Déontologie
Informations sur la décision
Le 29 février 2024, le membre visé s’est vu signifier un avis d’audience disciplinaire daté du 26 janvier 2024, lequel contenait deux allégations d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Deux infractions se sont produites le 1er juillet 2022, alors que le membre visé n’était pas en service. Selon l’allégation 1, le membre visé aurait conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool et qu’il avait les facultés affaiblies. Selon l’allégation 2, le membre visé aurait braqué une arme à feu à autorisation restreinte sur deux civils et n’aurait pas eu l’autorisation requise pour transporter cette arme à l’endroit où il l’avait en sa possession.
Le 28 janvier 2025, après avoir entendu deux témoins et le membre visé, le Comité de déontologie a conclu au bien-fondé des deux allégations. Après avoir entendu le membre visé et les représentants à l’étape des mesures disciplinaires de l’audience, le Comité de déontologie a ordonné au membre visé de démissionner de la GRC dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.
Contenu de la décision
Protégé A
Dossier no 202333829
2025 DAD 11
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Dans l’affaire d’une
une audience disciplinaire au titre de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10
Entre :
l’autorité disciplinaire désignée pour la Division E
(Autorité disciplinaire)
et
le gendarme Olavo Castro
Matricule 64695
(Membre visé)
|
DÉCISION DU COMITÉ DE DÉONTOLOGIE |
Dominique Lepage et Jonathan Hart
(Représentants de l’autorité disciplinaire)
Cait Fleck
(Représentante du membre visé)
COMITÉ DE DÉONTOLOGIE : Kevin L. Harrison
DATE : Le 22 juillet 2025
TABLE DES MATIÈRES
CRÉDIBILITÉ ET FIABILITÉ DES TÉMOINS
Critère de la crédibilité et de la fiabilité
Commentaires généraux sur la crédibilité des témoins et la fiabilité de leur témoignage
Conclusions relatives à l’allégation 1
Conclusions relatives à l’allégation 2
Faits généraux concernant le membre visé
Application des cinq principes fondamentaux
Respect des objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC
Primauté des mesures disciplinaires éducatives et correctives
Présomption de la mesure la moins sévère
Attente d’une norme de conduite plus élevée pour les policiers
Décision sur les mesures disciplinaires
RÉSUMÉ
Le 29 février 2024, le membre visé s’est vu signifier un avis d’audience disciplinaire daté du 26 janvier 2024, lequel contenait deux allégations d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Deux infractions se sont produites le 1er juillet 2022, alors que le membre visé n’était pas en service. Selon l’allégation 1, le membre visé aurait conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool et qu’il avait les facultés affaiblies. Selon l’allégation 2, le membre visé aurait braqué une arme à feu à autorisation restreinte sur deux civils et n’aurait pas eu l’autorisation requise pour transporter cette arme à l’endroit où il l’avait en sa possession.
Le 28 janvier 2025, après avoir entendu deux témoins et le membre visé, le Comité de déontologie a conclu au bien-fondé des deux allégations. Après avoir entendu le membre visé et les représentants à l’étape des mesures disciplinaires de l’audience, le Comité de déontologie a ordonné au membre visé de démissionner de la GRC dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.
INTRODUCTION
[1] Le membre visé fait l’objet de deux allégations d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie (conduite déshonorante). Les deux infractions se sont produites le 1er juillet 2022, alors que le membre visé n’était pas en service. Selon l’allégation 1, le membre visé aurait conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool et qu’il avait les facultés affaiblies. Selon l’allégation 2, le membre visé aurait braqué une arme à feu à autorisation restreinte sur deux civils et n’aurait pas eu l’autorisation requise pour transporter cette arme à l’endroit où il l’avait en sa possession.
[2] Le 28 juin 2023, l’autorité disciplinaire a signé un avis à l’officier désigné demandant la tenue d’une audience disciplinaire dans la présente affaire. Le 30 juin 2023, l’officier désigné m’a nommé à titre de Comité de déontologie, conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [Loi sur la GRC].
[3] Le 28 janvier 2025, j’ai conclu au bien-fondé des deux allégations selon la prépondérance des probabilités. Le 30 janvier 2025, j’ai ordonné au membre visé de démissionner de la GRC dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié conformément à l’alinéa 45(4)b) de la Loi sur la GRC.
ALLÉGATIONS
[4] L’avis d’audience disciplinaire original, datée du 26 janvier 2024, contenait deux allégations. L’avis a été modifié au cours de l’audience pour supprimer l’expression [TRADUCTION] « par la fenêtre de la camionnette »
du détail no 15 concernant l’allégation 2. Autrement, l’avis d’audience disciplinaire original et les détails correspondants restent les mêmes.
Détails communs à toutes les allégations
1. Au moment des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] affecté à la Patrouille routière [de la Colombie-Britannique] à Williams Lake, en Colombie-Britannique, à la Division E, à titre d’enquêteur, et vous déteniez le grade de gendarme.
2. Le 1er juillet 2022, le Stampede annuel de Williams Lake battait son plein; il y avait donc de nombreux visiteurs en ville et une présence policière accrue.
3. Vous n’étiez pas en service.
Allégation 1
Le ou vers le 1er juillet 2022, à Williams Lake ou à proximité, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Olavo Castro s’est conduit de façon déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails propres à l’allégation 1
4. À [2 h 5], vous conduisiez une camionnette Ford F350 2020 grise dans le stationnement du terrain de rodéo, au 800 [avenue] Mackenzie Nord.
5. Vous avez été interpellé par le caporal Brett Squire ([le caporal] Squire); votre haleine dégageait alors une odeur d’alcool et vos yeux étaient légèrement larmoyants. De plus, une canette d’alcool ouverte a été observée dans la console centrale de votre véhicule. On a également constaté que vous perdiez l’équilibre et manquiez de coordination. Par conséquent, on pouvait raisonnablement soupçonner que vous conduisiez un véhicule automobile sous l’influence de l’alcool.
6. Le gendarme Nathan Smith ([le gendarme] Smith) était l’enquêteur principal chargé de l’enquête sur la conduite avec facultés affaiblies. [Le gendarme] Smith vous a demandé de fournir un échantillon d’haleine en soufflant dans un appareil de détection approuvé [ADA].
7. En réponse à cette première demande, vous avez fourni un échantillon d’haleine. La première fois que vous avez soufflé dans l’ADA, vous avez échoué au test. On vous a demandé un deuxième échantillon d’haleine, que vous avez refusé de fournir.
8. Votre véhicule a été remorqué au poste de la GRC de Williams Lake pour une enquête plus approfondie.
9. Vous conduisiez votre véhicule sous l’influence de l’alcool.
10. En conduisant un véhicule automobile alors que votre capacité à le faire était affaiblie par l’alcool, vous avez eu une conduite déshonorante.
Allégation 2
Le ou vers le 1er juillet 2022, à Williams Lake ou à proximité, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Olavo Castro s’est conduit de façon déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails propres à l’allégation 2
11. [M. J. E.] et [M. W. B.] ont assisté au Stampede annuel de Williams Lake.
12. Alors que [M. J. E.] et [M. W. B.] quittaient le rodéo, ils ont monté la colline en direction du Tim Horton’s, où ils vous ont vu descendre la colline en voiture. Vous avez conduit votre véhicule jusqu’au côté [de la route] où ils se trouvaient.
13. Alors qu’ils se tenaient à environ un pied de votre portière, vous avez baissé la vitre et vous leur avez demandé s’ils avaient un problème.
14. Vous avez ensuite sorti de votre chandail à capuchon une arme de poing, que vous avez placée sur votre ventre.
15. Puis, vous avez braqué l’arme de poing sur [M. J. E.] et [M. W. B.] et leur avait demandé :
« y a-t-il un problème? »Vous avez ajouté quelque chose comme :« c’est ma ville, ici; y a-t-il un problème? »
16. Vous n’aviez aucune raison légitime de braquer une arme à feu sur deux personnes.
17. Un mandat de perquisition a été exécuté dans votre camionnette Ford F350, ce qui a entraîné la saisie d’une arme de poing Smith & Wesson M&P chargée (cartouche dans la chambre).
18. Vous n’aviez pas l’autorisation requise pour transporter une arme de poing Smith & Wesson M&P 9 chargée, qui est une arme à feu à autorisation restreinte.
19. Par conséquent, vous avez eu une conduite déshonorante.
[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise; notes de bas de page omises.]
[5] Conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC, mon rôle à titre de Comité de déontologie consiste à décider si chaque allégation de contravention du Code de déontologie a été établie. Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir les allégations selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie que je dois conclure qu’il est plus probable que le contraire que le membre visé a contrevenu au Code de déontologie. L’autorité disciplinaire s’est acquittée de ce fardeau en présentant des éléments de preuve suffisamment clairs et convaincants.
[6] L’autorité disciplinaire n’a pas à prouver chaque détail énoncé dans l’avis d’audience disciplinaire, puisque certains détails sont inclus simplement pour mettre les allégations en contexte.
CRÉDIBILITÉ ET FIABILITÉ DES TÉMOINS
[7] J’ai entendu trois témoins durant l’audience disciplinaire. M. J. E. et M. W. B. ont témoigné au nom de l’autorité disciplinaire. Le membre visé a témoigné en son propre nom lors des deux étapes de l’audience disciplinaire. Je commence l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins en énonçant certains des principes juridiques applicables à cette tâche.
Critère de la crédibilité et de la fiabilité
[8] Pour évaluer la crédibilité des témoins, je dois déterminer si les témoins sont crédibles et si leur témoignage est fiable. Je pourrais conclure qu’un témoin est crédible, mais peu fiable. Je peux accepter une partie, la totalité ou aucun des éléments de preuve apportés par un témoin au sujet d’un fait particulier. Pour évaluer la crédibilité, je dois tenir compte de l’ensemble de la preuve. Je ne peux fonder mon évaluation de la preuve apportée par un témoin en tenant uniquement compte de son comportement. Je dois plutôt déterminer si la preuve apportée par le témoin est conforme à l’interprétation la plus probable des circonstances. La question de savoir si le témoignage d’un témoin a une apparence de vraisemblance est subjective, mais, pour y répondre, il faut prendre en considération l’ensemble de la preuve. Le fait d’établir qu’une partie est crédible peut constituer un résultat concluant sur des questions importantes, car le fait de croire une partie signifiera explicitement ou implicitement que l’autre partie ne me semble pas crédible.
Commentaires généraux sur la crédibilité des témoins et la fiabilité de leur témoignage
[9] L’interaction entre M. J. E., M. W. B. et le membre visé, qui fait l’objet de l’allégation 2, a été très brève. Elle s’est produite spontanément et M. J. E. et M. W. B. ne s’y attendaient pas. C’était une situation très stressante pour toutes les personnes concernées. Des aspects importants des récits des témoins ont varié dans cette affaire. Je suis conscient que la courte durée et l’intensité de la situation peuvent expliquer ces différences.
Membre visé
[10] Je m’interroge sur la crédibilité du membre visé et sur la fiabilité de son témoignage.
[11] Dans sa réponse aux allégations et dans son témoignage à l’audience disciplinaire, le membre visé a reconnu certains faits. Cependant, j’estime que la plupart des faits reconnus l’ont été en regard d’éléments de preuve incontestables. C’est dans les « zones grises » de la preuve que je trouve que son récit manque de vraisemblance. J’en fournirai une explication plus détaillée lorsque j’aborderai ces zones grises dans ma constatation des fait.
[12] Dans sa déclaration au gendarme Devin Kavanagh, le membre visé a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne se souvenait pas de ce qui s’était passé pendant l’incident, qui s’était produit environ 21 heures plus tôt. Dans son témoignage, il a soutenu qu’étant [TRADUCTION] « sobre », il se rappelait maintenant plus clairement ce qui s’était passé. Je n’accepte pas que ce soit le cas.
[13] De plus, sa déclaration au gendarme Kavanagh comportait des incohérences internes qui ont été soulignées par les représentants de l’autorité disciplinaire au cours du contre-interrogatoire. Il s’agit notamment de la quantité d’alcool qu’il a consommée, du moment où il a déplacé l’arme à feu et de sa perception de la menace que représentait l’interaction avec M. J. E. et M. W. B. Dans sa réponse aux allégations et dans son témoignage, le membre visé a semblé adopter la version de ces incohérences qui lui convenait le mieux.
[14] Son témoignage est également incompatible avec ceux de M. J. E. et de M. W. B. dans les domaines les plus importants, particulièrement en ce qui concerne la façon dont cet incident a commencé et le braquage de l’arme à feu. Le membre visé n’a pas été en mesure de fournir des explications raisonnables pour ses actes.
M. J. E.
[15] Le témoignage de M. J. E. n’était pas sans faille. M. J. E. a admis que sa mémoire s’était estompée sur ce qu’il a appelé [TRADUCTION] « les éléments externes », principalement en raison du passage du temps. Il a ajouté se souvenir avec précision de certains points. Néanmoins, j’ai trouvé qu’il était un témoin crédible et que son témoignage était fiable.
[16] Il s’agit d’un incident mémorable pour lui. Il s’est rendu au stampede avec un ami et son patron pour y passer la soirée après avoir travaillé deux semaines [TRADUCTION] « dans la brousse ». Il n’avait jamais eu d’arme braquée sur lui et ne s’attendait pas à vivre cette expérience ce soir-là. Je reconnais que certains aspects de cette soirée restent gravés dans son esprit, tandis que des détails moins importants ne sont peut-être pas clairs ou ont été oubliés.
[17] M. J. E. a répondu avec franchise. Il l’a admis lorsqu’il ne s’en souvenait pas et a fait des concessions lors du contre-interrogatoire.
[18] Le témoignage de M. J. E. coïncide avec celui de M. W. B. et, à bien des égards, avec celui du membre visé. Il a admis que M. W. B. et lui avaient discuté de l’incident après qu’il se soit produit afin d’essayer de déterminer ce qui s’était passé et pourquoi. Je n’ai trouvé aucune preuve que ces discussions constituaient une collusion intentionnelle entre eux. Selon la représentante du membre visé, ces discussions pourraient avoir donné lieu à une collusion involontaire. Je n’accepte pas cette hypothèse, parce que tant les déclarations que les témoignages de ces deux témoins comportaient un nombre suffisant de différences pour éliminer cette possibilité. Ni M. J. E. ni M. W. B. n’avaient de raison apparente d’inventer la version des faits qu’ils ont présentée.
[19] M. J. E. a consommé de l’alcool ce soir-là. La quantité qu’il a consommée n’a pas été établie dans la preuve. La représentante du membre visé a laissé entendre que M. J. E. avait minimisé son niveau d’ébriété, mais elle a admis qu’il n’était pas [TRADUCTION] « ivre au point de tomber ou de trébucher »
. Dans ses notes, le gendarme Jordan Gelowitz n’a pas mentionné que M. J. E. était en état d’ébriété. Rien dans la preuve dont je dispose n’indique que la consommation d’alcool de M. J. E. a eu une incidence importante sur son témoignage.
M. W. B.
[20] Dans mon évaluation de la crédibilité de M. W. B. et de la fiabilité de son témoignage, je suis arrivé essentiellement aux mêmes conclusions que dans mon évaluation à l’égard de M. J. E., pour les mêmes motifs.
[21] Il a mentionné au début de son contre-interrogatoire que, bien que cet incident se soit produit près de deux ans et demi avant son témoignage, c’était le genre de [TRADUCTION] « chose » qui n’arrive pas dans la vie, alors il s’en souvient assez bien.
[22] M. W. B. a consommé moins d’alcool que M. J. E. ce soir-là. Rien dans la preuve dont je dispose n’indique que la consommation d’alcool de M. W. B. a eu une incidence importante sur son témoignage.
CONSTATATION DES FAITS
[23] Au moment des faits, le membre visé détenait le grade de gendarme au sein de la GRC. Il était affecté à la Patrouille routière de la Colombie-Britannique à Williams Lake, en Colombie-Britannique.
[24] Le 1er juillet 2022, la Ville de Williams Lake a accueilli la 94e édition du Stampede de Williams Lake (le stampede). Il s’agit de l’événement public le plus important de Williams Lake. L’événement attire de nombreux visiteurs dans la ville. Par conséquent, des ressources policières supplémentaires étaient présentes à Williams Lake ce jour-là.
[25] Le membre visé n’était pas en service. En fait, il était en congé de maladie prolongé depuis le 16 décembre 2021.
[26] M. J. E. et M. W. B. passaient par Williams Lake pour rentrer chez eux à Victoria après avoir travaillé [TRADUCTION] « dans la brousse » pendant deux semaines. À leur arrivée en ville, ils ont appris qu’il y avait un stampede et ont décidé d’y aller.
[27] Alors que M. J. E. et M. W. B. quittaient les lieux du stampede tôt le matin du 1er juillet 2022, deux voyageurs étrangers se sont approchés d’eux et leur ont demandé où ils pouvaient se procurer quelque chose à manger. Tout en discutant, le groupe a continué à marcher vers la sortie. J’ai entendu des témoignages contradictoires sur ce qui s’est passé ensuite. C’est l’un des domaines où je remets en question le témoignage du membre visé.
[28] Selon le membre visé, la route était assez large pour que deux grosses camionnettes puissent circuler côte à côte. Il a déclaré que M. J. E. et M. W. B. marchaient sur le bord de la route et qu’il n’avait pas dévié son véhicule dans leur direction. Il a roulé tout droit. Le groupe de quatre piétons a continué à marcher droit devant. Il n’avait pas l’intention d’interagir avec qui que ce soit ce soir-là, sauf avec les membres de la GRC qui travaillaient sur le site. Je trouve la dernière déclaration intéressante parce que le membre visé savait que, aux yeux de la loi, il conduisait son véhicule avec les facultés affaiblies. Il a déclaré au gendarme Kavanagh qu’il avait consommé sept bières avant de quitter son domicile ce soir-là. Il avait une canette de bière ouverte bien en vue dans la console de la camionnette. Pourquoi s’évertuerait-il à interagir avec la police?
[29] Je me demande également pourquoi il n’aurait tout simplement pas contourné les piétons s’il n’avait pas l’intention d’interagir avec qui que ce soit. Il n’avait aucune raison de faire preuve d’hypervigilance quant à leur présence sur la route. En s’approchant d’eux comme il l’a fait, il aurait raisonnablement dû s’attendre à interagir avec eux. Le membre visé n’a pu fournir aucune explication quant à ses gestes. Il a plutôt tenté de rejeter au moins une partie du blâme sur M. J. E. pour cet incident.
[30] M. J. E. et M. W. B. affirment tous deux que le membre visé a dévié son véhicule dans leur direction, de l’autre côté de la route. La camionnette s’est arrêté à quelques pouces d’eux à peine. Compte tenu de la largeur de la route, il n’était pas nécessaire que le membre visé s’approche aussi près d’eux. M. J. E. a levé les mains en l’air après avoir frôlé l’accident.
[31] Après avoir examiné tous les éléments de preuve, j’accepte cette dernière version et je conclus que le membre visé s’est dirigé de l’autre côté de la route vers eux et a failli heurter M. J. E. avec le véhicule. C’est ce qui a incité M. J. E. à lever les mains en l’air. Comme il a été expliqué à maintes reprises à l’audience, ce geste signifiait [TRADUCTION] « voyons, crisse ». M. J. E. n’aurait pas fait un tel geste si le membre visé les avait simplement dépassé en voiture. Aucune interaction ne se serait produite.
[32] Une question a été soulevée, à savoir si le membre visé a baissé la vitre de la camionnette après que M. J. E. a fait ce geste ou si elle était déjà baissée lorsque le membre visé a immobilisé le véhicule à côté de M. J. E. et de M. W. B. Le fait important est que la fenêtre était baissée lorsque le membre visé a demandé à M. J. E. et à M. W. B. [TRADUCTION] « y a-t-il un problème? »
, ce que le membre visé a admis avoir dit.
[33] M. J. E. et M. W. B. s’accordent sur le fait que le membre visé avait dit que [TRADUCTION] « c’était sa ville »
. Leurs témoignages respectifs différaient légèrement sur les propos ensuite tenus par le membre visé, mais ils ont tous les deux essentiellement affirmé que, parce que c’était la ville du membre visé, celui-ci devait savoir ce qui s’y passait. Les deux témoins ont convenu que le membre visé leur avait demandé où ils logeaient, et qu’ils avaient tous deux refusé de lui répondre. J’accepte leur témoignage et je conclus que le membre visé a bien tenu ces propos. Je considère qu’il s’agit d’un fait.
[34] La question de savoir si le membre visé a braqué l’arme à feu sur M. J. E. et M. W. B. se pose à ce stade-ci.
[35] Selon le membre visé, il a dégainé l’arme à feu et l’a déplacée de la console centrale de sa camionnette à [TRADUCTION] « son entrejambe », le canon pointant vers ses pieds. Il se serait emparé de l’arme à feu en réponse aux mains levées de M. J. E., que le membre visé a qualifié de geste agressif.
[36] M. J. E. et M. W. B. ont tous deux témoigné que, lorsque le membre visé a immobilisé la camionnette à leurs côtés, il tenait l’arme à feu dans la poche manchon de son chandail à capuchon (ci-après « la poche ») et qu’il a retiré l’arme à feu de la poche à un moment donné. Leur témoignage diffère par la suite.
[37] M. J. E. a clairement dit que le membre visé avait entièrement sorti l’arme à feu de la poche et l’avait placée sur ses genoux avant de la glisser de nouveau dans la poche à un certain moment. Il aurait fait ce geste à deux reprises.
[38] M. W. B. a plutôt affirmé que le membre visé aurait retiré l’arme à feu de la poche qu’en partie. Dans sa déclaration, il a indiqué que la moitié de l’arme à feu était visible. À l’audience, il a déclaré que le membre visé avait sorti l’arme à feu aux trois quarts de la poche. Il a nuancé cette affirmation en disant que l’arme à feu était suffisamment exposée pour qu’il puisse reconnaître de quel type d’arme il s’agissait avant que le membre visé ne la remette dans la poche. L’arme à feu était un pistolet, dont la longueur totale est courte. Par conséquent, j’estime que la divergence entre ses deux déclarations n’est pas importante. M. W. B. a clairement indiqué qu’il n’avait pas vu l’extrémité du canon de l’arme à feu.
[39] M. J. E. et M. W. B. ont insisté sur le fait que l’arme à feu est restée sur les genoux du membre visé tout au long de l’interaction. Ces deux témoins, en particulier M. J. E., se trouvaient à quelques pouces de la fenêtre ouverte du véhicule lorsque l’interaction s’est produite. Ils étaient assez près pour voir le mouvement des mains du membre visé. Selon la version du membre visé, il aurait fallu que celui-ci atteigne la console centrale de la camionnette pour dégainer l’arme à feu avant de la déplacer vers [TRADUCTION] « son entrejambe ». Bien que la distance soit relativement courte, elle appelle un mouvement distinct de celui décrit par M. J. E. et M. W. B., selon qui l’arme serait demeurée sur les genoux du membre visé. Je n’accepte pas qu’ils puissent tous les deux se tromper sur ce qu’ils ont vu. J’accepte le témoignage de M. J. E. et de M. W. B. selon lequel le membre visé a suffisamment sorti l’arme à feu de la poche pour leur permettre de déterminer que le membre visé tenait une arme à feu à la main. Ce qui m’amène à la question essentielle suivante : le membre visé a-t-il braqué l’arme à feu sur M. J. E. et M. W. B?
[40] Selon le membre visé, lorsqu’il a retiré l’arme à feu de l’étui, il l’a placée sur sa cuisse droite avec le canon pointé vers ses pieds.
[41] M. J. E. et M. W. B. ont insisté sur le fait que le membre visé avait braqué l’arme à feu en direction de la portière du conducteur en tout temps, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la poche. Dans leurs déclarations au gendarme Gelowitz, M. J. E. et M. W. B. ont tous deux affirmé que le membre visé leur avait montré l’arme à feu rapidement. M. W. B. n’a pas dit que le membre visé avait braqué l’arme à feu en sa direction. M. Eades a précisé que le membre visé [TRADUCTION] « l’avait sortie en la tenant là, braquée dans ma direction générale »
[1].
[42] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je conclus que le membre visé a retiré l’arme à feu d’un endroit dissimulé dans la poche assez longtemps pour que M. J. E. et M. W. B. se rendent compte qu’il avait une arme à feu avant de la remettre dans la poche. J’estime que l’expression [TRADUCTION] « montrer rapidement l’arme à feu » décrit bien ces mouvements. Le fait important est que le membre visé a accosté deux civils avec une arme à feu sans raison apparente. C’est ce que M. J. E. et M. W. B. ont jugé devoir signaler à la police, et c’est ce qu’ils ont déclaré. Leurs déclarations ne font respectivement que trois et quatre pages. Le gendarme Gelowitz n’a exploré en détail la position de l’arme à feu avec aucun des témoins à ce moment-là.
[43] Je conclus que M. J. E. et M. W. B. ont tous deux pu déterminer, par la position de la main du membre visé à l’intérieur ou à l’extérieur de la poche, que l’arme à feu était braquée en direction de la portière du conducteur. Par conséquent, je conclus également que le membre visé a braqué l’arme à feu en direction de M. J. E. et de M. W. B. M. J. E. s’est tenu près de la portière du conducteur et a discuté avec le membre visé dans ce qui allait devenir une discussion enflammée. La situation a inquiété suffisamment M. W. B. pour qu’il juge nécessaire d’écarter M. J. E. afin d’intervenir et de calmer la situation. L’arme à feu était braquée dans sa direction lorsqu’il s’est placé devant la portière du conducteur.
[44] Dans les cas fournis par l’autorité disciplinaire, les tribunaux pénaux ont déterminé que tout ce qui est nécessaire pour établir une accusation criminelle de braquage d’une arme à feu est que l’arme à feu ait être braquée dans une direction générale. Les tribunaux n’exigent pas que l’arme à feu soit dirigée ou braquée directement en direction d’une personne pour conclure qu’elle a été braquée[2].
[45] Je conclus que le membre visé a braqué l’arme à feu dans la direction générale de M. J. E. et de M. W. B. Je ne vois aucune raison d’exiger davantage d’éléments de preuve que les tribunaux pénaux pour conclure que le membre visé a braqué l’arme à feu. Par conséquent, je conclus que le membre visé a braqué l’arme à feu en direction de M. J. E. et de M. W. B. Grâce à son intervention, M. W. B. a désamorcé la situation, comme il l’a dit, en disant au membre visé ce qu’il voulait entendre.
[46] Une fois la situation désamorcée, le membre visé s’est dirigé vers le site du stampede. M. J. E. et M. W. B. ont aperçu les feux d’urgence activés d’un véhicule de police au loin. Ils se sont dirigés dans cette direction pour signaler l’affaire à la police.
[47] Vers 1 h 15, M. J. E. et M. W. B. se sont approchés du gendarme Gelowitz alors qu’il effectuait un contrôle routier dans le stationnement d’une station-service près du site du stampede. Ils ont signalé que [TRADUCTION] « un homme à bord d’une camionnette Ford diesel argentée assez récente leur avait montré une arme de poing »
. Le gendarme Gelowitz a communiqué le signalement à d’autres agents sur les ondes radio de la police.
[48] Vers 1 h 20, le caporal Squire travaillait près de l’entrée des brasseries en plein air situées sur le site du stampede lorsqu’il a eu connaissance de la plainte sur laquelle enquêtait le gendarme Gelowitz. Vers 2 h 5, le caporal Squire a vu le membre visé entrer sur le site du stampede au volant d’une camionnette Ford F350 2020 grise. Environ une heure plus tôt, le caporal Squire avait vu le membre visé entrer sur le site du stampede au volant du même véhicule. Le membre visé avait alors immobilisé son véhicule de l’autre côté de la route où travaillait le caporal Squire. Ils avaient discuté de choses et d’autres à ce moment-là.
[49] La deuxième fois, le caporal Squire s’est approché du côté conducteur de la camionnette du membre visé. Le membre visé était au volant et était seul dans le véhicule. Le caporal Squire lui a demandé de sortir de la camionnette. Une fois le membre visé sorti, le caporal Squire l’a informé qu’il était en état d’arrestation pour avoir braqué une arme à feu.
[50] Le caporal Squire a noté des signes de facultés affaiblies, notamment que l’haleine du membre visé sentait l’alcool. Le membre visé s’exprimait clairement, mais ses yeux étaient légèrement larmoyants. Il dégageait également une forte odeur de cigare. Une canette d’alcool ouverte se trouvait dans la console centrale du véhicule.
[51] Le caporal Squire a confié le membre visé au gendarme Smith pour qu’il mène une enquête plus approfondie sur la conduite avec facultés affaiblies d’un véhicule automobile. Le gendarme Smith a été désigné comme l’enquêteur principal pour cet aspect de l’enquête.
[52] Le gendarme Smith a donc demandé au membre visé de souffler dans un ADA. Le membre visé a accepté et a fourni un échantillon d’haleine. L’ADA a indiqué que le membre visé avait échoué au test.
[53] Le membre visé a refusé de fournir un deuxième échantillon d’haleine. Je note que le membre visé n’était pas légalement tenu de fournir un deuxième échantillon d’haleine. Le membre visé a expliqué ne pas avoir fourni un deuxième échantillon parce qu’il savait qu’il échouerait de nouveau au test et ne voulait gaspiller le temps de personne.
[54] Le gendarme Smith a suspendu immédiatement le permis de conduire du membre visé en application de l’article 215.41 de la Motor Vehicle Act (loi sur les véhicules automobiles) de la Colombie-Britannique, RSBC 1996, ch. 318 [la Motor Vehicle Act]. En vertu de cet article, lors d’une première infraction ou d’une infraction subséquente, le fait d’échouer à un test d’alcoolémie entraîne la suspension immédiate du permis de conduire et s’accompagne d’une interdiction de conduire pendant 90 jours, de la mise en fourrière du véhicule pendant 30 jours et d’une sanction administrative pécuniaire de 500 $.
[55] Le membre visé a fourni une déclaration au gendarme Kavanagh le 1er juillet 2022, vers 22 h 2. Dans sa déclaration, il a admis avoir bu sept bières avant de quitter son domicile pour aller chercher de la nourriture. Il a également admis avoir pris un médicament d’ordonnance. Il a reconnu de nouveau ces faits à l’audience.
[56] En plus de montrer des signes de facultés affaiblies par l’alcool, le membre visé a montré des signes de détresse mentale. Par conséquent, le caporal Squire a appréhendé le membre visé en vertu de la Mental Health Act (loi sur la santé mentale), RSBC 1996, ch. 288 [la Mental Health Act], puis l’a escorté jusqu’à l’hôpital Cariboo Memorial pour une évaluation. Docteur Miller a évalué le membre en question, mais ne l’a pas interné et lui a plutôt donné son congé de l’hôpital. Le caporal Squire a ensuite reconduit le membre visé chez lui.
[57] Le véhicule du membre visé a été remorqué au poste de la GRC de Williams Lake pour une enquête plus approfondie. Les enquêteurs ont obtenu et exécuté un mandat de perquisition dans le véhicule du membre visé et ont trouvé une arme de poing Smith & Wesson M&P 9 millimètres (9 mm) chargée.
[58] L’arme de poing Smith & Wesson M&P 9 mm est une arme à feu à autorisation restreinte. Le membre visé n’avait pas l’autorisation requise pour transporter une arme à feu à autorisation restreinte. Le membre visé a été accusé au titre des paragraphes 94(1) et 95(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [Code criminel], qui concernent respectivement la possession non autorisée d’une arme à autorisation restreinte dans un véhicule automobile et la possession d’une arme à feu à autorisation restreinte avec des munitions.
[59] Le procureur de la Couronne a ordonné l’arrêt des procédures relativement à l’accusation portée au titre du paragraphe 94(1) du Code criminel. Le membre visé a plaidé coupable à une accusation moindre au titre du paragraphe 93(1) du Code criminel, qui concerne la possession d’une arme à feu à autorisation restreinte à un endroit autre que celui où l’y autorise la Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, ch. 39.
[60] Le 30 novembre 2023, le membre visé a comparu devant l’honorable juge R.D. Phillips de la cour provinciale de Williams Lake. Le juge Phillips a infligé une condamnation avec sursis assortie d’une probation de 12 mois. Les conditions de probation comprenaient l’exécution de 20 heures de travaux communautaires au bénéfice du stampede. Le juge Phillips a également ordonné la confiscation de l’arme à feu au profit du Canada. Il n’a pas interdit au membre visé de posséder des armes en raison de son emploi de policier.
DÉCISION SUR LES ALLÉGATIONS
[61] Les allégations 1 et 2 sont des allégations de conduite déshonorante qui relèvent de l’article 7.1 du Code de déontologie. Pour établir une allégation au titre de cet article, l’autorité disciplinaire doit prouver les éléments suivants, selon la prépondérance des probabilités :
-
les gestes qui constituent le comportement allégué;
-
l’identité du membre visé;
-
que la conduite du membre visé est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC;
-
que la conduite soit suffisamment liée aux fonctions et aux responsabilités du membre visé pour donner à la Gendarmerie un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son égard.
[62] Je reconnais que le critère énoncé à la page 171 du Guide des mesures disciplinaires, publié le 14 novembre 2024, comporte des éléments différents du critère que je viens d’énoncer pour l’article 7.1 du Code de déontologie. Étant donné que j’ai utilisé le critère susmentionné dans ma Détermination des faits établis, que j’ai publiée le 23 septembre 2024, je continuerai d’utiliser ce critère dans la présente affaire. De plus, les différences entre les deux critères n’ont aucune incidence importante sur mes conclusions en l’espèce.
Conclusions relatives à l’allégation 1
[63] Selon l’autorité disciplinaire, la conduite qui fait l’objet de l’allégation 1 est que le membre visé aurait conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool et qu’il avait les facultés affaiblies.
[64] Le fait d’avoir échoué au test en soufflant dans l’ADA prouve que le membre visé a conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool, ce que le membre visé a admis. En me fondant sur la preuve et les propres aveux du membre visé, je conclus que celui-ci a conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool et qu’il avait les facultés affaiblies. Par conséquent, j’estime que l’autorité disciplinaire a établi le premier élément du critère relatif à la conduite déshonorante selon la prépondérance des probabilités.
[65] L’identité du membre visé n’est pas en cause dans cette procédure. Je conclus donc que l’autorité disciplinaire a établi cet élément du critère relatif à la conduite déshonorante.
[66] Le troisième élément du critère de conduite déshonorante consiste à déterminer si la conduite du membre visé est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Le critère relatif à la conduite déshonorante est bien établi. Il s’agit de déterminer si une personne raisonnable, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités de la police en général et de celles de la GRC en particulier, jugerait que la conduite est déshonorante ou susceptible de jeter le discrédit sur la GRC.
[67] L’autorité disciplinaire a établi que le membre visé a conduit un véhicule automobile alors qu’il était sous l’influence de l’alcool et qu’il avait les facultés affaiblies. Les attitudes de la société à l’égard de la conduite d’un véhicule avec facultés affaiblies, par l’alcool ou la drogue, sont telles qu’un agent de la GRC surpris en train de conduire un véhicule avec les facultés affaiblies est susceptible de miner la confiance du public envers la GRC. Les agents de la GRC sont tenus non seulement de faire respecter les lois qu’ils appliquent, mais également de respecter des normes plus élevées que celles imposées au public.
[68] Je conclus qu’une personne raisonnable connaissant les faits, y compris les réalités de la police en général et de la GRC en particulier, conclurait qu’un agent de la GRC conduisant un véhicule automobile sous l’influence de l’alcool au point où il échouerait au test d’alcoolémie et conduisant un véhicule automobile avec les facultés affaiblies par l’alcool s’est conduit de manière déshonorante ou susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Par conséquent, j’estime que l’autorité disciplinaire a établi le troisième élément du critère relatif à la conduite déshonorante selon la prépondérance des probabilités.
[69] Le quatrième élément du critère relatif à la conduite déshonorante consiste à établir si la conduite du membre visé est suffisamment liée à ses fonctions et responsabilités pour donner à la GRC un motif légitime de prendre des mesures disciplinaires à son endroit.
[70] Le Code de déontologie de la GRC s’applique aux membres, qu’ils soient ou non en service[3].
[71] L’application de la loi sur les infractions relatives à la conduite avec facultés affaiblies est une pierre angulaire du mandat de la GRC en matière de maintien de l’ordre dans les provinces et les territoires où la GRC fournit des services de police contractuels. Cela s’applique particulièrement à un membre dont les fonctions spécialisées sont liées à la sécurité routière, comme c’est le cas pour le membre visé. La confiance du public dans la capacité des agents de s’acquitter de leurs fonctions est ébranlée lorsque des agents de la GRC enfreignent les lois qu’ils sont tenus de faire respecter. Par conséquent, la GRC a clairement intérêt à imposer des mesures disciplinaires au membre visé en lien avec l’allégation 1. J’estime donc que l’autorité disciplinaire a établi le quatrième élément du critère relatif à la conduite déshonorante selon la prépondérance des probabilités.
[72] Je suis convaincu que l’autorité disciplinaire a établi les quatre éléments du critère relatif à la conduite déshonorante. Par conséquent, j’estime que l’allégation 1 est établie selon la prépondérance des probabilités.
Conclusions relatives à l’allégation 2
[73] Les actes qui, de l’avis de l’autorité disciplinaire, constituent le comportement de l’allégation 2 sont que le membre visé a braqué une arme à feu à autorisation restreinte en direction de M. J. E. et de M. W. B. et que le membre visé n’avait pas l’autorisation requise pour transporter cette arme.
[74] Le membre visé a fait l’objet d’accusations criminelles et, après avoir plaidé coupable à une infraction moindre que celle dont il avait été accusé initialement, il a été reconnu coupable de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte à un endroit autre que celui où la Loi sur les armes à feu l’y autorise. J’accepte les conclusions du tribunal pénal comme preuve que le membre visé n’avait pas l’autorisation requise pour transporter une arme au stampede.
[75] Le deuxième acte qui constitue la conduite est que le membre visé a braqué l’arme à feu à autorisation restreinte en direction de M. J. E. et M. W. B. sans raison légitime. J’ai déjà conclu que le membre visé avait braqué l’arme à feu sur deux citoyens. Il n’avait clairement aucune raison légitime de le faire. Il n’aurait pas dû avoir l’arme à feu en premier lieu. À l’exception d’un geste inoffensif des mains provoqué par la quasi-collision entre M. J. E. et le véhicule du membre visé, suivie d’une discussion, M. J. E. et M. W. B. n’ont rien fait qui justifie qu’on braque une arme à feu sur eux. Par conséquent, l’autorité disciplinaire a démontré le premier élément du critère relatif à la conduite déshonorante, c’est-à-dire les actes qui constituent le comportement.
[76] L’identité du membre visé n’est pas en cause dans cette procédure. Je conclus donc que l’autorité disciplinaire a établi cet élément du critère relatif à la conduite déshonorante.
[77] En ce qui concerne le troisième élément du critère, j’ai déjà conclu que le membre visé avait braqué une arme à feu en direction de M. J. E. et M. W. B. Le paragraphe 87(1) du Code criminel est ainsi libellé : « Commet une infraction quiconque braque, sans excuse légitime, une arme à feu, chargée ou non, sur une autre personne. »
Bien que le membre visé n’ait pas fait l’objet d’accusations criminelles pour cette infraction, ma conclusion selon laquelle il a braqué l’arme à feu sur deux personnes sans excuse légitime fait de cette action une action de nature criminelle. De plus, le membre visé a été déclaré coupable de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte à un endroit autre que celui où il y était autorisé. Tout comportement criminel, qu’il se soit produit ou non en service, est considéré comme une conduite déshonorante. Comme dans le cas de l’allégation 1, les agents de la GRC sont tenus non seulement de faire respecter les lois qu’ils appliquent, mais également de respecter des normes plus élevées que celles imposées au public.
[78] Tout cela pour dire que je conclus qu’une personne raisonnable connaissant les faits, y compris les réalités de la police en général et celles de la GRC en particulier, conclurait qu’un agent de la GRC qui braque une arme à feu à autorisation restreinte sur deux civils et qui possède illégalement une arme à feu à autorisation restreinte en contravention du Code criminel se conduit de manière déshonorante. Par conséquent, j’estime que l’autorité disciplinaire a prouvé le troisième élément du critère relatif à la conduite déshonorante selon la prépondérance des probabilités.
[79] En ce qui concerne le quatrième élément du critère, la Cour suprême du Canada a déclaré que la plupart, voire toutes les infractions criminelles commises par des policiers auront un lien avec leur emploi en raison de la grande confiance que doit inspirer au sein du public la capacité des policiers de s’acquitter de leurs fonctions[4].
[80] L’application des lois relatives à la possession, à l’utilisation et au transport d’armes à feu joue un rôle important dans les efforts d’application de la loi de la GRC visant à maintenir la sécurité des collectivités. Le membre visé avait un rôle à jouer dans ces efforts. Il avait le devoir de respecter les lois qu’il appliquait même lorsqu’il n’était pas en service.
[81] J’estime donc que l’autorité disciplinaire a établi le quatrième élément du critère relatif à la conduite déshonorante selon la prépondérance des probabilités.
[82] Par conséquent, l’autorité disciplinaire a démontré les quatre éléments du critère relatif à la conduite déshonorante. J’estime ainsi que l’autorité disciplinaire a établi l’allégation 2 selon la prépondérance des probabilités.
MESURES DISCIPLINAIRES
[83] Le paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC stipule que si un comité de déontologie décide qu’un membre a contrevenu au Code de déontologie, il prend à son égard une ou plusieurs des trois sanctions énumérées. La première est le congédiement de la Gendarmerie. La deuxième est l’ordre au membre de démissionner de la Gendarmerie dans les 14 jours suivants, faute de quoi il sera congédié. La troisième est l’imposition d’une ou de plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles, énoncées aux articles 3, 4 et 5 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291.
[84] Mon rôle consiste à déterminer les mesures disciplinaires appropriées aux circonstances de l’affaire, compte tenu de la preuve dont je dispose, des témoignages que j’ai entendus lors de l’audience disciplinaire et des observations présentées par les parties.
[85] À titre de mesure disciplinaire globale, l’autorité disciplinaire m’a demandé de congédier le membre visé.
[86] La représentante du membre visé a suggéré que les mesures de conduite suivantes sont appropriées dans les circonstances de la présente affaire :
-
une pénalité financière équivalente à 30 jours de la solde;
-
une réduction de 15 jours de la banque de congés annuels;
-
l’inadmissibilité à toute promotion pendant 3 ans;
-
l’ordre de travailler sous surveillance étroite pendant un an au maximum;
-
l’ordre de participer à des séances de counseling ou de suivre un programme de réadaptation sous la direction du médecin-chef;
-
l’ordre de rédiger une lettre d’excuse à M. J. E. et à M. W. B.
[87] Les deux allégations sont très différentes. Toutefois, étant donné qu’elles découlent des mêmes faits, il convient d’imposer les mêmes mesures disciplinaires globales pour les deux allégations plutôt que d’imposer des mesures distinctes pour chacune des deux allégations établies.
Faits généraux concernant le membre visé
[88] Le membre visé était âgé de 41 ans le 1er juillet 2022. Il est né au Brésil. Il a également vécu en Angleterre pendant quatre ans alors que son père terminait son doctorat, après quoi la famille est retournée au Brésil.
[89] Le père du membre visé est ingénieur mécanicien. Sa mère est architecte. Le membre visé a un frère aîné qui vit et travaille actuellement à l’extérieur du Canada. La famille du membre visé a immigré au Canada en 1993 pour des raisons de sécurité et pour offrir aux enfants la chance d’une meilleure vie.
[90] Le membre visé a terminé ses études secondaires à Vancouver et a fait des études universitaires en biologie et en élevage laitier en Saskatchewan pendant un an et demi. Il a complété un programme de trois ans et demi en foresterie au British Columbia Institute of Technology.
[91] Le membre visé a choisi de rester dans le Lower Mainland et est devenu arboriculteur, un emploi qu’il a occupé pendant 10 ans et demi. Il utilise toujours ses compétences d’arboriculteur pour aider ses voisins et ses amis.
[92] L’arboriculture est une profession risquée, c’est pourquoi le membre visé a choisi de devenir shérif au sein du Service des shérifs de la Colombie-Britannique, à l’appui de son cheminement de carrière, lui qui désirait devenir policier depuis longtemps. Il a d’abord travaillé au Service des shérifs du Lower Mainland, avant d’être muté à Williams Lake.
[93] Le membre visé a rencontré sa femme à Williams Lake, où elle est originaire. Ils se sont mariés en 2010, mais sont maintenant divorcés. Ils ont deux enfants issus de cette union, maintenant âgés de 9 et 12 ans. Les deux enfants ont eu des problèmes de santé. Ils sont actuellement en rémission, mais ils pourraient retomber malades dans le futur.
[94] Alors qu’il travaillait au Service des shérifs, le membre visé a postulé à la GRC et sa candidature a été acceptée. Il a obtenu son diplôme de la Division Dépôt en janvier 2018. Il a été affecté à Williams Lake, où il a exercé des fonctions générales de police. En 2021, à sa demande, il a été muté à la patrouille routière de Williams Lake. Même s’il était en congé de maladie depuis décembre 2021, il y était toujours affecté au 1er juillet 2022.
Application des cinq principes fondamentaux
[95] Dans le but de moderniser la façon dont la GRC régit la conduite de ses membres, la gestion supérieure de la GRC a adopté les recommandations contenues dans le Rapport final de la phase 1 et le Rapport final de la phase 2[5], qui comprennent l’application de cinq principes fondamentaux.
[96] Le 14 novembre 2024, la GRC a présenté le Guide des mesures disciplinaires de 2024, qui est une mise à jour du Guide des mesures disciplinaires (version de novembre 2014). Le Guide des mesures disciplinaires de 2024 combine essentiellement les deux rapports mentionnés, y compris l’application des cinq principes fondamentaux, ainsi que des conseils et des directives supplémentaires pour aider les autorités disciplinaires et les comités de déontologie à imposer des mesures disciplinaires appropriées. Les comités de déontologie, y compris moi-même, appliquent ces cinq principes fondamentaux depuis la publication du Rapport final de la phase 1, il y a près de trois ans.
[97] À la section 8.2, le Rapport final de la phase 1 résume ainsi les cinq principes fondamentaux :
8.2 [...]
-
Une mesure disciplinaire doit pleinement obéir aux objectifs suivants du processus d’examen des plaintes et des [mesures] disciplinaires contre la police :
-
l’intérêt du public : il est nécessaire que la [GRC] observe des normes de conduite élevées, et que la confiance du public à l’endroit de la [GRC] soit maintenue;
-
les intérêts de [la GRC] sont liés au double rôle qu’[elle] exerce en sa qualité d’employeur responsable du maintien de l’intégrité et de la discipline en milieu de travail policier, et en sa qualité
« d’organisme public responsable de la sécurité du public »
; -
le [membre visé] a le droit d’être traité de manière équitable;
-
lorsque d’autres personnes sont touchées, les intérêts de ces personnes (par exemple, les plaignants qui sont membres du public ou les autres employés de la GRC) – sont pris en compte.
-
Les mesures correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu.
-
Il existe une présomption voulant que la mesure la moins sévère possible soit retenue, mais cette présomption est réfutée dans les cas où l’intérêt du public ou d’autres facteurs précis doivent prévaloir.
-
La proportionnalité.
-
Une norme plus rigoureuse s’applique à la conduite des policiers, comparativement aux autres employés, essentiellement parce qu’ils sont en position de confiance.
[98] J’appliquerai ces principes aux circonstances de l’affaire et en tenant compte des observations des parties.
Proportionnalité
[99] Je commence par le quatrième principe, à savoir les facteurs de proportionnalité. Il s’agit de la partie la plus technique et la plus complexe de l’application des cinq principes fondamentaux. Dans le cadre de l’analyse de proportionnalité, je dois prendre trois décisions. Tout d’abord, je dois recenser les facteurs de proportionnalité pertinents. Ensuite, je dois évaluer chaque facteur de proportionnalité recensé en tant que facteur atténuant, aggravant ou neutre. Enfin, je dois soupeser de manière appropriée les facteurs de proportionnalité afin d’imposer les mesures disciplinaires appropriées.
[100] Le Rapport final de la phase 1 contient une liste non exhaustive de 15 facteurs de proportionnalité. Le Guide des mesures disciplinaires de 2024 comprend 13 facteurs de proportionnalité distincts qui sont similaires aux 15 facteurs énumérés dans le Rapport final de la phase 1, mais formulés de manière quelque peu différente. Le libellé modifié élimine simplement certains chevauchements par rapport à la liste originale. Par conséquent, j’aborderai d’une manière ou d’une autre les 13 facteurs du Guide des mesures disciplinaires de 2024.
Intérêt public
[101] Le travail des policiers exige de ces derniers un degré élevé de jugement et d’intégrité pour favoriser la confiance du public. La nature de l’emploi exige le plus haut niveau de conduite morale des policiers, qu’ils soient ou non en service.
[102] Même en excluant ses problèmes de santé mentale, le membre visé n’a pas respecté les normes auxquelles on s’attend d’un membre de la GRC. Son comportement était soit criminel, soit de nature criminelle. J’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant.
Gravité de l’inconduite
[103] Bien que la Motor Vehicle Act prévoie des moyens administratifs pour traiter la conduite avec facultés affaiblies, celle-ci demeure une infraction criminelle grave. Le membre visé a choisi de conduire un véhicule automobile avec les facultés affaiblies à un moment où se déroulait l’événement public le plus important de Williams Lake, qui, comme je l’ai souligné, attire de nombreux visiteurs dans la ville. Il s’est rendu directement au cœur de cet important événement public et a assisté au stampede, et ce, à deux reprises. Ce faisant, il a mis le public en danger.
[104] Le membre visé a été accusé de deux infractions criminelles graves liées à l’utilisation d’une arme à feu à autorisation restreinte. Il a été condamné pour une accusation moindre dans ce qui semble être une entente négociée sur le plaidoyer. Il a eu l’avantage de ne pas se voir interdit de posséder des armes à feu, contrairement à la plupart des autres délinquants, parce qu’il est policier. Il a maintenant un casier judiciaire au Canada. Je ne peux sous-estimer la gravité de sa conduite en ce qui concerne l’arme à feu.
[105] Même si j’ai tort de conclure que le membre visé a braqué l’arme à feu sur M. J. E. et M. W. B., j’estime que le fait d’avoir commis l’infraction criminelle de posséder une arme à autorisation restreinte dans un endroit où cela n’était pas autorisé, de retirer l’arme de son étui, de l’exhiber devant M. J. E. et M. W. B. et de l’avoir dans la main tout au long de l’incident, peu importe où elle a été pointée, est très grave. M. J. E. et M. W. B. étaient légitimement intimidés et craignaient d’être abattus par la personne qui tenait l’arme.
[106] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la gravité de la conduite du membre visé constitue un facteur aggravant important.
Reconnaissance de la gravité de l’inconduite (remords)
[107] Le membre visé a exprimé des remords pour ses actes lors de son témoignage devant moi. Il comprend que ses actions ont eu des répercussions négatives sur d’autres personnes, y compris M. J. E. et M. W. B., sa famille, en particulier ses enfants, et d’autres personnes, bien qu’il n’ait pas précisé qui sont ces autres personnes. J’accepte ses excuses comme étant sincères.
[108] Il reconnaît également que sa conduite était grave. Il a accepté la responsabilité de ses actes. Son admission sans détour de l’allégation 1 et son admission d’une partie substantielle de l’allégation 2 le démontrent.
[109] Il croit fermement ne pas avoir braqué l’arme à feu sur M. J. E. et M. W. B. Il avait le droit de contester les éléments de preuve relatifs à ses actes, dont certains ont été retirés de l’avis d’audience disciplinaire pendant l’audience. Par conséquent, je ne peux pas conclure que le fait qu’une audience disciplinaire était nécessaire pour régler les questions en suspens constitue un facteur aggravant.
[110] Le membre visé a accepté ma conclusion selon laquelle il avait braqué l’arme à feu sur M. J. E. et M. W. B., ce qu’il avait contesté. Il a collaboré avec les enquêteurs sur les lieux en ce qui concerne l’infraction de conduite avec facultés affaiblies. Il s’est rendu au poste de la GRC le lendemain et a volontairement fait une déclaration aux enquêteurs au sujet de l’incident. Il a également plaidé coupable à l’accusation criminelle liée à l’arme à feu.
[111] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le membre visé éprouve des remords pour ses actes; il reconnaît la gravité de sa conduite, il a accepté la responsabilité de ses actes et il consent à y répondre. J’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité atténuant.
Invalidité et autres circonstances personnelles pertinentes
[112] En mai 2022, le membre visé a été diagnostiqué avec les quatre troubles psychologiques suivants : trouble de stress post-traumatique, trouble lié à la consommation d’alcool, trouble lié à la consommation de cannabis et trouble dépressif persistent. J’en dirai plus sur ce qui a conduit à ces diagnostics dans le facteur de proportionnalité lié à la possibilité de réforme ou de réhabilitation.
[113] J’accepte ces diagnostics. Je reconnais également que le membre visé avait [TRADUCTION] « touché le fond à ce moment de sa vie »
. Néanmoins, son état de santé ne le décharge pas de sa culpabilité relativement aux actes qu’il a commis. Je trouve inacceptable son manque de prévoyance, malgré sa situation médicale et personnelle, quant à l’impact de ses actes. Sans excuser son comportement, je conclus que son état de santé mentale au moment de cet incident est un facteur atténuant.
Provocation
[114] La provocation est un facteur de proportionnalité qui est habituellement considéré comme atténuant une mesure disciplinaire. Cependant, j’estime qu’il m’est loisible de considérer la provocation comme un facteur aggravant, particulièrement lorsque le membre visé est à l’origine d’un incident qui se transforme en inconduite grave, comme c’est le cas dans mes conclusions sur l’allégation 2.
[115] Je comprends qu’une prise de décision irrationnelle et une hypervigilance accompagnent le trouble de stress post-traumatique, mais je ne peux pas aller aussi loin que me l’a demandé la représentante du membre visé dans cette affaire. M. J. E. et M. W. B. s’étaient rendus au stampede pour profiter de la soirée alors qu’ils traversaient la ville. Ils quittaient le site du stampede pour rentrer chez eux, se mêlant de leurs propres affaires. Ils n’ont pas approché le membre visé; c’est lui qui s’est approché d’eux. En fait, rien n’indique que M. J. E. et M. W. B. se sont même aperçu de la présence du membre visé sur la route jusqu’à ce que celui-ci fasse dévier son véhicule dans leur direction et manque de les heurter. Ce n’est qu’après cela que M. J. E. a réagi comme il l’a fait. Le membre visé n’avait aucune raison de s’inquiéter du groupe de quatre hommes. J’ai entendu qu’il avait peut-être dépassé un autre groupe de quatre piétons avant de rencontrer le groupe de M. J. E. et de M. W. B. et qu’il n’avait montré aucun signe d’hypervigilance envers le groupe précédent. C’est lui qui est l’instigateur de cet incident.
[116] Le membre visé n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il s’était adressé à M. J. E. et à M. W. B. en premier lieu ni pourquoi il ne s’était pas extirpé de la situation lorsqu’il a été confronté à ce qu’il a perçu comme des gestes agressifs de M. J. E. Il pouvait s’enfuir. Il a plutôt provoqué davantage M. J. E. en brandissant l’arme à feu et en la lui montrant. Je ne serais pas saisi de cette affaire si le membre visé était simplement passé ou s’était éloigné en voiture.
[117] Il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant important.
Antécédents professionnels
[118] La représentante du membre visé a présenté ce dernier comme un excellent policier avec beaucoup de potentiel. J’estime que cela ne ressort pas de l’évaluation complète et des deux évaluations partielles qui m’ont été fournies. Dans l’ensemble, le membre visé semble avoir exercé les fonctions attendues de lui en tant que membre de la GRC, avec une aptitude pour le travail autonome en matière de circulation routière. Les évaluations comprennent des domaines à améliorer, comme toutes les évaluations de rendement le devraient. Plusieurs de ces domaines, comme la gestion du temps, sont des domaines avec lesquels de nombreux membres éprouvent des difficultés. Dans quelques autres, je n’arrivais pas à comprendre ce que disait l’évaluateur. Le membre visé a déclaré que certains des points à améliorer découlent de son manque d’estime de soi, dont il souffre depuis son enfance. J’estime qu’il s’agit d’une évaluation raisonnable de ces domaines à améliorer.
[119] Le membre visé m’a fourni 10 lettres d’appui. Aucune des personnes qui l’ont appuyé n’est membre de la GRC ni n’ont directement abordé l’exercice de ses fonctions en tant que membre de la GRC.
[120] Du point de vue du rendement, ses antécédents professionnels sont un facteur neutre.
[121] Le membre visé a déjà fait l’objet de mesures disciplinaires pour conduite déshonorante au titre de l’article 7.1 du Code de déontologie. Cela remonte à janvier 2021. Bien que les circonstances soient différentes de celles de la présente affaire, les facteurs aggravants, auxquels le membre visé a souscrit, sont similaires dans les deux cas. Par exemple :
-
la possibilité de mettre un membre du public en danger;
-
la présence d’un membre du public;
-
la possible perte de la confiance du public.
[122] Le membre visé a été clairement informé dans le compte rendu de décision de l’affaire précédente que les manquements futurs au Code de déontologie de sa part pourraient entraîner des mesures disciplinaires plus graves, y compris le congédiement. Le membre visé a reçu une réprimande dans l’affaire précédente. Cette mesure disciplinaire se voulait éducative et corrective.
[123] Il est important de noter que le membre visé a fait l’objet de deux procédures disciplinaires en un peu plus de quatre ans de service. C’est important parce que la plupart des membres de la GRC terminent leur carrière sans jamais faire l’objet d’une mesure disciplinaire.
[124] Compte tenu du fait que le membre visé a fait l’objet de deux procédures disciplinaires, toutes deux impliquant la mise en danger de membres du public, dans un laps de temps relativement court, j’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant.
Possibilité de réforme ou de réhabilitation
[125] La possibilité de réforme ou de réhabilitation est étroitement liée aux remords et aux antécédents professionnels. Le membre visé a précisé qu’il a commencé à éprouver des problèmes médicaux à l’automne 2021. Sa réponse aux allégations indique qu’il a commencé à ressentir des symptômes de trouble de stress post-traumatique à la fin de 2019 ou au début de 2020. Les appels de service et les enquêtes au travail l’affectaient. Un incident survenu en 2021 a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Cet incident a incité le membre visé à demander une mutation à la patrouille routière. Il a pris un congé de maladie le 16 décembre 2021.
[126] Je reconnais que le membre visé a suivi un traitement médical, mais que des retards et d’autres problèmes l’ont empêché de recevoir le traitement médical dont il avait besoin. Toutefois, de son propre aveu, il n’a pas poursuivi ces traitements médicaux avec assez d’ardeur.
[127] Après le 1er juillet 2022, le membre visé a reçu le traitement médical dont il avait besoin, ce qui a été facilité par le médecin-chef de la GRC et un médecin traitant. Il soutient être maintenant sur la bonne voie pour devenir la personne qu’il était et qu’il doit être.
[128] Le membre visé a été autorisé par le médecin-chef à retourner au travail graduellement le 24 février 2024. Il devait y avoir une mise à jour en juin 2024; cependant, je ne l’ai pas reçue, peut-être parce que le membre visé a été suspendu de ses fonctions à ce moment-là.
[129] Le membre visé s’est engagé à rester sobre tout au long de sa vie, conformément à une entente de plan de suivi qu’il a signée avec le médecin-chef. Il s’est également engagé à poursuivre son traitement psychologique, ce qui lui a permis de mieux comprendre son état de santé mentale et de trouver des moyens de faire face aux signes de récidive.
[130] Je le félicite pour ses efforts et ses engagements; cependant, j’ai des inquiétudes quant à sa capacité à rester sur sa voie actuelle pour plusieurs raisons.
[131] Les rapports médicaux qui m’ont été fournis n’indiquent pas si le membre visé risque de reproduire le type de comportement en cause dans les deux affaires disciplinaires dont il a fait l’objet. Les expériences qu’il a vécues au cours de son service, qui a duré d’une année et demie à deux années, ne sont pas sans rappeler celles que la plupart des membres de la GRC vivent fréquemment. S’il reprend le service actif, il continuera de faire l’objet des mêmes types d’appels de service et d’enquêtes qui l’ont affecté au cours de ses premières années de service. Je peux dire que certaines des expériences les plus traumatisantes que j’ai connues au cours de mes nombreuses années de service de police général se sont produites lorsque j’effectuais des tâches spécialisées liées à la sécurité routière.
[132] Le membre visé continuera d’être confronté aux mêmes facteurs de stress dans sa vie personnelle. Il a surmonté certains de ces défis, comme son divorce, depuis qu’il a reçu un traitement, et a pu maintenir sa sobriété. Je n’ai toutefois aucune indication de la part des professionnels de la santé qu’il sera en mesure de continuer à le faire lorsque les défis liés aux fonctions policières opérationnelles s’ajouteront à ses défis personnels.
[133] Enfin, les mesures disciplinaires antérieures du membre visé ne semblent pas avoir eu d’effet éducatif ou correctif sur lui.
[134] J’estime qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant.
Effet sur l’agent de police et sa famille
[135] Toute mesure disciplinaire que j’impose et qui implique une pénalité financière importante ou la perte d’emploi aura des répercussions négatives sur le membre visé et sa famille. Le membre visé a fait valoir que la perte de son emploi lui ferait perdre des prestations médicales, ce qui aurait une incidence sur sa capacité à fournir un traitement médical à ses deux enfants à l’avenir. Il a ajouté qu’ils étaient en rémission, mais que leur état de santé pourrait empirer à l’avenir.
[136] Le Guide des mesures disciplinaires (version 2024-1) fournit, à la page 30, les directives suivantes en ce qui concerne ce facteur de proportionnalité :
[…]
L’effet sur le membre visé (et parfois sur sa famille) en tant que considération de proportionnalité peut, dans certaines circonstances limitées, atténuer une mesure disciplinaire. Étant donné qu’une mesure disciplinaire aura toujours un effet sur le membre, la jurisprudence semble exiger un effet économique atténuant, ou un autre effet exceptionnel, pour que cette considération de proportionnalité soit pertinente.
[…]
[137] Je ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel une pénalité financière importante ou la perte d’emploi aura un effet économique atténuant ou un autre effet exceptionnel sur le membre visé. Je ne dispose pas non plus d’éléments de preuve quant à l’incidence qu’une perte d’emploi pourrait avoir sur la perte de prestations médicales, que ce soit pour lui-même ou pour sa famille.
[138] De plus, je note que le membre visé reçoit une pension pour raisons médicales d’Anciens Combattants Canada depuis le 10 février 2024. Par conséquent, aussi sévère que cela puisse paraître, je suivrai les directives fournies dans le Guide des mesures disciplinaires de 2024, qui s’appuie sur la common law; je considère donc que ce facteur de proportionnalité n’est pas pertinent.
Parité (uniformité des décisions)
[139] La parité des sanctions s’intéresse à l’uniformité des décisions. Bien que je ne sois pas nécessairement lié par les cas précédents, une comparaison de cas similaires est essentielle pour arriver à une décision appropriée.
[140] L’autorité disciplinaire a présenté trois décisions de comités de déontologie de la GRC, une décision de la Cour fédérale relative au processus disciplinaire de la GRC et deux autres décisions judiciaires dans des affaires ne relevant pas de la GRC. Le membre visé m’a présenté cinq décisions de comités de déontologie de la GRC et une décision d’un tribunal pénal concernant un membre de la GRC. Quatre des cinq décisions de comités de déontologie de la GRC fournies par le membre visé comprenaient des recommandations conjointes des parties sur les mesures disciplinaires. Toutes concernaient également un membre visé souffrant de problèmes de santé mentale.
[141] J’admets l’utilité des cas comprenant des recommandations conjointes pour établir l’éventail des mesures disciplinaires possibles, mais cette valeur est limitée parce qu’il existe très peu de circonstances où un comité de déontologie peut refuser d’accepter les mesures disciplinaires proposées. Les comités de déontologie ne rejetteront pas une recommandation conjointe des parties, sauf si elle est contraire à l’intérêt public. Dans les cas de faute professionnelle, l’objectif premier et fondamental est de maintenir la confiance du public dans l’intégrité de la profession et dans la capacité des corps professionnels d’encadrer efficacement leurs membres.
[142] Le processus disciplinaire actuel de la GRC est entré en vigueur à la fin novembre 2014. La mise en œuvre du nouveau processus était accompagnée du Guide des mesures disciplinaires de 2014, qui reposait largement sur les cas disciplinaires relevant de l’ancien régime disciplinaire. Ceux-ci ont fourni peu d’orientation ou d’aide aux comités de déontologie dans le cadre du processus actuel, et ce, pour un certain nombre de raisons qui ne sont pas pertinentes dans le cadre de la présente affaire.
[143] Les décisions de comités de déontologie de la GRC présentées par le membre visé s’échelonnent de 2017 à 2022. Au cours de cette période, les comités de déontologie étaient encore saisis de cas disciplinaires sous l’ancien régime, qui ne s’appuyaient pas sur un grand nombre de décisions de comités de déontologie dans le cadre du processus actuel. L’une des lacunes relevées dans le Rapport final de la phase 1 était que les décisions des comités de déontologie reposaient trop sur les décisions en matière disciplinaire prises par la GRC et tenaient peu compte des décisions en matière de faute professionnelle prises par d’autres services de police ou les tribunaux. Depuis la publication du Rapport final de la phase 1 en février 2022, les comités de déontologie ont modifié leur approche pour s’aligner sur les recommandations du Rapport final de la phase 1, du Rapport final de la phase 2 subséquent et maintenant du Guide des mesures disciplinaires de 2024. Aux fins des mesures disciplinaires, ces rapports mettent l’accent sur l’intérêt public. Bien que les comités de déontologie, dans les cas qui m’ont été fournis, aient tenu compte de l’intérêt public, ils ne lui ont pas accordé la primauté qu’il a aujourd’hui lorsqu’il s’agit de cas impliquant des membres ayant des problèmes de santé mentale.
[144] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’aucun des cas qui m’ont été fournis par l’une ou l’autre des parties ne m’aide en l’espèce. Par conséquent, il s’agit d’un facteur de proportionnalité neutre.
Dissuasion spécifique et générale
[145] J’estime qu’il est nécessaire en l’espèce d’aborder à la fois la dissuasion spécifique et la dissuasion générale.
[146] Les deux allégations se rapportent à une inconduite grave criminelle ou de nature criminelle. Le membre visé a déjà un dossier disciplinaire, mais il semble n’en avoir tiré que peu de leçons sur ses responsabilités en tant que membre de la GRC. Par conséquent, il faut lui envoyer personnellement un message fort.
[147] J’estime également que je dois dénoncer fermement la conduite du membre visé pour m’assurer que d’autres membres de la GRC puissent réfléchir sérieusement à leurs actes, qu’ils soient ou non en service, particulièrement lorsque ces actes impliquent une inconduite grave criminelle ou de nature criminelle.
[148] À mon avis, la nécessité de viser la dissuasion spécifique et la dissuasion générale en l’espèce constitue un facteur de proportionnalité aggravant.
Confiance du public envers les services de police
[149] Le Guide des mesures disciplinaires de 2024 est ainsi libellé aux pages 30 et 31 :
[…]
Cette considération de proportionnalité concerne principalement l’objectif du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police, qui consiste à protéger les intérêts de l’employeur. La jurisprudence a interprété le terme « dommage » comme englobant à la fois le préjudice causé à la réputation découlant de l’inconduite initiale et le préjudice qui serait causé à la réputation du corps policier si le membre visé devait demeurer membre. Un décideur peut également déduire légalement les dommages causés au public et aux relations avec d’autres organismes.
[…]
[150] Bien que je ne dispose d’aucun élément de preuve quant à l’étendue des dommages causés à la réputation de la GRC, d’après les conclusions relatives aux allégations, je peux affirmer sans crainte que les actions du membre visé peuvent contribuer à une perte de confiance du public envers la GRC.
[151] M. J. E. et M. W. B. ont témoigné de leur perte de confiance non seulement dans la GRC, mais aussi dans les services de police en général. Ils m’apparaissaient comme des membres ordinaires de la société qui travaillent dur. Je crois qu’ils sont représentatifs d’une partie importante de la population canadienne.
[152] De plus, Williams Lake est une petite ville. Le membre visé a comparu devant la cour provinciale de Williams Lake avec d’autres membres du public qui ont des rapports avec la police. Tous ceux qui comparaissent devant un tribunal pénal s’y trouvent parce qu’ils ont trahi la confiance de la société. Un membre de la GRC qui jouit d’un niveau de confiance supérieur du public et qui comparaît devant un tribunal pénal de la collectivité qu’il dessert ne peut que miner la confiance du public à l’égard de la GRC localement, voire au-delà de la collectivité dans laquelle l’inconduite a été commise.
[153] De plus, cet incident s’est produit lors d’un événement important pour la ville de Williams Lake. Comme je l’ai dit, le stampede attire de nombreux visiteurs dans la ville. Selon la preuve qui m’a été présentée, deux jours après cet incident, une fusillade s’est produite sur le site du stampede. Les clients portant une arme à feu peuvent avoir une incidence néfaste sur des événements tels que le stampede. Le fait qu’un membre des forces de l’ordre locales ait été trouvé, en dehors de ses heures de travail, en possession illégale d’une arme à autorisation restreinte sur le même site du stampede pourrait aggraver l’effet néfaste de la fusillade proprement dite.
[154] Je n’ai pas entendu que la condamnation criminelle du membre visé a attiré l’attention des médias, mais je suis sûr que c’est le cas. Un incident comme celui-là constitue un événement dans une petite communauté. Les décisions de comités de déontologie sont publiées sur le site Web de la GRC, ce qui permet de diffuser l’incident au public à plus grande échelle. Plus le public est au fait de l’inconduite d’un membre de la GRC, plus il est probable que cette inconduite mine la confiance du public à l’égard de la GRC. Je conclus donc qu’il s’agit d’un facteur de proportionnalité aggravant.
Conclusion sur les facteurs de proportionnalité
[155] J’ai constaté plusieurs facteurs aggravants, notamment l’intérêt public, la gravité de l’inconduite, la provocation, les antécédents professionnels, la possibilité de réforme ou de réhabilitation, la dissuasion spécifique et générale et la confiance du public envers la GRC. Ces facteurs sont aggravants à divers degrés. Plusieurs le sont à un degré très élevé.
[156] J’ai également constaté deux facteurs atténuants, notamment la reconnaissance par le membre visé de la gravité de son inconduite, c’est-à-dire ses remords, et ses problèmes de santé mentale liés à ses fonctions.
[157] La parité des sanctions était le seul facteur de proportionnalité neutre.
[158] Trois facteurs de proportionnalité compris dans le Guide des mesures disciplinaires de 2024 ne sont pas pertinents en l’espèce. Il s’agit de l’effet sur l’agent de police et sa famille, des considérations relatives à l’équité procédurale et de la contribution de l’employeur à l’inconduite.
[159] En soupesant les facteurs aggravants et atténuants, je conclus que les facteurs aggravants l’emportent largement sur les facteurs atténuants en l’espèce.
Respect des objectifs de la partie IV de la Loi sur la GRC
[160] Comme je l’ai déjà mentionné, le premier principe fondamental est que les mesures disciplinaires doivent être conformes aux objectifs du processus d’examen des plaintes et des mesures disciplinaires de la GRC, qui se trouvent dans la partie IV de la Loi sur la GRC. L’article 36.2 de la Loi sur la GRC énonce les objectifs de la partie IV qui, de façon générale, vise à répondre à quatre intérêts particuliers :
-
l’intérêt public;
-
les intérêts de la GRC à titre d’employeur et d’organisme public;
-
l’intérêt du membre à être traité équitablement;
-
les intérêts des personnes touchées.
[161] Mon rôle consiste à trouver un équilibre entre ces intérêts divergents afin d’en arriver aux mesures disciplinaires appropriées, à la lumière des quatre principes fondamentaux.
Intérêt public
[162] Le public a intérêt à ce que les membres de la GRC fassent preuve du plus haut niveau d’intégrité et de moralité, qu’ils soient ou non en service. Par conséquent, l’inconduite d’un membre est toujours une question d’intérêt public, car elle a une incidence sur la confiance du public envers la GRC. Le membre visé n’a pas été à la hauteur de ces attentes. Il a commis une infraction criminelle grave impliquant la possession d’une arme à feu à autorisation restreinte et la conduite d’un véhicule automobile avec les facultés affaiblies, ce qui aurait entraîné une accusation criminelle n’eût été l’existence d’un autre processus administratif en Colombie-Britannique. Ces infractions ont mis en danger le public. L’incident impliquant une arme à feu a directement touché deux membres du public. De plus, le membre visé n’a pas respecté les valeurs fondamentales de la GRC et a causé une perte de confiance envers son employeur et la collectivité.
[163] Le public reconnaît également que les agents de police sont exposés à des événements stressants et traumatisants dans le cadre de leurs fonctions, ce qui peut avoir une incidence sur leur bien-être. Par conséquent, l’intérêt public plaide également en faveur d’une approche compatissante à l’égard d’un policier dont la santé est affectée par ses fonctions, comme c’est le cas du membre visé.
[164] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier de la gravité des actes posés par le membre visé, je conclus que l’intérêt public à maintenir la confiance du public envers la GRC l’emporte sur l’intérêt public à appuyer une approche compatissante à l’égard des problèmes de santé mentale liés aux fonctions du membre visé.
Intérêts de la GRC
[165] Les intérêts de la GRC sont liés à son double rôle en tant qu’employeur et organisme public. En tant qu’employeur, la GRC est responsable du maintien de l’intégrité et de la discipline en milieu de travail. Pour ce faire, la GRC doit traiter sévèrement les cas d’inconduite grave des membres. Des cas aussi graves que celui en l’espèce nécessiteront souvent le retrait permanent du membre du lieu de travail.
[166] En tant qu’organisme public, la GRC est responsable de la sécurité du public. Les actions du membre visé allaient à l’encontre de la responsabilité de son employeur. Non seulement le membre visé a omis de protéger la sécurité du public, mais il l’a également mise en danger en conduisant un véhicule automobile avec les facultés affaiblies, en ayant en sa possession une arme à feu à autorisation restreinte dans un endroit où il n’y était pas légalement autorisé et en brandissant cette arme en direction de deux membres du public.
[167] Les circonstances de la présente affaire mettent en doute la capacité morale du membre visé à s’acquitter de ses fonctions de policier. Comme il est indiqué à la page 24 du Guide des mesures disciplinaires de 2024, « [b]ien que le potentiel de réadaptation soit une considération importante, il ne peut pas l’emporter sur le droit de mettre fin à un emploi lorsque l’abus de confiance est au cœur de la relation employeur-employé ». Le membre visé a abusé de la confiance de son employeur. Or, l’abus de confiance est au cœur de la relation employeur-employé. Cela nécessite l’imposition de mesures disciplinaires graves, qui incluent la perte d’emploi.
Intérêt du membre visé
[168] L’intérêt du membre visé dans la présente affaire est d’être traité équitablement. Il a été représenté par une conseillère juridique tout au long de cette affaire disciplinaire et a bénéficié de tous les aspects de l’équité procédurale prévus dans le processus disciplinaire de la GRC, y compris la capacité de répondre aux allégations. Il aura encore la possibilité d’interjeter appel de mes conclusions sur les allégations et des mesures disciplinaires que j’aurai imposées une fois que la présente décision définitive écrite lui aura été signifiée.
Intérêts des personnes touchées
[169] M. J. E. et M. W. B. m’ont fait part de l’incidence que les actions du membre visé ont eue sur eux, mais je n’ai pas entendu parler de leurs intérêts particuliers.
[170] Selon M. J. E., il fait maintenant preuve d’une méfiance générale, parce qu’il craint toujours que d’autres personnes qu’il rencontre portent une arme dissimulée. Il a dit qu’il connaît de bons policiers, mais que les actions du membre visé [TRADUCTION] « portent atteinte à beaucoup d’entre eux »
. Il a été contrarié lorsqu’il a appris que le membre visé était toujours membre de la GRC, mais il était heureux qu’il ait au moins été suspendu.
[171] M. W. B. était extrêmement inquiet à l’idée que quelqu’un, en particulier M. J. E., allait être abattu sans raison cette nuit-là. Il craignait sincèrement pour sa vie. Lorsqu’il a appris que le membre visé était policier, il a [TRADUCTION] « perdu toute confiance en la société »
.
[172] Les témoignages de M. J. E. et de M. W. B. me démontrent que les actes du membre visé ont eu des effets préjudiciables non seulement sur la GRC, mais aussi sur des institutions plus larges de la société, y compris la police en général.
[173] D’après leurs commentaires, je crois pouvoir raisonnablement déduire que leur intérêt serait que le membre visé perde son emploi.
Primauté des mesures disciplinaires éducatives et correctives
[174] Au titre de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, j’ai l’obligation d’imposer « des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».
[175] La gravité de l’inconduite et les considérations d’intérêt public rendent inappropriée l’imposition de mesures éducatives et correctives en l’espèce. Le comportement du membre visé est un facteur aggravant important. L’intérêt public favorise l’imposition de mesures disciplinaires graves. Ensemble, ces considérations appuient fortement la perte d’emploi. Le facteur atténuant de la détérioration de l’état mental du membre visé, qui a contribué à ses actes, n’empêche pas la prise de mesures disciplinaires graves, y compris la perte d’emploi.
Présomption de la mesure la moins sévère
[176] Lorsque plusieurs mesures disciplinaires sont appropriées, la présomption de la disposition la moins sévère devrait prévaloir. Cette présomption peut être écartée si la confiance du public dans l’administration du processus disciplinaire de la GRC ou l’efficacité organisationnelle de la GRC est compromise.
[177] Je suis d’avis que cette présomption est déplacée en l’espèce. À elles seules, les actions du membre en cause mineraient à la fois la confiance du public dans l’administration du processus disciplinaire de la GRC et l’efficacité organisationnelle de la GRC si le membre en question était autorisé à poursuivre sa carrière à la GRC.
Attente d’une norme de conduite plus élevée pour les policiers
[178] Le Guide des mesures disciplinaires de 2024 indique ceci à la page 31 : « La loi indique clairement qu’une norme de conduite plus élevée s’applique aux agents de police, comparativement aux autres employés, principalement parce que la police occupe un poste de confiance et d’autorité. »
[179] La conduite du membre visé n’a pas correspondu à l’image exemplaire et à l’intégrité nécessaires pour exercer les fonctions de policier. Sa conduite a gravement terni l’image de la GRC et a causé une perte de confiance et de respect du public à l’égard de la GRC et des services de police en général. Les facteurs témoignent de la nécessité d’imposer des mesures disciplinaires importantes, y compris la perte d’emploi. Encore une fois, cela est quelque peu tempéré par le fait que la blessure de stress opérationnel liée aux fonctions du membre visé a joué un rôle dans ses actions.
Décision sur les mesures disciplinaires
[180] J’estime que les mesures disciplinaires que j’impose doivent être importantes pour être proportionnelles à la conduite du membre visé. Tout au long de cette décision, j’ai affirmé que la perte d’emploi est une mesure disciplinaire globale appropriée.
[181] Compte tenu des circonstances de l’espèce, en particulier de la gravité de l’inconduite combinée aux autres facteurs aggravants, je conclus que l’intérêt public appuie l’imposition de mesures disciplinaires entraînant la perte d’emploi. Deux options s’offrent à moi à cet égard. La première est de carrément congédier le membre visé. La seconde est de lui donner l’ordre de démissionner de la Gendarmerie dans un délai de 14 jours, faute de quoi il sera congédié.
[182] Si l’on ne tient pas compte des facteurs atténuants que sont la reconnaissance par le membre visé de son inconduite et ses problèmes de santé mentale liés à ses fonctions, l’intérêt public exige son congédiement pur et simple. Toutefois, si l’on en tient compte, je ne crois pas qu’il y ait atteinte à l’intérêt public en ordonnant au membre visé de démissionner de la Gendarmerie. La principale considération est qu’il ne sera plus membre de la GRC. Compte tenu de ce qui précède, j’ordonne au membre visé de démissionner de la Gendarmerie dans un délai de 14 jours, faute de quoi il sera congédié, conformément à l’alinéa 45(4)b) de la Loi sur la GRC.
DÉCISION
[183] J’estime que l’autorité disciplinaire a établi les deux allégations de conduite déshonorante au titre de l’article 7.1 du Code de déontologie. J’ai ordonné au membre visé de démissionner de la Gendarmerie dans un délai de 14 jours, faute de quoi il sera licencié.
[184] Je rappelle aux personnes qui ont reçu une copie de la présente décision qu’elles ont l’obligation de traiter ces renseignements de façon appropriée, conformément aux politiques et aux lois applicables régissant le traitement des renseignements personnels.
[185] L’une ou l’autre des parties peut faire appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au membre visé, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.
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Le 22 juillet 2025 |
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Kevin L. Harrison Comité de déontologie |
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[1] Cahier de divulgation des représentants de l’autorité disciplinaire – gendarme Castro, à la page 130, aux lignes 59 et 60.
[2] R c. Johns, 1995 CarswellAlta 979, au paragraphe 22; R c. Minish, 1984 CarswellSask 639, au paragraphe 8; R c. Phillips, 2009 CanLII 2922 (CS Ont.), au paragraphe 73.
[3] Code de déontologie de la GRC, à l’article 1.
[4] Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 SCC 14, au paragraphe 43.
[5] Paul Ceyssens et W. Scott Childs, Phase I – Rapport final concernant les mesures disciplinaires et l’imposition de mesures disciplinaires en cas d’inconduite à caractère sexuel au titre de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (24 février 2022) [Rapport final de la phase 1]. Paul Ceyssens et W. Scott Childs, Rapport final de « Phase 2 » concernant les mesures disciplinaires et les questions connexes en vertu de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (31 janvier 2023) [Rapport final de la phase 2].