Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’Avis d’audience disciplinaire, daté du 20 novembre 2023, contient trois allégations de contravention au code de déontologie de la GRC : deux allégations sous l’article 8.1 et une allégation sous l’article 7.1. Une des allégations de contravention à l’article 8.1 a été retirée par l’autorité disciplinaire avant le début de l’audience.
Les deux allégations restantes concernent le fait que le caporal Beaulieu aurait fourni des renseignements inexacts dans le cadre d’une enquête de sécurité, contrevenant ainsi à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC (allégation 1) et qu’il aurait enfreint les politiques de la GRC en matière de conflits d’intérêts en tenant des emplois ou en étant impliqué dans des organismes, sans avoir obtenu d’autorisation au préalable, contrevenant ainsi l’article 7.1 du code de déontologie (allégation 2).
Le caporal Beaulieu a refusé de participer au processus disciplinaire personnellement ou par l’entremise d’un représentant. Une audience disciplinaire a eu lieu en l’absence du caporal Beaulieu.
À la suite de cette audience, le comité de déontologie détermine que l’allégation 1 n’est pas établie selon la prépondérance des probabilités. En ce qui concerne l’allégation 2, le comité conclut que l’autorité disciplinaire a établi que le caporal Beaulieu a enfreint les politiques de la GRC en exerçant des activités en lien avec l’école « Expression Orale Québécoise », sans avoir obtenu d’autorisation au préalable.
Les mesures disciplinaires suivantes ont été imposées : a) une rétrogradation pour une période indéfinie du grade de caporal au grade de gendarme; et b) une ordonnance que, dans les 60 jours de la signification de la décision écrite, le caporal Beaulieu revoie les exigences du chapitre 17.1 « Conflit d’intérêts » du Manuel d’administration et en discute avec son superviseur afin d’établir qu’il détient toutes les autorisations nécessaires relativement à ses activités extérieures.

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier 202333814

2025 DAD 05

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

dans l’affaire d’une audience disciplinaire tenue aux termes de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10

Entre :

Autorité disciplinaire désignée, Division C

 

(autorité disciplinaire)

et

Caporal Robert Beaulieu

Numéro de matricule 37690

(membre visé)

Décision du comité de déontologie

Gina Lévesque, comité de déontologie

Le 26 mars 2025

Sabine Georges, représentante de l’autorité disciplinaire


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 3

INTRODUCTION 4

PROCESSUS DÉONTOLOGIQUE 4

TENUE DE L’AUDIENCE DISCIPLINAIRE EN L’ABSENCE DU MEMBRE VISÉ 10

ALLÉGATIONS 11

Réponse du membre visé aux allégations 16

ÉLÉMENTS DE PREUVE 16

FAITS ÉTABLIS PAR LE COMITÉ DE DÉONTOLOGIE 17

DÉCISION SUR LES ALLÉGATIONS 18

Allégation 1 19

Précision 9 21

Précision 10 23

Précisions 10 à 22 25

Allégation 2 30

L’École Expression Orale québécoise 31

Le Groupe Beaulieu Inc. 34

Les Perturbés du CNR 36

MESURES DISCIPLINAIRES 37

Principes juridiques applicables 38

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire 39

Décision relative aux mesures disciplinaires 42

Gamme des mesures disciplinaires 42

Circonstances neutres 42

Circonstances atténuantes 42

Circonstances aggravantes 43

Analyse 48

CONCLUSION 50

 

 

RÉSUMÉ

L’Avis d’audience disciplinaire, daté du 20 novembre 2023, contient trois allégations de contravention au code de déontologie de la GRC : deux allégations sous l’article 8.1 et une allégation sous l’article 7.1. Une des allégations de contravention à l’article 8.1 a été retirée par l’autorité disciplinaire avant le début de l’audience.

Les deux allégations restantes concernent le fait que le caporal Beaulieu aurait fourni des renseignements inexacts dans le cadre d’une enquête de sécurité, contrevenant ainsi à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC (allégation 1) et qu’il aurait enfreint les politiques de la GRC en matière de conflits d’intérêts en tenant des emplois ou en étant impliqué dans des organismes, sans avoir obtenu d’autorisation au préalable, contrevenant ainsi l’article 7.1 du code de déontologie (allégation 2).

Le caporal Beaulieu a refusé de participer au processus disciplinaire personnellement ou par l’entremise d’un représentant. Une audience disciplinaire a eu lieu en l’absence du caporal Beaulieu.

À la suite de cette audience, le comité de déontologie détermine que l’allégation 1 n’est pas établie selon la prépondérance des probabilités. En ce qui concerne l’allégation 2, le comité conclut que l’autorité disciplinaire a établi que le caporal Beaulieu a enfreint les politiques de la GRC en exerçant des activités en lien avec l’école « Expression Orale Québécoise », sans avoir obtenu d’autorisation au préalable.

Les mesures disciplinaires suivantes ont été imposées : a) une rétrogradation pour une période indéfinie du grade de caporal au grade de gendarme; et b) une ordonnance que, dans les 60 jours de la signification de la décision écrite, le caporal Beaulieu revoie les exigences du chapitre 17.1 « Conflit d’intérêts » du Manuel d’administration et en discute avec son superviseur afin d’établir qu’il détient toutes les autorisations nécessaires relativement à ses activités extérieures.

INTRODUCTION

[1] Le caporal Robert Beaulieu fait face à deux allégations de contravention au code de déontologie de la GRC, à savoir une allégation d’avoir fourni des renseignements inexacts dans le cadre d’une enquête de sécurité en contravention de l’article 8.1 et une allégation de conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1.

PROCESSUS DÉONTOLOGIQUE

[2] Le 20 mai 2021, le caporal Beaulieu est convoqué à une entrevue dans le cadre du processus de rehaussement de son habilitation sécuritaire (l’entrevue de sécurité).

[3] Le 30 novembre 2021, l’inspectrice Marie-Ève Lavallée est informée qu’une note de service émanant de la Direction de la sécurité ministérielle centrale révèle l’existence de possibles contraventions au code de déontologie par le caporal Beaulieu. Il y est mentionné, entre autres, qu’il existe des divergences considérables entre les renseignements que le caporal Beaulieu a inscrits dans le Questionnaire préalable à l’entrevue et les renseignements qu’il a fournis avant et pendant l’entrevue de sécurité. La note de service révèle également que le caporal Beaulieu serait impliqué dans des activités extérieures à la GRC pour lesquelles il n’aurait pas obtenu d’autorisation au préalable.

[4] Le 18 janvier 2022, l’inspectrice Marie-Ève Lavallée ordonne la tenue d’une enquête en déontologie en vertu de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10 [Loi sur la GRC], relativement à quatre contraventions alléguées au code de déontologie en lien avec les informations contenues à la note de service émanant de la Direction de la sécurité ministérielle centrale.

[5] Le 5 février 2022, le caporal Beaulieu achemine un courriel à l’inspectrice Marie-Ève Lavallée qui s’intitule « Ma défense aux 4 accusations de mauvaise conduite (déontologie) (Pas de numéro de dossier) ».

[6] Le 20 septembre 2022, l’inspectrice Marie-Ève Lavallée reçoit le rapport d’enquête en déontologie.

[7] Le 21 mars 2023, le commandant de la Division C signe un Avis à l’officier désigné pour demander la tenue d’une audience disciplinaire relativement à cinq allégations de contraventions au code de déontologie de la GRC, soit deux contraventions alléguées sous l’article 8.1 (allégations 1 et 5) et trois contraventions alléguées sous l’article 7.1 (allégations 2, 3 et 4).

[8] Le 18 avril 2023, je suis nommée comme comité de déontologie pour cette affaire, conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[9] L’Avis d’audience disciplinaire, daté du 20 novembre 2023, ne contient que trois allégations, puisque les allégations 3 et 4, qui concernaient des contraventions à l’article 7.1 du code de déontologie, ont été retirées par l’autorité disciplinaire avant la signature dudit avis :

  1. Allégation 1 : avoir fourni des renseignements inexacts dans le cadre processus de rehaussement de son habilitation sécuritaire de sécurité en contravention de l’article 8.1 du code de déontologie;

  2. Allégation 2 : conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie;

  3. Allégation 5 : avoir fourni des renseignements inexacts dans le cadre d’une enquête en déontologie en contravention de l’article 8.1 du code de déontologie.

[10] Le 11 décembre 2023, le superviseur du caporal Beaulieu tente de lui remettre en main propre une copie de l’Avis d’audience disciplinaire ainsi que du rapport d’enquête. Le caporal Beaulieu refuse alors de prendre possession de ces documents.

[11] Le 13 décembre 2023, l’Avis d’audience disciplinaire et le rapport d’enquête sont acheminés par courrier recommandé à l’adresse personnelle du caporal Beaulieu.

[12] Le 18 décembre 2023, le caporal Beaulieu retourne l’enveloppe contenant l’Avis d’audience disciplinaire au détachement, sans l’avoir ouverte.

[13] Le 9 février 2024, n’ayant pas reçu la réponse du membre visé aux termes du paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], j’écris à la Fédération de la Police nationale afin de confirmer l’identité de l’avocat retenu pour représenter le caporal Beaulieu dans le cadre du processus disciplinaire.

[14] Le 16 février 2024, la Fédération de la Police nationale confirme n’avoir pas été en mesure d’obtenir d’instruction ou de demande d’assistance de la part du caporal Beaulieu.

[15] Le 4 mars 2024, j’achemine une lettre au caporal Beaulieu par courrier recommandé lui indiquant que le processus disciplinaire suit son cours. Cette correspondance souligne l’importance pour le caporal Beaulieu de participer dans le processus disciplinaire, personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat, puisque l’audience peut avoir lieu en son absence. Cette lettre contient une invitation à une conférence préparatoire prévue pour le 9 avril 2024.

[16] Le 6 mars 2024, ma lettre est livrée par Postes Canada à l’adresse personnelle du caporal Beaulieu.

[17] Le 7 mars 2024, le caporal Beaulieu me retourne, par courrier recommandé, l’enveloppe contenant ma lettre, sans l’avoir ouverte.

[18] Le 19 mars 2024, dans un ultime effort pour rejoindre le caporal Beaulieu en vue de la tenue de la conférence préparatoire, je demande à la représentante de l’autorité disciplinaire de contacter la division afin qu’elle informe le caporal Beaulieu du contenu de ma lettre la prochaine fois qu’il se présentera en personne sur son lieu de travail conformément aux directives de sa suspension.

[19] Le 20 mars 2024, la représentante de l’autorité disciplinaire confirme que la demande a été acheminée à l’autorité disciplinaire. De plus, elle m’avise que le caporal Beaulieu est en congé de maladie depuis le 9 janvier 2024, mais que les Services de santé au travail de la GRC ont confirmé que ce congé de maladie n’empêche pas le caporal Beaulieu de participer au processus de déontologie.

[20] Le 25 mars 2024, l’autorité disciplinaire écrit au caporal Beaulieu pour lui demander sa réponse aux allégations, comme requis par le paragraphe 15(3) des CC (déontologie), et pour l’informer, entre autres choses, de la date de la première conférence préparatoire. Cette lettre est reçue par le caporal Beaulieu à son adresse personnelle le 27 mars 2024.

[21] Le caporal Beaulieu ne se présente pas à la conférence préparatoire du 9 avril 2024, ni personnellement ni par l’intermédiaire d’un avocat. Durant la conférence préparatoire, il est déterminé que l’audience disciplinaire du caporal Beaulieu se déroulera par vidéoconférence du 19 au 23 août 2024.

[22] Le 11 juin 2024, j’écris de nouveau au caporal Beaulieu pour l’informer de la date de son audience disciplinaire et pour l’inviter à prendre part à la prochaine conférence préparatoire prévue pour le 26 juin 2024.

[23] Le 13 juin 2024, Postes Canada tente sans succès de livrer cette lettre à l’adresse personnelle du caporal Beaulieu. Par conséquent, Postes Canada laisse un avis de livraison informant le caporal Beaulieu qu’un envoi lui étant adressé est prêt à être ramassé au bureau de poste.

[24] Le 18 juin 2024, Postes Canada achemine un avis final à l’adresse personnelle du caporal Beaulieu lui rappelant qu’un envoi lui étant adressé est prêt à être ramassé au bureau de poste.

[25] Le 19 juin 2024, je demande à la représentante de l’autorité disciplinaire de m’acheminer les prorogations de délai accordées relativement aux allégations 1, 2 et 5, en raison de préoccupations sur ces questions soulevées à la suite d’un examen plus approfondi de la preuve documentaire contenue au dossier.

[26] Le 20 juin 2024, la représentante de l’autorité disciplinaire confirme qu’une prorogation de délai a été accordée le 23 novembre 2022 par le directeur général de la Sous-direction des responsabilités liées au milieu de travail pour les allégations 1 et 2. Le délai pour convoquer l’audience disciplinaire pour ces deux allégations avait été prorogé jusqu’au 30 mars 2023.

[27] Le 26 juin 2024, une deuxième conférence préparatoire a lieu en l’absence du caporal Beaulieu. Durant cette rencontre, la représentante de l’autorité disciplinaire m’informe que l’autorité disciplinaire demande le retrait de l’allégation 5 formulée sous l’article 8.1 du code de déontologie, car l’audience disciplinaire a été convoquée après l’expiration du délai prescrit au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC et qu’il n’y a pas eu de demande de prorogation de délai pour cette allégation. Le comité de déontologie accepte cette demande et retire l’allégation 5.

[28] Au cours de cette même conférence préparatoire, la représentante de l’autorité disciplinaire confirme que le caporal Beaulieu n’est plus en congé de maladie depuis le 4 mai 2024 et que les Services de santé au travail confirment qu’il est toujours apte à participer au processus de déontologie.

[29] Le 28 juin 2024, Postes Canada me retourne l’enveloppe contenant la lettre du 11 juin 2024 que le caporal Beaulieu n’a pas récupérée au bureau de poste.

[30] Le 2 juillet 2024, j’ordonne à la représentante de l’autorité disciplinaire de me transmettre, avant le 7 août 2024, une copie des documents de sécurité complétés par le caporal Beaulieu au début du processus de rehaussement de sa cote de sécurité puisque je considère avoir besoin de ces documents pour remplir mon rôle aux termes du paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC.

[31] Le 5 juillet 2024, en considération des délais anticipés pour obtenir ces documents, l’audience disciplinaire est reportée à la semaine du 7 octobre 2024.

[32] Le 8 juillet 2024, j’achemine au caporal Beaulieu les résumés des conférences préparatoires du 9 avril 2024 et du 26 juin 2024. De plus, je l’informe que la prochaine conférence préparatoire aura lieu le 13 août 2024 et que l’audience disciplinaire se tiendra du 7 au 11 octobre 2024.

[33] Le 10 juillet 2024, Postes Canada livre cette lettre à l’adresse personnelle du caporal Beaulieu.

[34] Le 15 juillet 2024, le caporal Beaulieu me retourne par courrier recommandé l’enveloppe contenant la lettre du 8 juillet 2024, sans l’avoir ouverte.

[35] Le 6 août 2024, la représentante de l’autorité disciplinaire m’informe que le caporal Beaulieu est de nouveau en congé de maladie jusqu’au 1er septembre 2024.

[36] Le 6 août 2024, la représentante de l’autorité disciplinaire m’achemine les documents de sécurité complétés par le caporal Beaulieu au début du processus de rehaussement de sa cote de sécurité.

[37] Le 7 août 2024, je produis un Énoncé des faits établis sur la base du rapport d’enquête et des documents justificatifs annexés audit rapport.

[38] Le 13 août 2024, la dernière conférence préparatoire a lieu. Le caporal Beaulieu ne se présente pas.

[39] Le 7 octobre 2024, l’audience disciplinaire se déroule par vidéoconférence en l’absence du caporal Beaulieu, comme ce dernier ne s’est pas présenté à l’audience, ni personnellement ni par l’intermédiaire d’un représentant. Comme l’autorité disciplinaire n’appelle aucun témoin durant la phase des allégations, la représentante de l’autorité disciplinaire présente ses plaidoiries immédiatement après la déclaration d’ouverture du comité de déontologie.

[40] Le 9 octobre 2024, je rends ma décision orale sur les allégations et je conclus que l’allégation 2 est établie, selon la prépondérance des probabilités.

[41] Le 10 octobre 2024, la phase des mesures disciplinaires s’amorce avec les plaidoiries de la représentante de l’autorité disciplinaire.

[42] Le 18 octobre 2024, je rends ma décision orale sur les mesures disciplinaires et j’impose une rétrogradation pour une période indéfinie du grade de caporal au grade de gendarme en plus d’ordonner au caporal Beaulieu de revoir les exigences du Manuel d’administration, chapitre 17.1 « Conflits d’intérêts », et d’en discuter avec son superviseur afin d’établir qu’il détient toutes les autorisations nécessaires relativement à ses activités extérieures.

[43] La présente décision écrite développe, clarifie et complète les motifs contenus aux décisions rendues oralement au cours de l’audience disciplinaire.

TENUE DE L’AUDIENCE DISCIPLINAIRE EN L’ABSENCE DU MEMBRE VISÉ

[44] Le paragraphe 45.1(8) de la Loi sur la GRC et l’article 14 des CC (déontologie) permettent à un comité de déontologie de tenir une audience disciplinaire en l’absence du membre visé, lorsque le comité est convaincu que le membre a reçu un préavis raisonnable des dates, heures et du lieu de l’audience et que le membre n’a fourni aucun motif valable justifiant qu’il ne soit pas présent à l’audience.

[45] Je constate que le caporal Beaulieu a refusé de prendre part au processus disciplinaire, et ce, depuis le tout début. En fait, le caporal Beaulieu a déployé des efforts considérables en ce sens en refusant systématiquement toute communication lui étant adressée en lien avec le processus disciplinaire. Malgré cette situation, l’Avis d’audience disciplinaire est réputé avoir été signifié au caporal Beaulieu le 20 décembre 2023, conformément au paragraphe 15(6) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.

[46] Pour ma part, j’ai tenté à trois reprises de contacter le caporal Beaulieu par courrier recommandé pour l’inviter à prendre part au processus et pour l’informer des dates de son audience disciplinaire, sans succès. Le caporal Beaulieu m’a réacheminé ces envois sans les ouvrir ou n’a simplement pas récupéré l’enveloppe au bureau de poste et celle-ci m’a été retournée par Postes Canada.

[47] L’Avis du lieu, de la date et de l’heure de l’audience disciplinaire, daté du 14 août 2024, a été remis en main propre au caporal Beaulieu le 11 septembre 2024, le tout tel qu’attesté par le sergent Eric Demers dans un certificat de signification. Le 16 septembre 2024, le sergent Demers reçoit une enveloppe du caporal Beaulieu contenant les documents qu’il lui avait remis en main propre le 11 septembre 2024[1].

[48] Je note également que le superviseur du caporal Beaulieu lui a fait parvenir un message texte le matin du 7 octobre 2024 lui rappelant que son audience disciplinaire aurait lieu le jour même via Zoom et lui fournissant le lien permettant de rejoindre cette rencontre virtuelle[2].

[49] Je suis donc satisfaite que le caporal Beaulieu a bel et bien reçu un préavis raisonnable des dates, heures et lieu de l’audience même s’il a par la suite décidé de retourner l’enveloppe contenant cet avis au sergent Demers quelques jours plus tard. En fait, je constate que plusieurs tentatives pour informer le caporal Beaulieu des dates, heures et lieu de l’audience ont eu lieu, mais que ce dernier n’y a pas donné suite.

[50] À quelques reprises au cours du processus disciplinaire, j’ai été informé par la représentante de l’autorité disciplinaire que le caporal Beaulieu était en congé de maladie. Cependant, la représentante de l’autorité disciplinaire m’a également confirmé que les Services de santé au travail avaient déterminé que cette situation n’empêchait pas le caporal Beaulieu de participer au processus disciplinaire. De plus, à aucun moment au cours du processus, le caporal Beaulieu ne m’a indiqué qu’il ne pouvait prendre part à l’audience pour des raisons médicales.

[51] Bien qu’il ait été notifié de la tenue de l’audience disciplinaire, le caporal Beaulieu a fait défaut de s’y présenter personnellement ou par l’intermédiaire d’un représentant et n’a fourni aucun motif valable justifiant qu’il ne se présente pas à l’audience. En conséquence, j’ai pris la décision de poursuivre le processus disciplinaire conformément au paragraphe 45.1(8) de la Loi sur la GRC et à l’article 14 des CC (déontologie).

ALLÉGATIONS

[52] Le caporal Beaulieu fait face à deux allégations de contravention au code de déontologie, comme énoncées dans l’Avis d’audience disciplinaire du 20 novembre 2023 :

Faits pertinents à l’égard de toutes les allégations

1. Vous êtes un membre régulier de la GRC depuis 1982 ayant plus de 40 ans de service.

2. En 1993, vous avez obtenu la promotion de caporal et en octobre 2021, vous avez été rétrogradé au rang de gendarme.

3. En mars 2021, en raison de la fermeture de la Section des délits commerciaux, vous avez été muté à l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé (UMECO) de la Division C.

Allégation 1

Entre le 30 mars 2021 et le 21 mai 2021, dans une ville inconnue, dans la province de Québec, le gendarme[3] Robert Beaulieu aurait fourni des renseignements inexacts dans le cadre d’une enquête de sécurité effectuée sur sa personne par la Section de la Sécurité ministérielle centrale. Il est par conséquent allégué que le [caporal] Robert Beaulieu a contrevenu au paragraphe 8.1 du Code de déontologie de la GRC.

Précisions :

4. Au mois de novembre 2020, l’inspecteur par intérim Francis Martin (insp. p.i. Martin) de l’UMECO, a fait une demande de rehaussement de l’habilitation « Secret » à « Très Secret » visant votre cote de sécurité.

5. L’insp. p.i. Martin vous a rencontré afin de vous faire part de ses préoccupations concernant le fait que vous travailliez de la maison tout en louant des chambres à plusieurs étudiants étrangers. Celui-ci voulait s’assurer que l’information et les biens de la GRC étaient bien protégés.

6. Le 31 mars 2021, vous soumettez le formulaire 1020-1f rempli en répondant aux questions incluses avant l’entrevue de sécurité/fiabilité.

7. Dans le formulaire 1020-1f, à la question 4, dans la partie « Associations », c’est écrit : « Indiquez les clubs, organismes et associations dont vous êtes ou avez été membre ou engagé d’une quelconque façon (financièrement ou autrement) », vous avez répondu : « Les Pollués de Montréal Trudeau Inc. (en caractères imprimés, on retrouve sur la même ligne « M. Pierre PÉLOQUIN pierre.e.lachapelle@gm ») (sic), le Parti Québécois et le Bloc Québécois.

8. L’enquête a fait ressortir des divergences considérables entre les renseignements fournis dans le questionnaire préalable à l’entrevue et les renseignements obtenus avant et pendant l’entrevue de sécurité/fiabilité.

Compagnie Gestion Immobilière Attaché inc. (“GIA”)

9. Vous avez indiqué lors de l’entrevue que les heures d’opération de la compagnie allaient selon la disponibilité des employés et dit ne jamais avoir indiqué des heures du lundi au vendredi alors que sur le site web de GIA les heures d’ouverture en date du 17 mars 2021 sont indiquées comme suit :

“Tuesday 9:00 AM—9 h

Wednesday 9:00 PM—9 h

Thursday 9:00 PM—9:00 PM

Friday 9:00 PM—9 h

Saturday By appointment

Sunday Closed

Monday By appointment ”

10. Vous avez été questionné à savoir s’il existait des sous-compagnies associées avec la GIA et vous avez répondu « non » alors qu’une recherche en sources ouvertes a permis de ressortir 64 entreprises sous le nom de GIA. Ces 64 entreprises n’ont pas été mentionnées dans le questionnaire et ni lors de l’entrevue.

L’école Expression Orale québécoise

11. Vous n’avez pas fait mention de l’école Expression Orale québécoise dans le questionnaire.

12. Le site web de l’école indique que vous opérez l’école depuis 2020 ainsi que les coûts associés aux services d’enseignement.

13. Le 20 mai 2021 lors de l’entrevue de sécurité, vous avez admis avoir loué des chambres à des locataires avec l’option d’apprentissage du français par l’entremise de l’école.

Le Groupe Beaulieu inc.

14. Vous n’avez pas fait mention de l’entreprise Le Groupe Beaulieu inc. dans le questionnaire.

15. Le 20 mai 2021, lors de l’entrevue de sécurité, vous avez été questionné concernant vos activités en lien avec l’entreprise Le Groupe Beaulieu inc. Vous avez initialement dit ne pas connaître cette entreprise et ni l’avoir utilisée.

16. La recherche en sources ouvertes a identifié votre profil Facebook en lien avec Le Groupe Beaulieu inc.

Les Pertubés du Canadian National Railways (CNR)

17. Vous n’avez pas fait mention de l’organisme Les Pertubés du CNR dans le questionnaire.

18. Le 20 mai 2021, lors de l’entrevue de sécurité, vous avez été questionné concernant vos activités en lien avec l’organisme Les Pertubés du CNR et vous avez indiqué que cet organisme était en vigueur et que c’était en lien avec les bruits occasionnés par des trains passant à proximité de votre résidence.

Adresses courriel non mentionnées

19. Dans le questionnaire, à la question 9, où vous deviez indiquer les adresses courriel utilisées, vous aviez indiqué qu’une seule adresse courriel soit: [adresse courriel caviardée].

20. En début d’entrevue, vous avez donné une autre adresse courriel soit : [adresse courriel caviardée].

21. Vous avez indiqué, suite à la découverte d’adresses courriel par TIOS, que vous utilisez également les adresses [adresse courriel caviardée] et [adresse courriel caviardée].

Sites web non mentionnés

22. Dans le questionnaire, vous n’avez pas fait mention de plusieurs sites web vous appartenant tels que:

• Gestion immobilière attachée (GIA) http://www.gia.ca/

• Website: Mécanique auto-mobile http://www.gia.quebec/

• Website (subdomain): les perturbés du CNR/ les perturbés du CNR (Canadien National Railway)

http://www.lesperturbesducnr.gia.quebec/

• Website (subdomain): l’école Expression orale québécoise

http://expressionoralequebec.gia.quebec/

• Website: Entretien immobilier http://entretienimmobilier.gia.quebec/

Allégation 2

Entre une date inconnue et le 20 mai 2021, dans un lieu inconnu, dans la province de Québec, le [caporal] Robert Beaulieu aurait enfreint les politiques de la GRC en tenant des emplois ou des organismes, notamment l’école ‘’Expression Orale Québécoise’’, sans avoir d’abord obtenu l’autorisation préalable auprès de la GRC. Il est par conséquent allégué que le [caporal] Robert Beaulieu a contrevenu au paragraphe 7.1 du Code de déontologie de la GRC.

Précisions :

École Expression Orale québécoise

4. Le 6 octobre 2020, il est annoncé sur le site web de l’entreprise GIA, que le site web pour l’école Expression Orale québécoise était alors finalisé et en vigueur.

5. Les pages du site web pour l’école comprennent les sections suivantes : « home », « about us », « classes », « price list », « registration », « web extras » et « contact us ».

6. Le 20 mai 2021, lors de l’entrevue de sécurité, vous avez indiqué que vous aviez l’intention d’ouvrir une école linguistique suite à votre service à la GRC et non pendant votre service.

7. Le 8 novembre 2021, vous avez fait une demande d’approbation d’emploi secondaire pour vos activités de tutorat. Vous avez ensuite retiré votre demande.

8. Le 5 février 2022, vous avez fait parvenir une correspondance au sergent Léo Albert (serg. Albert) dans lequel vous avez indiqué que vous n’avez jamais tenu, eu, opéré, ni travaillé auprès de l’organisme Expression Orale Québécoise.

9. Le site web de l’école indique que vous opérez l’école depuis 2020.

10. Lors de l’entrevue, vous avez admis avoir loué des chambres à des locataires avec l’option d’apprentissage du français par l’entremise de l’école.

11. Vous n’avez pas obtenu une approbation de votre superviseur pour un emploi secondaire en lien avec l’école Expression Orale québécoise.

Le Groupe Beaulieu Inc.

12. La recherche en sources ouvertes a identifié votre profil Facebook en lien avec le Groupe Beaulieu inc., soit en utilisant votre adresse civique, numéro de téléphone ainsi que votre adresse courriel.

13. Lors de votre entrevue de sécurité, vous avez indiqué que vous ne connaissiez pas ce nom, avant d’admettre que vous l’utilisiez.

14. Vous n’avez pas soumis de demande d’approbation d’emploi secondaire pour vos activités en lien avec la compagnie Le Groupe Beaulieu Inc.

Les Pertubés du CNR

15. Lors de l’entrevue, vous avez été questionné concernant vos activités en lien avec l’organisme Les Pertubés du CNR et vous avez indiqué que cet organisme était en vigueur. Vous avez aussi indiqué que c’était en lien avec les bruits occasionnés par des trains passant à proximité de votre résidence.

16. Vous n’avez pas soumis de demande d’approbation d’emploi secondaire pour vos activités en lien avec l’organisme Les Pertubés du CNR.

Allégation 3

Retirée.

Allégation 4

Retirée.

Allégation 5

[L’allégation 5 a été retirée le 26 juin 2024]

[Cité textuellement]

Réponse du membre visé aux allégations

[53] Le caporal Beaulieu n’a pas répondu aux allégations contenues dans l’Avis d’audience disciplinaire conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie). Il n’a donc pas nié ou admis les allégations ni fourni d’observations écrites.

[54] De plus, comme le caporal Beaulieu ne s’est pas présenté à l’audience disciplinaire, le comité de déontologie n’a pu lui faire la lecture des allégations, comme requis au paragraphe 20(1) des CC (déontologie).

[55] Le paragraphe 20(2) des CC (déontologie) prévoit que le membre qui ne nie ni n’admet une allégation est réputé l’avoir nié.

[56] Le dossier contient un courriel intitulé « Ma défense aux 4 accusations de mauvaise conduite (Déontologie) (pas de numéro de dossier) » que le caporal Beaulieu a acheminé à son supérieur le 5 février 2022, dans lequel il relate les évènements ayant mené au dépôt des allégations et fournit des explications à ce sujet. Je note que ce document a été préparé moins de 1 mois après que l’enquête en déontologie ait été mandatée, mais environ 21 mois avant que les allégations ne soient détaillées dans l’Avis d’audience disciplinaire du 20 novembre 2023.

[57] En conséquence, ce document ne peut être considéré comme la réponse du caporal Beaulieu aux allégations contenues à l’Avis d’audience disciplinaire au sens du paragraphe 15(3) des CC (déontologie).

ÉLÉMENTS DE PREUVE

[58] L’autorité disciplinaire n’a pas fait comparaître de témoin à l’audience, s’en remettant uniquement aux éléments de preuve documentaires au dossier pour établir les allégations.

[59] Le paragraphe 23(1) des CC (déontologie) prévoit que lorsqu’aucun témoignage n’a été entendu durant l’audience, le comité de déontologie peut rendre une décision à l’égard des allégations en se fondant uniquement sur les éléments de preuve au dossier. Par contre, ces éléments de preuve doivent être suffisants pour prouver les allégations.

[60] Les éléments de preuve documentaires dans cette affaire se composent du rapport d’enquête daté du 20 septembre 2022 ainsi que ses cinquante annexes.

[61] Le dossier comprend également une demande de prorogation de délai de prescription et la décision se rapportant à cette demande, les documents de sécurité complétés par le caporal Beaulieu au début du processus de rehaussement de sa cote de sécurité ainsi que de la transcription de son entrevue de sécurité. Ces documents ont été obtenus à la suite d’ordonnances de transmission de renseignements supplémentaires que j’ai émises le 19 juin 2024 et le 2 juillet 2024.

[62] Finalement, la représentante de l’autorité disciplinaire présente à l’appui de ses plaidoiries un affidavit du sergent Demers, daté du 16 septembre 2024, ainsi qu’un Dira Que du caporal Shawn Firlotte, daté du 8 octobre 2024, dans lesquels ils relatent les tentatives et les démarches entreprises par la division pour contacter le caporal Beaulieu tout au long du processus disciplinaire.

[63] Je m’en remettrai donc à ces éléments de preuve documentaires pour rendre une décision à l’égard des allégations.

FAITS ÉTABLIS PAR LE COMITÉ DE DÉONTOLOGIE

[64] Sur la base des éléments de preuve contenus au dossier, j’émets un Énoncé des faits établis le 7 août 2024.

[65] Les faits pertinents à toutes les allégations contenues à cet Énoncé des faits établis se résument comme suit :

  1. Le caporal Robert Beaulieu est un membre régulier de la GRC depuis le 23 mars 1982.

  2. De 2016 à mars 2021, le caporal Beaulieu a travaillé à la Section des délits commerciaux de la Division C.

  3. Le 30 novembre 2020, le responsable de la Section des délits commerciaux fait une demande au Groupe de la sécurité du personnel de la Division C afin de rehausser l’habilitation de la cote sécuritaire du caporal Beaulieu du niveau secret à très secret.

  4. Le 31 mars 2021, l’enquêteur de la Section de la sécurité ministérielle centrale, M. François Hébert, fait une demande de recherche de sources ouvertes concernant le caporal Beaulieu.

  5. Le 31 mars 2021, le caporal Beaulieu remplit le formulaire « Questionnaire préalable à l’entrevue » et l’achemine à l’enquêteur Hébert.

  6. Le 10 mai 2021, l’enquêteur Hébert reçoit le rapport de recherche de sources ouvertes.

  7. Le 20 mai 2021, l’entrevue de sécurité du caporal Beaulieu est menée par l’enquêteur Hébert.

  8. Le 2 décembre 2021, l’enquêteur Hébert écrit un rapport de continuation dans lequel il évalue le niveau de risque à moyen et recommande que le caporal Beaulieu conserve sa cote de fiabilité approfondie (CFA) de niveau secret.

DÉCISION SUR LES ALLÉGATIONS

[66] Dans le cadre du présent processus, il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir le bien-fondé des allégations selon la prépondérance des probabilités.

[67] Conformément à l’article 45 de la Loi sur la GRC, le comité de déontologie doit décider si l’autorité disciplinaire s’est déchargée de son fardeau de la preuve. En d’autres termes, dans la présente affaire, je dois déterminer s’il est plus probable qu’improbable que le caporal Beaulieu a contrevenu aux articles 8.1 et 7.1 du code de déontologie. Si je conclus qu’une ou plusieurs des allégations contenues à l’Avis d’audience disciplinaire sont fondées, je dois imposer des mesures disciplinaires qui sont proportionnelles à la nature et aux circonstances des contraventions au code de déontologie[4].

[68] Pour satisfaire le critère de la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve doivent toujours être clairs et convaincants, comme énoncé par la Cour suprême du Canada[5]. Un juge des faits doit rendre une décision sur la base de l’ensemble des éléments de preuve qui lui sont présentés. La Cour suprême note qu’il n’existe aucune norme objective permettant de déterminer que la preuve est suffisamment claire et convaincante[6].

[69] Les précisions pour chacune des allégations sont énoncées dans l’Avis d’audience disciplinaire. L’autorité disciplinaire n’est pas tenue de prouver chaque précision ou chaque élément d’une précision; seulement celles qui sont essentielles pour établir les allégations. Certaines précisions sont fournies simplement pour mettre les allégations en contexte.

Allégation 1

[70] L’article 8.1 du code de déontologie précise que les membres « rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie ».

[71] Cet article du code de déontologie couvre un éventail de comportements. Le Guide des mesures disciplinaires [7]de la GRC (version de novembre 2014) précise que l’article 8.1 s’applique, entre autres, dans les cas où un membre fournit volontairement des renseignements faux ou trompeurs dans le cadre d’une enquête interne, comme une enquête de sécurité. Ceci inclut l’omission volontaire de renseignements pertinents.

[72] Dans la présente affaire, il est allégué que le caporal Beaulieu aurait fourni des renseignements inexacts au sujet de sa compagnie Gestion immobilière attachée Inc. durant l’entrevue de sécurité et qu’il aurait également omis de déclarer certains renseignements dans le Questionnaire préalable à l’entrevue.

[73] Afin d’établir une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit prouver les éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre visé;

  2. la déclaration ou les renseignements en question;

  3. que la déclaration ou les renseignements étaient inexacts ou incomplets;

  4. que le membre :

  1. savait que les déclarations ou les renseignements étaient inexacts ou incomplets; ou

  2. qu’il s’est montré négligent à l’égard de l’exactitude des déclarations ou des renseignements.

[74] En ce qui concerne le premier élément du test pour établir une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, je suis satisfaite que l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités l’identité du caporal Beaulieu. En effet, les documents à l’appui de cette affaire comprennent le Questionnaire préalable à l’entrevue, dûment complété et signé par le caporal Beaulieu en date du 31 mars 2021[8]. Le caporal Beaulieu achemine ce formulaire à l’enquêteur Hébert par courriel le jour même[9].

[75] Le dossier contient également l’enregistrement et la transcription de l’entrevue de sécurité du caporal Beaulieu menée par l’enquêteur Hébert, le 20 mai 2021[10]. Le caporal Beaulieu s’identifie au début de l’entrevue de sécurité au moyen de sa date de naissance et de son numéro de matricule[11].

[76] En ce qui concerne les autres éléments du test, je les examinerai à tour de rôle pour chaque déclaration ou renseignement visé à l’allégation 1, afin de déterminer si l’autorité disciplinaire s’est déchargée de son fardeau de la preuve.

Précision 9

[77] Il est établi que le caporal Beaulieu possède une compagnie familiale d’exploitation de bâtiments résidentiels connue sous le nom Gestion Immobilière Attaché Inc. (GIA)[12].

[78] Il est également établi que GIA possède un site internet à l’adresse http://www.gia.ca.[13]

[79] La précision 9 concerne des renseignements fournis par le caporal Beaulieu durant l’entrevue de sécurité au sujet des heures d’ouverture de GIA. La précision est rédigée ainsi :

9. Vous avez indiqué lors de l’entrevue que les heures d’opération de la compagnie allaient selon la disponibilité des employés et dit ne jamais avoir indiqué des heures du lundi au vendredi alors que sur le site web de GIA les heures d’ouverture en date du 17 mars 2021 sont indiquées comme suit:

Tuesday 9:00 AM—9 h

Wednesday 9:00 PM—9 h

Thursday 9:00 PM—9:00 PM

Friday 9:00 PM—9 h

Saturday By appointment

Sunday Closed

Monday By appointment

[80] Il est établi que le caporal Beaulieu a indiqué à l’enquêteur Hébert durant l’entrevue de sécurité que les services de sa compagnie étaient « offerts selon la disponibilité des employés. Habituellement la fin de semaine[14] ».

[81] Lorsque l’enquêteur Hébert lui demande « vous n’avez jamais indiqué des heures du lundi au vendredi? », le caporal Beaulieu répond d’abord « Non » et lorsque l’enquêteur répète la question et lui demande quelles seraient les heures en question, le caporal Beaulieu répond : « Ça se peut. Ça se peut. Je le sais pas. J’ai pas de souvenirs. […] De toute façon il n’y a pas de services durant le jour[15]. »

[82] L’autorité disciplinaire soutient que ces renseignements sont inexacts, car le site web de GIA en date du 17 mars 2021 affichait des heures d’ouverture du lundi au vendredi.

[83] J’ai examiné attentivement l’ensemble des éléments de preuve qui m’ont été présentés afin de localiser la capture d’écran du site web de GIA en date du 17 mars 2021 démontrant ces heures d’ouverture, mais sans succès.

[84] Lorsque questionnée durant l’audience disciplinaire sur l’absence de ces renseignements au dossier, la représentante de l’autorité disciplinaire n’a pas été en mesure de fournir la capture d’écran en question. Elle se réfère plutôt au rapport de continuation de l’enquêteur Hébert pour prouver les heures d’ouverture contenues à la précision 9[16].

[85] Malheureusement, les renseignements contenus dans le rapport de continuation de l’enquêteur Hébert ne constituent pas un élément de preuve clair et convaincant des heures d’ouverture affichées sur le site web de GIA en date du 17 mars 2021, comme allégués à la précision 9.

[86] En conséquence, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas établi la précision 9 puisqu’elle n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que les renseignements fournis par le caporal Beaulieu au cours de l’entrevue de sécurité étaient faux, trompeurs, inexacts ou incomplets.

Précision 10

[87] La précision 10 concerne également des renseignements fournis par le caporal Beaulieu au cours de l’entrevue de sécurité au sujet de GIA, à savoir qu’il n’existait pas de sous-compagnies associées à GIA.

[88] L’autorité disciplinaire allègue à la précision 10 que ce renseignement est inexact puisque le rapport de recherche de sources ouvertes a fait ressortir 64 entreprises sous le nom de GIA.

[89] Il est établi que, selon les renseignements disponibles au Registre des entreprises du Québec pour GIA (numéro d’entreprise du Québec 1165763674), 64 noms d’entreprise sont répertoriés sous la rubrique « autres noms utilisés au Québec ».

[90] Il est également établi que lorsque l’enquêteur Hébert lui demande « y’as-tu des sous-compagnies dans votre compagnie? », le caporal Beaulieu répond « Non[17] ».

[91] Afin d’établir que cette déclaration était fausse ou inexacte, l’autorité disciplinaire devait donc prouver que les 64 noms d’entreprise identifiés dans le rapport de recherche de sources ouvertes étaient effectivement des sous-compagnies associées à GIA.

[92] Durant sa plaidoirie, la représentante de l’autorité disciplinaire indique qu’il est possible que GIA soit une maison-mère qui a plusieurs divisions, selon une structure et un modèle d’affaires assez élaboré et bien structuré. Cependant, la représentante de l’autorité disciplinaire ne présente aucun élément de preuve de l’existence d’une telle structure corporative.

[93] La représentante de l’autorité disciplinaire allègue également que les renseignements disponibles au Registre des entreprises du Québec démontrent que les « statuts constitutifs des sous-compagnies sont en vigueur » et que les 64 noms d’entreprise sont donc des compagnies actives. Encore une fois, je constate que les statuts constitutifs de ces entreprises ne se retrouvent pas comme éléments de preuve au dossier et que le rapport de recherche de sources ouvertes ne fait aucune mention de l’existence de ces entreprises comme entités distinctes. Ce rapport identifie seulement 5 entreprises au Registre des entreprises du Québec sous le nom de Robert Beaulieu[18].

[94] Je note également que les 64 noms d’entreprise révélés par le rapport de recherche de sources ouvertes sont répertoriés au Registre des entreprises du Québec sous la rubrique « autres noms utilisés au Québec » et non comme « sous-compagnies ». De plus, la mention « en vigueur » se trouve également sous la rubrique « autres noms utilisés au Québec[19] ».

[95] Durant l’entrevue de sécurité, le caporal Beaulieu explique clairement à l’enquêteur Hébert que ces noms ne sont pas des compagnies distinctes ou des sous-compagnies de GIA, mais qu’il s’agit plutôt de réservation de noms. Il explique avoir réservé ces dénominations sociales auprès du gouvernement du Québec dans l’éventualité où dans le futur il souhaiterait élargir les activités de GIA. Il précise toutefois que ces projets ne se sont pas encore réalisés[20].

[96] Je constate que cette explication concorde avec les renseignements fournis par une représentante de Services Québec à l’enquêteur chargé de mener l’enquête déontologique, lorsque questionné au sujet de la rubrique « autres noms utilisés au Québec » qui se trouve au Registre des entreprises du Québec. En effet, le rapport de continuation de la caporale Manon Villemaire, daté du 21 juillet 2022, contient le résumé suivant d’une conversation téléphonique qu’elle a eu avec la représentante de Services Québec :

[…]

En rapport avec le CIDREQ de la cie GESTION IMMOBILIÈRE GIA INC. et tous les noms de compagnies qui sont identifiées dans la partie « AUTRES NOMS UTILISÉS AU QUÉBEC », Mme CARIGNAN a expliqué les faits suivants :

. C’est la personne même qui complète une déclaration de mise à jour annuelle et qui fait une demande lorsqu’elle veut réserver un nom de compagnie. C’est cette personne qui ajoute les données au système directement. Il n’y a pas de maximum de nom de compagnie qui peut être déclarée. Un nom demandé peut être refusé s’il est déjà utilisé ou si c’est un nom anglophone;

. Lorsque la personne complète sa demande, le nom de la compagnie va lui être réservée pendant 90 jours seulement. Pour chaque demande, il y a des frais de 25$;

. Dans le cas de GIA INC. et tous les noms figurant dans la partie « AUTRES NOMS UTILISÉS AU QUÉBEC » et dont la situation indique « en vigueur », elle ne comprend pas cette situation. Parmi ces noms, elle confirme que seulement un nom a été supprimé;

. Elle trouve étrange que tous les autres noms de compagnies indiquent la mention « en vigueur ». Ne peut l’expliquer. À la question de la cap. VILLEMAIRE à savoir si le système est à jour, elle a mentionné d’un ton hésitant qu’il devait l’être.[21]

[…] [Cité textuellement]

[97] En conséquence, je ne suis pas convaincue que les renseignements contenus au Registre des entreprises du Québec établissent que les 64 noms d’entreprise sous la rubrique « Autres noms utilisés au Québec » soient effectivement des sous-compagnies de GIA, comme avancé par l’enquêteur Hébert durant l’entrevue de sécurité et par la représentante de l’autorité disciplinaire durant ses plaidoiries.

[98] En conséquence, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas établi la précision 10 selon la prépondérance des probabilités puisqu’elle n’a pas démontré que les renseignements fournis par le caporal Beaulieu au cours de l’entrevue de sécurité au sujet de l’existence de sous-compagnies à GIA étaient faux, trompeurs, inexacts ou incomplets.

Précisions 10 à 22

[99] Il est allégué que le caporal Beaulieu a contrevenu à l’article 8.1 du code de déontologie en omettant d’inclure dans le Questionnaire préalable à l’entrevue les 64 noms d’entreprise (précision 10), l’école Expression Orale québécoise (précision 11), le Groupe Beaulieu Inc. (précision 14), les Perturbés du CNR (précision 17) ainsi que 2 adresses courriel (précision 21) et 7 sites web (précision 22).

[100] Il est établi que le caporal Beaulieu n’a pas déclaré ces renseignements au Questionnaire préalable à l’entrevue.

[101] Les précisions de l’allégation 1 n’indiquent pas spécifiquement dans quelle partie du Questionnaire préalable à l’entrevue le caporal Beaulieu aurait dû déclarer les 64 noms d’entreprise, l’école Expression Orale québécoise, le Groupe Beaulieu Inc. et les Perturbés du CNR.

[102] Lorsque questionnée à ce sujet à l’audience, la représentante de l’autorité disciplinaire indique que ces entités auraient dû être déclarées comme organismes à la question 4 du questionnaire qui s’intitule Associations et qui est rédigé en ces termes : « Indiquez les clubs, organismes et associations dont vous êtes ou avez été membre ou engagé d’une quelconque façon (financièrement ou autrement). »

[103] En réponse à cette question, le caporal Beaulieu a inscrit à la main, « Les Pollués de Montréal Trudeau inc. le Parti Québécois et le Bloc Québécois ». Au début de l’entrevue de sécurité, le caporal Beaulieu mentionne à l’enquêteur Hébert qu’il désire ajouter à la question 4 du Questionnaire préalable à l’entrevue, le nom et les coordonnées du président de l’organisme « Les Pollués de Montréal Trudeau inc. ». L’enquêteur Hébert ajoute ces renseignements sur sa copie du questionnaire à la question 4 en caractères d’imprimerie.

[104] Pour établir le troisième élément du test d’une contravention à l’article 8.1, l’autorité disciplinaire doit donc démontrer que le caporal Beaulieu a fourni des renseignements incomplets en ne déclarant pas les renseignements contenus aux précisions 10, 11, 14 et 17 à la question 4 du Questionnaire préalable à l’entrevue.

[105] À la lecture du libellé de cette question, je ne suis pas convaincue qu’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances aurait nécessairement compris que chacune des entités visées aux précisions 10, 11, 14 et 17 devaient être déclarées dans cette partie du questionnaire.

[106] Comme mentionné précédemment, le caporal Beaulieu a expliqué au cours de l’entrevue de sécurité avoir réservé les 64 noms d’entreprise auprès du gouvernement du Québec dans l’éventualité où dans le futur il souhaiterait élargir les activités de GIA. Cette explication a été corroborée par la représentante de Services Québec durant une conversation téléphonique avec l’enquêteur chargé de mener l’enquête déontologique. Puisque ces noms réservés ne constituaient pas des entités distinctes, je ne suis pas convaincue que le caporal Beaulieu aurait dû déclarer ces renseignements à la question 4 du Questionnaire préalable à l’entrevue comme des organismes dans lesquels il était engagé d’une quelconque façon.

[107] Le même raisonnement s’applique pour le Groupe Beaulieu Inc. Ce nom est l’un des 64 noms d’entreprise répertoriés au Registre des entreprises du Québec sous la rubrique « autres noms utilisés au Québec ». Le seul élément de preuve au dossier se rapportant aux activités du caporal Beaulieu en lien avec le Groupe Beaulieu Inc. est une référence à un profil Facebook contenant un nombre limité de photos et de messages, le dernier remontant au 29 décembre 2015, et où on fait référence au site web de GIA sous la rubrique des coordonnées[22]. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le Groupe Beaulieu Inc. était un organisme au sens de la question 4 du Questionnaire préalable à l’entrevue.

[108] Cependant, je ne m’attarderai pas plus longtemps sur cette question de savoir si l’autorité disciplinaire a été en mesure de démontrer que le caporal Beaulieu a fourni des renseignements incomplets à la question 4 du Questionnaire préalable à l’entrevue, puisque je ne suis pas non plus persuadée que l’autorité disciplinaire a établi le dernier élément du test de l’article 8.1 du code de déontologie quant aux précisions 10, 11, 14, 17, 21 et 22.

[109] La représentante de l’autorité disciplinaire indique qu’il est inconcevable que le caporal Beaulieu n’était pas au courant de l’existence des organismes identifiés aux précisions 10, 11, 14 et 17 ainsi que des adresses courriel et sites web identifiés aux précisions 21 et 22. Elle avance que le caporal Beaulieu a délibérément omis de déclarer ces renseignements et qu’il a été malhonnête à cet égard. Elle admet que la preuve de l’intention est difficile à faire, mais elle soutient qu’il suffit dans le cadre d’un processus administratif comme celui-ci de démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le caporal Beaulieu connaissait l’existence de ces renseignements.

[110] La représentante de l’autorité disciplinaire déclare que « l’élément mental est bien présent jusqu’à preuve du contraire, parce que […] aucune preuve n’a été présentée par le [caporal] Beaulieu pour diminuer son niveau de culpabilité ou diminuer son niveau de connaissance par rapport à l’existence des organisations ou des organismes qui n’ont pas été mentionnés, ou des courriels et des sites web qui n’ont pas été mentionnés »[23].

[111] Je ne partage pas cette opinion. Nonobstant le fait que le caporal Beaulieu a fourni certaines explications au cours de l’entrevue de sécurité, je note qu’il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir tous les éléments d’une contravention alléguée au code de déontologie selon la prépondérance des probabilités, et non au membre visé de réfuter les allégations ou de prouver qu’il n’avait pas l’intention de tromper.

[112] Pour satisfaire le dernier élément du test de l’article 8.1 du code de déontologie, il est essentiel que l’autorité disciplinaire établisse selon la prépondérance des probabilités non seulement que le membre visé savait que les renseignements fournis étaient incomplets, mais aussi qu’il avait l’intention de tromper en omettant volontairement de fournir ces renseignements ou qu’il s’est montré négligent ou insouciant quant à ces renseignements. Le Guide des mesures disciplinaires explique ce point en ces termes :

Il importe de bien comprendre la nuance importante entre un faux rapport, qui est rédigé dans le dessein de tromper ou de détourner le cours de la justice, et un rapport inexact dans lequel le membre consigne des renseignements qui, par la suite, se révèlent faux, soit parce que le rapport est fondé sur des renseignements obtenus d’un tiers ou les perceptions du policier ou encore si la mémoire, la compréhension, la perception ou le souvenir est erroné. Pour revenir à M. Ceyssens :

[Traduction] Il y a trois résultats possibles en cas de déclaration fausse, trompeuse ou inexacte : elle peut être le produit d’une véritable intention de tromper ou de falsifier (ce qui constitue une inconduite), elle peut être le produit d’une insouciance ou de la négligence (ce qui peut constituer un manquement au devoir) ou elle peut constituer le produit d’une erreur de bonne foi (ce qui ne constitue pas une inconduite).[24]

[…]

[113] La représentante de l’autorité disciplinaire allègue durant ses plaidoiries que nous n’étions pas ici devant un cas de négligence ou d’erreur, mais bien devant un acte délibéré, car le comportement du caporal Beaulieu depuis le début du processus disciplinaire démontre qu’il est à son affaire et que ses gestes sont calculés. Cependant, je constate qu’elle ne fournit aucun élément de preuve établissant que le caporal Beaulieu a volontairement omis d’inclure les renseignements contenus aux précisions 10, 11, 14, 17, 21 et 22 au Questionnaire préalable à l’entrevue et que ce faisant, il avait l’intention de tromper.

[114] Je conclus donc que les éléments de preuve documentaires ne me permettent pas de conclure selon la prépondérance des probabilités que le caporal Beaulieu a volontairement omis d’inclure au Questionnaire préalable à l’entrevue les renseignements contenus aux précisions 10, 11, 14, 17, 21 et 22 de l’Avis d’audience disciplinaire. En conséquence, l’autorité disciplinaire n’a pas établi que le caporal Beaulieu a contrevenu à l’article 8.1 du code de déontologie relativement à ces renseignements.

[115] En résumé, l’autorité disciplinaire n’ayant pas été en mesure de démontrer selon la prépondérance des probabilités que les renseignements mentionnés aux précisions 9 et 10 étaient inexacts et que le caporal Beaulieu avait l’intention de tromper en omettant d’inclure au Questionnaire préalable à l’entrevue les renseignements décrits aux précisions 10, 11, 14, 17, 21 et 22, l’allégation 1 n’est pas établie.

Allégation 2

[116] L’article 7.1 du code de déontologie stipule que « Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ».

[117] Pour établir une conduite déshonorante selon l’article 7.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit établir les éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

a. l’identité du membre visé;

b. les détails des allégations qui constituent les comportements allégués.

[118] Si l’autorité disciplinaire est en mesure d’établir ces éléments, il revient au comité de déontologie de déterminer :

c. si le comportement du membre visé est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC, c’est-à-dire de déterminer si une personne raisonnable en société, ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que la conduite du membre en question est susceptible de discréditer la GRC, en tenant compte des attentes raisonnables de la communauté (c’est-à-dire, la personne raisonnable) en matière de comportement policier, et;

d. que la conduite du membre visé est suffisamment liée à ses fonctions et responsabilités pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[119] Le libellé de l’allégation 2 n’identifie pas quelle politique de la GRC le caporal Beaulieu aurait enfreinte en n’obtenant pas d’autorisations au préalable à ses activités extérieures. Cependant, le dossier d’enquête contient une copie du Manuel d’administration, chapitre 17.1 « Conflit d’intérêts » (version du 5 juillet 2021)[25].

[120] Le 4 octobre 2024, en préparation pour l’audience disciplinaire, j’ai porté à l’attention de la représentante de l’autorité disciplinaire le fait que la version de la politique incluse dans le dossier n’était pas la version en vigueur durant la période couverte par l’allégation 2, à savoir entre une date inconnue et le 20 mai 2021. Le 6 octobre 2024, la représentante de l’autorité disciplinaire m’a acheminé une copie du Manuel d’administration, chapitre XVII.1 « Conflit d’intérêts » (version du 28 novembre 2014) qui était en vigueur durant la période visée par l’allégation. Je me référerai donc à cette version de la politique dans mon analyse.

[121] La politique prévoit à l’article 12.1.4 que les employés de la GRC ne peuvent participer à des activités à l’extérieur de la GRC sans avoir obtenu une autorisation au préalable. Une telle autorisation doit être obtenue avant que l’employé n’entreprenne de telles activités.

[122] La politique prévoit aussi à l’article 12.2.3.2 qu’une autorisation au préalable est requise pour toute activité, y compris du bénévolat, s’il existe un conflit d’intérêts réel ou potentiel.

[123] L’allégation 2 vise trois organismes pour lesquels le caporal Beaulieu n’aurait pas obtenu d’autorisations au préalable, à savoir l’école Expression Orale québécoise, le Groupe Beaulieu Inc. et les Perturbés du CNR.

[124] J’examinerai chacun de ces organismes à tour de rôle.

L’École Expression Orale québécoise

[125] Les faits pertinents à l’école Expression Orale québécoise contenus à l’Énoncé des faits établis se résument comme suit:

[…]

a. Le 6 octobre 2020, un message sur le blogue de GIA annonçait que le site internet pour l’école Expression Orale québécoise était finalisé et que l’école offrait des cours de français oral et écrit.

b. Le rapport de recherche de sources ouvertes révèle l’existence d’un sous-domaine associé à l’adresse www.gia.ca pour l’école Expression Orale québécoise (www.expressionoralequebecoise.gia.quebec).

c. La page internet de l’école Expression Orale québécoise en date du 17 mars 2021 indique qu’elle a été fondée en 2020

d. La page internet de l’école Expression Orale Québécoise en date du 17 mars 2021 indique que « Monsieur Beaulieu est un québécois qui a beaucoup d’expériences d’enseigner le français aux nouveaux immigrants »

e. La page internet de l’école Expression Orale québécoise en date du 17 mars 2021 contient une liste de prix pour des cours et pour de l’hébergement.

f. Au cours de l’entrevue de sécurité, le [caporal] Beaulieu a indiqué avoir l’intention d’ouvrir une école de langue après son service à la GRC.

g. Au cours de l’entrevue de sécurité, le [caporal] Beaulieu a admis avoir loué des chambres dans sa résidence à des personnes de descendance étrangère et leur avoir donné des cours de français.[26]

[…]

[126] Je note que durant l’entrevue de sécurité, le caporal Beaulieu indique qu’il a l’intention d’ouvrir une école de langues à sa retraite, après son service à la GRC. Lorsque l’enquêteur Hébert l’informe que le site internet de l’école Expression Orale québécoise est visible sur le web et indique qu’elle a été fondée en 2020, le caporal Beaulieu répond que ça ne devrait pas être sur le web, car il s’agit d’un brouillon et qu’il y a sûrement eu une erreur de la part de l’un de ses employés qui est responsable de la gestion de ses sites internet.

[127] La représentante de l’autorité disciplinaire avance qu’il est peu probable que le site web en question ait été mis en ligne par erreur considérant l’ampleur des renseignements qu’on y retrouve. Sur ce point, je note que les captures d’écran du site web de l’école Expression Orale québécoise contenues au rapport de recherche de sources ouvertes semblent démontrer que le développement du site n’était pas complet puisque le contenu est différent dans certaines langues et la liste de prix n’apparaît pas dans les versions française et chinoise du site[27].

[128] Le caporal Beaulieu n’a pu être questionné sur cette situation puisqu’il ne s’est pas présenté à l’audience. Mais que la page internet de l’école Expression Orale québécoise se soit retrouvée sur internet par erreur ou non ne change pas le fait que ces renseignements étaient disponibles lors de la recherche de sources ouvertes.

[129] Sur la base des faits établis dans la présente dans la présente affaire, je suis satisfaite selon la prépondérance des probabilités que le caporal Beaulieu avait entrepris des activités en lien avec l’école Expression Orale québécoise, et ce, au moins depuis le 6 octobre 2020. De plus, sur la base des éléments de preuve au dossier, je suis satisfaite que le caporal Beaulieu n’a pas soumis de demande d’autorisation au préalable pour des activités en lien avec l’école Expression Orale québécoise.

[130] Je conclus donc que l’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités les deux premiers éléments du test pour établir un comportement déshonorant.

[131] Je me pencherai donc sur les troisième et quatrième éléments du test pour établir une conduite déshonorante, à savoir si le comportement du caporal Beaulieu est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC et s’il est suffisamment lié à ses devoirs et fonctions pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[132] Je considère qu’une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, considérerait le comportement du caporal Beaulieu comme susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Tous les employés de la GRC se doivent de respecter les politiques en vigueur, plus particulièrement celles en lien avec les conflits d’intérêts. Dans le cas du caporal Beaulieu, la preuve révèle qu’il a plus de 40 ans de service à la GRC et qu’il connaissait ses obligations en lien avec la politique sur les conflits d’intérêts. Les employés de la GRC doivent agir selon des normes éthiques des plus rigoureuses afin de préserver la confiance du public à l’égard de l’objectivité de la GRC en évitant de se placer dans une situation de conflits d’intérêts réels, apparents ou potentiels. De plus, il est bien établi que les membres de la GRC doivent respecter le code de déontologie lorsqu’ils sont en service, mais également après les heures de service.

[133] Je considère que le public serait concerné d’apprendre qu’un policier héberge dans sa résidence des personnes de descendance étrangère et leur donne des cours de français, sans avoir au préalable obtenu une autorisation de son employeur permettant de confirmer que cette activité n’entre pas en conflit avec ses responsabilités en tant que policier. Le public s’interrogerait, avec raison, sur les risques que pose une telle situation pour l’organisation et sur la capacité du caporal Beaulieu de s’acquitter de ses fonctions de policier de façon efficace.

[134] En participant à des activités extérieures à la GRC en lien avec l’école Expression Orale québécoise sans autorisation au préalable, le caporal Beaulieu était clairement en contravention avec les dispositions de la politique de la GRC sur les conflits d’intérêts. La politique est claire, un employé doit obtenir une autorisation avant d’entreprendre des activités extérieures à ses fonctions de policier. J’estime donc que le comportement du caporal Beaulieu est suffisamment lié à ses fonctions et responsabilités comme policier pour que la Gendarmerie ait une raison légitime de lui imposer des mesures disciplinaires.

[135] Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 est établie quant à l’école Expression Orale québécoise.

Le Groupe Beaulieu Inc.

[136] En ce qui concerne Le Groupe Beaulieu Inc., les faits pertinents contenus à l’Énoncé des faits établis se résument comme suit :

[…]

a. Le rapport de recherche de sources ouvertes révèle l’existence d’une page Facebook pour le Groupe Beaulieu Inc.

b. L’adresse postale et l’adresse internet indiquées sur cette page Facebook correspondent à celles du [caporal] Beaulieu.

c. La page Facebook contient également une référence au site internet de GIA.

d. Durant l’entrevue de sécurité, le [caporal] Beaulieu a indiqué initialement ne pas connaître le nom Le Groupe Beaulieu Inc. et ne pas l’utiliser[28].

[…]

[137] Sur la base des éléments de preuve au dossier, je suis satisfaite que le caporal Beaulieu n’a pas soumis de demande d’autorisation au préalable pour le Groupe Beaulieu Inc.

[138] Afin de démontrer que le caporal Beaulieu a enfreint la politique sur les conflits d’intérêts, l’autorité disciplinaire devait faire la preuve que le caporal Beaulieu avait entrepris des activités en lien avec le Groupe Beaulieu Inc. qui nécessitaient l’obtention d’une autorisation au préalable.

[139] Je note d’abord que le seul élément de preuve au dossier se rapportant aux activités du caporal Beaulieu en lien avec le Groupe Beaulieu Inc. est une référence à un profil Facebook contenant un nombre limité de photos et de messages, le dernier remontant au 29 décembre 2015, et contenant une référence au site web de GIA sous la rubrique des coordonnées[29].

[140] Je ne suis pas convaincue que l’existence d’un profil Facebook constitue un élément de preuve clair et convaincant que le caporal Beaulieu était engagé dans des activités en lien avec le Groupe Beaulieu Inc. qui nécessitait l’obtention d’une autorisation au préalable au sens de la politique sur les conflits d’intérêts de la GRC.

[141] La représentante de l’autorité disciplinaire prétend que le Groupe Beaulieu Inc. est une organisation distincte de GIA, qui est opérée par le caporal Beaulieu. Je constate cependant que le Groupe Beaulieu Inc. est l’un des 64 noms d’entreprise répertoriés sous la rubrique « autres noms utilisés au Québec » pour la compagnie GIA. De plus, il est établi selon la preuve au dossier que le caporal Beaulieu détient une autorisation au préalable de son employeur pour ses activités en lien avec la compagnie GIA[30].

[142] Je conclus donc que bien que l’autorité disciplinaire ait prouvé les deux premiers éléments nécessaires à établir une conduite déshonorante, je considère que l’autorité disciplinaire n’a pas été en mesure d’établir un élément essentiel de l’allégation 2, à savoir qu’une autorisation était nécessaire dans les circonstances. En effet, les éléments de preuve au dossier ne me permettent pas de conclure selon la prépondérance des probabilités que le caporal Beaulieu avait entrepris des activités en lien avec le Groupe Beaulieu Inc. qui nécessitaient une autorisation au préalable de son employeur.

[143] Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 n’est pas établie quant au Groupe Beaulieu Inc.

Les Perturbés du CNR

[144] Les Perturbés du CNR est une personne morale sans but lucratif immatriculée au Registre des entreprises du Québec depuis le 20 décembre 2018 et ses activités visent à sensibiliser la communauté des bruits et vibrations des trains passants[31].

[145] Je constate que le dossier contient une Demande d’approbation pour Emploi secondaire/Activité extérieure pour les Perturbés du C.N.R. inc. que le caporal Beaulieu a présentée à son officier responsable le 22 novembre 2018, au moment de la création de cet organisme[32]. Cette demande a été approuvée par le gestionnaire délégué des ressources humaines le 27 novembre 2018[33].

[146] La représentante de l’autorité disciplinaire avance que cette approbation était expirée depuis le 27 novembre 2019, puisque selon elle, l’article 3.7 du Manuel d’administration, chapitre XVII.1 « Conflit d’intérêts », exige que les autorisations pour activités extérieures soient renouvelées annuellement.

[147] Avec respect, je ne peux souscrire à cette interprétation de la politique. L’article 3.7 du Manuel d’administration, chapitre XVII.1, stipule que :

Les employés et leurs superviseurs doivent revoir les dispositions énoncées dans la présente directive chaque année ou lors d’un changement de fonction, de poste ou de circonstances personnelles de l’employé.

[148] Il est donc exigé que les employés et leurs superviseurs revoient les dispositions de la politique annuellement.

[149] Conformément aux articles 4.2.1, 4.2.2, 12.2.5, 12.7.5 et 12.7.5.1 du Manuel d’administration, chapitre XVII.1, en ce qui concerne le renouvellement des autorisations pour activités extérieures, ils sont nécessaires lorsque les circonstances ont changé ou qu’un conflit d’intérêts s’est développé. La politique exige des employés qu’ils évaluent leurs activités extérieures, chaque année ou lors d’un changement de poste, de fonction ou de situation personnelle, afin de s’assurer qu’il n’existe pas de situation de conflit d’intérêts, et, s’il y a lieu, qu’ils en discutent avec leur superviseur et présentent un nouveau formulaire de demande d’approbation, en cas de changement.

[150] L’autorité disciplinaire n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que de tels changements étaient survenus depuis le 27 novembre 2018 qui aurait nécessité que le caporal Beaulieu obtienne une nouvelle autorisation. L’autorité disciplinaire n’a donc pas été en mesure d’établir un élément essentiel de l’allégation 2, à savoir que le caporal Beaulieu aurait enfreint les politiques de la GRC en ne détenant pas d’autorisation pour ses activités extérieures en lien avec les Perturbés du CNR.

[151] Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 n’est pas établie selon la prépondérance des probabilités quant à l’organisme les Perturbés du CNR.

[152] En conclusion, pour les raisons énoncées précédemment, l’allégation 2 est établie selon la prépondérance des probabilités en ce qui concerne l’école Expression Orale québécoise à savoir qu’entre une date inconnue et le 20 mai 2021, dans un lieu inconnu, dans la province de Québec, le caporal Beaulieu a enfreint les politiques de la GRC en exerçant des activités en lien avec cet organisme, sans avoir d’abord obtenu l’autorisation au préalable auprès de son employeur, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie.

MESURES DISCIPLINAIRES

[153] Comme l’autorité disciplinaire s’est déchargée de son fardeau de la preuve relativement à l’une des allégations contenues à l’Avis d’audience disciplinaire, j’ai l’obligation d’imposer des mesures disciplinaires qui sont justes et équitables selon la gravité de l’infraction, le degré de culpabilité du membre visé et la présence ou l’absence de circonstances atténuantes ou aggravantes[34]. Conformément au paragraphe 24(2) des CC (déontologie), je dois imposer « des mesures disciplinaires proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention au code de déontologie ».

Principes juridiques applicables

[154] Durant ses plaidoiries, la représentante de l’autorité disciplinaire s’est référée au Rapport de Phase I[35], dans lequel les auteurs présentent cinq principes sur lesquels repose le processus d’élaboration de mesures disciplinaires appropriées. Ces principes ont depuis été adoptés par les comités de déontologie de la GRC.

[155] Le premier principe formulé dans ce rapport prévoit qu’« [u]ne mesure disciplinaire doit pleinement obéir aux objectifs du processus d’examen des plaintes et des sanctions disciplinaires contre la police[36] ».

[156] Ces objectifs sont « l’intérêt du public, l’intérêt de la GRC qui est lié à son double rôle en sa qualité d’employeur et d’organisme public, l’intérêt du membre visé à être traité équitablement et, enfin, l’intérêt des personnes touchées par l’inconduite en question[37] ».

[157] Le deuxième principe fondamental contenu dans le Rapport de Phase I, selon lequel les mesures correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu, est également énoncé à l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC[38].

[158] Le troisième principe est la présomption voulant que la mesure la moins sévère possible soit retenue. Toutefois, cette présomption sera réfutée dans les cas où l’intérêt du public ou d’autres facteurs doivent prévaloir[39].

[159] Le quatrième principe fondamental, confirmé par la Cour suprême du Canada et plusieurs cours d’appel, prévoit qu’une norme plus rigoureuse s’applique à la conduite des policiers[40] comparativement aux autres employés, essentiellement parce qu’ils sont en position de confiance[41].

[160] Finalement, toujours selon le Rapport de Phase I, le cinquième principe fondamental se rapporte à la proportionnalité[42]. Selon ce principe, le comité de déontologie doit recenser les facteurs de proportionnalité pertinents dans les circonstances, évaluer chacun de ces facteurs et déterminer s’ils constituent des circonstances atténuantes, aggravantes ou neutres, selon le contexte et, enfin, soupeser de manière appropriée ces diverses considérations, conformément au contexte factuel de l’affaire.

[161] Le Guide des mesures disciplinaires de la GRC, bien qu’il ne soit pas normatif, vise à promouvoir la parité des sanctions. Il s’agit néanmoins d’un « guide » qui doit être lu dans le contexte des normes sociétales changeantes, comme établi par la jurisprudence et les lois et politiques applicables.

[162] Par ailleurs, bien que je ne sois pas liée par les décisions rendues dans le passé par des comités de déontologie de la GRC, celles-ci peuvent fournir des indications concernant les sanctions appropriées pour une catégorie particulière d’inconduite.

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire

[163] À l’appui de ses plaidoiries, la représentante de l’autorité disciplinaire présente trois rapports de décision concernant des allégations de contravention au code de déontologie antérieurement établies contre le caporal Beaulieu, ainsi que les documents contenus à son dossier d’employé, à savoir les évaluations de rendement pour les années 1982 à 2022 ainsi que de nombreuses lettres de recommandation qui lui ont été adressées au fil des ans.

[164] La représentante de l’autorité disciplinaire réitère au cours de ses plaidoiries que l’autorité disciplinaire cherche le congédiement immédiat du caporal Beaulieu, en vertu de l’alinéa 45(4)a) de la Loi sur la GRC. La représentante de l’autorité disciplinaire allègue qu’il existe des facteurs importants qui vont au-delà de la nature du comportement établi en l’espèce et qui font en sorte que la seule mesure disciplinaire possible est le renvoi immédiat.

[165] Elle précise que l’autorité disciplinaire ne demande pas que le comité ordonne au caporal Beaulieu de démissionner dans les 14 jours, en vertu de l’alinéa 45(4)b) de la Loi sur la GRC, puisque selon elle, le caporal Beaulieu ne se conformerait probablement pas à une telle ordonnance, considérant son mépris des ordres qui lui ont été donnés jusqu’à maintenant dans ce processus disciplinaire.

[166] La représentante de l’autorité disciplinaire indique que bien que le processus de déontologie vise à corriger les comportements afin que les membres se réhabilitent, le congédiement est utilisé pour les cas les plus graves et les plus flagrants, qui vont au-delà de la réhabilitation. Dans le cas du caporal Beaulieu, l’autorité disciplinaire considère qu’il n’existe aucune perspective de réhabilitation si l’on considère la nature de l’allégation ainsi que ses antécédents disciplinaires.

[167] La représentante de l’autorité disciplinaire soutient que l’attitude et le comportement du caporal Beaulieu tout au long du processus de déontologie démontre qu’il a répudié son contrat d’emploi, ce qui le rend inapte à continuer de travailler pour la GRC. Elle souligne, entre autres, qu’il fait preuve d’arrogance et de mépris envers la GRC et le processus de déontologie. La représentante de l’autorité disciplinaire souligne que le manque de collaboration du caporal Beaulieu constitue un fardeau administratif pour l’organisation, considérant les ressources considérables qui ont dû être déployées tout au long du processus afin de tenter de prendre contact avec lui. Elle soutient que la GRC a une obligation d’agir dans ces circonstances en prenant les mesures qui s’imposent. Elle avance que le comportement du caporal Beaulieu doit être pris en considération dans l’évaluation des mesures disciplinaires appropriées en l’espèce.

[168] La représentante de l’autorité disciplinaire affirme que la situation est grave, car le maintien du caporal Beaulieu dans son emploi met en péril la confiance du public. Elle se questionne à savoir comment la GRC peut justifier de continuer d’employer un membre qui agit de la sorte et qui a plusieurs antécédents disciplinaires. Elle qualifie la relation entre la GRC et le caporal Beaulieu de dysfonctionnelle et d’insoutenable. Elle mentionne que l’autorité disciplinaire demande le congédiement du caporal Beaulieu, car elle n’a plus confiance en sa capacité de continuer à travailler pour la GRC.

[169] Après avoir énoncé les cinq principes fondamentaux identifiés dans le Rapport de Phase I, la représentante de l’autorité disciplinaire se penche sur les facteurs atténuants et aggravants applicables en l’espèce. Elle souligne que comme le Guide des mesures disciplinaires ne prévoit pas d’éventail de mesures pour avoir enfreint la politique sur les conflits d’intérêts, c’est l’analyse des facteurs aggravants et atténuants qui permettra de déterminer les mesures disciplinaires appropriées dans cette affaire.

[170] La représentante de l’autorité disciplinaire fait référence à l’arrêt Trumbley et Fleming[43] pour affirmer que l’objectif fondamental d’un congédiement n’est pas de punir un employé, mais plutôt de débarrasser l’employeur du fardeau d’un employé qui a démontré qu’il n’était pas apte à demeurer un employé. Elle soutient que le caporal Beaulieu a clairement démontré qu’il n’est pas apte à demeurer un employé de la GRC.

[171] La représentante de l’autorité disciplinaire indique que l’autorité disciplinaire est à bout de force dans ses tentatives de raisonner avec le caporal Beaulieu et d’obtenir sa collaboration. Le niveau de confiance de l’autorité disciplinaire envers le caporal Beaulieu est à son plus bas et elle ne croit pas que le caporal Beaulieu finira par respecter les directives en place.

[172] La représentante de l’autorité disciplinaire me demande donc de prendre une position ferme et d’ordonner le congédiement immédiat du caporal Beaulieu.

Décision relative aux mesures disciplinaires

[173] Je commence mon analyse en énonçant la gamme des mesures disciplinaires disponibles, puis j’appliquerai les cinq principes fondamentaux identifiés dans le Rapport de Phase I aux circonstances de la présente affaire, en examinant d’abord les facteurs de proportionnalité.

Gamme des mesures disciplinaires

[174] J’estime que la gamme des mesures disciplinaires applicables à l’allégation établie dans cette affaire, à savoir le défaut de se conformer à la politique sur les conflits d’intérêts, comprend une pénalité financière équivalente à 10 jours de solde ou plus, ainsi que d’autres mesures disciplinaires, y compris la rétrogradation, l’ordre de démissionner ou le congédiement.

Circonstances neutres

[175] La représentante de l’autorité disciplinaire note que les évaluations de rendement du caporal Beaulieu sont généralement positives, sauf dans les dernières années, où son rendement est plutôt mitigé. Elle estime donc que je ne devrais pas accorder une trop grande importance à ces évaluations de rendement. Je suis d’accord avec la représentante de l’autorité disciplinaire sur ce point et je considère les évaluations de rendement du caporal Beaulieu comme un facteur de proportionnalité neutre. Bien que les antécédents professionnels du caporal Beaulieu étaient généralement supérieurs à la moyenne au début de sa carrière, les choses se sont détériorées dans les 15 dernières années. Je note que l’insatisfaction du caporal Beaulieu face au traitement de divers griefs et plaintes déposés contre l’organisation ainsi qu’une certaine détérioration de son état de santé semblent avoir contribué à ces changements au niveau de son rendement.

Circonstances atténuantes

[176] Les circonstances atténuantes ne constituent pas une justification ou une excuse pour l’inconduite; mais, par souci d’équité envers le membre visé, elles peuvent être prises en considération pour réduire la sévérité de la sanction imposée afin de traiter l’inconduite de manière appropriée.

[177] La représentante de l’autorité disciplinaire fait valoir que normalement c’est au membre visé de présenter des circonstances atténuantes au comité. Dans le cas présent, n’ayant pas répondu aux allégations et ne s’étant pas présenté à l’audience, le caporal Beaulieu n’a pas fait valoir d’éléments visant à réduire la sévérité de la sanction à lui être imposée en l’espèce.

[178] Pour ma part, je considère la gravité de l’inconduite comme une circonstance atténuante dans cette affaire. En effet, le fait d’enfreindre la politique sur les conflits d’intérêts en n’obtenant pas d’autorisation avant de participer à une activité extérieure, bien que condamnable, se situe tout de même au bas de l’échelle des comportements répréhensibles.

[179] Après un examen minutieux du dossier, je n’ai pas été en mesure d’identifier d’autres circonstances atténuantes dans la présente affaire.

Circonstances aggravantes

[180] Les circonstances aggravantes sont des circonstances liées à la commission de l’inconduite qui augmentent la culpabilité ou la gravité, ou qui ajoutent aux conséquences préjudiciables.

[181] J’ai identifié plusieurs circonstances aggravantes dans cette affaire.

[182] La représentante de l’autorité disciplinaire avance que le fait que le caporal Beaulieu a plus de 40 ans de service à la GRC devrait être considéré comme un facteur atténuant. Je ne suis pas d’accord.

[183] Je ne crois pas que les nombreuses années de service du caporal Beaulieu au sein de la GRC doivent être considérées comme une circonstance atténuante. Au contraire, avec l’expérience vient une responsabilité accrue de donner l’exemple et de se conformer aux directives en place. Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un membre avec autant d’années d’expérience que le caporal Beaulieu ait une bonne connaissance de l’organisation ainsi que de ses processus internes et qu’il comprenne l’importance de suivre les politiques en vigueur. En fait, les éléments de preuve révèlent que le caporal Beaulieu connaissait ses obligations en vertu de la politique sur les conflits d’intérêts, ayant fait par le passé des demandes d’autorisation pour d’autres activités extérieures. Bien que les membres de la GRC soient réputés connaître les politiques internes, dans la présente affaire, je considère que l’ancienneté du caporal Beaulieu et sa connaissance particulière de la politique visée par l’allégation sont des circonstances aggravantes.

[184] La représentante de l’autorité disciplinaire souligne que le fait que caporal Beaulieu connaissait la politique sur les conflits d’intérêts démontre que son comportement était délibéré. Elle allègue que ceci augmente son niveau de culpabilité et devrait être considéré comme une circonstance aggravante. Comme mentionné précédemment, j’ai retenu le fait que le caporal Beaulieu connaissait ses obligations en vertu de la politique sur les conflits d’intérêts comme une circonstance aggravante. Cependant, les éléments de preuve au dossier ne me permettent pas de conclure que le caporal Beaulieu a agi intentionnellement ou de façon délibérée. Je ne peux donc retenir le caractère délibéré du comportement comme une circonstance aggravante.

[185] La représentante de l’autorité disciplinaire fait valoir qu’il n’existe aucune possibilité de réhabilitation du caporal Beaulieu en raison de la nature de l’allégation, de ses antécédents disciplinaires et de son comportement au cours du processus de déontologie, qui démontre un mépris total envers son employeur et envers le processus de déontologie. Elle considère que ceci augmente la gravité du comportement. Pour démontrer ce manque total de respect pour la GRC et ses représentants, la représentante de l’autorité disciplinaire s’en remet aux renseignements contenus au « Dira Que » du caporal Firlotte, le superviseur du caporal Beaulieu, où il mentionne par exemple que le caporal Beaulieu aurait fait défaut de respecter ses conditions de suspension et aurait pris des congés annuels sans autorisation durant sa suspension.

[186] Je reconnais que le potentiel de réhabilitation est une considération importante dans l’évaluation de mesures disciplinaires appropriées. Le fait que le caporal Beaulieu a choisi de ne pas participer au processus déontologique rend mon évaluation de son potentiel de réhabilitation difficile. Cependant, l’autorité disciplinaire me demande de considérer des éléments qui n’ont pas été établis durant l’audience afin de conclure que le caporal Beaulieu a répudié son contrat d’emploi et de justifier son congédiement. En effet, je constate que le document signé par le caporal Firlotte, bien qu’il renvoie à certains comportements inacceptables, ne constitue pas une preuve de son contenu puisqu’il ne s’agit pas d’une déclaration assermentée et que le caporal Firlotte n’a pas témoigné au cours de l’audience. Si l’autorité disciplinaire croit que le caporal Beaulieu a eu des comportements répréhensibles au cours du présent processus disciplinaire, la GRC dispose de plusieurs outils pour adresser cette situation.

[187] Je note également qu’à plusieurs reprises, le caporal Beaulieu explique à son superviseur qu’il ne veut pas prendre connaissance de la documentation se rapportant au processus déontologique puisque cela nuirait à sa santé[44].

[188] Je ne suis pas convaincue que le fait qu’un membre refuse de s’engager dans un processus de déontologie démontre, à lui seul, qu’il n’existe aucun potentiel de réhabilitation.

[189] La représentante de l’autorité disciplinaire porte également à mon attention le fait que le caporal Beaulieu a trois antécédents disciplinaires à son actif. Elle soutient que l’effet cumulatif de ces inconduites m’oblige à conclure que le congédiement est la seule mesure disciplinaire possible dans la présente affaire.

[190] Je reconnais que les antécédents disciplinaires d’un membre peuvent avoir un effet cumulatif et justifier une mesure disciplinaire beaucoup plus sévère que ce qui serait normalement imposé si l’inconduite était considérée isolément, surtout lorsque les inconduites précédentes sont récentes et visent des comportements similaires. Cependant, pour être considéré comme circonstance aggravante, il est nécessaire qu’une décision quant au bien-fondé des allégations ait été rendue et que des mesures disciplinaires aient été imposées au moment où le membre commet les actes visés par l’avis d’audience disciplinaire. La représentante de l’autorité disciplinaire a reconnu ce principe durant ses plaidoiries en faisant référence à la décision dans l’affaire Greene[45].

[191] Durant la période visée par l’allégation établie dans la présente affaire, soit entre une date inconnue et le 20 mai 2021, seulement deux antécédents disciplinaires répondaient à ces conditions, soit :

· Le rapport de décision du 13 septembre 2018 qui imposait une réprimande écrite et une pénalité financière de 3 jours au caporal Beaulieu pour ne pas s’être conformé avec un ordre de se présenter à un rendez-vous médical;

· Le rapport de décision du 18 mars 2021 qui imposait une réprimande écrite et une pénalité financière de 7 jours au caporal Beaulieu pour ne pas s’être conformé à une directive de ne pas partager un rapport de décision concernant une plainte de harcèlement.

[192] Je considère que ces antécédents disciplinaires remettent en cause le potentiel de réhabilitation du caporal Beaulieu puisqu’ils visent des comportements similaires à celui qui a été établi en l’espèce, à savoir le défaut d’obéir à des ordres légitimes ou à des directives. Ceci constitue donc une circonstance aggravante.

[193] La troisième affaire déontologique était toujours en cours durant la période couverte par l’allégation établie en l’espèce et aucune mesure disciplinaire n’avait encore été imposée. Pour cette raison, les mesures imposées au caporal Beaulieu le 12 octobre 2021 relativement à deux allégations d’avoir contrevenu à des directives de son supérieur ne peuvent être retenues comme circonstances aggravantes dans la présente affaire.

[194] À la lumière des antécédents disciplinaires du caporal Beaulieu pour des comportements similaires, je considère que la dissuasion spécifique est aussi un facteur aggravant important en l’espèce, afin d’assurer que ce comportement inapproprié et inacceptable ne se répète pas dans le futur.

[195] La représentante de l’autorité disciplinaire souligne aussi que les conséquences de l’arrêt McNeil constituent une autre circonstance aggravante. Je suis d’accord. Cependant, l’arrêt McNeil ne contraint qu’à la communication des renseignements pertinents. Je considère qu’il est difficile d’imaginer une procédure criminelle dans le cadre de laquelle le fait de ne pas avoir obtenu d’autorisation au préalable avant de participer à une activité extérieure serait considéré comme pertinent. Cependant, je reconnais que le caporal Beaulieu a maintenant quatre dossiers disciplinaires qui devront être divulgués sur la base de l’arrêt McNeil, ce qui imposera un fardeau administratif à la GRC en matière de dotation.

[196] La représentante de l’autorité disciplinaire indique également que le fait que l’inconduite du caporal Beaulieu ait persisté pendant une période prolongée, soit d’octobre 2020 à mai 2021, constitue également une circonstance aggravante. Je ne suis pas d’accord. Je considère que l’allégation découle d’une seule et même situation et que ceci ne peut être considéré comme une circonstance aggravante.

[197] La représentante de l’autorité disciplinaire renvoie aux commentaires formulés par le caporal Beaulieu dans ses évaluations de rendement au sujet de ses nombreux griefs et plaintes contre la GRC. Elle indique que ces commentaires démontrent que le caporal Beaulieu fait passer ses intérêts personnels avant ceux de la GRC. Selon elle, ceci constitue une circonstance aggravante.

[198] Je constate en effet que le caporal Beaulieu émet dans certaines évaluations de rendement des commentaires démontrant qu’il est préoccupé par la gestion de plusieurs litiges en lien avec son emploi à la GRC. Je constate aussi que ses supérieurs expriment des inquiétudes quant au temps passé par le caporal Beaulieu à la gestion de ces litiges. Cependant, je ne vois pas comment ceci pourrait être retenu comme une circonstance aggravante en l’espèce. Comme la représentante de l’autorité disciplinaire ne m’a fourni aucune explication à ce sujet, je ne retiens pas cet élément comme un facteur de proportionnalité dans cette affaire.

[199] Finalement, la représentante de l’autorité disciplinaire allègue que l’absence de remords est une circonstance aggravante très importante dans cette affaire. Elle indique qu’au lieu de reconnaître ses torts et de prendre ses responsabilités, le caporal Beaulieu a démonté du mépris envers la GRC et le processus déontologique en choisissant de ne pas répondre aux allégations ou de participer au processus. Je ne peux retenir cet élément comme une circonstance aggravante. Un membre visé peut choisir de ne pas répondre aux allégations auxquelles il fait face. La Loi sur la GRC prévoit que le membre visé est alors réputé avoir nié les allégations. Sur ce point, je partage l’opinion exprimée dans l’affaire Greene où le comité de déontologie mentionne que l’absence de remords ne peut être acceptée comme une circonstance aggravante[46].

Analyse

[200] J’explique maintenant brièvement comment j’ai soupesé les facteurs de proportionnalité identifiés dans cette affaire pour parvenir aux mesures disciplinaires que je considère comme appropriées, tout en tenant compte des intérêts du public, de la GRC et du membre visé.

[201] Ce faisant, je reconnais qu’une norme plus rigoureuse s’applique à la conduite des policiers comparativement aux autres employés.

[202] Je reconnais également qu’il existe une présomption selon laquelle il convient d’imposer la mesure disciplinaire la moins sévère possible. Cependant, cette présomption doit être renversée dans les cas où l’intérêt public l’exige.

[203] Le public s’attend à juste titre à ce que les membres de la GRC respectent les normes éthiques et professionnelles les plus élevées et que la GRC agisse en cas d’inconduite de ses membres en prenant les mesures qui s’imposent. La confiance du public dans l’administration de la discipline au sein de la GRC est ébranlée lorsqu’un membre ne respecte pas des ordres ou des directives et qu’il est sanctionné à plusieurs reprises pour ce comportement.

[204] Sur ce point, la représentante de l’autorité disciplinaire avance que l’effet cumulatif des antécédents disciplinaires du caporal Beaulieu justifie son congédiement, considérant l’avertissement final qui lui a été donné dans le rapport de décision du 12 octobre 2021. Comme noté précédemment, je ne peux considérer l’avertissement contenu dans ce rapport de décision dans le cadre de la présente affaire. Pour qu’un employeur puisse faire valoir un avertissement final, cet avertissement doit nécessairement avoir précédé le dernier comportement répréhensible. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Je note cependant que les rapports de décision du 13 septembre 2018 et du 18 mars 2021 contiennent un avertissement selon lequel toute contravention future au code de déontologie pourrait entraîner l’imposition de mesures disciplinaires plus graves pouvant aller jusqu’au congédiement.

[205] La représentante de l’autorité disciplinaire indique qu’il n’existe aucun précédent au sein de la GRC pour une situation similaire à celle du caporal Beaulieu et qu’en conséquence il est possible pour le comité de considérer ce qui se passe dans d’autres milieux de travail. À cet effet, elle porte à mon attention une décision de la commission des relations de travail de la fonction publique fédérale dans l’affaire Way[47] ainsi que la décision dans l’affaire de la University of Alberta[48], où des employés ont été licenciés pour avoir contrevenu à la politique sur les conflits d’intérêts de leur employeur respectif. Elle conclut que, comme les policiers sont tenus à une norme de conduite plus élevée que les autres employés, le caporal Beaulieu devrait être congédié pour avoir enfreint les politiques de la GRC sur les conflits d’intérêts.

[206] Je constate que les faits de ces deux affaires diffèrent considérablement de ceux qui sont présentement devant moi puisque les employés en question occupaient deux emplois en même temps, sans autorisation de leurs employeurs respectifs. De plus, la décision de congédier ces employés se fonde sur des éléments qui n’ont pas été prouvés en l’espèce, comme le manque d’honnêteté et de loyauté et le fait que les employés avaient agi de façon délibérée. J’ai donc accordé très peu de poids à ces précédents.

[207] Lorsque je soupèse les circonstances atténuantes et aggravantes, et en particulier lorsque je considère la gravité du comportement, l’ancienneté du caporal Beaulieu, sa connaissance des politiques en vigueur, ses antécédents disciplinaires et le besoin de dissuasion dans cette affaire, à la lumière du besoin de maintenir la confiance du public, je conclus que la présomption voulant que la mesure disciplinaire la moins sévère possible doit être imposée est renversée.

[208] Après avoir longuement réfléchi aux mesures disciplinaires appropriées et avoir minutieusement évalué l’ensemble des circonstances de cette affaire, j’estime que la mesure disciplinaire demandée par l’autorité disciplinaire, à savoir le congédiement immédiat du caporal Beaulieu, est tout de même disproportionnée par rapport à la gravité de son inconduite.

[209] Mais considérant que les antécédents disciplinaires récents du caporal Beaulieu visent des comportements similaires, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’adopter une approche disciplinaire corrective.

[210] Le caporal Beaulieu occupe le grade de caporal et a plus de 40 ans de service. Un sous-officier supérieur se doit de donner l’exemple et d’obéir aux ordres et aux directives qui lui sont données, incluant les politiques. Le comportement du caporal Beaulieu est incompatible avec ces responsabilités et des mesures disciplinaires graves s’imposent en l’espèce pour maintenir la confiance du public dans la GRC et son habilité à gérer ses employés et à remplir son mandat.

CONCLUSION

[211] Par conséquent, en vertu de l’alinéa 45(4)c) de la Loi sur la GRC, j’impose les mesures disciplinaires suivantes :

  1. Une rétrogradation pour une période indéfinie du grade de caporal au grade de gendarme (à l’augmentation d’échelon de la solde la plus élevée de ce niveau);

  2. De plus, j’ordonne que, dans les 60 jours de la signification de ma décision écrite, le gendarme Beaulieu revoie les exigences du chapitre 17.1 du Manuel d’administration en matière de conflits d’intérêts et qu’il en discute avec son superviseur afin d’établir qu’il détient toutes les autorisations nécessaires relativement à ses activités extérieures. Le défaut du gendarme Beaulieu de se conformer à la présente ordonnance constituera une contravention à un ordre légitime.

[212] Je donne au gendarme Beaulieu l’occasion de poursuivre sa carrière à la GRC. Cependant, la présente décision constitue un dernier avertissement et toute infraction au code de déontologie dans le futur entraînera très certainement son congédiement.

[213] Toute mesure administrative provisoire en place devrait être réglée dans les plus brefs délais, conformément à l’alinéa 23(1)b) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.

[214] Le paragraphe 25(3) des CC (déontologie) précise que le comité de déontologie fait signifier la décision aux parties. Les parties peuvent faire appel de cette décision en vertu de l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et de l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la décision,

 

 

Le 26 mars 2025

Gina Lévesque

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] Dira Que du caporal Shawn Firlotte, daté du 8 octobre 2024, relatant les démarches et tentatives entreprises par la division pour contacter le caporal Beaulieu, à la page 4.

[2] Dira Que du caporal Shawn Firlotte, daté du 8 octobre 2024, relatant les démarches et tentatives entreprises par la division pour contacter le caporal Beaulieu, à la page 6.

[3] En octobre 2021, le caporal Beaulieu a été rétrogradé au grade de gendarme pour une période de 30 mois. Il a retrouvé son grade de caporal au mois d’avril 2024.

[4] Loi sur la GRC, à l’alinéa 36.2e).

[5] F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, paragraphe 46 [McDougall].

[6] McDougall, paragraphe 46.

[7] Guide des mesures disciplinaires, à la page 74.

[8] Classeur de preuve, préparé par la représentante de l’autorité disciplinaire (Classeur de preuve), à la page 71.

[9] Classeur de preuve, à la page 160.

[10] Rapport d’enquête en vertu de la Partie IV de la Loi sur la GRC, Annexe 6 et renseignements supplémentaires obtenus le 7 août 2024 à la suite de l’ordonnance du 2 juillet 2024 à cet effet.

[11] Transcription de l’entrevue de sécurité du 20 mai 2021, à la page 1, aux lignes 18 et 19.

[12] Classeur de preuve, aux pages 127 à 132.

[13] Classeur de preuve, aux pages 135 à 138.

[14] Transcription de l’entrevue de sécurité du 20 mai 2021, à la page 22, aux lignes 1236 et 1237.

[15] Transcription de l’entrevue de sécurité du 20 mai 2021, à la page 22, aux lignes 1241 à 1246.

[16] Classeur de preuve, à la page 103.

[17] Transcription de l’entrevue de sécurité du 20 mai 2021, à la page 22, aux lignes 1249 à 1251.

[18] Classeur de preuve, à la page 127.

[19] Classeur de preuve, aux pages 129 à 132.

[20] Transcription de l’entrevue de sécurité du 20 mai 2021, à la page 31, aux lignes 1808 à 1854.

[21] Classeur de preuve, aux pages 178 et 179.

[22] Classeur de preuve, à la page 154.

[23] Transcription de l’audience disciplinaire du 7 octobre 2024, à la page 57, aux lignes 9 à 15.

[24] Guide des mesures disciplinaires, à la page 72.

[25] Classeur de preuve, à la page 180.

[26] Énoncé des faits établis, en date du 7 août 2024.

[27] Classeur de preuve, aux pages 139 à 143.

[28] Énoncé des faits établis, en date du 7 août 2024.

[29] Classeur de preuve, à la page 154.

[30] Classeur de preuve, aux pages 213 à 217.

[31] Classeur de preuve, aux pages 263 et 264.

[32] Classeur de preuve, aux pages 238 à 247.

[33] Classeur de preuve, aux pages 234 à 236.

[34] Guide des mesures disciplinaires, à la page 3.

[35] Paul Ceyssens et W. Scott Childs, Phase I – Rapport final concernant les mesures disciplinaires et l’imposition de mesures disciplinaires en cas d’inconduite à caractère sexuel au titre de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (24 février 2022) (Rapport de Phase I).

[36] Rapport de Phase I, à la page 21, au paragraphe 4.1.

[37] Rapport de Phase I, aux pages 22 et 23, aux paragraphes 4.5. à 4.12.

[38] Rapport de Phase I, à la page 24, aux paragraphes 5.1 à 5.5.

[39] Rapport de Phase I, à la page 27, aux paragraphes 6.1 et 6.2.

[40] Montréal (Ville) c Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, aux paragraphes 33 et 86.

[41] Rapport de Phase I, à la page 28, au paragraphe 8.1.

[42] Rapport de Phase I, à la page 27, au paragraphe 7.1.

[43] Re Trumbley et al. and Fleming et al., 1986 CanLII 146 (ON CA) [Trumbley and Fleming].

[44] Dira Que du caporal Shawn Firlotte, daté du 8 octobre 2024, relatant les démarches et tentatives entreprises par la division pour contacter le caporal Beaulieu, à la page 2 (11 décembre 2023) et à la page 4 (17 avril 2024).

[45] Autorité disciplinaire déléguée de la Division H et Greene, 2017 DARD 5 [Greene], au paragraphe 144.

[46] Greene, au paragraphe 143.

[47] Way c Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 39 [Way].

[48] University of Alberta and Academic Staff Association of the University of Alberta, 2018 CanLII 5414 (AB GAA) [University of Alberta].

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