Déontologie
Informations sur la décision
Un avis d’audience disciplinaire contenant deux allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC a été signifié au caporal Diaczenko. Ce dernier aurait fourni des renseignements faux ou inexacts au cours d’un processus de promotion de la GRC.
Le 26 juin 2025, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision, dans laquelle le bien-fondé d’une seule allégation a été établi.
Le 27 juin 2025, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision sur les mesures disciplinaires : il ordonnait une rétrogradation au grade de gendarme pour une période indéfinie, l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’un (1) an à compter de sa réintégration et la confiscation de dix (10) jours de solde.
Contenu de la décision
Protégé A
Dossier no 202333850
2025 DAD 10
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
dans l’affaire d’une
audience disciplinaire tenue au titre de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10
entre :
l’autorité disciplinaire désignée pour la Division H
(autorité disciplinaire)
et
le caporal William Diaczenko
matricule 65180
(membre visé)
|
DÉCISION DU COMITÉ DE DÉONTOLOGIE |
John MacLaughlan et Jon Soltys
(représentants de l’autorité disciplinaire)
Nasha Nijhawan
(représentante du membre visé)
COMITÉ DE DÉONTOLOGIE : Colin Miller
DATE : 16 juillet 2025
TABLE DES MATIÈRES
Critère d’une déclaration fausse, trompeuse ou inexacte
Évaluation des mesures disciplinaires
Respect des objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police
Décision sur les mesures disciplinaires
RÉSUMÉ
Un avis d’audience disciplinaire contenant deux allégations de contravention à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC a été signifié au caporal Diaczenko. Ce dernier aurait fourni des renseignements faux ou inexacts au cours d’un processus de promotion de la GRC.
Le 26 juin 2025, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision, dans laquelle le bien-fondé d’une seule allégation a été établi.
Le 27 juin 2025, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision sur les mesures disciplinaires : il ordonnait une rétrogradation au grade de gendarme pour une période indéfinie, l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’un (1) an à compter de sa réintégration et la confiscation de dix (10) jours de solde.
INTRODUCTION
[1] En mars 2021, le caporal William Diaczenko a été promu à un poste de chef d’équipe des Services de sécurité routière du Nord-Est. Dans son dossier de candidature pour la promotion, daté du 11 novembre 2020, il a fourni deux exemples liés à la compétence « Capacité de préparer et de présenter des témoignages en cour », dans lesquels il précisait en détail le déroulement de deux prétendues enquêtes liées à la conduite avec facultés affaiblies auxquelles il aurait participé.
[2] Dans le cadre du processus de grief lié à la promotion, un autre membre qui avait postulé au même poste, mais qui n’a pas été retenu, a demandé à recevoir tous les exemples de compétences du caporal Diaczenko et les a reçus. Dans un exemple de compétence, le caporal Diaczenko a fait mention d’une enquête sur un cas de conduite avec facultés affaiblies qui a abouti à un refus de se soumettre à une analyse au moyen d’un appareil de détection approuvé (ADA).
[3] À peu près au même moment, la décision dans l’affaire Downey[1] a été rendue publique. Dans cette affaire, le tribunal a soulevé des préoccupations quant à la manière dont le caporal Diaczenko a procédé à l’analyse à au moyen de l’ADA. Par conséquent, l’accusé a été acquitté relativement à tous les chefs d’accusation.
[4] Dans l’exemple du refus lié à l’ADA qu’a donné le caporal Diaczenko, les circonstances relatées étaient semblables à celles de l’affaire Downey; toutefois, l’exemple de compétence faisait état d’un résultat bien différent. Le candidat non retenu a soulevé des préoccupations concernant ces inexactitudes, qui ont par la suite été portées à l’attention d’une autorité disciplinaire.
[5] Le 16 décembre 2022, l’autorité disciplinaire a pris connaissance de l’identité du caporal Diaczenko et de son inconduite présumée.
[6] Le 9 janvier 2023, l’autorité disciplinaire a demandé la tenue d’une enquête relevant du code de déontologie relativement à l’allégation selon laquelle le caporal Diaczenko aurait fourni des renseignements faux ou inexacts dans le résumé de ses compétences. Le 31 mai 2022, la lettre de mandat d’enquête en déontologie, qui faisait état d’une contravention présumée à l’article 8.1, a été signifiée au caporal Diaczenko.
[7] Le 22 juin 2023, l’autorité disciplinaire a signé la lettre de mandat d’enquête en déontologie modifiée, qui faisait état d’une autre allégation en lien avec le deuxième exemple qu’a fourni le caporal Diaczenko à l’appui de la compétence « Capacité de préparer et de présenter des témoignages en cour ». La lettre de mandat d’enquête en déontologie modifiée a été signifiée au caporal Diaczenko le 23 juin 2022.
[8] Le 11 décembre 2023, l’autorité disciplinaire désignée a signé un avis à l’officier désigné pour demander la tenue d’une audience disciplinaire. Le 18 décembre 2023, un comité de déontologie a été nommé pour trancher l’affaire, en application du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [Loi sur la GRC].
[9] L’avis d’audience disciplinaire a été signé par l’autorité disciplinaire le 25 avril 2024. Il a par la suite été signifié au caporal Diaczenko le 22 mai 2024, et le dossier d’enquête lui a été remis au même moment.
[10] Le 18 juillet 2024, le caporal Diaczenko a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Bien qu’il ait admis de nombreux détails, le caporal Diaczenko a nié les deux allégations.
[11] Le 20 février 2025, j’ai été nommé au Comité de déontologie, car la personne précédemment nommée n’était plus disponible.
[12] Le 23 juin 2025, l’audience disciplinaire a débuté à Halifax, en Nouvelle-Écosse.
[13] Les 26 et 27 juin 2025, j’ai rendu de vive voix mes décisions concernant les allégations et les mesures disciplinaires. La présente décision écrite intègre et approfondit ces décisions rendues de vive voix.
REQUÊTE
[14] Le 5 juin 2025, les représentants de l’autorité disciplinaire ont déposé une requête pour demander la communication de l’entièreté du dossier de santé au travail du caporal Diaczenko ou, à titre subsidiaire, le contenu du dossier datant de juin 2020 à décembre 2020.
[15] Citant la juge L’Heureux-Dubé[2], la Cour de justice de l’Ontario établit un critère à deux volets régissant l’admissibilité du dossier médical d’un témoin :
[Traduction] [35] […] le tribunal devrait établir 1) que les documents demandés sont en rapport avec un élément de la cause et 2) que le risque d’effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de la preuve ne l’emporte pas sensiblement sur leur valeur probante[3].
[16] En appliquant ce critère, j’ai constaté que l’autorité disciplinaire n’avait pas établi que la valeur probante du dossier de santé au travail du caporal Diaczenko en l’espèce l’emportait sur l’éventuel effet préjudiciable à celui-ci et à l’administration du processus disciplinaire. Par conséquent, la requête a été rejetée.
[17] Le 19 juin 2025, j’ai communiqué ma décision par écrit aux représentants.
ALLÉGATIONS
[18] L’avis d’audience disciplinaire modifié indique ce qui suit :
[Traduction] Détails communs à toutes les allégations
1. À toutes les dates pertinentes, [le caporal Diaczenko était] un membre de la Gendarmerie royale du Canada [« GRC »] affecté à la Division J du Détachement de St. Stephen, au Nouveau-Brunswick, et [détenait] le grade de gendarme.
2. [Le caporal Diaczenko s’est] joint à la GRC le 31 octobre 2018.
3. Avant [son] arrivée à la GRC, [le caporal Diaczenko était] gendarme au sein de la [Police régionale d’Halifax (PRH)]. [Le caporal Diaczenko a] travaillé au sein du service de sécurité routière de la PRH de 2010 à 2018, notamment aux côtés [du gendarme Peter Webber] de 2010 à 2016.
4. Vers novembre 2020, [le caporal Diaczenko a] postulé à un poste de caporal, plus précisément au poste de chef d’équipe des Services de sécurité routière du Nord-Est, à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, au sein de la Division H.
5. Dans le cadre de [sa] candidature, [le caporal Diaczenko était] tenu de décrire certaines de [ses] compétences. Il devait donner deux exemples et, dans chacun, décrire la situation [qu’il a] vécue, le rôle [qu’il a] joué, les actes [qu’il a] posés et le résultat de ces actes.
6. [Le caporal Diaczenko était] tenu de lire tous les renseignements pertinents en lien avec le processus de promotion et de veiller à bien les comprendre.
7. [Le caporal Diaczenko était] tenu de dire la vérité dans le cadre de [sa] candidature et de décrire chaque comportement avec exactitude.
8. La date de fin d’affichage du poste était le 11 novembre 2020.
9. Le 11 novembre 2020 était le jour du Souvenir, qui est un jour férié pour les fonctionnaires fédéraux, y compris les membres de la GRC.
10. Dans le cadre du concours pour le poste de caporal, [le caporal Diaczenko était] tenu de démontrer [qu’il possédait] les compétences énoncées dans l’annonce d’emploi.
11. Pour prouver [qu’il avait] les compétences requises, [le caporal Diaczenko a] choisi des exemples tirés de [son] expérience au sein de la PRH.
12. [Le caporal Diaczenko a] rédigé [ses] exemples de compétences et les [a] transmis à [ses] répondants à des fins de vérification.
13. L’un de ces répondants au sein de la PRH était le gendarme Webber. [Le caporal Diaczenko] lui [a] transmis [ses] exemples de compétences par courriel pour qu’il les vérifie. Dans ces exemples, [le caporal Diaczenko n’a] pas fourni d’autres éléments à l’appui, tels que le nom du dossier ou le nom de l’accusé.
14. Le gendarme Webber a confirmé la véracité [des] exemples de compétences [du caporal Diaczenko]. Le gendarme Webber a affirmé [au] superviseur [du caporal Diaczenko], [le caporal] Jared Ryan, que les exemples de compétences étaient exacts. Cet échange a eu lieu par courriel, le 11 novembre 2020.
15. Le caporal Ryan avait remis [le] dossier [du caporal Diaczenko] à son officière hiérarchique, [l’inspectrice] Chantal Farrah, qui a donné son appui [au] dossier [du caporal Diaczenko].
16. [Le caporal Diaczenko a] obtenu le poste.
Contraventions alléguées au code de déontologie
Allégation 1
Le 11 novembre 2020 ou vers cette date, à St. Stephen, au Nouveau-Brunswick, ou dans les environs, le caporal William Diaczenko a fait une déclaration fausse ou inexacte, en contravention de l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC.
Détails de l’allégation 1
17. Dans [sa] candidature datée du 11 novembre 2020, [le caporal Diaczenko a] fait référence à une enquête à laquelle [il a] participé, en lien avec un cas de conduite avec facultés affaiblies. Il en a fait mention dans le formulaire 5144e (2016-06) à l’appui de la compétence « Capacité de préparer et de présenter des témoignages en cour » [(formulaire des compétences 1)].
18. On peut lire ce qui suit dans le formulaire des compétences 1 :
[Traduction] J’atteste que les renseignements fournis sont, à ma connaissance, exacts. Je comprends qu’une fausse déclaration peut m’exclure du processus de promotion. Je comprends également que l’exemple ne doit être préparé et rédigé que par moi et qu’une preuve du contraire entraînera mon exclusion du processus de promotion.
19. Le formulaire précise que le gendarme Webber peut attester de cette compétence.
20. [Le caporal Diaczenko a] signé le formulaire des compétences 1 le 11 novembre 2020.
21. L’exemple [qu’il a] donné dans le formulaire des compétences 1 se rapporte au dossier GO-2014-178534.
22. L’exemple [qu’il a] donné dans le formulaire des compétences 1 se rapporte à l’affaire impliquant Timothy Downey [« M. Downey »], répertoriée sous le nom de l’affaire [Downey].
23. La décision dans l’affaire [Downey] est accessible au public sur CanLII depuis le 31 août 2018.
24. Dans [son] formulaire des compétences 1, [il a] écrit ce qui suit :
[Traduction] Situation/tâche : Alors que je travaillais à un point de contrôle pour la conduite avec facultés affaiblies à Halifax, en Nouvelle-Écosse, j’ai procédé au contrôle d’un véhicule duquel émanait une odeur de boisson alcoolisée, qui provenait de l’haleine du conducteur. J’ai détenu le conducteur, qui a obtempéré à l’ordre de fournir un échantillon d’haleine au moyen de l’ADA. J’ai procédé à l’analyse au moyen de l’ADA. Après cinq tentatives, le suspect n’avait toujours pas fourni un échantillon adéquat. J’ai procédé à l’arrestation du conducteur pour omission de fournir un échantillon et préparé tous les documents de mise en liberté, puis je l’ai transporté jusqu’à sa résidence.
25. Ce n’est pas exact. Comme [l’a] affirmé [le caporal Diaczenko] et l’a conclu le tribunal, vous avez procédé à l’alcootest à quatre reprises, et non cinq.
26. Dans le formulaire des compétences 1, [le caporal Diaczenko a] aussi écrit ce qui suit :
[Traduction] […] Durant le contre-interrogatoire, la défense a tenté de discréditer ma version des faits en présentant d’autres raisonnements qui pourraient expliquer pourquoi le conducteur semblait avoir les facultés affaiblies. […] La défense a tenté à plusieurs reprises de me faire dire si [sic] quelqu’un ayant un problème de santé comme l’asthme pourrait ne pas être en mesure de fournir un échantillon adéquat. Malgré le contre-interrogatoire serré de la défense, je suis demeuré professionnel et j’ai gardé mon sang-froid durant mon témoignage, que le tribunal a admis.
27. Ce n’est pas exact. La défense ne [lui] a pas demandé de [se] prononcer sur le problème de santé durant le contre-interrogatoire et ne [lui] a pas non plus demandé [son] avis médical quant à la viabilité de l’argument de la défense de M. Downey ayant trait aux problèmes de santé.
28. Dans le formulaire des compétences 1, [le caporal Diaczenko a] aussi écrit ce qui suit :
[Traduction] […] Durant le contre-interrogatoire, la défense a tenté de discréditer ma version des faits en présentant d’autres raisonnements qui pourraient expliquer pourquoi le conducteur semblait avoir les facultés affaiblies. Le conseil [sic] de la défense m’a aussi demandé si j’étais certain que le conducteur était bel etbien [sic] l’accusé que j’avais identifié auprès du tribunal.
29. Ce n’est pas exact. Durant [son] contre-interrogatoire, on ne [lui] a pas posé de questions sur l’identité de l’accusé.
30. Dans le formulaire des compétences 1, [le caporal Diaczenko a] aussi écrit ce qui suit :
[Traduction] Résultat : Les renseignements que j’ai présentés au tribunal ont été acceptés à titre de preuve, et on m’a par la suite avisé que l’accusé avait été déclaré coupable.
31. Ce n’est pas exact. M. Downey a été acquitté relativement aux accusations de conduite avec facultés affaiblies et d’omission de fournir un échantillon d’haleine, qui relèvent des articles 253 et 254 du Code criminel.
32. Dans le formulaire des compétences 1, [le caporal Diaczenko a] aussi écrit ce qui suit :
[Traduction] Résultat : […]. Le procureur de la Couronne m’a par la suite félicité pour mon excellent témoignage et a affirmé qu’il n’y avait aucun problème quant à l’information que j’ai fournie ou à la manière dont je l’ai fournie.
33. Ce n’est pas exact. Le procureur de la Couronne ne [l’]a jamais félicité pour [son] témoignage.
34. C’est en partie grâce au formulaire des compétences 1 que [le caporal Diaczenko a] été promu caporal.
35. [Le caporal Diaczenko a] sciemment omis de dire la vérité dans le formulaire des compétences 1 ou [a] fait preuve d’insouciance quant au fait de dire la vérité ou non.
36. [La] conduite [du caporal Diaczenko] constitue une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC.
Allégation 2
Le 11 novembre 2020 ou vers cette date, à St. Stephen, au Nouveau-Brunswick, ou dans les environs, le caporal William Diaczenko a fait une déclaration fausse ou inexacte, en contravention de l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC.
Détails de l’allégation 2
37. Dans [sa] candidature, qui datait du 11 novembre 2020, [le caporal Diaczenko a] fait référence à une enquête à laquelle [il a] participé, en lien avec un cas de conduite avec facultés affaiblies. Il en a fait mention dans le formulaire 5144e (2016-06) à l’appui de la compétence « Capacité de préparer et de présenter des témoignages en cour » [(formulaire des compétences 2)].
38. On peut lire ce qui suit dans le formulaire des compétences 2 :
[Traduction] J’atteste que les renseignements fournis sont, à ma connaissance, exacts. Je comprends qu’une fausse déclaration peut m’exclure du processus de promotion. Je comprends également que l’exemple ne doit être préparé et rédigé que par moi et qu’une preuve du contraire entraînera mon exclusion du processus de promotion.
39. Le formulaire précise que le gendarme Webber peut attester de cette compétence.
40. [Le caporal Diaczenko a] signé [son] formulaire des compétences 2 le 11 novembre 2020.
41. Dans [son] formulaire des compétences 2, [le caporal Diaczenko s’est] appuyé sur un exemple qui, selon [lui], remontait au 15 octobre 2016 environ; [il a] écrit ce qui suit :
[Traduction] Rôle : Enquêteur, Sécurité routière. Situation/tâche : Je travaillais au sein d’une équipe de sécurité routière chargée de cibler les conducteurs aux facultés affaiblies dans le cadre de l’opération Impact. J’ai aperçu un automobiliste qui conduisait de manière dangereuse et j’ai procédé à un contrôle routier. J’ai arrêté le conducteur pour conduite avec facultés affaiblies et, plus tard, pour conduite avec une alcoolémie supérieure à 80 mg également. Actes posés : En prévision du procès, j’ai communiqué avec le bureau de la Couronne pour discuter du dossier. Je connais bien la jurisprudence pertinente aux enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies et j’ai demandé à la Couronne si des problèmes pourraient survenir ou si certains précédents récents pourraient avoir une incidence sur cette affaire en particulier. J’ai demandé si la Couronne savait ce que la défense contestait, et la Couronne a affirmé que la défense contestait l’accusation de conduite avec facultés affaiblies et possiblement la chronologie des événements, surtout l’attente d’un technicien en alcootest. En prévision du proècs [sic], j’ai passé en revue mes notes de police ainsi que le rapport général d’incident que j’ai préparé. Le jour du procès, je me suis présenté au bureau de la Couronne pour discuter de mon témoignage et des détails du dossier. La Couronne m’a informé que la défense envisageait de plaider coupable à l’accusation de conduite avec une alcoolémie supérieure à 80 mg si la Couronne abandonnait l’accusation de conduite avec facultés affaiblies. La Couronne m’a demandé ce que j’en pensais et si je souhaitais maintenir les deux chefs d’accusation. J’ai avisé la Couronne que je souhaitais maintenir les deux chefs. Durant mon témoignage, j’ai décrit en détail les gestes du conducteur de façon claire, concise et en ordre chronologique, en mettant l’accent sur la variation de vitesse et le nombre de fois où le véhicule a franchi la ligne médiane et a frappé la bordure du trottoir. Au cours d’un contre-interrogatoire intense et serré, l’avocat de la défense a tenté de discréditer mes notes et ma version des faits. Malgré les efforts soutenus qu’a déployés la défense pour relever des erreurs dans mon témoignage, j’ai livré ce dernier avec calme, sang-froid et minutie, et le tribunal l’a admis. Durant les 90 minutes qu’a durées mon témoignage, je suis demeuré posé et j’ai décrit tout l’événement en détail. Au terme du contre-interrogatoire, la Couronne a posé deux questions lors du réinterrogatoire, puis on m’a demandé de quitter le tribunal.
Résultat : Grâce à à [sic] mon témoignage devant le tribunal, le conducteur a été reconnu coupable des deux chefs d’accusation. J’ai par la suite eu l’occasion de m’entretenir avec l’avocat de la Couronne, qui m’a félicité pour mon témoignage et ma capacité à garder mon sang-froid.
42. [Le caporal Diaczenko n’a] jamais témoigné devant un tribunal au sujet d’un dossier caractérisé par de tels faits.
43. De 2010 à 2018, [le caporal Diaczenko était] l’agent chargé du rapport dans quatre dossiers de conduite avec facultés affaiblies de la PRH. Voici les dossiers en question :
a. HP 2010-17506;
b. HP 2012-172744;
c. HP 2014-178534; et
d. HP 2016-2012.
44. [Il a] été sommé de comparaître devant le tribunal à propos de deux dossiers sur quatre seulement, soit les dossiers 2012-172744 et 2014-178534.
45. Ni l’un ni l’autre des dossiers ne comportaient de faits similaires à ceux décrits dans [son] formulaire de compétences 2.
46. Le dossier 2012-172744 fait état d’un contrôle routier à un feu jaune, sans mention de conduite dangereuse. Les faits au dossier 2012-172744 ne ressemblent pas aux faits décrits dans le formulaire de compétences 2.
47. Le dossier 2014-178534 concerne l’affaire [Downey], qui portait sur un contrôle routier. Les faits à ce dossier ne ressemblent pas aux faits décrits dans le formulaire de compétences 2.
48. C’est en partie grâce à [son] formulaire des compétences 2 que [le caporal Diaczenko a] été promu caporal.
49. [Le caporal Diaczenko a] sciemment omis de dire la vérité dans [son] formulaire des compétences 2 ou [a] fait preuve d’insouciance quant au fait de dire la vérité ou non.
50. [Le] comportement [du caporal Diaczenko] constitue une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC.
[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]
Normes d’évaluation
Norme de preuve
[19] Le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC exige qu’on applique la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités »
au moment de se prononcer sur les contraventions alléguées au code de déontologie. Il faut déterminer si, selon toute vraisemblance, les actes ou les omissions allégués ont été commis.
[20] La Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit à propos de la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités »
:
[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. […][4]
Crédibilité et fiabilité
[21] J’ai entendu le témoignage de la sergente Cindy Ward (à la retraite), du sergent Jared Ryan (anciennement le caporal Ryan), du Dr Mark Johnston, de Mme Patricia MacDonald et du caporal Diaczenko. Bien que je me sois appuyé sur des cas de jurisprudence souvent cités[5], je crois que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique résume bien les principes au moment d’évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins :
[…]
La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que rapporte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. Ce n’est qu’ainsi que le tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la déposition des témoins expérimentés, confiants et vifs d’esprit tout autant que le témoignage des personnes habiles qui manient avec facilité les demi-vérités et qui ont acquis une solide expérience dans l’art de combiner les exagérations habiles avec la suppression partielle de la vérité. Là encore, une personne peut témoigner de ce qu’elle croit sincèrement être la vérité tout en étant honnêtement dans l’erreur. Le juge du fond qui dit :
« Je crois cette personne parce que j’estime qu’elle dit la vérité »tire en fait une conclusion après avoir examiné seulement la moitié du problème. Le juge qui agit ainsi s’expose en réalité à faire fausse route.
[…] [Caractères gras ajoutés.][6]
[22] Au moment d’évaluer les éléments de preuve selon la prépondérance des probabilités, il faut tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve et les utiliser pour tirer des conclusions sur la crédibilité.
Sergente Ward
[23] La sergente Ward a témoigné au sujet de la façon dont on lui a confié l’enquête relative au code de déontologie et a précisé les étapes qu’elle a suivies pour mener à bien l’enquête. Elle a déclaré avoir communiqué avec la PRH pour obtenir des renseignements et avoir tenté à plus d’une reprise d’obtenir une entrevue avec le caporal Diaczenko. Elle a témoigné des difficultés qu’elle a rencontrées en tentant de vérifier certains détails des exemples fournis par le caporal Diaczenko, ainsi que de son incapacité à trouver un dossier qui correspondait à son deuxième exemple.
[24] J’ai conclu que son témoignage était crédible. Elle a toutefois eu quelques petits trous de mémoire, ayant pris sa retraite en novembre 2024, ce qui a nui à sa fiabilité dans une certaine mesure. J’admets néanmoins son témoignage concernant les étapes qu’elle a suivies pour mener à bien l’enquête.
Sergent Ryan
[25] Dans son témoignage, le sergent Ryan a affirmé qu’il était le superviseur du caporal Diaczenko au moment où ce dernier a rédigé sa demande de promotion. Il a déclaré que le district manquait de personnel et qu’il s’affairait à d’autres demandes. Le sergent Ryan a mentionné que, lorsque le caporal Diaczenko a exprimé un intérêt à présenter sa candidature pour la promotion, il lui a conseillé de rassembler les documents dès que possible et de ne pas attendre à la dernière minute. Il s’est dit mécontent d’avoir dû mettre la dernière main au dossier le jour même de la clôture du concours.
[26] Le sergent Ryan a affirmé qu’il incombe au candidat d’assurer l’exactitude des exemples fournis et que s’il avait su qu’il y avait des inexactitudes, il aurait remis en question son appui à la candidature du caporal Diaczenko.
[27] Le sergent Ryan a témoigné avec franchise, et j’en ai conclu que son témoignage était crédible. Il a toutefois reconnu à plusieurs reprises son incapacité à se rappeler certains aspects de ses interactions avec le caporal Diaczenko dans le cadre de sa demande de promotion, comme le tout remonte à il y a cinq ans. Sans surprise, ce fait a nui à sa fiabilité.
Dr Johnston et Mme MacDonald
[28] Le Dr Johnston, psychiatre, et Mme MacDonald, psychologue, ont évoqué les diagnostics qu’ils ont chacun posés concernant le caporal Diaczenko et les traitements respectifs qu’ils lui ont proposé. Dans leurs témoignages, ils ont fait mention de ses problèmes de santé et des effets secondaires du traitement. Fait notable, ni l’un ni l’autre n’avaient mentionné dans leurs dossiers que le caporal Diaczenko se plaignait de problèmes de mémoire avant que Mme MacDonald ne le mentionne en juin 2023.
[29] Le Dr Johnston et Mme MacDonald ont été appelés à témoigner au sujet des faits à titre de spécialistes traitants, car aucun des deux n’avait été présenté à titre d’expert ni ne se qualifiait comme tel. Ils ont tous deux livré leurs témoignages sans détour et avec franchise. Par conséquent, j’estime qu’ils sont à la fois crédibles et dignes de foi.
Caporal Diaczenko
[30] Durant son témoignage, le caporal Diaczenko a parlé de ses antécédents et de son expérience à titre de policier au sein des Forces armées canadiennes, de la PRH et de la GRC. Au sujet de sa situation personnelle, il a affirmé qu’au moment où il a monté son dossier de candidature, son deuxième enfant venait de naître, il était en congé parental, sa femme avait des problèmes de santé, la pandémie de COVID-19 faisait rage et, surtout, il manquait de sommeil.
[31] J’estime qu’il a témoigné de façon professionnelle, qu’il a répondu aux questions avec respect et qu’il a apporté des précisions ou de plus amples explications lorsqu’il l’a jugé nécessaire. J’estime qu’il a témoigné de manière organisée et claire. Cependant, son témoignage a soulevé des questions, car il semblait mieux se souvenir de certains détails aujourd’hui qu’il ne s’en souvenait quelque temps après les faits. Dans l’ensemble, j’estime qu’il est à la fois crédible et digne de foi.
Question préliminaire
[32] Avant d’examiner les allégations en détail, je vais aborder, à la demande expresse de la représentante du membre visé, la « question préliminaire »
évoquée par celle-ci. Elle remet en question le fait que la présente affaire relève d’un comité de déontologie, étant donné que celle-ci découle d’une plainte déposée par un « membre mécontent »
. Elle se demande s’il y avait lieu de tenir une audience disciplinaire et si le congédiement constitue une mesure disciplinaire appropriée dans le cadre de tels incidents.
[33] La représentante du membre visé a fait valoir que le code de déontologie impose des obligations positives aux membres plutôt que des interdictions. Elle a affirmé qu’aucun autre comité de déontologie ne s’est prononcé sur une question comme celle-ci, c’est-à-dire l’exactitude des exemples de compétences fournis dans un processus de promotion; elle a également mis en doute la pertinence d’une telle affaire, comme il n’y a pas de précédent. Par ailleurs, elle a soutenu que ni le code de déontologie annoté ni le Guide des mesures disciplinaires (version du 28 novembre 2014) ne traite d’incidents de la sorte et a avancé que ces documents portent essentiellement sur les tâches opérationnelles des policiers.
[34] La représentante du membre visé a aussi fait valoir que, comme ces documents ne font pas précisément mention d’une telle conduite, les membres en ignorent les répercussions; elle a ajouté qu’il est indiqué, dans les formulaires de promotion, que de fausses déclarations peuvent entraîner le rejet de la candidature et non une instance disciplinaire. Elle a souligné qu’il se pourrait, en conséquence, que chaque résumé des compétences soit soumis à un examen minutieux.
[35] Les représentants de l’autorité disciplinaire ont fait valoir que tout membre de la GRC qui fait une fausse déclaration devrait s’attendre à faire l’objet de mesures disciplinaires, en citant l’article 1.7 du chapitre 4, « Promotion », du Manuel de la gestion des carrières (version du 24 mars 2023) :
1.7 Le membre qui triche dans le cadre d’un processus de promotion est écarté de ce processus et risque de faire l’objet d’une procédure disciplinaire relevant de la partie IV de la Loi sur la GRC.
[36] Le tribunal a conclu que cette politique de la GRC exprime les volontés du commissaire[7]. Par conséquent, l’ajout de ce paragraphe dans le Manuel de la gestion des carrières reflète l’intention du commissaire, c’est-à-dire que les membres de la GRC répondent de leurs actes s’il s’avère qu’ils ont triché dans le cadre d’un processus de promotion.
[37] Une telle politique vise à dissuader les membres d’inventer ou d’enjoliver des exemples de compétence. En l’absence d’une telle politique, quiconque ayant rédigé les exemples les plus impressionnants pourrait se voir promu, peu importe la validité des exemples, ce qui nuirait à tous les membres qui tentent à juste titre d’obtenir une promotion dans le cadre d’un concours.
[38] En outre, il ne fait aucun doute que les formulaires de promotion constituent des documents officiels sur lesquels on peut s’appuyer. Le simple fait que les membres doivent présenter des références et signer une attestation devrait leur faire comprendre l’importance de dire la vérité.
[39] Les représentants de l’autorité disciplinaire l’ont souligné et le caporal Diaczenko en a convenu durant son témoignage : les policiers doivent faire preuve d’honnêteté et d’intégrité. Par conséquent, j’estime que les questions mettant en cause l’honnêteté et l’intégrité d’un policier méritent qu’on y accorde une grande attention et relèvent bel et bien de la compétence d’un comité de déontologie.
Critère d’une déclaration fausse, trompeuse ou inexacte
[40] Le Guide des mesures disciplinaires (version du 14 novembre 2024) prévoit, à la page 223, que pour conclure à une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit prouver chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :
-
l’identité du membre;
-
la déclaration ou le compte rendu des actions dans le dossier en question;
-
que la déclaration ou le compte rendu fourni était faux, trompeur ou inexact;
-
que le membre :
-
savait que les déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes; ou
-
a fait preuve d’insouciance ou de négligence quant à la validité des déclarations.
[41] Le caporal Diaczenko fait face à deux allégations ayant trait à une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie de la GRC. Cet article prévoit que les membres rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie.
[42] Il incombe à l’autorité disciplinaire de prouver les allégations selon la prépondérance des probabilités. Je dois donc conclure qu’il est plus probable qu’improbable que le caporal Diaczenko se soit conduit comme on lui reproche. Bien que les détails soient énoncés dans l’avis d’audience disciplinaire, l’autorité disciplinaire n’est pas tenue de prouver chaque détail précis ou chaque élément d’un détail. Elle doit seulement prouver assez de détails pertinents pour établir la contravention.
[43] À l’appui de mon analyse, je cite le Guide des mesures disciplinaires (version du 14 novembre 2024), à la page 223 :
[…]
Les autorités disciplinaires devraient d’abord se demander si le membre avait l’intention de tromper. Si la réponse est négative, la question suivante est de savoir si l’erreur constitue une négligence ou une erreur de bonne foi.
Lorsqu’il s’agit d’évaluer si une inconduite a été commise, la question préliminaire concernant la malhonnêteté ou la tromperie consiste à déterminer le point au-delà duquel une déclaration inexacte devient coupable, car la loi est claire : l’inexactitude seule ne suffit pas à prouver cette catégorie de tromperie.
[…]
[44] Le fait que ce soit le caporal Diaczenko qui a rédigé et soumis les exemples n’est pas contesté. Par ailleurs, le caporal Diaczenko a admis que ses exemples présentaient des inexactitudes. Compte tenu des éléments de preuve documentaire qu’on m’a présentés, dont la réponse du caporal Diaczenko aux allégations et son témoignage que j’ai entendu, je conclus que les trois premiers volets du critère sont satisfaits relativement aux deux allégations.
[45] Par conséquent, la décision en l’espèce repose sur mon analyse du quatrième volet. Au moment d’examiner la nature des déclarations inexactes, divers comités de déontologie ont conclu qu’il y a trois catégories, mentionnées à la page 223 du Guide des mesures disciplinaires. Un ancien collègue, citant la décision dans l’affaire Greenlaw[8], les décrit ainsi :
[…]
a) le cas où le policier savait que ses déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes;
b) le cas où le policier a été négligent, insouciant ou imprudent quant à la validité de ses déclarations;
c) le cas où le policier a fait des déclarations sincères, mais erronées qui se sont par la suite avérées être inexactes, fausses ou trompeuses.
Les deux premières catégories sont susceptibles d’entraîner des responsabilités tandis que la troisième ne l’est pas. […][9]
[46] L’avis d’audience disciplinaire énonce 50 détails. Les seize premiers, qui se veulent des renseignements généraux, sont admis; quelques commentaires explicatifs mineurs sans importance ont été formulés.
[47] Les détails 17 à 36 se rapportent à l’essentiel de l’allégation 1, et les détails 37 à 50, à l’essentiel de l’allégation 2.
Décision sur les allégations
Allégation 1
[48] En ce qui concerne l’allégation 1, les détails 17 à 24 sont admis après une certaine mise en contexte. Par conséquent, je conclus qu’ils sont établis.
[49] Le détail 25 porte sur la première inexactitude alléguée. Dans sa réponse aux allégations, le caporal Diaczenko admet qu’il a commis une erreur en écrivant avoir tenté cinq fois de procéder à l’analyse à l’aide de l’ADA, alors qu’il ne l’a fait que quatre fois en réalité. Il attribue cette erreur au fait qu’il se fiait exclusivement à sa mémoire.
[50] Je constate toutefois que, lorsqu’il a témoigné dans l’affaire Downey, le caporal Diaczenko a dit avoir l’habitude de toujours procéder à l’analyse au moyen de l’ADA jusqu’à quatre fois; il s’agit d’un rituel que le juge a qualifié d’« arbitraire ». Comme le caporal Diaczenko a affirmé, dans le cadre de l’affaire Downey, qu’il s’agissait d’une habitude, il est difficile de comprendre comment il aurait pu faire cette erreur. Le détail 25 est établi.
[51] Les détails 26 à 29 se rapportent au contre-interrogatoire qu’il a subi. Le caporal Diaczenko a encore une fois admis ces détails, en précisant qu’il a discuté des problèmes avec la Couronne avant de témoigner ou qu’il a été appelé à répondre à des questions similaires lors de l’interrogatoire principal. Ces détails sont établis.
[52] Les détails 30 et 31 se rapportent à l’issue de l’affaire Downey. Bien qu’il ait affirmé dans son exemple que l’accusé avait été reconnu coupable, il admet maintenant qu’il s’est trompé. Les détails 30 et 31 sont établis.
[53] Les détails 32 et 33 se rapportent à son affirmation selon laquelle la Couronne l’a félicité pour son témoignage. Le caporal Diaczenko a reconnu que, dans sa réponse à la sergente Ward, il s’est trompé quant à l’identité du procureur de la Couronne, mais a depuis corrigé son erreur et maintient la validité de cette affirmation. Bien que son affirmation n’ait pas été confirmée, ce fardeau n’incombe pas au caporal Diaczenko. Bien que le détail 32 soit établi, le fait qu’on aurait pu préciser l’identité du procureur de la Couronne et qu’on n’a pas communiqué avec lui m’amène à conclure que l’autorité disciplinaire n’a pas réussi à établir le détail 33.
[54] Le détail 34 se rapporte à la question de savoir si le caporal Diaczenko a été promu, en partie, grâce à l’exemple qu’il a fourni. Je ne dispose d’aucun élément de preuve ayant trait à l’analyse qu’a faite l’officière hiérarchique de sélection du dossier de candidature du caporal Diaczenko. Toutefois, le dossier vise à contribuer au choix du candidat retenu et est conçu de façon à ce que les membres comprennent qu’il servira à cette fin. Je conclus donc qu’il est établi.
[55] Le détail 35 se rapporte à l’essentiel de l’allégation 1, c’est-à-dire au fait que, selon l’autorité disciplinaire, le caporal Diaczenko aurait sciemment omis de dire la vérité dans le formulaire des compétences 1 ou aurait fait preuve d’insouciance quant au fait de dire la vérité ou non. Selon le détail 36, le fait que le détail 35 soit établi signifie qu’il y a eu contravention à l’article 8.1. Le caporal Diaczenko nie ces deux détails.
[56] Je dois donc me pencher sur les incohérences relevées et déterminer à laquelle des trois catégories elles appartiennent. En bref, voici les incohérences en question : l’administration de l’ADA (détail 25), les renseignements à l’égard desquels il a été contre-interrogé (détails 26 à 29) et la décision du tribunal (détails 30 et 31).
[57] Pour chacune de ces incohérences, je dois déterminer si le caporal Diaczenko savait que ses déclarations étaient fausses, trompeuses ou inexactes ou qu’il avait fait preuve d’insouciance ou d’imprudence quant à leur validité.
[58] De toute évidence, sa fiabilité est en cause, lui-même ayant admis que les incohérences relevées dans ses exemples découlaient de ses problèmes de mémoire; il m’incombe maintenant de trancher cette question.
[59] En ce qui a trait à l’administration de l’ADA, j’ai du mal à saisir pourquoi ce dont il se souvient ne correspond pas à ce qu’il avait l’habitude de faire. Rien ne me permet toutefois de conclure qu’il a sciemment omis de dire la vérité; je ne vois pas non plus l’intérêt d’affirmer qu’il aurait offert cinq tentatives plutôt que quatre. Je juge donc qu’il s’agit d’un manque d’attention.
[60] En ce qui concerne le volet du contre-interrogatoire ayant trait au problème de santé, je constate qu’il a affirmé, dans son exemple, avoir discuté avec la Couronne de ses préoccupations au sujet de l’état de santé de l’accusé; la défense ne l’a toutefois pas interrogé, contrairement à ce qu’il a affirmé dans son exemple. Encore une fois, cette explication ne me convainc pas, car il y aurait normalement une grande différence entre une conversation avec la Couronne et un contre-interrogatoire. Cependant, comme il a déclaré qu’il s’agissait, selon la Couronne, d’un sujet de préoccupation pour la défense, je ne peux pas conclure que son explication ne tient pas. Par conséquent, je conclus qu’il s’agit d’un manque de diligence.
[61] Quant à la décision du tribunal, je juge son explication plutôt vague. Toutefois, rien ne me porte à croire que le fait qu’il se souvienne avoir appris la décision du tribunal en soirée avant une audience du tribunal des infractions routières n’est pas véridique. Une fois de plus, je conclus que le caporal Diaczenko n’a pas fait preuve de diligence en fournissant cette précision erronée.
[62] Cependant, d’après les éléments de preuve dont je dispose, je ne conclus pas qu’il savait que ces déclarations étaient fausses.
[63] Par conséquent, je dois déterminer si le caporal Diaczenko a été négligent, insouciant ou imprudent quant à la validité de ses déclarations.
[64] Le caporal Diaczenko et la représentante du membre visé ont fait valoir qu’il incombait aux répondants de vérifier les exemples qu’il a fournis, en précisant que certains d’entre eux l’ont fait. Je tiens à être clair : bien qu’on s’attende à ce qu’un répondant accepte uniquement de valider des exemples légitimes, il incombe au membre qui postule au poste de veiller à l’exactitude des renseignements.
[65] Malgré toutes les raisons que le caporal Diaczenko a fournies pour justifier le fait qu’il ne pouvait pas confirmer les détails des exemples lui-même, il n’a pas affirmé, dans le cadre de l’audience disciplinaire, qu’il avait demandé précisément aux répondants d’examiner les exemples pour en confirmer l’exactitude. Même s’il a dit avoir parlé à chacun des répondants avant de leur transmettre les exemples, il n’a pas déclaré, dans le cadre de l’audience disciplinaire, avoir fait cette demande. Il n’en a pas non plus fait la demande dans les courriels auxquels étaient joints les exemples.
[66] À ce propos, un comité de déontologie a déjà affirmé ce qui suit :
[…] tout policier raisonnable, lorsqu’il se fait directement poser une question opérationnelle par son sergent d’état‑major, se donnerait beaucoup de mal pour s’assurer de fournir une réponse exacte. […][10]
[67] De même, on s’attend à ce qu’un membre qui se dit prêt à assumer un poste de direction s’assure, à tout le moins, de fournir des renseignements exacts.
[68] À plusieurs reprises durant le témoignage qu’il m’a présenté, le caporal Diaczenko a souligné la différence entre les questions opérationnelles et les questions administratives, en laissant entendre qu’une norme moins stricte s’applique aux tâches administratives. Semble-t-il qu’il s’agit de l’approche qu’il a choisie au moment de rédiger ses exemples, ce qui, à mon avis, constitue un écart marqué par rapport à ce à quoi on s’attend réellement.
[69] Dans le cadre d’une autre audience disciplinaire, le comité de déontologie a défini le terme « insouciance » ainsi :
[58] L’insouciance est plus que la simple négligence. Il s’agit d’un écart marqué par rapport à ce que ferait une personne raisonnable. L’insouciance se distingue de la négligence puisque l’insouciance comporte un élément de connaissance ou d’intention. L’insouciance est considérée comme exigeant un effort conscient pour être indifférent aux conséquences de ses gestes, même si ces conséquences ne sont pas voulues[11]. [Caractères gras ajoutés.]
[70] Je conclus qu’une personne raisonnable qui se trouve dans une situation comme celle qu’a vécue le caporal Diaczenko aurait pris d’autres mesures pour s’assurer de la véracité de ses exemples. Je souligne également qu’aucun élément de preuve à ma disposition ne donne à entendre le contraire. Par conséquent, je conclus qu’il a fait preuve d’insouciance au moment de rédiger son exemple de compétence. Le bien-fondé de l’allégation 1 est donc établi.
Allégation 2
[71] En ce qui concerne l’allégation 2, les détails 37 à 41 en précisent le contexte, notamment l’exemple de compétence visé, et ont été admis par le caporal Diaczenko dans sa réponse aux allégations. Je conclus donc qu’ils sont établis.
[72] Quant au détail 42, l’autorité disciplinaire allègue que le caporal Diaczenko n’a jamais témoigné devant un tribunal au sujet d’un dossier caractérisé par de tels faits, ce qu’il a nié. Après la communication de la preuve, le caporal Diaczenko a précisé qu’il s’agissait du dossier 06-48847 de la PRH et a identifié l’accusé. Il a expliqué que la date indiquée dans l’exemple a empêché la sergente Ward de trouver le dossier. Ce détail n’est donc pas établi.
[73] Les détails 43 à 47 se rapportent à des dossiers qui, comme en convient le caporal Diaczenko, ne sont pas ceux auxquels il fait référence dans son exemple. Ces détails sont établis.
[74] Le détail 48 se compare au détail 34 de l’allégation 1; ainsi, je ne ferai que réitérer mes observations.
[75] À l’instar des détails 35 et 36 de l’allégation 1, le détail 49 se rapporte au fait que, selon l’autorité disciplinaire, le caporal Diaczenko aurait sciemment omis de dire la vérité dans le formulaire des compétences 2 ou aurait fait preuve d’insouciance quant au fait de dire la vérité ou non. Selon le détail 50, le détail 49 signifie qu’il y a eu contravention à l’article 8.1. Le caporal Diaczenko nie ces deux détails.
[76] Contrairement aux détails de l’allégation 1, qui recensaient diverses inexactitudes, l’allégation 2 repose uniquement sur la prémisse voulant que le caporal Diaczenko n’ait jamais témoigné au sujet d’un dossier caractérisé par les faits précisés dans son deuxième exemple. Par conséquent, je ne peux pas conclure qu’il a fait preuve d’insouciance; je ne peux que tenter de déterminer s’il savait que c’était faux.
[77] Les représentants de l’autorité disciplinaire soutiennent que le deuxième exemple de compétence a été purement inventé. Selon eux, le caporal Diaczenko, après avoir su que cet exemple posait problème, a simplement tenté de trouver un autre dossier dans lequel il a été appelé à témoigner qui était assez similaire pour qu’on puisse croire qu’il s’agissait du dossier en question dans l’exemple contesté. Je constate toutefois que le caporal Diaczenko a fourni à la sergente Ward d’autres détails sur l’exemple de compétence environ six mois avant de recevoir le dossier d’enquête.
[78] Cela dit, il est difficile de comprendre comment il a pu affirmer que l’incident dans cet exemple s’était déroulé dix ans plus tôt qu’en réalité, d’autant plus que l’incident a eu lieu seulement deux mois après son arrivée à la PRH, et non deux ans avant son départ de celle-ci. Néanmoins, d’après les éléments de preuve dont je dispose, je ne peux conclure qu’il savait que sa déclaration était fausse.
[79] Je ne conclus donc pas, à l’égard de cette allégation, que le caporal Diaczenko avait l’intention de tromper. Le bien-fondé de l’allégation 2 n’est donc pas établi.
MESURES DISCIPLINAIRES
[80] Au titre de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, j’ai l’obligation d’imposer « des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives »
.
[81] Au début de l’étape des mesures disciplinaires, le caporal Diaczenko a saisi l’occasion de témoigner. Il s’est dit soulagé que cette affaire tire à sa fin et embarrassé d’avoir commis les erreurs qui ont mené à la présente audience. Il a dit regretter d’avoir agi comme il l’a fait et d’avoir mis d’autres personnes dans une telle position. Il a précisé que sa situation personnelle l’avait mené à commettre des erreurs de jugement, ce qui ne lui ressemble pas.
[82] Le caporal Diaczenko a affirmé qu’enfant, il rêvait d’être un « policier à moto », et a parlé des rôles variés qu’il a occupés dans divers organismes et des différences entre ces derniers. Il a déclaré qu’il a beaucoup appris du processus et qu’il espère pouvoir reprendre un rôle opérationnel.
[83] Durant le contre-interrogatoire, un compte rendu de décision concernant une affaire disciplinaire non liée a été présenté; le caporal Diaczenko a affirmé que certains de ses répondants, mais pas tous, savaient qu’il avait fait l’objet de cette mesure disciplinaire non liée.
[84] En général, le simple fait qu’une affaire soit renvoyée à un comité de déontologie signifie que la nature de l’inconduite alléguée justifie la possibilité d’un congédiement. L’avis d’audience disciplinaire dans le cadre de cette affaire faisait état de deux allégations, mais seule l’allégation 1 a été établie.
[85] Néanmoins, l’autorité disciplinaire demande toujours le congédiement du caporal Diaczenko. L’autorité disciplinaire souhaite qu’on lui ordonne de démissionner. Subsidiairement, l’autorité disciplinaire demande, si je juge qu’il n’y a pas lieu de procéder à un congédiement, que j’impose les mesures disciplinaires suivantes : une rétrogradation au grade de gendarme pour une période indéfinie, l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois (3) ans et la confiscation de vingt-cinq (25) jours de solde.
[86] Quant à la représentante du membre visé, celle-ci propose l’imposition de mesures disciplinaires pour les cas ordinaires à graves prévues au Guide des mesures disciplinaires, c’est-à-dire la confiscation de cinq (5) à dix (10) jours de solde pour les cas ordinaires ou de onze (11) à vingt (20) jours de solde pour les cas graves. Par ailleurs, il a été proposé que je lui retire ses fonctions de supervision sans ordonner de rétrogradation et que je lui impose une inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois (3) ans.
[87] Pour évaluer les mesures disciplinaires appropriées, j’appliquerai tout d’abord les cinq principes fondamentaux qui guident l’évaluation d’une mesure disciplinaire appropriée tels qu’ils sont décrits aux pages 21 à 32 du Guide des mesures disciplinaires.
Évaluation des mesures disciplinaires
[88] Le premier principe fondamental prévoit qu’une mesure disciplinaire « doit pleinement obéir aux objectifs du processus d’examen des plaintes et des sanctions disciplinaires contre la police »
, qui exige un équilibre entre quatre intérêts : 1) le public; 2) l’intérêt de la GRC en tant qu’employeur; 3) le membre visé étant traité équitablement; 4) l’intérêt des parties touchées par l’inconduite, le cas échéant.
[89] Les alinéas 36.2b) et c) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada mettent en évidence ce principe :
36.2 La présente partie a pour objet :
[…]
b) de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres sont censés observer;
c) de favoriser la responsabilité et la responsabilisation des membres pour ce qui est de promouvoir et de maintenir la bonne conduite au sein de la Gendarmerie;
[…]
[90] La Cour suprême du Canada a également souligné l’importance de l’intérêt public en déclarant que « [l]es organismes disciplinaires ont pour objectifs de protéger le public, de réglementer leur profession respective et de préserver la confiance du public à l’égard de ces professions »
[12].
[91] Les deuxième et troisième principes prévoient que les mesures disciplinaires éducatives et correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu, et que la présomption voulant que la mesure la moins sévère soit retenue doit être imposée. Toutefois, ces deux principes seront écartés si l’intérêt public ou d’autres considérations, comme la gravité de l’inconduite, prévalent.
[92] Le quatrième principe est que les mesures disciplinaires imposées doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions. Pour ce faire, le comité de déontologie doit déterminer les considérations pertinentes en matière de proportionnalité et déterminer si elles peuvent être atténuantes, aggravantes ou neutres. Enfin, le Comité de déontologie doit pondérer et soupeser adéquatement ces différents facteurs en tenant compte des circonstances de l’affaire et des quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police.
[93] Le cinquième principe est que l’on s’attend à ce que les policiers respectent une norme de conduite plus rigoureuse.
[94] Dans leurs observations, les parties ont fait valoir qu’il y a eu des changements au Guide des mesures disciplinaires en novembre 2024; on s’est interrogé à savoir si la version de 2024 ou celle de 2014 devrait s’appliquer, comme l’inconduite du caporal Diaczenko remonte à 2020.
[95] D’après les représentants de l’autorité disciplinaire, le Guide sur les mesures disciplinaires se veut un document évolutif que l’on devrait adapter aux valeurs sociétales. Ils affirment toutefois que le choix de la version importe peu, car toutes deux proposent un éventail de mesures similaires pour l’inconduite établie.
[96] La représentante du membre visé s’est rapportée aux deux versions, mais a affirmé que la structure de la version de 2014 reflète mieux la nature de l’inconduite du caporal Diaczenko. À ce titre, elle a fait référence à la distinction entre les incidents opérationnels et non opérationnels.
[97] J’aimerais souligner le rôle du Guide des mesures de conduite, qu’il s’agisse de la version de 2014 ou de 2024. Comme l’ont reconnu tous les représentants, il ne s’agit effectivement que d’un guide. Le Guide sur les mesures disciplinaires est une référence utile pour déterminer l’éventail approprié de sanctions pour une catégorie particulière de comportement, ainsi que pour assurer la parité des sanctions. Il n’entrave toutefois pas l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de décider des mesures. Bien que je reconnaisse la date à laquelle l’inconduite a eu lieu, je m’appuierai sur la version de 2024.
[98] Je me pencherai sur chacun des cinq principes, mais je ne les aborderai pas dans l’ordre. Je présenterai mes conclusions concernant les deuxième et troisième principes plus loin dans ma décision.
Analyse
Respect des objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police
[99] Le public s’attend à ce que les membres de la GRC, à qui des pouvoirs exceptionnels pour faire respecter les lois dans notre société ont été accordés, respectent la loi non seulement dans leur vie professionnelle, mais aussi dans leur vie privée. Pour exercer ses pouvoirs efficacement, la police doit avoir la confiance du public. Pour établir et maintenir cette confiance, elle doit faire preuve d’honnêteté et d’intégrité.
[100] Les policiers interagissent avec les membres du public dans diverses situations, parfois dans un contexte où les membres du public se trouvent vulnérables. La confiance est donc primordiale pour gérer efficacement ces situations.
[101] De même, la GRC, en tant qu’employeur, a la responsabilité de maintenir la confiance du public envers l’organisation.
[102] Au cours des dernières années, divers rapports sur la GRC ont été diffusés et ont attiré l’attention des médias, miné la confiance des collectivités envers l’organisation et terni sa réputation. Pour rétablir cette confiance, la GRC doit démontrer qu’elle tient ses membres responsables de leurs actes lorsqu’ils contreviennent au code de déontologie.
[103] Les intérêts du caporal Diaczenko doivent également être pris en compte. Il doit bénéficier des droits prévus par l’équité procédurale. De surcroît, puisqu’il est probable que le résultat d’un processus administratif, comme celui prévu par le code de déontologie de la GRC, ait des répercussions importantes sur sa vie personnelle ainsi que sa carrière, je dois garder à l’esprit les objectifs de correction et de réhabilitation de ce processus.
[104] Les intérêts du caporal Diaczenko ont été protégés tout au long du processus, qui a abouti à une audience disciplinaire complète, où il a eu l’occasion de mettre à l’épreuve la thèse de l’autorité disciplinaire. Il a le droit de contester ce qu’on lui reproche.
[105] En l’espèce, il n’y a pas de personne touchée en cause. Bien qu’une personne ait présenté un grief ayant mené à l’enquête disciplinaire, il est difficile de la qualifier de personne touchée, car l’inconduite du caporal Diaczenko n’a peut-être eu aucune incidence concrète sur elle. Même s’il se peut qu’un des candidats de ce processus de promotion précis ait été touché, je ne dispose d’aucun élément de preuve à ce sujet.
[106] Je souligne toutefois que la participation du sergent Ryan en l’espèce a eu un effet sur ce dernier, qui a vu sa diligence remise en doute et a dû témoigner dans le cadre de la présente audience.
Proportionnalité
[107] La présence de facteurs atténuants, aggravants ou neutres joue un rôle dans ma prise de décision. Je dois donc les soupeser de manière appropriée en tenant compte du contexte de l’affaire et des quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police, qui sont énumérés dans le premier principe fondamental.
[108] Le Guide des mesures disciplinaires comprend une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte pour déterminer la proportionnalité. J’énumèrerai ceux qui sont pertinents en l’espèce et préciserai si je juge qu’il s’agit de facteurs atténuants, aggravants ou neutres.
- Intérêt public : Comme je l’ai déjà fait observer, le public a tout intérêt à pouvoir faire confiance aux personnes en position d’autorité et à croire qu’elles feront preuve d’honnêteté et d’intégrité. Cependant, rien n’indique que la présente affaire a retenu l’attention du public. Par conséquent, j’estime que l’insouciance dont a fait preuve le caporal Diaczenko au moment de rédiger son exemple de compétence est un facteur neutre.
- Gravité de l’inconduite : Comme je l’ai déjà fait observer, il faut faire preuve d’honnêteté et d’intégrité pour instaurer la confiance; il s’agit de valeurs fondamentales que tout policier doit incarner. Je souscris à l’avis de la représentante du membre visé, qui estime qu’une conclusion d’insouciance diffère d’une conclusion de fausse déclaration intentionnelle, c’est-à-dire de mensonge. Par contre, tout ce qui incite à remettre en question ces valeurs est très grave. Il s’agit donc d’un facteur aggravant.
- Reconnaissance de la gravité de l’inconduite (remords) : Durant son témoignage à l’étape des mesures disciplinaires, le caporal Diaczenko a assumé la responsabilité du manque de diligence dont il a fait preuve au moment de rédiger ses exemples de compétence et a reconnu qu’il lui incombait d’en assurer la véracité.
Bien qu’il ait assumé ses responsabilités à l’étape des mesures disciplinaires, je ne peux passer outre au témoignage qu’il a livré à l’étape des allégations de l’audience disciplinaire. Je ne peux pas faire abstraction du fait qu’il a rejeté le blâme ou la responsabilité sur les autres. Le fait qu’il ait suggéré à maintes reprises qu’il incombait à ses répondants, plutôt qu’à lui-même, de vérifier les exemples qu’il leur avait transmis, en est un exemple. J’estime néanmoins que ses commentaires étaient sincères et qu’il a éprouvé de véritables remords une fois qu’il a eu l’avantage d’entendre ma décision de vive voix concernant les allégations et le fait que je jugeais inacceptable sa manière de rejeter la faute sur les autres. Je suis donc d’avis qu’il s’agit d’un facteur légèrement atténuant.
- Invalidité et autres considérations pertinentes : Il est incontesté que le caporal Diaczenko souffrait et souffre toujours d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Il n’y a toutefois aucun lien clair établi entre son TSPT et l’inconduite, puisqu’aucun de ses problèmes de mémoire n’a été documenté avant 2023. J’ai aussi pris connaissance de sa situation personnelle au moment de l’inconduite, notamment de la naissance d’un enfant, des complications médicales de sa femme et de son manque de sommeil, entre autres. Bien que chaque membre ait ses propres circonstances et difficultés personnelles, je conviens que le tout pourrait l’avoir beaucoup affecté à ce moment de sa vie. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un facteur atténuant.
- Antécédents professionnels : En passant en revue les lettres d’appui que le caporal Diaczenko a fournies, je constate qu’il est bien aimé et respecté. Ces lettres mentionnent que le caporal Diaczenko est un leader attentionné et bienveillant et que ses traits de personnalité, comme la loyauté et l’authenticité, ont inspiré les équipes dont il faisait d’abord partie et qu’il a ensuite dirigées. Elles traduisent son engagement envers la sécurité publique et son dévouement à l’égard des personnes qui l’entourent. Elles témoignent aussi de la compétence et du professionnalisme dont il fait preuve dans l’exercice de ses fonctions.
Je relève toutefois la mention d’une autre mesure disciplinaire. Dans cette affaire, le bien-fondé de deux allégations visant le caporal Diaczenko a été établi lors d’une audience disciplinaire tenue le 15 juillet 2024; on a conclu, au cours de celle-ci, qu’il avait soumis une demande d’indemnité inexacte et fourni des renseignements inexacts pour justifier la prise d’un congé compensatoire. Bien qu’on ne considère pas qu’il s’agisse d’une mesure disciplinaire antérieure au sens usuel du terme, comme l’incident en question a eu lieu après les faits en l’espèce, je ne peux faire fi du fait qu’il s’agit de la deuxième fois que le caporal Diaczenko se fait imposer des mesures disciplinaires à la suite d’une inconduite liée à l’intégrité. D’autant plus si je tiens compte du fait qu’il ne compte, à l’heure actuelle, que sept (7) ans de service au sein de la GRC. J’estime par conséquent qu’il s’agit d’un facteur neutre.
- Possibilité de réforme ou de réhabilitation : À mon avis, il convient de souligner que, contrairement à la plupart des services de police municipaux, la GRC accorde à ses membres une grande autonomie dans l’exercice de leurs fonctions. Les policiers jouissent de cette autonomie en fonction des régions géographiques qu’ils desservent et en raison des ressources limitées; ils font donc l’objet de peu de supervision lorsqu’ils assurent le maintien de l’ordre dans les collectivités rurales. Pour faire suite à mes commentaires précédents, je ne suis pas entièrement convaincu qu’une telle inconduite ne se reproduira pas, mais j’estime que le caporal Diaczenko présente un certain potentiel de réhabilitation si les conditions sont propices. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un facteur neutre.
- Effets sur le policier et sa famille : Le caporal Diaczenko a mentionné les effets qu’ont eus ces accusations sur sa vie. Il a particulièrement mis l’accent sur l’embarras qu’il a ressenti après s’être mis dans cette position. Il ne fait aucun doute que sa famille et lui ont subi, et continueront de subir, les conséquences de cette affaire. J’estime donc qu’il s’agit d’un facteur atténuant.
- Parité (uniformité des décisions) : Comme l’ont fait valoir les parties, aucun autre comité de déontologie ne s’est prononcé sur une affaire aux circonstances semblables à celles en l’espèce. Seule l’affaire disciplinaire Avery portait sur la question de l’insouciance, mais celle-ci s’apparente peu à la présente affaire. Par conséquent, elle a peu de valeur. Il s’agit donc d’un facteur neutre, mais dont je traiterai davantage lorsque je me pencherai sur l’éventail des mesures.
- Dissuasion spécifique et générale : Je reconnais l’expérience du caporal Diaczenko dans le cadre du processus disciplinaire, le fait qu’il ait dit regretter ses gestes et sa compréhension, nouvellement acquise, de la responsabilité qui lui incombe. J’estime cependant, à la lumière de l’autre inconduite, qu’une mesure de dissuasion particulière s’impose. De plus, comme je l’ai fait remarquer dans ma décision concernant les allégations, il y a une politique en vigueur visant à dissuader les membres d’inventer ou d’enjoliver des exemples de compétence, afin d’assurer le traitement équitable des membres qui tentent, de façon honnête, d’obtenir une promotion. Par conséquent, j’estime qu’une mesure de dissuasion générale s’impose également. Il s’agit donc d’un facteur aggravant.
- Confiance du public envers le service de police : Ayant déjà souligné l’importance de l’honnêteté et de l’intégrité, je n’aborderai pas la question de nouveau, mais je tiens toutefois à souligner leur incidence sur la confiance du public. Je conclus donc qu’il s’agit d’un facteur aggravant.
[109] Ayant soupesé tous les facteurs, j’en conclus qu’il y a davantage de facteurs aggravants.
[110] Comme je l’ai fait remarquer au début de mon intervention, le public s’attend à ce que les policiers soient tenus de respecter des normes particulièrement rigoureuses en matière de comportement, en particulier ceux qui occupent des postes aux échelons supérieurs.
Décision sur les mesures disciplinaires
[111] Dans le Guide des mesures disciplinaires de 2024, on recommande que le fait de mentir à un superviseur entraîne la prise de mesures disciplinaires allant de l’inadmissibilité à une promotion et de la confiscation de dix (10) à vingt (20) jours de solde pour les cas modérés, jusqu’à la rétrogradation, la confiscation de vingt et un (21) à quarante-cinq (45) jours de solde, voire le congédiement pour les cas graves.
[112] Cependant, ayant conclu qu’il y avait des circonstances aggravantes en l’espèce, j’estime que la conduite du caporal Diaczenko constitue un cas grave. Je tiens à souligner que le Guide des mesures disciplinaires fait mention, à la page 227, d’une situation semblable à celle-ci : on y précise que le fait de « [f]ournir sciemment des informations fausses ou trompeuses au cours d’un processus de promotion »
devrait donner lieu à l’imposition des mesures les plus sévères.
[113] Bien que je n’aie pas conclu que le caporal Diaczenko a sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs dans le cadre d’un processus de promotion, il s’agit tout de même d’une indication instructive.
Les mesures disciplinaires correctives et éducatives doivent prévaloir, s’il y a lieu, tout comme la présomption de la mesure la moins sévère.
[114] J’ai pris en considération la préférence pour l’imposition de mesures disciplinaires éducatives et correctives, le cas échéant, et la présomption de la mesure la moins sévère. Toutefois, après avoir pris en considération l’ensemble des circonstances, notamment la dissuasion générale et particulière qui s’impose, j’ai conclu que ces principes devraient être réfutés.
[115] Ainsi, j’ordonne que les mesures disciplinaires suivantes soient imposées au caporal Diaczenko :
-
une rétrogradation au grade de gendarme pour une période indéfinie;
-
l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’un (1) an à compter de sa réintégration;
-
la confiscation de dix (10) jours de solde.
CONCLUSION
[116] Le caporal Diaczenko se voit offrir l’occasion de poursuivre sa carrière au sein de la GRC et de regagner la confiance de l’organisation. J’ai espoir qu’il saura tirer le meilleur parti de cette occasion et ne pas répéter les mêmes erreurs à l’avenir, car toute récidive entraînera un examen approfondi et mettra vraisemblablement son emploi en péril.
[117] Toute mesure disciplinaire provisoire en place doit être levée dans les plus brefs délais, conformément à l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.
[118] L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au caporal Diaczenko, conformément à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.
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16 juillet 2025 |
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Colin Miller Comité de déontologie |
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[1] R. v. Downey, 2018 NSPC 24 [Downey].
[2] R. c. Osolin, [1993] 4 RCS 595, pages 29 à 31.
[3] R. v. D. (K.A.), 1994 CarswellOnt 6025, paragraphe 35.
[4] F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], paragraphe 46.
[5] R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, paragraphe 65; McDougall, paragraphe 58.
[6] Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, page 357. Traduction tirée du Comité d’enquête au sujet de l’honorable Michel Girouard, Rapport du comité d’enquête au Conseil canadien de la magistrature, 18 novembre 2015, page 19.
[7] Beaulieu c. Canada, 2016 CAF 59, paragraphe 40.
[8] Commandant de la Division K et gendarme Greenlaw, 2019 DARD 22, paragraphe 262.
[9] Commandant de la Division H et gendarme MacGillivray, 2021 DAD 16 [MacGillivray], paragraphe 84.
[10] Commandant de la Division K et gendarme J. Girard, 2020 DAD 30, paragraphe 31.
[11] Autorité disciplinaire de niveau III, Division K et gendarme S. Avery, 2024 DAD 11 [Avery], paragraphe 58.
[12] Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, paragraphe 53.