.V. Son examen consistait à déterminer si le gendarme Murray s’était conformé au MIGI et avait respecté les politiques de la GRC connexes. Le sergent d’état-major Malacko a conclu que le recours à la force par le gendarme Murray avait été conforme aux exigences du MIGI.

[24] Le témoignage du sergent d’état-major Malacko était clair, franc et convaincant. Les faits sur lesquels il a fondé son opinion concordent avec les preuves qui m’ont été présentées. Il a été un témoin crédible et son témoignage était fiable.

[25] Le sergent d’état-major Malacko a soulevé des préoccupations similaires à celles de M. Butler concernant les séquences vidéo. Il a également expliqué l’importance de la perception qu’un membre a des circonstances et de son environnement. Il a insisté sur le fait que, dans une situation de recours à la force, un membre est appelé à gérer des événements extrêmement dynamiques et doit prendre des décisions rapides qui n’aboutissent pas toujours aux résultats voulus. À cet égard, le sergent d’état-major Malacko a également souligné que la mécanique corporelle est imprévisible, en particulier lorsqu’il existe une différence de taille entre les personnes ou lorsque l’intoxication est un facteur. Il a conclu que, si le risque de blessure peut être prévisible, ce qui en soi ne permet pas de déterminer si la force utilisée était excessive, l’étendue des blessures ou la façon dont un événement peut se dérouler ne le sont pas.

[26] D’autres détails sur le témoignage du sergent d’état-major Malacko seront abordés, s’il y a lieu, dans mon analyse de chaque allégation.

Évaluation du témoignage d’expert

[27] Le témoignage d’un expert peut m’aider à évaluer l’ensemble de la preuve. Je dois cependant m’assurer que le fondement factuel de cette opinion concorde avec la preuve et évaluer le poids à accorder au témoignage. Je ne peux simplement pas me contenter d’adopter ses conclusions comme étant les miennes. Les rapports et le témoignage oral de M. Butler et du sergent d’état-major Malacko constituent plutôt un aspect des preuves que j’examinerai pour déterminer la question ultime, à savoir si la force utilisée par le gendarme Murray était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

[28] Plusieurs facteurs m’ont amenée à accorder plus de poids à l’opinion du sergent d’état-major Malacko qu’à celle de M. Butler. Bien que la méthode et les preuves sur lesquelles s’appuient le rapport d’expertise et le témoignage oral de M. Butler aient été exposées plus clairement, M. Butler a formulé plusieurs hypothèses sans tenir compte du témoignage du gendarme Murray et de sa perception des incidents. Lorsque d’autres faits lui ont été présentés lors du contre-interrogatoire, il a admis que ces détails auraient eu une incidence sur son opinion.

ANALYSE

Observations des représentants

[29] Pour parvenir à ma décision, j’ai examiné l’intégralité des observations des représentants, et, s’il y a lieu, j’en intégrerai toutes les parties pertinentes dans mon analyse de chaque allégation.

Recours à la force – critère juridique applicable

[30] Selon les allégations 1 et 2, le gendarme Murray aurait utilisé plus de force que nécessaire dans les circonstances, en contravention de l’article 5.1 du Code de déontologie (« Les membres emploient seulement la force raisonnablement nécessaire selon les circonstances »).

[31] Afin que les allégations 1 et 2 soient établies, l’autorité disciplinaire doit prouver chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre;

  2. les gestes posés par le membre ayant constitué le recours à la force;

  3. le recours à la force n’était pas raisonnablement nécessaire pour l’une des raisons suivantes :

i. le membre n’agissait pas dans le cadre de ses fonctions légitimes;

ii. le membre n’avait pas de motifs raisonnables pour recourir à la force; ou

iii. le degré de force utilisé n’était pas objectivement raisonnable.

[32] Je dois conclure qu’il est plus probable qu’improbable que le comportement attribué au gendarme Murray par l’autorité disciplinaire s’est produit. À cet égard, une preuve suffisamment claire, probante et convaincante suffit à satisfaire au fardeau de la preuve. Je souligne que, bien que les détails soient énoncés dans l’Avis d’audience disciplinaire, l’autorité disciplinaire n’est pas tenue de prouver chaque élément précis d’un détail. Certains détails sont fournis uniquement pour mettre l’allégation en contexte.

[33] La Cour suprême du Canada établit les principes directeurs suivants pour évaluer si le recours à la force d’un policier était raisonnablement nécessaire dans les circonstances :

[32] […] dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers ne possèdent pas le pouvoir illimité d’infliger des blessures à une personne. Bien que, dans certaines circonstances, il leur faille recourir à la force pour arrêter un délinquant ou l’empêcher de leur échapper, le degré de force permis demeure circonscrit par les principes de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité. […][2]

[Je souligne.]

[34] La question consiste donc à déterminer les facteurs à prendre en considération pour évaluer si ces principes ont été respectés. Comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu, « [l]es contraintes applicables à l’emploi de la force par un policier sont fermement ancrées dans notre tradition de common law et consacrées par le Code criminel, L.R.C. 1985, c C-46 »[3], à l’article 25.

[35] En effet, lorsque l’emploi de la force par un policier fait l’objet d’un examen, l’article 25 du Code criminel décrit les circonstances dans lesquelles ce recours à la force est justifié. Le paragraphe 25(1) du Code criminel se lit comme suit :

Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

a) soit à titre de particulier,

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public,

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public,

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

[36] Ainsi, les éléments suivants doivent être établis selon la prépondérance des probabilités[4] :

  1. Le gendarme Murray agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes;

  2. La croyance subjective du gendarme Murray quant au besoin d’utiliser la force pour s’acquitter de ses fonctions était objectivement raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances;

  3. Le gendarme Murray n’a pas utilisé plus de force que nécessaire.

[37] La croyance subjective du gendarme Murray quant au besoin d’utiliser la force et au degré de force requis doit être objectivement raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances qui prévalaient au moment du recours à la force[5]. Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte pour évaluer le degré de force employé. Ces facteurs, je les décris en détail dans mon analyse.

Allégation 1 :

[38] Je commencerai par présenter mes conclusions de fait concernant les interactions du gendarme Murray avec T.V. le 11 juillet 2022, tant au moment de l’arrestation que lorsque T.V. a été placé dans le véhicule de police. Je présenterai ensuite mes conclusions pour chaque élément du critère de recours à la force prévu à l’article 5.1 du Code de déontologie.

Constatation des faits

[39] Le 11 juillet 2022, à 23 h 21 (HNC), le gendarme Murray a répondu à un appel concernant une agression sur la réserve de Lac La Ronge, à savoir une agression commise par T.V. à l’encontre de son père. Le gendarme Murray était le premier agent à arriver sur les lieux. Il a identifié T.V. après lui avoir demandé son nom à plusieurs reprises. T.V. était intoxiqué et légèrement sur la défensive et a demandé à plusieurs reprises la raison de son arrestation. T.V. tenait un cellulaire dans la main droite et une boîte de conserve dans la main gauche. Le gendarme Murray a pris le cellulaire, l’a placé sur le toit du véhicule de police et a menotté le bras droit de T.V.

[40] Le véhicule du gendarme Murray était équipé d’une caméra WatchGuard pour filmer la vue devant le véhicule ainsi que sur la banquette arrière. La preuve vidéo montre que, lorsqu’il a été menotté, T.V. a pointé sa main gauche vers la maison pour indiquer où se trouvait son père. Cela dit, j’accepte que le gendarme Murray ait eu l’impression que T.V. lui retirait le bras alors qu’il essayait de le menotter et qu’il n’ait pas entendu T.V. mentionner que son père était dans la maison. Comme l’a souligné M. Butler, ce qui est visible sur la vidéo n’est pas ce qui était visible du point de vue du gendarme Murray, et il se peut qu’il n’ait pas vu ou entendu tout ce qui a été capté par les caméras et les microphones.

[41] Je constate également que le gendarme Murray a entendu T.V. dire « or what? » (ou quoi?) lorsqu’il lui a demandé de lui remettre la boîte de conserve qu’il tenait dans la main gauche. La transcription de la vidéo WatchGuard confirme que cet échange a eu lieu.

[42] Une fois T.V. menotté, le gendarme Murray l’a fouillé hors du champ de la caméra de surveillance, mais l’enregistrement audio corrobore cette étape.

[43] Le son et l’image ont à nouveau été captés lorsque le gendarme Murray tentait de faire monter T.V. à l’arrière du véhicule de police. Je constate que les preuves montrent que T.V. n’était pas coopératif. Le gendarme Murray a ordonné verbalement à T.V. de monter dans le véhicule à deux reprises. Lorsque T.V. n’a pas obtempéré, le gendarme Murray a tenté de l’aider à monter dans le véhicule. T.V. a alors fait un pas en arrière, a pivoté les hanches et a poussé son corps en s’éloignant du véhicule, comme en témoigne la position de ses jambes visible sur la vidéo. Le gendarme Murray a expliqué, et j’accepte l’explication, que les mouvements de T.V. ont rendu difficile pour le gendarme Murray de maintenir son emprise sur lui. C’est à ce moment-là que le gendarme Murray a soulevé T.V. pour le placer physiquement dans le véhicule. T.V. est entré horizontalement dans le véhicule de police, la tête la première, et a atterri sur le siège arrière sur son côté droit. Il n’a pas été blessé et s’est redressé rapidement une fois la porte refermée.

[44] Après que T.V. ait été placé dans le véhicule de police, le gendarme Attardo est arrivé sur les lieux pour apporter son aide, et le gendarme Murray lui a raconté ce qui s’était passé. Je constate que, au cours de cette conversation, le gendarme Murray a déclaré : [TRADUCTION] « Tu as raté mon moment de gloire », « je l’ai jeté à l’arrière du véhicule d’une seule main », « je dois dire, [T.V.] m’aime pas trop en ce moment parce que je l’ai un peu bousculé », « [T.V.] est monté un peu vite à l’arrière de mon véhicule », et « il va pas être content quand on va arriver au bloc cellulaire », ou des mots à cet effet.

[45] Le gendarme Attardo a informé T.V. de ses droits, debout devant la portière ouverte à l’arrière du véhicule de police. Étant donné que T.V. ne s’était pas montré coopératif lorsqu’on lui avait demandé de monter dans le véhicule du gendarme Murray, les deux agents ont convenu de le laisser à l’arrière du véhicule du gendarme Murray pour l’emmener au Détachement au lieu de le transférer dans le véhicule du gendarme Attardo. Le gendarme Attardo était l’enquêteur principal sur le dossier; si les circonstances avaient été différentes, c’est lui qui aurait emmené T.V. au Détachement.

[46] J’ai également entendu des témoignages pertinents sur l’environnement dans lequel le gendarme Murray travaillait lors de son interaction avec T.V. Je précise que les résidents de la réserve de Lac La Ronge sont généralement connus pour leur hostilité envers la police. En particulier, j’ai constaté que T.V. était connu des services de police et qu’il avait déjà eu un comportement agressif envers des policiers lorsqu’il était intoxiqué.

[47] En outre, une fusillade s’était produite le 19 juin 2022, à moins de un kilomètre de l’endroit où le gendarme Murray avait arrêté T.V. Au cours de cet incident, un assaillant inconnu avait tiré sur des policiers. L’agresseur n’avait pas encore été identifié ni retrouvé au moment de l’arrestation de T.V. Outre le sentiment de malaise dû à l’incertitude quant au lieu où se trouvait l’agresseur, cet incident a perturbé le sommeil, la concentration et le niveau d’anxiété du gendarme Murray.

Application du critère du recours à la force

[48] Le premier volet du critère n’est pas contesté : le gendarme Murray est bien le membre qui, le 11 juillet 2022, a arrêté T.V. sur le territoire de la réserve de Lac La Ronge. En outre, l’action qui constitue le recours à la force est le fait que le gendarme Murray a soulevé T.V. de force et l’a projeté à l’horizontale dans un véhicule de police. Cela a été établi dans mes conclusions de fait; par conséquent, le deuxième volet du critère est fondé.

[49] Je me concentrerai donc sur les trois éléments du troisième volet du critère du recours à la force, à savoir : a) si le membre concerné agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes; b) si le membre concerné avait des motifs raisonnables de recourir à la force; c) si la force utilisée était objectivement raisonnable.

Le gendarme Murray agissait-il dans le cadre de ses fonctions légitimes?

[50] Je n’ai reçu aucun élément de preuve contestant que le gendarme Murray agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes. Je conclus qu’il était en service et procédait à une arrestation.

Était-il raisonnable pour le gendarme Murray de croire qu’il avait des motifs raisonnables de recourir à la force?

[51] Les deux experts en recours à la force ont conclu que T.V. avait manifesté une résistance active lorsqu’on lui avait demandé de monter dans le véhicule de police. Je suis d’accord, ce qui m’amène à décrire plus en détail l’évaluation des risques dans le prochain élément du critère.

Le degré de force utilisé par le gendarme Murray était-il objectivement raisonnable?

[52] Comme l’a noté la Cour suprême du Canada, la question n’est pas simplement de savoir si un policier croyait honnêtement que la force était nécessaire et si le degré de force utilisée était proportionnel à la situation; la croyance du policier doit également être raisonnable[6].

[53] Cela dit, la Cour suprême du Canada reconnaît que les actions d’un policier ne doivent pas être soumises à une norme de perfection[7]. En outre, la Cour d’appel de l’Alberta déclare qu’on ne peut pas [TRADUCTION] « attendre des membres qu’ils mesurent la force exacte que la situation exige »[8]. Ainsi, il est important de souligner que le fait de ne pas utiliser la force la plus faible possible ne rendra pas, en soi, la force utilisée déraisonnable.

[54] Je partage l’avis du sergent d’état-major Malacko et de M. Butler concernant le recours à la force dans une situation donnée. Les circonstances sont, par nature, complexes, dynamiques et en constante évolution. L’agent doit prendre des décisions en une fraction de seconde sur la base de son évaluation des risques. De plus, il doit tenir compte de considérations tactiques, de ses perceptions, des facteurs situationnels et du comportement du sujet. Le MIGI et la formation connexe constituent le cadre dans lequel les membres de la GRC évaluent et gèrent les risques par des interventions justifiables, proportionnées et raisonnables. Le MIGI guide l’agent dans la détermination du risque, et c’est l’outil le plus approprié à utiliser lors d’une intervention.

[55] Le gendarme Murray a déclaré que les facteurs suivants avaient influencé son évaluation des risques au moment de l’arrestation de T.V. :

  1. Il était le seul policier sur les lieux au moment de l’arrestation;

  2. Il faisait très noir, l’incident s’étant produit juste avant minuit;

  3. T.V. aurait agressé son père pendant que celui-ci dormait;

  4. T.V. était intoxiqué;

  5. Il y avait des antécédents de violence et d’hostilité envers la police dans la réserve de Lac La Ronge;

  6. Il y avait eu une fusillade à moins d’un kilomètre du lieu de l’arrestation deux semaines auparavant; le tireur était toujours en liberté et on supposait qu’il se cachait dans la région;

  7. T.V. avait refusé de monter dans le véhicule de police lorsqu’on le lui a demandé de le faire de vive voix;

  8. La posture de T.V. lorsqu’on lui a demandé de monter dans le véhicule;

  9. Le gendarme Murray avait cru à une escalade du comportement de T.V. lorsque celui-ci avait retiré son bras tandis que l’agent tentait de lui passer les menottes; lorsqu’il a déclaré « or what? » lorsque l’agent lui a demandé de lui donner la boîte de conserve qu’il tenait; et lorsqu’il a tenté de se dégager en montant dans le véhicule;

  10. T.V. avait déjà eu des démêlés avec la police, notamment en raison de sa tendance à devenir agressif lorsqu’il est intoxiqué.

[56] Je suis d’avis que l’évaluation des risques effectuée par le gendarme Murray était justifiée et conforme aux faits. Je suis également d’avis que T.V. a adopté un comportement de résistance active et j’en conclus que la force était devenue nécessaire pour le faire monter dans le véhicule de police. Comme je l’ai déjà mentionné, les deux experts en recours à la force sont également arrivés à cette même conclusion.

[57] En ce qui concerne l’intervention utilisée, les preuves indiquent que le gendarme Murray a projeté T.V. dans le véhicule de police. T.V. a atterri sur son côté droit, sur la banquette arrière du véhicule, et s’est rapidement redressé.

[58] Comme je l’ai souligné, les actions d’un membre ne doivent pas être soumises à une norme de perfection. Comme l’a déclaré le comité de déontologie dans une décision de la GRC qui m’a été fournie par les deux parties, « [l]a jurisprudence fait ressortir un certain nombre de facteurs qu’un juge des faits doit prendre en considération au moment d’évaluer si le degré de force utilisé par un policier était raisonnable compte tenu des circonstances »[9]. Ces facteurs comprennent, mais sans s’y limiter, les événements ayant précédé le recours à la force; le nombre de policiers participant à l’intervention et les caractéristiques personnelles de chacun, de même que leurs capacités et leurs limites; la stature physique du suspect, son état d’esprit, son intoxication réelle ou perçue et son interaction avec la police; la présence et l’utilisation d’armes; et la nature, la durée et les motifs apparents du recours à la force par la police.

[59] J’ai déjà exposé en détail les événements qui ont précédé le recours à la force ainsi que les raisons et le motif du recours à la force par le gendarme Murray. Même si T.V. avait prétendument agressé son père, il était de petite taille, intoxiqué et menotté. Le gendarme Murray était certainement plus fort que T.V. Le gendarme Murray a expliqué qu’il avait tenu compte de ce facteur dans son évaluation des risques; autrement, le risque évalué aurait été plus élevé.

[60] Dans l’esprit du gendarme Murray, T.V. avait déjà tenté de se dégager à deux reprises. Le gendarme Murray a expliqué qu’il avait failli perdre son emprise lorsque T.V. avait tenté de se dégager à la portière du véhicule. Il a expliqué que c’était la raison pour laquelle il n’avait pas employé de techniques par la frappe ou la mise au sol dynamique, car il aurait eu besoin d’une meilleure prise pour qu’elles soient efficaces. Compte tenu des facteurs environnementaux précédemment décrits et, en particulier, du fait que le gendarme Murray se trouvait dans une région où se trouvait possiblement une personne qui cherchait peut-être à blesser ou à tuer des policiers, l’objectif principal du gendarme Murray était de faire monter T.V. dans le véhicule sans incident.

[61] Les caractéristiques personnelles du gendarme Murray sont également pertinentes pour évaluer le déroulement de l’incident. À ce moment-là, il était sujet à des troubles du sommeil et à des problèmes de concentration et d’anxiété accrue. Ces éléments ont également joué un rôle dans sa décision Murray de faire monter T.V. dans le véhicule le plus rapidement possible.

[62] Le MIGI prévoit des techniques douces et intenses de maîtrise physique lorsqu’un membre est confronté à une situation active de risque et de résistance. Par « maîtrise physique », on entend toute technique utilisée pour maîtriser le sujet qui n’implique pas l’utilisation d’une arme. Les techniques douces peuvent être utilisées pour créer une distraction; il s’agit notamment de coups avec paume ouverte, la maîtrise par points de pression et le blocage des articulations. Les techniques intenses visent à faire cesser le comportement d’un sujet; il peut s’agir de coups de poing et de coups de pied ou de techniques de contrôle carotidien.

[63] M. Butler a estimé que le gendarme Murray aurait dû opter pour des techniques douces de contrôle physique pour maîtriser T.V. et le faire monter dans le véhicule. Cependant, lors du contre-interrogatoire, il a concédé que son opinion ne tenait pas compte du fait que les habitants du quartier étaient hostiles à la police ni du fait qu’une fusillade avait eu lieu deux semaines auparavant, deux éléments qui auraient pu justifier la nécessité de maîtriser rapidement la situation. M. Butler a également fait valoir que la technique employée était préférable à une mise à terre à l’extérieur du véhicule.

[64] Le choix de la technique employée ne laisse aucunement penser que le gendarme Murray n’a pas pris soin de placer T.V. dans le véhicule, même s’il a dû faire usage d’une force plus grande. Il perdait son emprise sur T.V. et son objectif était de le faire monter dans le véhicule le plus rapidement possible, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[65] Selon le MIGI, une technique de contrôle physique plus intense est une option viable lorsqu’on est confronté à une personne qui résiste activement. M. Butler a convenu qu’il existe des techniques plus intenses que de jeter quelqu’un à l’arrière d’un véhicule de police, et qu’il n’est pas nécessaire de les essayer toutes et de passer de la moins violente à la plus violente.

[66] Ainsi, je considère que la décision du gendarme Murray de projeter T.V. dans le véhicule de police était une technique raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Bien que d’autres options aient pu être envisagées, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il était préférable de faire monter T.V. dans le véhicule de police le plus rapidement possible pour éviter toute escalade de son comportement. Le risque que T.V. s’échappe est devenu imminent après sa deuxième tentative de se dégager, qui a failli faire perdre son emprise au gendarme Murray. Le fait de jeter T.V. au sol aurait pu lui causer des blessures plus graves et aurait davantage exposé le gendarme Murray aux facteurs environnementaux auxquels il était déjà confronté. Le fait de faire monter T.V. dans le véhicule de police signifiait qu’il serait sécurisé et que la sécurité de tous serait assurée, ce qui, de l’avis des deux experts en recours à la force, était l’objectif principal.

[67] Par conséquent, je considère que l’autorité disciplinaire n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la technique choisie n’était pas une option objectivement raisonnable et proportionnée. Ainsi, le troisième volet du critère n’est pas établi.

[68] Je note également que ce qu’a dit le gendarme Murray au gendarme Attardo au sujet de la manière dont il avait fait monter T.V. dans le véhicule corrobore le fait qu’il l’a soulevé et jeté dans le véhicule de police. Le langage utilisé par le gendarme Murray en racontant l’incident n’est pas un élément constitutif d’une infraction. Par conséquent, le manque de respect allégué par l’autorité disciplinaire dans la partie 2 de cette allégation ne joue aucun rôle dans mon analyse, si ce n’est que pour fournir du contexte.

[69] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’allégation 1 n’est pas établie.

Allégation 2 :

[70] Voici mes conclusions de fait concernant les interactions du gendarme Murray avec T.V. le 11 juillet 2022 lorsqu’il a escorté T.V. jusqu’aux cellules du Détachement de La Ronge. Je présenterai ensuite mes conclusions concernant chaque élément du critère du recours à la force.

Constatation des faits

[71] Pendant le trajet vers le poste de police, T.V. a tenté de ramener ses mains menottées de derrière son dos vers l’avant. En outre, les preuves indiquent que T.V. a utilisé un langage grossier et a fait des déclarations comme « Mon oncle est policier » et « Tu vas te faire virer demain, bro ».

[72] Une fois arrivés au garage sécurisé du Détachement, les gendarmes Murray et Attardo ont sorti T.V. du véhicule et l’ont escorté dans le couloir du Détachement. Le gendarme Murray tenait T.V. par le bras gauche, et T.V. avait encore les mains menottées dans le dos. Le gendarme Attardo marchait deux pas derrière eux.

[73] La séquence vidéo du Détachement ne contient aucun son. Cela dit, la vidéo montre que, tout en marchant dans le couloir, T.V. a tourné le torse vers la gauche, a planté le pied pour stopper leur avancée et a regardé le gendarme Murray. Il semble aussi avoir parlé au gendarme Murray.

[74] Le gendarme Murray a déclaré dans le rapport CSIA et a témoigné devant moi que T.V. avait contracté les muscles des bras, serré les poings et traité les agents de « pussies ». Il a ajouté que T.V. avait commencé à se tortiller et se préparait psychologiquement à passer à l’attaque.

[75] Je note que le récit des faits par le gendarme Attardo concorde avec celui du gendarme Murray, à savoir que T.V. cherchait à leur échapper, et qu’il tenait des propos assez grossiers. Il a déclaré que T.V. disait des [TRADUCTION] « choses vulgaires », par exemple en traitant les policiers de « bitches ». De plus, le commissionnaire Midgett, le gardien du bloc cellulaire en service à ce moment-là, a également noté que T.V. était insolent à son arrivée, se tortillant pendant qu’il était escorté dans le couloir et n’obéissant pas aux ordres des agents qui lui demandaient de se calmer.

[76] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que T.V. a raidi son corps, serré les poings et dit des choses grossières au gendarme Murray, traitant notamment les agents de « pussies ».

[77] En réaction au comportement de T.V., le gendarme Murray lui a levé les bras derrière lui, l’a saisi par l’épaule gauche et l’a poussé vers le mur. Tandis qu’il poussait T.V., celui-ci a perdu l’équilibre et sa tête a heurté le montant de la porte. T.V. a été assommé sur le coup et s’est affaissé. Le gendarme Murray l’a abaissé au sol, l’a mis en position de récupération et a appelé de l’aide.

[78] Les services médicaux d’urgence sont arrivés sur les lieux et ont transporté T.V. à l’hôpital, où il a été examiné. Les dossiers médicaux indiquent que T.V. a eu un hématome derrière l’oreille droite. Après avoir repris connaissance, T.V. était étourdi mais ses signes vitaux étaient bons et il était capable de marcher. Il a reçu des soins et a quitté l’hôpital le jour même.

Application du critère de recours à force

[79] Comme pour l’allégation 1, l’identité du membre n’est pas en cause pour l’allégation 2. Par conséquent, le premier volet du critère, à savoir l’identité du membre, est établi.

[80] Les actions du membre qui constituent le recours à la force sont décrites dans mes conclusions de fait, en particulier l’action du gendarme Murray lorsqu’il a poussé T.V. contre le mur et que la tête de T.V. a heurté le montant de la porte, lui faisant perdre connaissance. Par conséquent, le deuxième volet est établi.

[81] Je vais maintenant aborder les trois éléments du troisième volet du critère du recours à la force, à savoir : a) si le membre concerné agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes; b) si le membre concerné avait des motifs raisonnables de recourir à la force; et c) si la force utilisée était objectivement raisonnable.

Le gendarme Murray agissait-il dans le cadre de ses fonctions légitimes?

[82] Il n’est pas contesté que le gendarme Murray agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes lorsqu’il escortait T.V., qu’il venait d’arrêter, jusqu’aux cellules. Par conséquent, cet élément est établi.

Était-il raisonnable pour le gendarme Murray de croire qu’il avait des motifs raisonnables de recourir à la force?

[83] Les deux experts ont convenu que T.V. avait eu un comportement agressif avant l’incident. En outre, les preuves corroborent l’évaluation du gendarme Murray à cet égard. Par conséquent, je conclus qu’il avait des motifs raisonnables d’utiliser la force. En effet, rien dans les preuves ne vient contester qu’un certain recours à la force était nécessaire dans les circonstances.

Le degré de force utilisé par le gendarme Murray était-il objectivement raisonnable?

[84] Il convient d’accorder de la considération à un membre sur le terrain, car il n’a pas le luxe d’analyser le comportement du sujet à répétition, en s’aidant d’une vidéo ou autrement, avant de déterminer la ligne de conduite idéale à adopter. Je note qu’il existe également une gamme de réactions admissibles qui peuvent être considérées comme raisonnables. Deux agents dans la même situation peuvent employer des techniques différentes. C’est pourquoi j’accorde une grande importance à la perception de la situation par le gendarme Murray.

[85] J’ai examiné les preuves fournies par la séquence vidéo et par le témoignage du gendarme Murray, ainsi que les interprétations de ces preuves par les experts. Je suis consciente des limites de la vidéo; cependant, je suis d’accord avec les experts pour dire qu’elle me permet de déterminer la séquence et la chronologie des événements.

[86] Le gendarme Murray avait incontestablement un devoir de diligence envers T.V., et ce devoir était accru par le fait que T.V. était menotté. Cependant, son immobilisation par les menottes était limitée, comme le montre le fait qu’il ait tenté de ramener ses mains de l’arrière vers l’avant pendant le transport vers le Détachement. Cela laisse supposer qu’il avait une certaine liberté de mouvement. Ce fait, de même que les commentaires de T.V. pendant le trajet vers le Détachement et ses antécédents d’interaction avec la police tandis qu’il était intoxiqué, auraient amené le gendarme Murray à revoir à la hausse l’évaluation du risque lorsqu’il faisait sortir T.V. du véhicule de police.

[87] Le gendarme Murray a expliqué que, tandis que lui et T.V. marchaient dans le couloir du Détachement, T.V. se raidissait, serrait les poings et proférait des menaces. Aucun de ces éléments n’apparaît sur la vidéo, mais j’ai trouvé crédible le récit des événements par le gendarme Murray et je considère que ces actions sont des faits établis. Je constate également que ce comportement a été corroboré par les comptes rendus du gendarme Attardo et du commissionnaire Midgett dans leurs déclarations. Tous deux étaient présents dans le couloir du bloc cellulaire au moment de l’incident. Les deux experts souscrivent également à l’évaluation du gendarme Murray à cet égard et classent T.V. dans la catégorie des personnes agressives au moment de l’incident.

[88] L’évaluation initiale des risques par le gendarme Murray durant ses interactions avec T.V. a été celle d’une résistance active lors de son embarquement dans le véhicule. Il a ensuite constaté une augmentation des facteurs de risque pendant le trajet jusqu’au Détachement, compte tenu des commentaires de T.V. Enfin, le gendarme Murray a évalué que T.V. posait un risque d’agression lorsqu’ils marchaient dans le couloir du Détachement. Le gendarme Murray n’avait aucun moyen de savoir si le comportement de T.V. allait encore empirer.

[89] Le gendarme Murray a expliqué que, tandis qu’ils marchaient dans le couloir du bloc cellulaire, il avait senti T.V. se tortiller, puis planter le pied, tourner le torse et déplacer les hanches dans sa direction. Il avait senti l’épaule de T.V. heurter l’avant de son gilet pare-balles, ce qu’il avait interprété comme un geste d’agression.

[90] Étant donné qu’il avait déjà failli perdre son emprise sur T.V. une fois, le gendarme Murray ne voulait pas courir le risque d’avoir à le jeter au sol. Son intention était de le plaquer contre le mur et de réévaluer ensuite la situation. Lorsqu’il a été interrogé, le gendarme Murray a expliqué qu’il avait utilisé le minimum de force possible durant cette manœuvre. Alors qu’il déployait cette tactique, il a vu la tête de T.V. bouger vers la droite et heurter le montant de la porte. Le gendarme Murray a clairement indiqué que son intention n’était pas de pousser la tête de T.V. contre le mur.

[91] M. Butler a expliqué que l’intention qui sous-tend le choix d’une option d’intervention est ce qui est important, même si le résultat peut être quelque chose qui n’était pas censé se produire, compte tenu du grand nombre de facteurs en jeu.

[92] L’intention du gendarme Murray était de plaquer la poitrine de T.V. contre le mur pour désamorcer son comportement. Les deux experts ont convenu qu’il s’agit d’une technique de contrôle physique intense. Les techniques intenses sont, par nature, plus susceptibles de causer des blessures. Dans ce cas-ci, la différence de taille entre T.V. et le gendarme Murray et le fait que T.V. était intoxiqué ont amené T.V. à perdre l’équilibre et à se heurter la tête contre le mur.

[93] Si les deux experts reconnaissent que l’évaluation des risques par le gendarme Murray était correcte, ils ont des avis différents quant au type de tactique et au niveau de force qui étaient raisonnables et proportionnés dans les circonstances. Plus particulièrement, leurs opinions divergent quant à savoir s’il était prévisible ou envisageable que la tête de T.V. heurte le mur.

[94] M. Butler a souligné les facteurs suivants : l’incident s’est produit dans un environnement contrôlé, dans le couloir du Détachement; deux membres étaient présents, le gendarme Attardo se tenant deux pas derrière le gendarme Murray et T.V.; la différence de taille entre le gendarme Murray et T.V. était importante; T.V. était menotté et n’était pas armé; et T.V. était intoxiqué. M. Butler a déclaré que ces facteurs auraient dû inciter le gendarme Murray à employer une technique de contrôle douce pour désamorcer la situation.

[95] L’analyse de la proportionnalité par M. Butler s’est ensuite concentrée sur la prévisibilité de la collision de la tête de T.V. avec le mur. M. Butler a estimé qu’il était prévisible qu’une personne intoxiquée, de petite taille et menottée heurte quelque chose si elle est poussée latéralement avec beaucoup de force.

[96] En revanche, le sergent d’état-major Malacko a expliqué qu’en raison de la dynamique corporelle lorsque l’on a affaire à deux individus, de leurs différences de taille et du niveau d’intoxication, il devient impossible de prédire comment une situation donnée peut se dérouler. Ainsi, le sergent d’état-major Malacko a estimé qu’il était difficile de prédire où la tête de T.V. allait aboutir au moment de l’incident. En outre, il a expliqué qu’un bloc cellulaire peut sembler être un environnement contrôlé, mais qu’il s’y passe de nombreux incidents en raison de la réaction de lutte ou de fuite des détenus et de leur désir de tenter une dernière fois de s’échapper avant d’être placés en cellule. Il a ajouté que le fait de tenir quelqu’un contre un mur est une tactique couramment utilisée pour tenter de contenir un comportement dans ce type de situation.

[97] M. Butler a admis lors du contre-interrogatoire qu’il ne savait pas avec quelle force le gendarme Murray avait poussé T.V. ni avec quelle force la tête de T.V. avait heurté le mur. Une analyse judiciaire de la vidéo, qui aurait pu apporter un éclairage supplémentaire sur cette question, n’a pas été réalisée. M. Butler a également reconnu qu’une personne sous l’influence de l’alcool peut être assommée avec une force modérée. Cependant, M. Butler a soutenu qu’une technique de contrôle douce aurait été la réponse proportionnée dans ce cas-ci.

[98] Je crois que les preuves montrent que le gendarme Murray a d’abord tenté une tactique plus douce en utilisant une technique de contrôle par la douleur, en soulevant le bras de T.V. et en faisant pression sur son épaule, mais cela n’a pas modifié le comportement de T.V.

[99] Le gendarme Murray a ensuite pris une mesure d’intervention supplémentaire en voulant mettre T.V. contre le mur. Lorsqu’il a amorcé la manœuvre, il a saisi l’épaule de T.V. pour lui faire appuyer la poitrine contre le mur. Tandis qu’il poussait T.V., celui-ci a perdu l’équilibre et a baissé la tête, ce qui a fait que c’est la tête qui a heurté le montant de la porte.

[100] Lorsque je consulte le MIGI, je ne vois pas comment on peut reprocher au gendarme Murray d’avoir utilisé une technique de contrôle physique intense en se fondant sur une évaluation du risque d’agression et après avoir déjà tenté une technique douce. Sur l’outil visuel du MIGI, la technique de contrôle physique intense est clairement représentée par l’anneau adjacent à la zone de risque d’agression. Aucune partie du gradient de contrôle physique « léger » ne touche la zone d’agression de l’illustration circulaire du MIGI. Ainsi, à mon avis, la suggestion de M. Butler selon laquelle le gendarme Murray aurait dû employer une technique douce est contraire à ce qui aurait été évident pour le gendarme Murray sur la base de sa formation et des étapes d’intervention décrites dans le MIGI.

[101] Je considère que le risque de blessure était prévisible en raison de la nature de la technique de contrôle physique utilisée. Cependant, l’étendue de ces blessures et la question de savoir si la tête de T.V. heurterait le mur en premier ne l’étaient pas. Je suis d’accord avec le sergent d’état-major Malacko lorsqu’il dit qu’on ne peut pas prédire avec précision la mécanique et les mouvements du corps, en particulier dans une situation dynamique comme celle dans laquelle s’est retrouvé le gendarme Murray. La tactique employée par le gendarme Murray était pleinement valable selon le MIGI; la blessure qui en a résulté était accessoire et imprévisible.

[102] Même si la façon dont le gendarme Murray a exécuté la manœuvre ne lui a pas permis d’obtenir le résultat escompté, je ne peux pas conclure qu’il y a eu un recours abusif à la force compte tenu de l’ensemble des circonstances. Par conséquent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le recours à la force par le gendarme Murray était justifié dans les circonstances et que le troisième volet du critère est établi.

[103] Par conséquent, bien qu’il soit vraiment regrettable que T.V. se soit heurté la tête contre le mur et ait perdu connaissance, je conclus que le recours à la force par le gendarme Murray était proportionné dans les circonstances. Par conséquent, l’allégation 2 n’est pas établie.

Production de rapports – Critère juridique applicable

[104] Selon les allégations 3 et 4, le gendarme Murray aurait fait un rapport faux ou inexact des incidents faisant l’objet de l’allégation 2, en contravention de l’article 8.1 du Code de déontologie.

[105] Cet article du Code de déontologie se lit comme suit : « Les membres rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie. »

[106] Pour établir les allégations 3 et 4, l’autorité disciplinaire doit prouver chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre;

  2. la déclaration ou le compte rendu des actions dans un dossier en question;

  3. le fait que la déclaration ou le compte rendu fourni était faux, trompeur ou inexact; et

  4. si le membre :

i. savait que les déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes; ou

ii. s’est montré négligent, imprudent ou insouciant quant à la validité des déclarations.

Allégation 3 :

Constatation des faits

[107] Durant mon analyse de l’allégation 3, j’ai constaté, en plus des faits exposés dans le cadre de l’allégation 2, que le gendarme Murray a envoyé un courriel au sergent d’état-major Bridle à 0 h 26 le 12 juillet 2022, relatant ce qui s’était produit avec T.V. tandis qu’il l’escortait dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement.

Application du critère juridique sur la production de rapports

[108] Comme pour les allégations précédentes, l’identité du membre n’est pas en cause. Par conséquent, le premier volet du critère est établi.

[109] La déclaration ou le compte rendu de l’action en question pour cette allégation est le courriel envoyé par le gendarme Murray au sergent d’état-major Bridle le 12 juillet 2022, rapportant ses interactions avec T.V. tandis qu’il l’escortait dans le couloir du bloc cellulaire. Comme cela a été déterminé dans mes conclusions de fait, le deuxième volet est également établi.

[110] En ce qui concerne le troisième volet, à savoir si la déclaration ou le compte rendu fourni était faux, trompeur ou inexact, je note que la partie du courriel en question, telle que décrite dans le point 10 de l’Avis d’audience disciplinaire, indique ce qui suit :

[TRADUCTION] « Hier soir, tandis que j’escortais [T.V.] dans le bloc cellulaire, il s’est tendu et a tenté de me heurter avec son épaule. J’ai réagi en le poussant contre le mur pour mettre fin à son comportement. [T.V.] a baissé la tête à ce moment-là et s’est cogné la tête contre le mur avant de perdre connaissance. »

[111] J’ai précédemment conclu que T.V. s’était tendu et avait tourné le torse de sorte que son épaule était tournée vers le gendarme Murray. J’ai également conclu que T.V. n’avait pas baissé la tête, mais que celle-ci avait heurté le mur en raison de l’élan et du changement de position de son corps résultant de la poussée vers le mur.

[112] Ainsi, la dernière phrase du courriel du gendarme Murray ne correspond pas aux preuves dont je dispose. Par conséquent, le troisième volet est rempli.

[113] Cependant, pour le quatrième volet du critère, je dois également établir que le membre visé savait que les déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes ou qu’il a fait preuve d’insouciance ou de négligence quant à la validité de ses déclarations.

[114] L’inexactitude seule ne suffit pas. L’autorité disciplinaire doit commencer par se demander si le membre avait l’intention de tromper. Si la réponse est non, la question suivante est de savoir si son erreur constituait une négligence ou une erreur honnête. De plus, le Guide des mesures disciplinaires de la GRC (novembre 2024), à la page 206, indique ce qui suit : « Si le membre fait une déclaration honnête mais erronée qui s’avère finalement fausse, trompeuse ou inexacte, une conclusion de conduite répréhensible ne sera généralement pas prouvée. »

[115] Je considère que le gendarme Murray a décrit au sergent d’état-major Bridle les événements tels qu’il les a perçus. Il a rédigé son courriel immédiatement après l’incident, sans avoir eu le temps de réfléchir davantage ou de revoir les séquences vidéo. Le gendarme Murray a géré une situation dynamique et a immédiatement rendu compte de ses actions au sergent d’état-major Bridle. L’incident décrit est tel qu’il a été subjectivement perçu par le gendarme Murray. De son point de vue et compte tenu du comportement agressif manifesté, le gendarme Murray a pu croire que T.V. avait baissé la tête. Je n’ai aucune preuve suggérant que le gendarme Murray n’a pas évalué la situation avec soin et qu’il a rapporté au sergent d’état-major Bridle des informations qu’il croyait fausses.

[116] Le gendarme Murray a déclaré s’être rendu compte par la suite, après avoir visionné la vidéo, que T.V. n’avait pas baissé la tête. Mais ce n’était pas ce qu’il pensait au moment de l’incident et lorsqu’il a envoyé le courriel.

[117] Je conclus que le gendarme Murray a fait une déclaration honnête mais erronée qui s’est finalement avérée inexacte. Je suis d’accord avec le représentant du membre concerné lorsqu’il dit que le gendarme Murray ne peut pas être tenu à une norme de perfection. En outre, je conclus que l’erreur était le résultat d’une méprise honnête.

[118] Le représentant de l’autorité disciplinaire laisse entendre que le gendarme Murray a peut-être eu l’intention de fournir un rapport inexact afin de minimiser l’incident et de justifier son recours à la force, comme cela a été discuté dans une décision antérieure du comité de déontologie[10]. Cependant, cela n’est pas étayé par les preuves figurant au dossier dont je dispose. Je n’ai rien d’autre que les observations du représentant de l’autorité disciplinaire pour étayer cette position, et je la trouve entièrement spéculative.

[119] Compte tenu de ce qui précède, le quatrième volet du critère n’est pas rempli. Je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que le gendarme Murray a enfreint l’article 8.1 du Code de déontologie. Par conséquent, l’allégation 3 n’est pas établie.

Allégation 4 :

Constatation des faits

[120] Aux fins de mon analyse de l’allégation 4, je mentionne les faits supplémentaires suivants par rapport à ceux mentionnés dans l’allégation 2.

[121] Le 12 juillet 2022, le gendarme Murray a rédigé un rapport CSIA pour l’incident décrit dans l’allégation 2. Dans ce rapport, il a utilisé un langage similaire à celui de l’allégation 3 pour décrire ce qui était arrivé durant la nuit du 11 juillet 2022.

[122] Plus précisément, le gendarme Murray a indiqué que T.V. [TRADUCTION] « a contracté les muscles des bras, serré les poings » et a traité les membres de « pussies » tandis qu’il était menotté dans le dos et qu’on l’escortait dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de La Ronge.

[123] En outre, je considère que la formulation, comme énoncée au point 14 de l’Avis d’audience disciplinaire, correspond aux preuves dont je dispose. Elle se lit comme suit : [TRADUCTION] « Le gendarme Murray a jugé qu’il s’agissait d’un comportement agressif », que « [T.V.] se préparait psychologiquement à passer à l’attaque », et que [T.V.] :

[TRADUCTION] […] « avait commencé à se tortiller, et il a tenté de frapper le gendarme Murray avec son épaule; le gendarme Murray a donc utilisé la force pour pousser [T.V.] contre le mur afin de mettre fin à son comportement agressif. C’est à ce moment-là que [T.V.] a baissé la tête, s’est cogné la tête contre le montant de la porte dans le couloir et s’est assommé. »

Élément problématique concernant l’allégation 4

[124] Je note ici que la date indiquée en référence au rapport CSIA dans l’allégation 4 est le 9 octobre 2022. La preuve montre que le gendarme Murray a rempli le rapport le 12 juillet 2022. La date du 9 octobre 2022 semble correspondre au jour où le CSIA a été examiné et approuvé et est, à ce titre, la dernière date indiquée sur le rapport. Cependant, il est clair que ce n’est pas la date à laquelle le gendarme Murray a rédigé le rapport.

[125] Lorsqu’il a expressément posé la question au représentant de l’autorité disciplinaire au sujet de la discordance des dates, celui-ci n’a pas pu expliquer l’erreur autrement qu’en disant que la personne ayant rédigé l’Avis d’audience disciplinaire avait dû supposer que la date de fin indiquée au bas du rapport était la date à laquelle le rapport avait été produit. Il m’a également fait remarquer que l’allégation mentionnait « le ou vers le » 9 octobre 2022, ce qui laisse une certaine latitude dans la fourchette de dates. Cependant, lorsque je lui ai fait remarquer que les détails eux-mêmes font tous référence au 9 octobre 2022, sans la précision « le ou vers le », il a admis que cela posait problème.

[126] Le dossier comprend également un courriel envoyé par le gendarme Murray au sergent d’état-major Bridle le 12 juillet 2022 à 1 h 33, qui informe ce dernier que le rapport CSIA a été terminé et soumis pour examen. Ce courriel, associé à la date de « dernière modification » figurant sur le rapport CSIA lui-même, ne laisse guère de doute sur le fait que le CSIA a été rédigé le 12 juillet 2022, et non le 9 octobre 2022, soit environ trois mois après l’incident. La personne qui a rédigé l’Avis d’audience disciplinaire disposait d’informations suffisantes dans le dossier pour pouvoir identifier correctement le rapport CSIA.

[127] Je suggérerais également que s’il y avait eu une quelconque confusion quant à la date de rédaction du rapport CSIA, l’allégation 4 aurait pu faire référence à une période de temps, englobant les deux dates possibles, et chaque détail n’avait pas du tout besoin de faire référence à une date précise.

[128] Même si je pense que le représentant de l’autorité disciplinaire aurait dû faire plus attention lors de la rédaction de l’Avis d’audience disciplinaire, je ne considère pas qu’il s’agisse d’une erreur fatale, compte tenu des circonstances de cette affaire. Comme dans le raisonnement de la Cour fédérale dans l’affaire Okornor[11], je suis convaincue que l’erreur en l’espèce était involontaire et qu’elle n’a pas entraîné de véritable confusion quant au document auquel l’allégation 4 faisait référence. Bien qu’il ait signalé l’erreur de date, le gendarme Murray a traité chaque élément de l’allégation comme s’il faisait référence au CSIA rédigé le 12 juillet 2022. Il a pu faire des déclarations complètes et connaissait les exigences qu’il devait remplir. La référence à la date incorrecte ne lui a causé aucun préjudice.

[129] Je vais donc procéder à mon analyse des éléments de l’allégation 4.

Application du critère juridique sur la production de rapports

[130] L’identité du membre n’étant toujours pas remise en cause, le premier volet du critère est donc rempli.

[131] Plus précisément, le gendarme Murray a indiqué que T.V. « a contracté les muscles des bras, serré les poings » et a traité les membres de « pussies » pendant qu’il avait les mains menottées derrière le dos et qu’on l’escortait dans le couloir du bloc cellulaire du Détachement de La Ronge.

[132] En outre, le point 14 de l’Avis d’audience disciplinaire dit ce qui suit : [TRADUCTION] « Le gendarme Murray a jugé qu’il s’agissait d’un comportement agressif », que « [T.V.] se préparait psychologiquement à passer à l’attaque », et que [T.V.] « avait commencé à se tortiller et a tenté de frapper le gendarme Murray avec son épaule; le gendarme Murray a donc utilisé la force pour pousser [T.V.] contre le mur afin de mettre fin à son comportement agressif. C’est à ce moment-là que [T.V.] a baissé la tête, s’est cogné la tête contre le montant de la porte dans le couloir et s’est assommé. »

[133] Comme j’ai déjà déterminé cette question dans mes conclusions de fait, je considère que le deuxième volet est également rempli.

[134] Quant au troisième volet, à savoir si la déclaration ou le compte rendu était faux, trompeur ou inexact, le raisonnement est sensiblement le même que pour l’allégation 3. J’ai conclu que T.V. avait contracté les muscles des bras, serré les poings et utilisé un langage inapproprié envers les membres, notamment en les traitant de « pussies ». J’ai également jugé que ce comportement avait été correctement évalué comme étant agressif et que T.V. avait effectivement tourné son corps vers le gendarme Murray ainsi que son épaule, ce qui avait amené ce dernier à réagir avec une force accrue et à le pousser contre le mur.

[135] Ce qui différencie ma conclusion de celle du rapport du gendarme Murray, c’est son affirmation selon laquelle T.V., en baissant la tête, s’était cogné la tête contre le mur.

[136] Cela dit, pour que l’allégation 4 soit établie, mon analyse doit inclure la conclusion selon laquelle le gendarme Murray savait que ses déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes ou qu’il avait fait preuve d’imprudence ou de négligence quant à leur validité.

[137] Sur ce point, je considère que le gendarme Murray a rapporté l’incident tel qu’il l’a perçu. Il n’a pas fourni un faux compte rendu en connaissance de cause ou par négligence. Grâce à l’examen de la séquence vidéo et à une analyse image par image, il est possible d’avoir une vision plus précise de l’incident survenu dans la nuit du 11 juillet 2022. Le gendarme Murray, tandis qu’il réagissait à un comportement agressif, a eu l’impression que T.V. avait baissé la tête au moment où il le poussait vers le mur. Je conclus que le gendarme Murray croyait fournir un rapport exact au moment où il a rempli son rapport CSIA et que l’écart était une erreur honnête concernant la mécanique des mouvements de la tête de T.V. Par conséquent, le quatrième volet du critère n’est pas satisfait.

[138] Par conséquent, l’allégation d’inconduite n’est pas fondée et l’allégation 4 n’est pas établie.

CONCLUSION

[139] J’ai déterminé que les allégations 1, 2, 3 et 4 ne sont pas fondées. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’envisager l’imposition de mesures disciplinaires dans cette affaire.

[140] Toute mesure disciplinaire provisoire en place doit être levée dans les plus brefs délais, conformément à l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.

[141] Enfin, l’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire conformément au paragraphe 45.11 de la Loi sur la GRC.

 

 

14 mars 2025

Sandra Weyand

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], au paragraphe 58.

[2] R. c. R.E.M., 2010 CSC 6, au paragraphe 32.

[3] Nasogaluak, au paragraphe 33.

[4] Crampton v. Walton, 2005 ABCA 81 [Crampton], aux paragraphes 42 à 44.

[5] Nasogaluak, au paragraphe 35.

[6] Nasogaluak, au paragraphe 34.

[7] Nasogaluak, au paragraphe 35.

[8] Crampton, au paragraphe 45.

[9] Commandant de la Division H et Smith, 2022 DAD 11, au paragraphe 105.

[10] Commandant de la Division H c. MacGillivray, 2021 DAD 16, au paragraphe 123.

[11] Okornor v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 1693, au paragraphe 25.

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