Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Un avis d’audience disciplinaire contenant une allégation de contravention à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC a été signifié au gendarme Shaun Miranda. Il est accusé d’avoir embrassé de force la plaignante sans son consentement et d’avoir fait des commentaires inappropriés de nature sexuelle à une autre collègue, ce qui constitue une conduite déshonorante si l’allégation est établie.
Le 21 août 2025, après avoir entendu six témoins, y compris le gendarme Miranda, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision, dans laquelle il indique que l’allégation est établie.
Le 22 août 2025, le Comité de déontologie a rendu sa décision de vive voix sur les mesures disciplinaires, dans laquelle il ordonnait au gendarme Miranda de démissionner dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.

Contenu de la décision

Ordonnance de non-publication : Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la plaignante et du gendarme X dans la présente décision.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

dans l’affaire d’une

audience disciplinaire tenue en vertu de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10

Entre :

l’autorité disciplinaire désignée pour la Division E

(Autorité disciplinaire)

et

le gendarme Shaun Miranda

Numéro de matricule 64056

(Membre visé)

 

Décision du Comité de déontologie

John MacLaughlan et Amie Watson

(Représentants de l’autorité disciplinaire)

Danielle Ching McNamee

(Représentante du membre visé)

COMITÉ DE DÉONTOLOGIE : Colin Miller

DATE : 9 septembre 2025

 


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 2

INTRODUCTION 2

Ordonnance de non-publication 3

ALLÉGATION 4

Norme de preuve 6

Crédibilité et fiabilité 7

Caporale A.F. 8

Gendarme D.A. 8

Gendarme D.R. 8

Gendarme X 9

Plaignante 10

Gendarme Miranda 11

Analyse 12

Identité du membre 13

Actes constituant le comportement allégué 13

Probabilité que le comportement discrédite la GRC 21

Actes liés aux fonctions et aux responsabilités de la GRC et la nécessité de discipliner le membre 23

Décision sur l’allégation 23

MESURES DISCIPLINAIRES 23

Évaluation des mesures disciplinaires appropriées 26

Respect des objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police 27

Proportionnalité 29

Attentes du public 33

Prévalence des mesures disciplinaires éducatives et correctives et présomption de la mesure la moins sévère 33

Décision relative aux mesures disciplinaires 35

DÉCISION 35

 

RÉSUMÉ

Un avis d’audience disciplinaire contenant une allégation de contravention à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC a été signifié au gendarme Shaun Miranda. Il est accusé d’avoir embrassé de force la plaignante sans son consentement et d’avoir fait des commentaires inappropriés de nature sexuelle à une autre collègue, ce qui constitue une conduite déshonorante si l’allégation est établie.

Le 21 août 2025, après avoir entendu six témoins, y compris le gendarme Miranda, le Comité de déontologie a rendu de vive voix sa décision, dans laquelle il indique que l’allégation est établie.

Le 22 août 2025, le Comité de déontologie a rendu sa décision de vive voix sur les mesures disciplinaires, dans laquelle il ordonnait au gendarme Miranda de démissionner dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.

INTRODUCTION

[1] Le 18 décembre 2023, la gendarme D.A. a signalé que la plaignante, une nouvelle employée au détachement, avait été agressée sexuellement par le gendarme Shaun Miranda le 24 novembre 2023.

[2] Le 21 décembre 2023, conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R‑10 [Loi sur la GRC], une enquête relative au code de déontologie de la GRC sur les agissements du gendarme Miranda a été ordonnée. La lettre de mandat d’enquête en déontologie a été signifiée au gendarme Miranda le 8 janvier 2024[1].

[3] Le 24 septembre 2024, l’autorité disciplinaire a signé un avis à l’officier désigné pour demander la tenue d’une audience disciplinaire. Le 9 octobre 2024, j’ai été nommé au Comité de déontologie, en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[4] L’avis d’audience disciplinaire a été signé par l’autorité disciplinaire le 24 décembre 2024 et signifié au gendarme Miranda le 3 janvier 2025, en même temps que le dossier d’enquête.

[5] Le 18 mars 2025, le gendarme Miranda a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Il a admis certains des détails, mais a nié l’allégation.

[6] Le 18 août 2025, l’audience disciplinaire a commencé.

[7] Les 21 et 22 août 2025 respectivement, après avoir entendu six témoins, y compris le gendarme Miranda, j’ai rendu de vive voix ma décision concernant l’allégation et ma décision concernant les mesures disciplinaires.

[8] La présente décision écrite intègre et approfondit ces décisions rendues de vive voix.

Ordonnance de non-publication

[9] En vertu de l’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, j’ordonne que soit interdite la publication ou la diffusion, de quelque façon que ce soit, de tout renseignement qui pourrait permettre d’établir l’identité de la plaignante ou du gendarme X.

[10] L’allégation et les détails ont été modifiés pour respecter l’ordonnance de non-publication.

[11] Au début de l’audience disciplinaire, les représentants de l’autorité disciplinaire ont exprimé le désir de la caporale A.F. de faire en sorte que l’ordonnance de non-publication s’applique à elle également. Ils ont souligné la nature sexuelle et dénigrante du commentaire que le gendarme Miranda aurait fait à son endroit. La représentante du membre visé a fait valoir que, puisque la caporale A.F. n’était pas une victime, il s’agirait d’une interdiction discrétionnaire, ce qui diluerait l’importance de son imposition.

[12] En soulignant la réaction de la caporale A.F. relativement au commentaire du gendarme Miranda – c’est-à-dire qu’elle s’en souvenait à peine et qu’elle n’en avait pas fait grand cas, comme elle le mentionne dans sa déclaration – j’ai refusé d’étendre l’ordonnance de non-publication de manière à protéger son identité.

ALLÉGATION

[13] L’avis d’audience disciplinaire indique ce qui suit :

Allégation 1 : Le ou vers le 24 novembre 2023, à [caviardé] ou à proximité, dans la province de la Colombie‑Britannique, le gendarme Shaun Miranda s’est conduit de façon déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC.

Détails de l’allégation 1

1. Durant la période en question, [le gendarme Miranda] était membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le ou vers le [24 novembre 2023], à ou près de la ville de [caviardé] dans la province de la Colombie-Britannique, [le gendarme] Miranda a assisté à une fête de Noël pour le personnel, qui avait lieu à la résidence du [gendarme D.R.] et de la [gendarme D.A.].

3. [La plaignante] a assisté à la fête susmentionnée avec son fiancé, [le gendarme X]. [Le gendarme Miranda] était au courant de leur relation.

4. Au cours de la soirée, [le gendarme] Miranda a observé [la plaignante] sortir de la salle de bain au sous-sol. À ce moment-là, [le gendarme] Miranda a repoussé [la plaignante] dans la salle de bain et l’a embrassée de force. [Le gendarme] Miranda a mis sa langue dans la bouche de [la plaignante].

5. Le contact physique [du gendarme] Miranda avec [la plaignante] n’était pas voulu et pas approprié.

6. [Le gendarme] Miranda a assumé les rôles de barman et de conducteur désigné pour d’autres personnes assistant à la fête ce soir-là.

7. [Le gendarme] Miranda a consommé de l’alcool ce soir-là.

8. À maintes reprises pendant la soirée, [le gendarme] Miranda a fourni des boissons alcoolisées à [la plaignante].

9. [Le gendarme] Miranda a également fourni à la [caporal A.F.], qui était également à la fête, au moins une boisson alcoolisée ce soir-là.

10. [La gendarme H.D.] – la conjointe du [gendarme] Miranda – travaillait ce soir-là, mais s’est arrêtée à la fête et a fourni [au gendarme] Miranda un appareil de détection approuvé. [Le gendarme] Miranda avait un taux d’alcoolémie d’environ 40 mg d’alcool par 100 ml de sang.

11. [Le gendarme] Miranda a ramené les personnes suivantes chez elles après la fête :

• [la caporale A.F.]

• [le gendarme X]

• [la plaignante]

• [le gendarme I. P-L.]

• [M. G.L. et Mme C.L.]

12. Pendant ce trajet en véhicule, [le gendarme X] a demandé [au gendarme] Miranda s’il allait déposer [la caporale A.F.] chez elle en premier. [Le gendarme] Miranda a répondu [traduction] « [la caporale A.F.] peut revenir [caviardé] avec nous; je pourrai peut-être même avoir une pipe sur le chemin de retour », ou quelque chose de similaire.

13. [Le gendarme] Miranda a par la suite admis avoir fait ce commentaire, en ajoutant qu’en ce qui concerne ce type de commentaire, [traduction] « c’est un commentaire que j’ai dû faire une centaine de fois à [la caporale A.F.] ».

14. Lorsque [la plaignante] et [le gendarme X] sont retournés chez eux, la plaignante a divulgué les gestes inappropriés [du gendarme] Miranda pendant la fête.

15. Dans les semaines qui ont suivi, [le gendarme] Miranda a croisé [la plaignante] dans un contexte de travail et a initié d’autres contacts physiques non désirés avec elle. Il lui a notamment tapoté le bras et a tiré sur son gilet et/ou sa tenue de travail.

16. Le ou vers le [16 décembre 2023], vers 20 h 30, [le gendarme] Miranda était assis dans un véhicule de police dans le parc de stationnement « well » du Détachement de la GRC de [caviardé]. [Le gendarme X] l’a confronté au sujet de l’incident survenu à la fête.

17. Au cours de cet échange du 16 décembre, [le gendarme] Miranda a fait valoir [au gendarme X] ce qui suit :

• il est entré dans la salle de bain avec [la plaignante];

• il l’a [traduction] « prise de côté »;

• il s’inquiétait d’une dispute perçue entre [le gendarme X] et [la plaignante];

• il a embrassé [la plaignante] sur la joue;

• il ne consommait pas d’alcool et était sobre; et

• [la plaignante] [traduction] « ne se faisait pas prier ce soir-là ».

18. [Le gendarme X] a enregistré l’échange susmentionné. Cet enregistrement a plus tard été obtenu dans le cadre d’un mandat délivré en vertu de la Loi sur la GRC.

19. Lorsque [le gendarme X] a demandé [au gendarme] Miranda pourquoi il avait embrassé [la plaignante], [le gendarme] Miranda a répondu que [traduction] « elle se donnait volontiers » et qu’il essayait de la rendre [traduction] « moins mal à l’aise avec la situation ».

20. [Le gendarme] Miranda s’est comporté d’une manière qui est susceptible de discréditer la GRC, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC.

Norme de preuve

[14] Le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC exige l’application de la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » au moment de se prononcer sur les contraventions alléguées au code de déontologie. Il faut déterminer si, selon toute vraisemblance, les actes ou les omissions allégués ont été commis.

[15] La Cour suprême du Canada énonce les directives suivantes :

[46] […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités […][2]. [Caractères gras ajoutés]

Crédibilité et fiabilité

[16] À l’étape des allégations de l’audience disciplinaire, j’ai entendu le témoignage de la caporale A.F, de la gendarme D.A, du gendarme D.R., du gendarme X, de la plaignante et du gendarme Miranda. Au moment d’évaluer les éléments de preuve selon la prépondérance des probabilités, il faut tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve et les utiliser pour tirer des conclusions sur la crédibilité. Dans la présente affaire, les conclusions concernant la crédibilité et la fiabilité sont déterminantes quant à l’issue.

[17] À ce sujet, la Cour suprême du Canada déclare ce qui suit :

[86] […] [la] conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie[3].

[18] Bien que je me sois appuyé sur des cas de jurisprudence[4], je crois que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique résume bien les principes au moment d’évaluer la crédibilité et la fiabilité :

[…]

[traduction] La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que rapporte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. Ce n’est qu’ainsi que le tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la déposition des témoins expérimentés, confiants et vifs d’esprit tout autant que le témoignage des personnes habiles qui manient avec facilité les demi-vérités et qui ont acquis une solide expérience dans l’art de combiner les exagérations habiles avec la suppression partielle de la vérité. […] [Caractères gras ajoutés][5]

Caporale A.F.

[19] La caporale A.F. a assisté à la fête avec le gendarme Miranda et travaille au même détachement. Lorsqu’elle a donné son témoignage, je l’ai trouvée crédible et généralement fiable. À certains moments pendant son témoignage, elle avait du mal à se souvenir de certains éléments ou avait besoin d’indices pour répondre, étant donné qu’elle avait consommé de l’alcool pendant la fête. Cependant, elle a témoigné avec franchise. Par conséquent, j’accepte son témoignage concernant les événements dont elle a été témoin pendant la fête et pendant le trajet de retour à la maison.

Gendarme D.A.

[20] La gendarme D.A. travaille également au même détachement que le gendarme Miranda. Elle et son conjoint, le gendarme D.R., étaient les hôtes de la fête où l’agression sexuelle présumée a eu lieu. J’ai trouvé son témoignage crédible et fiable. Elle était émotive lorsqu’elle donnait son témoignage et a parlé de ses obligations à titre de policière, qui l’ont obligée à signaler l’incident allégué. En outre, elle a parlé des attentes envers tous les policiers et du sentiment de violation qu’elle a éprouvé, sachant que l’incident a eu lieu dans sa demeure. J’ai trouvé son témoignage honnête et sincère. Par conséquent, j’accepte son témoignage.

Gendarme D.R.

[21] Le gendarme D.R. était hôte de la fête, avec son épouse, la gendarme D.A., et était un ami très proche du gendarme Miranda. J’estime que le gendarme D.R. est un témoin crédible et fiable. Il a parlé des événements généraux de la soirée, puisqu’il n’avait pas été témoin des incidents constituant le fondement de l’allégation en cause. Il a parlé de l’information qu’il avait obtenue de la gendarme D.A., du gendarme X et de la plaignante au sujet de l’agression sexuelle alléguée. Il a également parlé de sa relation avec le gendarme Miranda et a mentionné qu’ils étaient proches au point de le considérer comme un frère.

[22] Le gendarme D.R. a témoigné de façon directe, mais parfois, je trouvais qu’il se montrait argumentatif avec la représentante du membre visé. Néanmoins, son témoignage était conforme à celui des autres témoins et n’a pas été embelli. Ainsi, j’accepte son témoignage.

Gendarme X

[23] La représentante du membre visé a affirmé que le gendarme X, le fiancé de la plaignante, n’était pas un témoin fiable parce qu’il manquait de crédibilité. Elle a mentionné la nature subreptice de l’enregistrement qu’il a pris lorsqu’il a confronté le gendarme Miranda et du fait qu’il a omis de divulguer l’existence de cet enregistrement à l’enquêteur disciplinaire. Elle a suggéré que c’était une tentative, par le gendarme X, de contrôler le récit.

[24] La représentante du membre visé a également mis l’accent sur l’omission du gendarme X à signaler l’agression sexuelle présumée, en soulignant le fait que ses fonctions l’auraient obligé à le faire. Elle a comparé sa réaction à cet égard à celle de la gendarme D.A. Selon elle, le gendarme X n’avait pas signalé l’incident dans la salle de bain parce que l’incident n’avait tout simplement pas eu lieu.

[25] De façon générale, j’ai constaté que le gendarme X a témoigné de façon directe. Il a lui aussi parlé de sa relation étroite avec le gendarme Miranda et du sentiment de trahison qu’il a ressenti en apprenant le comportement du gendarme Miranda à l’égard de la plaignante. Bien que j’accepte qu’il n’ait pas divulgué l’enregistrement plus tôt parce qu’il l’a fait pour se protéger et non pour l’utiliser comme élément de preuve, sa suggestion selon laquelle il n’a pas initialement reconnu la pertinence de l’enregistrement pour le processus disciplinaire semble peu probable.

[26] En ce qui concerne son omission de signaler l’agression sexuelle présumée, j’ai conclu que ses explications quant à l’évaluation des intérêts de sa fiancée, qui ne voulait pas que l’incident soit signalé, par rapport à son obligation envers la GRC de faire le signalement semblaient logiques.

[27] En contre-interrogatoire, j’ai trouvé qu’il était un peu sec dans ses réponses : il ne fournissait que des réponses courtes et directes aux questions posées. Néanmoins, sa version des faits a été corroborée par d’autres témoins ou par l’enregistrement. Par conséquent, j’ai trouvé qu’il était crédible et fiable

Plaignante

[28] La plaignante n’est pas une membre de la GRC; elle relève d’une autre catégorie d’employés. Elle venait de commencer à travailler au détachement au moment où l’agression sexuelle présumée s’est produite. Elle a assisté à la fête organisée par les gendarmes D.A. et D.R. avec son fiancé, le gendarme X.

[29] La représentante du membre visé a soulevé deux questions précises concernant le témoignage de la plaignante. Premièrement, la représentante a soutenu que la plaignante ne peut être crue parce qu’elle n’est pas fiable. La représentante du membre visé a affirmé qu’en raison du niveau d’intoxication de la plaignante et des admissions qu’elle a faites en ce qui concerne les effets atténuants de l’alcool, son témoignage n’est pas fiable, même si elle tentait d’être honnête.

[30] Deuxièmement, la représentante du membre visé a suggéré que les événements racontés par la plaignante ont été contaminés par inadvertance par ses conversations avec d’autres personnes. Elle a soutenu que, en parlant des détails avec les gendarmes D.A, D.R. et X, la plaignante pourrait avoir adopté les dires de ces derniers, comme la référence à la langue du gendarme Miranda, ce qui a mené à une collusion par inadvertance.

[31] Par conséquent, la représentante du membre visé a soutenu que le témoignage de la plaignante devrait être rejeté.

[32] En ce qui concerne la plaignante, j’ai conclu que son témoignage était crédible; cependant, certaines questions quant à la fiabilité sont ressorties. En raison de la quantité d’alcool qu’elle avait consommé pendant la soirée, ses souvenirs de la fête étaient altérés. J’ai trouvé qu’elle témoignait de façon franche et était même d’accord avec la représentante du membre visé sur certaines suggestions qui ne l’avantageaient pas. Cependant, en ce qui concerne les événements qui ont eu lieu dans la salle de bain, elle était inébranlable dans son récit. Par conséquent, j’accepte son témoignage.

[33] En ce qui concerne la suggestion selon laquelle il y avait eu collusion par inadvertance, aucun élément de preuve ne laisse sous-entendre que la plaignante a adopté les conclusions d’autres témoins ou a été indûment influencée par eux. Je rejette donc cet argument.

Gendarme Miranda

[34] Les représentants de l’autorité disciplinaire ont soutenu que je devais faire une appréciation défavorable de la crédibilité du gendarme Miranda. Ils ont souligné l’absence de corroboration quant à l’affirmation du gendarme Miranda selon laquelle il y avait des problèmes dans la relation entre la plaignante et le gendarme X, ce qui a mené à l’intervention du gendarme Miranda. Ils ont également affirmé que la suggestion du gendarme Miranda selon laquelle lui et la plaignante ont parlé de divers sujets, y compris leurs mariages, en 5 à 10 secondes, n’a aucun sens.

[35] Les représentants de l’autorité disciplinaire ont également souligné les incohérences entre le témoignage du gendarme Miranda et la déclaration qu’il a fournie dans le cadre de l’enquête, par exemple la quantité d’alcool qu’il avait consommé, le fait qu’il se soit servi de sa paume droite pour guider la plaignante dans la salle de bain et le moment où le gendarme X aurait fait un commentaire à la fête.

[36] Les représentants de l’autorité disciplinaire ont suggéré que le gendarme Miranda tentait de trouver un récit qui allait justifier l’histoire crédible que [la plaignante] avait racontée. Ils ont fait valoir que le gendarme Miranda avait un [traduction] « motif manifeste de mentir », soit de préserver sa carrière, son mariage et sa réputation.

[37] En ce qui concerne le gendarme Miranda, j’ai trouvé qu’il a témoigné de façon claire, mais de manière inconstante. À certains moments, il semblait chercher des réponses. Malgré le fait qu’il était présent lors des événements en question et que ses capacités n’étaient pas considérablement affaiblies, les incohérences et le caractère déraisonnable dans ses réponses m’ont amené à le trouver ni crédible ni fiable.

[38] Je détaillerai les problèmes précis quant aux témoignages de la plaignante et du gendarme Miranda dans mon analyse de l’allégation.

Analyse

[39] Comme il a déjà été mentionné, il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités. Concrètement, cela signifie que je dois conclure que l’autorité disciplinaire a établi qu’il est plus probable que le contraire que le gendarme Miranda a contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie.

[40] Selon le critère de conduite déshonorante aux termes du paragraphe 7.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit prouver les éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre qui aurait commis les actes;
  2. les actes qui constituent le comportement allégué;
  3. le fait que le comportement du membre est susceptible de discréditer la GRC;
  4. le fait que la conduite est suffisamment liée aux fonctions et aux responsabilités du membre pour donner à la GRC un intérêt légitime à discipliner le membre.

Identité du membre

[41] L’identité du gendarme Miranda en tant que membre qui aurait commis les actes énoncés dans l’avis d’audience disciplinaire n’est pas contestée. Ainsi, le premier élément du critère est établi.

Actes constituant le comportement allégué

[42] Les incidents, qui seraient survenus le 24 novembre 2023, sont que le gendarme Miranda a agressé sexuellement la plaignante et a fait des commentaires sexuels inappropriés à l’endroit de la caporale A.F.

[43] L’allégation comprend 20 détails. Bien que le gendarme Miranda ait admis certains des détails, les éléments importants requis pour rendre une décision sur l’allégation sont contestés.

[44] Étant donné que le fondement de l’allégation est le comportement allégué dans le détail 4 et que les conclusions dans le détail 5 sont tirées de ce comportement présumé, j’examinerai sommairement les autres détails avant de me concentrer sur les détails 4 et 5 et de fournir une conclusion quant au détail 20.

Détails 1, 2, 3, 7, 11 et 16

[45] Ces détails ne sont pas contestés et ont été admis par le gendarme Miranda dans sa réponse à l’allégation et confirmés lors de son témoignage. Ces détails ont également été corroborés par d’autres témoins pendant l’audience disciplinaire. Par conséquent, les détails 1, 2, 3, 7, 11 et 16 sont établis.

Détail 6

[46] Il est clair, d’après le témoignage de tous les témoins, y compris le gendarme Miranda, qu’il a assumé le rôle de barman pendant la fête de Noël et qu’après la fête, il a agi comme conducteur désigné pour certains des invités. Ainsi, le détail 6 est établi.

Détail 8

[47] La plaignante et le gendarme Miranda ont déclaré qu’il lui avait fourni des boissons alcoolisées pendant la fête. Le gendarme Miranda a déclaré qu’il avait rempli le verre de « rhum et coke » de la plaignante à au moins trois reprises, en plus de lui servir les boissons qu’elle avait apportées à la fête. Ainsi, le détail 8 est établi.

Détail 9

[48] Tous les témoins, y compris le gendarme Miranda, ont déclaré qu’il s’était installé derrière le bar et préparait des boissons pour les autres invités. La caporale A.F. a déclaré que le gendarme Miranda avait préparé ses boissons. Bien que le gendarme Miranda n’ait pas précisé qu’il avait préparé les boissons de la caporale A.F., il a déclaré qu’il préparait des boissons sur demande et qu’il offrait aux invités de remplir leurs verres à nouveau au besoin. Par conséquent, je conclus qu’il a préparé des boissons pour la caporale A.F. Le détail 9 est ainsi établi.

Détail 10

[49] La caporale A.F., le gendarme D.R. et le gendarme Miranda ont tous déclaré que la gendarme H.D. s’est arrêtée à la fête et a apporté un appareil de détection approuvé. Ils ont tous déclaré avoir fourni un échantillon d’haleine et ont confirmé que le taux d’alcoolémie du gendarme Miranda était d’environ 40 mg par 100 ml de sang. Ainsi, le détail 10 est établi.

Détail 12

[50] Le gendarme X a déclaré qu’il avait demandé au gendarme Miranda s’il allait déposer la caporale A.F. chez elle en premier et que le gendarme Miranda a répondu [traduction] « elle peut revenir [caviardé] avec nous; je pourrai peut-être même avoir une pipe sur le chemin de retour ». La caporale A.F. a déclaré qu’elle ne s’était pas initialement souvenue que ce commentaire avait été fait. Elle a dit n’avoir eu qu’un vague souvenir plus tard que le commentaire avait été dit, mais qu’elle n’en avait pas fait grand cas, puisqu’il n’était pas rare que le gendarme Miranda fasse des commentaires ou des blagues de cette nature. Dans son témoignage, le gendarme Miranda a admis avoir fait le commentaire, mais a expliqué que son intention était simplement une blague entre amis. Par conséquent, je conclus que le détail 12 est établi.

Détail 13

[51] Dans la déclaration du gendarme Miranda, fournie le 28 février 2024 à l’enquêteur disciplinaire[6], il a indiqué « c’est un commentaire [concernant la “pipe”] que j’aurais fait, mais c’est un commentaire que j’ai dû faire une centaine de fois à [la caporale A.F.] ». En outre, pendant son témoignage à l’audience disciplinaire, le gendarme Miranda a confirmé qu’il faisait souvent des blagues qui seraient considérées comme inappropriées à la caporale A.F. Par conséquent, le détail 13 est établi.

Détail 14

[52] La plaignante et le gendarme X ont chacun déclaré que, à leur arrivée à la demeure du gendarme X, la plaignante a révélé que le gendarme Miranda l’avait embrassée à la fête. Bien que la plaignante ne se souvenait pas des éléments précis qu’elle avait révélés au gendarme X à ce moment-là, autre que [traduction] « Shaun m’a embrassée », le gendarme X a déclaré que la plaignante lui a dit qu’elle était allée à la salle de bain, et qu’à sa sortie, le gendarme Miranda avait placé ses mains sur ses épaules, avait mis sa langue dans sa bouche et avait commencé à l’embrasser. Le gendarme X a aussi déclaré qu’elle lui avait dit qu’elle avait repoussé le gendarme Miranda et était retournée à la fête. Ainsi, le détail 14 est établi.

Détail 15

[53] Bien que la plaignante et le gendarme Miranda se rappellent tous deux des événements décrits dans ce détail, leurs versions diffèrent.

[54] La plaignante décrit qu’une fois, elle était assise au bureau et travaillait à l’ordinateur, quand le gendarme Miranda s’est approché d’elle par l’arrière et l’a ramassée par son gilet. Le gendarme Miranda se souvient d’avoir vu la plaignante au bureau, mais nie l’avoir ramassée par le gilet, en affirmant que cela serait impossible. La plaignante n’a pas clairement indiqué si ce geste, le fait d’avoir tiré sur sa veste, l’avait levée du sol complètement ou l’avait simplement soulevée un peu. Quoi qu’il en soit, j’ai du mal à accepter la version du gendarme Miranda, qui affirme catégoriquement que cela serait impossible; je préfère la version donnée par la plaignante.

[55] En ce qui concerne l’autre événement compris dans ce détail, la plaignante et le gendarme Miranda ont fourni des récits semblables. Toutefois, lors des témoignages, la plaignante a déclaré que le gendarme Miranda lui avait tapoté le bras, tandis que le gendarme Miranda a déclaré, sans trop de confiance, qu’il ne croyait pas avoir fait cela. Étant donné les différences évidentes quant à l’assurance dans leur réponse, je préfère la version de la plaignante. Ainsi, le détail 15 est établi.

Détail 17

[56] Bien que ce détail ne comprenne pas toutes les précisions fournies par le gendarme Miranda lors des échanges du 16 décembre 2023 avec le gendarme X, chacun des points énoncés a été confirmé par le gendarme Miranda pendant son témoignage à l’audience disciplinaire et est compris dans l’enregistrement. Ainsi, le détail 17 est établi.

Détail 18

[57] Il est incontestable que le gendarme X a enregistré son échange avec le gendarme Miranda et que l’enregistrement a été saisi en vertu d’un mandat dans le cadre de l’enquête disciplinaire. L’enregistrement a été abordé pendant le témoignage de chacun et a été joué pendant le témoignage du gendarme X. De plus, l’enregistrement a été communiqué au Comité de déontologie et fait partie du dossier de preuve dont je suis saisi. Ainsi, le détail 18 est établi.

Détail 19

[58] L’enregistrement fait par le gendarme X démontre clairement que le gendarme Miranda a dit que la plaignante [traduction] « se donnait volontiers » et qu’il essayait de la rendre [traduction] « moins mal à l’aise avec la situation ». Le gendarme X et le gendarme Miranda ont tous deux parlé de cet échange pendant leur témoignage, et le gendarme Miranda n’a pas contesté les mots qu’il a utilisés. Par conséquent, le détail 19 est établi.

Détail 4

[59] Comme je l’ai indiqué au début de mon analyse des détails, le fondement de l’allégation est ce qui s’est produit dans ou près de la salle de bain au sous-sol dans la demeure des gendarmes D.A et D.R., pendant la fête de Noël qu’ils ont organisée le 24 novembre 2023.

[60] La plaignante a déclaré qu’elle était allée aux toilettes et qu’en ouvrant la porte à sa sortie, le gendarme Miranda se tenait tout juste devant la porte, ce qui l’a surprise. Elle a déclaré qu’il a marché direct dans elle, qu’il a mis ses mains sur la partie supérieure de ses biceps et qu’il l’a repoussée vers l’évier. Il l’a embrassée sur les lèvres et a enfoncé sa langue dans sa bouche. Paniquée, elle l’a repoussé, a quitté la salle de bain et est retournée au bar. Elle a déclaré que l’incident n’a duré que quelques secondes, que la porte était grande ouverte et qu’aucun mot n’avait été échangé entre eux. En contre-interrogatoire, elle affirmait sans équivoque qu’elle savait exactement ce qui s’était passé dans la salle de bain, et qu’elle n’avait aucun doute que le gendarme Miranda avait mis sa langue dans sa bouche.

[61] La plaignante a déclaré qu’elle n’a rien dit au sujet de l’agression sexuelle alléguée parce qu’elle ne voulait pas commencer une bagarre ou perturber la fête. Lorsqu’on l’a interrogée sur la question de savoir si elle avait serré le gendarme Miranda dans ses bras et si elle l’avait embrassé à la fête, la plaignante a déclaré qu’elle n’avait jamais serré le gendarme Miranda dans ses bras et qu’elle ne l’avait jamais embrassé sur la joue.

[62] Le gendarme Miranda a déclaré qu’il avait remarqué la dynamique entre la plaignante et le gendarme X pendant la soirée et s’inquiétait de la possibilité qu’il y ait des problèmes dans le couple.

[63] Le gendarme Miranda a déclaré que, au milieu de la soirée ou plus tard, il devait aller aux toilettes. Comme il y avait quelqu’un dans la salle de bain, il a attendu près de la porte. Lorsque la porte s’est ouverte, il a vu que c’était la plaignante qui s’y trouvait.

[64] Le gendarme Miranda a affirmé que la plaignante s’apprêtait à sortir de la salle de bain lorsqu’elle l’a salué. Il a expliqué que c’était la première fois qu’ils étaient seuls depuis le début de la fête et la première fois depuis son mariage. Elle lui a demandé où se trouvait sa femme et lui a dit à quel point elle s’était amusée à leur mariage. Comme la plaignante et le gendarme X étaient fiancés, le gendarme Miranda a posé des questions au sujet de leurs plans de mariage. Il a affirmé que c’était une conversation de nature sociale qui a duré de 5 à 10 secondes.

[65] À ce moment-là, le gendarme Miranda dit avoir pensé à la relation de la plaignante et du gendarme X et de la dynamique qu’il avait vue entre eux, donc il en a profité pour en parler avec elle. Puisqu’il s’agissait d’une conversation personnelle qu’il ne voulait pas aborder dans un contexte social bruyant avec des gens autour, il a mis sa main sur son épaule ou sur son dos pour la guider dans la salle de bain. Il a affirmé qu’ils sont [traduction] « rentrés même pas un pied dans la salle de bain » et qu’il a demandé à la plaignante si elle et le gendarme X allaient bien. Elle a répondu qu’ils allaient bien, puis elle a mis ses bras au-dessus des épaules du gendarme Miranda et lui a donné une étreinte de reconnaissance. Il prétend qu’il lui a rendu la pareille en mettant ses mains autour de son dos.

[66] Le gendarme Miranda a déclaré que l’étreinte a duré quelques secondes, et qu’il ne se souvient pas qui a relâché l’étreinte en premier, mais qu’elle avait duré une ou deux secondes et que c’était gênant. La plaignante lui a ensuite donné un baiser sur la joue droite, et il lui a rendu la pareille, ne sachant pas quoi faire. Il a affirmé qu’ils sont sortis de la salle de bain tous les deux au même moment et que la plaignante est retournée à la fête, pendant qu’il était debout dans le couloir et qu’il pensait à ce qui venait de se produire.

[67] Le gendarme Miranda a nié l’avoir repoussée dans la salle de bain, l’avoir embrassée sur les lèvres et avoir enfoncé sa langue dans sa bouche.

[68] Tout en reconnaissant qu’elle était en état d’ébriété et en convenant que la consommation d’alcool peut avoir des effets néfastes sur la perception et les souvenirs, la plaignante a fourni un récit clair de ce qui s’est produit dans la salle de bain. Elle a témoigné de manière directe et franche. Son témoignage est renforcé par ce qu’elle a raconté au gendarme X après qu’ils aient été déposés à sa résidence. Bien qu’elle était en état d’ébriété et qu’elle ne se souvienne pas de chaque élément survenu pendant la fête et le trajet de retour à la maison, rien ne prouve qu’elle n’était pas en mesure de comprendre la nature des gestes du gendarme Miranda. Il est certain qu’un incident comme celui-ci ressortirait du lot. Par conséquent, je trouve que la version de la plaignante a une apparence de vraisemblance.

[69] Inversement, je trouve la version du gendarme Miranda problématique. Voici certains des problèmes que j’ai soulevés dans le témoignage du membre visé :

  1. À l’exception d’un acquiescement vague de la caporale A.F. quant à la façon dont la plaignante et le gendarme X agissaient l’un envers l’autre, aucun autre témoin n’a souligné de conflit ou de dispute entre le couple pendant la fête.
  2. Compte tenu du niveau d’intoxication de la plaignante, qui a été souligné par le gendarme Miranda, il semble peu probable que ce dernier ait choisi d’avoir une discussion de nature délicate avec une personne dans cet état.
  3. Le gendarme Miranda et la plaignante ont tous deux dit, en décrivant la relation entre eux, qu’ils étaient des connaissances. Il est difficile de croire qu’il serait suffisamment à l’aise avec elle pour engager une conversation personnelle du genre, et encore plus de lui demander de le rejoindre dans la salle de bain, puis de la rassurer en lui disant qu’il était là pour elle.
  4. Il semble tout à fait illogique qu’une conversation passe d’une discussion sur les projets de mariage de la plaignante et du gendarme X à des questions sur la stabilité de leur couple.
  5. Le gendarme Miranda a déclaré qu’il n’avait pas eu l’occasion de parler avec le gendarme X pendant la fête. Les deux membres ont déclaré qu’ils étaient de bons amis. Par conséquent, si le gendarme Miranda croyait que le gendarme X avait des problèmes de couple, il serait raisonnable que le gendarme Miranda s’efforce d’aller lui parler.
  6. Lorsque le gendarme X l’a confronté le 16 décembre 2023, le gendarme Miranda était naturellement surpris. Il n’avait pas prévu avoir cette conversation et était confronté à des accusations graves. Toutefois, sa réponse, qui comprend la déclaration selon laquelle elle [traduction] « se donnait volontiers », n’est pas conforme à sa version des faits.

[70] De plus, il convient de noter que la plaignante ne voulait pas signaler l’agression sexuelle présumée, et qu’elle ne l’a pas signalé. C’est la gendarme D.A. qui a pris les mesures requises pour signaler l’incident de manière officielle, après qu’elle en ait été informée par le gendarme D.R., qui en avait été informé par le gendarme X. Comme l’a témoigné la plaignante, le signalement de l’incident n’a entraîné que des répercussions négatives sur elle.

[71] Par conséquent, je préfère la version des faits de la plaignante. Le détail 4 est ainsi établi.

Détail 5

[72] Compte tenu de ma conclusion concernant le détail 4 et du témoignage de la plaignante selon lequel le gendarme Miranda a eu des contacts physiques non consensuels avec elle, le détail 5 est établi.

[73] Ainsi, je conclus que les actes constituant le comportement allégué ont été établis et que le deuxième élément du critère est rempli.

Probabilité que le comportement discrédite la GRC

[74] Pour déterminer la probabilité que le comportement du gendarme Miranda discrédite la GRC, je dois déterminer si une personne raisonnable dans la société, ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que les actes du gendarme Miranda seraient susceptibles de discréditer la GRC.

[75] Je vais commencer par déterminer si les gestes posés par le gendarme Miranda à la fête constituent une agression sexuelle. Pour ce faire, je me tourne vers l’affaire Brown[7], dans laquelle l’arbitre convient avec le Comité externe d’examen qu’Ewanchuk[8] est le critère de droit approprié permettant de déterminer si les actes d’une personne constituent une agression sexuelle, même dans un contexte civil. Le critère Ewanchuk exige que les éléments suivants soient présents :

  1. relations physiques de nature sexuelle;
  2. la conclusion que l’état d’esprit de la partie plaignante était qu’elle n’avait pas donné son consentement aux attouchements sexuels;
  3. une conclusion selon laquelle l’accusé savait que la partie plaignante n’avait pas consenti, qu’il était insouciant ou volontairement aveugle concernant la question du consentement, ou qu’il n’avait pas pris des mesures raisonnables pour vérifier le consentement de la partie plaignante[9].

[76] La Cour suprême du Canada stipule que la nature sexuelle d’une agression est déterminée objectivement[10]. Le gendarme Miranda a repoussé la plaignante dans la salle de bain, l’a embrassée sur les lèvres et a enfoncé sa langue dans sa bouche. Il est largement entendu que les baisers de cette nature sont faits à des fins sexuelles. Par conséquent, je conclus que les contacts physiques du gendarme Miranda avec la plaignante étaient de nature sexuelle.

[77] En outre, la plaignante a déclaré qu’aucun mot n’avait été échangé entre elle et le gendarme Miranda avant l’incident. D’ailleurs, elle a clairement démontré, par ses actions subséquentes et dans son témoignage, qu’elle n’avait pas consenti à ces contacts avec le gendarme Miranda. Par conséquent, je constate que les deuxième et troisième éléments du critère sont remplis. Je constate ainsi que le gendarme Miranda a commis une agression sexuelle selon la norme civile.

[78] De plus, je conclus que le commentaire du gendarme Miranda à l’endroit de la caporale A.F. concernant la « pipe », une allusion à des relations sexuelles orales, était offensant et très inapproprié. Même si un commentaire isolé de cette nature, fait en privé entre deux amis, n’entraîne pas toujours des représailles, les circonstances particulières de cet incident justifient des sanctions.

[79] Peu avant de faire le commentaire, le gendarme Miranda avait embrassé de force une femme en état d’ébriété pendant une fête de Noël. Il a ensuite fait ce commentaire déplacé en présence du gendarme X et de la plaignante, en visant la caporale A.F., qui était une collègue. De plus, la caporale A.F. était également une femme en état d’ébriété, qui allait être seule dans le véhicule avec le gendarme Miranda après qu’il aurait déposé les autres passagers chez eux.

[80] Tout au long de l’audience disciplinaire, j’ai entendu à maintes reprises des éléments de preuve concernant la confiance qui est intrinsèquement accordée aux policiers. Les membres de la GRC doivent se conformer au code de déontologie, qu’ils soient en service ou non. Compte tenu de l’agression sexuelle et des remarques offensantes de nature sexuelle, le comportement du gendarme Miranda représente un écart grave par rapport à la norme attendue d’un membre de la GRC.

[81] Ainsi, je conclus qu’une personne raisonnable dans la société, ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que les actes du gendarme Miranda seraient susceptibles de discréditer la GRC. Ainsi, le troisième élément du critère est établi.

Actes liés aux fonctions et aux responsabilités de la GRC et la nécessité de discipliner le membre

[82] Même si le gendarme Miranda n’était pas en service au moment des incidents, comme je viens de le mentionner, le code de déontologie s’applique aux membres de la GRC qu’ils soient en service ou non. De plus, le gendarme Miranda a commis les actes contre des collègues pendant qu’il participait à une activité organisée par des collègues, à laquelle participaient d’autres collègues. En outre, une agression sexuelle, une infraction dans le cadre de laquelle il pourrait être appelé à intervenir à titre de policier, est un problème qui afflige notre société, et la GRC déploie des efforts considérables pour l’éliminer de son milieu. Par conséquent, j’estime que le comportement du gendarme Miranda est suffisamment lié à ses fonctions et à ses responsabilités pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

Décision sur l’allégation

[83] Par conséquent, comme les quatre éléments du critère sont satisfaits, je constate que la conduite du gendarme Miranda est déshonorante. Ainsi, je conclus que le détail 20 et l’allégation sont établis selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

[84] Ayant déterminé que l’allégation est fondée, j’ai l’obligation d’imposer, conformément à l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, « des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».

[85] L’autorité disciplinaire demande le congédiement immédiat du gendarme Miranda. Autrement, l’autorité disciplinaire demande que l’on ordonne au gendarme Miranda de démissionner dans les 14 jours, faute de quoi il sera congédié.

[86] Inversement, la représentante du membre visé a fait valoir qu’un congédiement serait une sanction démesurée par rapport à la nature de l’inconduite du gendarme Miranda et a suggéré qu’une mesure moindre serait plus appropriée. Elle a ainsi fait valoir qu’une combinaison des mesures graves énoncées dans les dispositions législatives permettrait de remédier adéquatement à l’inconduite du gendarme Miranda. Sinon, elle a demandé qu’on ordonne au gendarme Miranda de démissionner plutôt que de le congédier catégoriquement.

[87] À l’étape des mesures disciplinaires, j’ai entendu le témoignage du gendarme Miranda et le témoignage de son épouse, la gendarme H.D.

[88] Le gendarme Miranda a déclaré qu’il a immigré au Canada à l’âge de 12 ans. Il a expliqué qu’il avait toujours voulu devenir policier, puisqu’il voulait aider les gens et les défendre. De plus, il a parlé de l’image de la GRC et de la fierté qu’il ressentait lorsqu’il s’est joint à la Gendarmerie.

[89] Le gendarme Miranda a parlé de son arrivée au détachement – sa première affectation – et de la confrérie manifeste qu’il y avait connue. Il a ensuite décrit son expérience en tant que policier, y compris ses défis et ses réussites. Il a souligné qu’il se remet bien de ses erreurs professionnelles, qu’il a beaucoup appris du processus disciplinaire et qu’il était impatient à l’idée de regagner la confiance qu’il avait perdue.

[90] Le gendarme Miranda a dit regretter ses actes et a présenté ses excuses à la caporale A.F., aux gendarmes D.A., D.R. et X et à la plaignante, ainsi qu’à la direction du détachement.

[91] La gendarme H.D. a déclaré que le gendarme Miranda [traduction] « a constamment fait preuve d’intégrité, de loyauté et de soins dans ses relations en dehors de cette affaire ». Elle a reconnu qu’elle ne s’attendait pas à ce genre de comportement de lui ou qu’elle ne pensait pas qu’il était capable de commettre une agression sexuelle; cependant, elle ne croyait pas qu’il avait manqué à ses vœux de mariage.

[92] La gendarme H.D. a déclaré qu’elle connaissait très bien tous les détails de l’incident, mais qu’elle connaît le gendarme Miranda mieux que quiconque. Tout en admettant qu’il n’est pas parfait et qu’il peut être immature et inapproprié, elle a déclaré qu’on le présentait comme [traduction] « une personne vraiment horrible », et que ce n’est pas qui il est.

[93] Bien qu’elle n’ait pas débattu de la question avec acharnement, la représentante du membre visé a suggéré qu’étant donné que l’inconduite s’est produite avant la publication de la version de 2024 du Guide des mesures disciplinaires, je pouvais orienter ma décision en fonction de la version de 2014 au lieu. L’autorité disciplinaire a déclaré que, comme nous sommes actuellement en 2025, la version de 2024 fournit les directives applicables.

[94] Il convient de noter que les deux rapports[11] sur lesquels la version de 2024 du guide est fondée ont été publiés avant l’inconduite en question. De plus, comme la représentante du membre visé l’a soulignée en lien avec l’une de mes décisions antérieures[12], peu importe la version mentionnée, je ne suis pas restreint par les directives qui y sont contenues. Cela dit, je vais appliquer les principes énoncés dans la version de 2024, qui a été citée dans les observations des représentants des deux parties.

[95] Par conséquent, pour évaluer les mesures disciplinaires appropriées, j’appliquerai tout d’abord les cinq principes fondamentaux qui guident l’évaluation d’une mesure disciplinaire appropriée, comme ils sont décrits dans la section A.2 du Guide des mesures disciplinaires de 2024 « Cinq principes fondamentaux – Comment déterminer une mesure disciplinaire appropriée ».

Évaluation des mesures disciplinaires appropriées

[96] Le premier principe fondamental stipule que « les mesures disciplinaires devraient être pleinement conformes aux quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police », qui exige un équilibre entre quatre intérêts : 1) l’intérêt public; 2) l’intérêt de la GRC en tant qu’employeur; 3) l’intérêt du membre visé à être traité équitablement; 4) l’intérêt des personnes touchées par l’inconduite, le cas échéant[13].

[97] Les alinéas 36.2b) et c) de la Loi sur la GRC mettent en évidence ce principe :

Objet

36.2 La présente partie a pour objet :

[…]

b) de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres sont censés observer;

c) de favoriser la responsabilité et la responsabilisation des membres pour ce qui est de promouvoir et de maintenir la bonne conduite au sein de la Gendarmerie;

[…]

[98] La Cour suprême du Canada a également souligné l’importance de l’intérêt public en déclarant que « [l]es organismes disciplinaires ont pour objectifs de protéger le public, de réglementer leur profession respective et de préserver la confiance du public envers ces professions […] »[14].

[99] Les deuxième et troisième principes prévoient que les mesures disciplinaires éducatives et correctives doivent prévaloir, s’il y a lieu, et que la présomption voulant que la mesure la moins sévère soit retenue doit être imposée. Toutefois, ces deux principes seront écartés si l’intérêt public ou d’autres considérations, comme la gravité de l’inconduite, prévalent.

[100] Le quatrième principe est que les mesures disciplinaires imposées doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions. Pour ce faire, le Comité de déontologie doit recenser les facteurs de proportionnalité pertinents et les apprécier pour établir s’ils sont atténuants, aggravants ou neutres. Enfin, le Comité de déontologie doit pondérer et soupeser adéquatement ces différents facteurs en tenant compte des circonstances de l’affaire et des quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police.

[101] Le cinquième principe est que l’on s’attend à ce que les policiers respectent une norme de conduite plus élevée.

[102] Je vais examiner à fond les cinq principes, mais pas dans l’ordre, car je crois que l’analyse s’enchaîne de manière plus logique ainsi. Je présenterai mes conclusions concernant les deuxième et troisième principes plus loin dans ma décision.

Respect des objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police

[103] Le public s’attend à ce que les membres de la GRC, à qui des pouvoirs exceptionnels pour faire respecter les lois dans notre société ont été accordés, respectent eux-mêmes la loi et donnent l’exemple. Les incidents d’inconduite sexuelle sont intrinsèquement personnels pour ceux qui en sont victimes et entraînent des répercussions durables. Ainsi, le public a tout intérêt à s’assurer que ceux qui commettent de tels actes ne demeurent pas en position d’autorité et à éviter d’exposer quiconque à des risques aux mains de ceux ayant déclaré sous serment qu’ils protégeraient le public.

[104] De même, en tant qu’employeur, la GRC est tenue d’offrir un lieu de travail sécuritaire à ses employés. Elle doit donc prendre les mesures nécessaires pour protéger ses employés contre d’éventuelles menaces. Étant donné la nature de l’inconduite du gendarme Miranda, le fait que l’incident se soit produit lors d’une activité de la GRC (bien que dans un contexte non officiel) et le fait que les personnes touchées sont des collègues, la GRC aurait tout lieu de s’inquiéter si le gendarme Miranda demeurait dans le milieu de travail.

[105] En outre, au cours des dernières décennies, la GRC a été aux prises avec un grand nombre de signalements de cas de harcèlement sexuel et d’agressions connexes. Une attention médiatique considérable a été accordée à ce problème, ce qui a créé un manque de confiance tant au sein de la GRC que dans l’ensemble de la société et qui a nui à la réputation de la GRC. Pour rétablir cette confiance, la GRC doit démontrer qu’elle tient ses membres responsables de leurs actes lorsqu’ils contreviennent au code de déontologie.

[106] Les intérêts du gendarme Miranda doivent également être pris en compte. Il doit bénéficier des droits prévus par l’équité procédurale. De surcroît, puisque le résultat d’un processus administratif, comme celui prévu par le code de déontologie de la GRC, aura des répercussions importantes sur sa vie personnelle ainsi que sa carrière, je dois garder à l’esprit les objectifs de correction et de réhabilitation de ce processus.

[107] Les intérêts du gendarme Miranda ont été protégés tout au long du processus, qui a abouti à une audience disciplinaire complète, où il a eu l’occasion de se faire entendre et de mettre à l’épreuve la thèse de l’autorité disciplinaire.

[108] Les intérêts des parties touchées doivent également être pris en compte. La plaignante a témoigné au sujet des répercussions qu’ont eues les actes du gendarme Miranda sur elle, notamment la diminution de son niveau d’aisance et d’enthousiasme relativement à son nouveau poste.

[109] Bien que la caporale A.F. n’ait pas initialement été dérangée par le commentaire que le gendarme Miranda avait fait à son endroit, pendant son témoignage, elle a dit avoir une nouvelle façon de voir la nature de ce commentaire.

Proportionnalité

[110] La présence de facteurs atténuants, aggravants ou neutres joue un rôle dans ma prise de décision. Je dois donc les soupeser de manière appropriée en tenant compte du contexte de l’affaire et des quatre objectifs du processus de traitement des plaintes et de discipline de la police, qui sont énumérés dans le premier principe fondamental.

[111] Le Guide des mesures disciplinaires de 2024 comprend une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte pour déterminer la proportionnalité. J’énumérerai ceux qui sont pertinents en l’espèce et préciserai si je juge qu’il s’agit de facteurs atténuants, aggravants ou neutres.

  1. Intérêt public : Comme je l’ai indiqué précédemment, les membres du public ont tout intérêt à pouvoir croire avec confiance que les personnes en position d’autorité les protégeront. Un acte de violence sexuelle a l’effet contraire. Cet incident a attiré l’attention des médias, ce qui a eu pour effet de miner la confiance que le public peut accorder à la police, plus précisément à la GRC. Il s’agit donc d’un facteur aggravant.
  2. Gravité de l’inconduite : Tout acte de violence sexuelle constitue une inconduite grave. Bien que les actes du gendarme Miranda ne soient pas le type d’inconduite sexuelle la plus grave, il y a plusieurs facteurs qui augmentent la gravité : le niveau d’intoxication de la plaignante, qui l’a rendue intrinsèquement plus vulnérable que si elle n’avait pas été en état d’ébriété; le fait que le gendarme Miranda était conscient de son niveau d’intoxication, puisqu’il lui fournissait de l’alcool et a fait remarquer qu’elle était très ivre; son recours à la force; son recours à cette force pour la placer dans un espace clos aux fins de la perpétration de l’agression; et les répercussions de ses actes sur la plaignante et leurs collègues. Il s’agit donc d’un facteur aggravant.
  3. Reconnaissance de la gravité de l’inconduite (remords) : Pendant son témoignage sur les mesures disciplinaires, le gendarme Miranda a assumé la responsabilité de ses actes et a exprimé son désir de présenter ses excuses aux personnes touchées par ses actes, y compris la plaignante et la caporale A.F. Il a démontré qu’il comprenait que sa conduite a eu une grande incidence sur ses collègues et l’organisation. Je considère qu’il était sincère et authentique; il s’agit donc d’un facteur atténuant.
  4. Invalidité et autres considérations pertinentes : Il a eu mention d’une hospitalisation pendant le témoignage du gendarme Miranda et dans les observations de la représentante du membre visé relativement aux mesures. Cependant, aucun élément de preuve n’a été fourni de manière à m’informer au sujet d’un problème de santé, le cas échéant, dont aurait pu souffrir le gendarme Miranda. J’estime par conséquent qu’il s’agit d’un facteur neutre.
  5. Considérations relatives à l’équité procédurale : Bien qu’elle n’ait pas fourni d’arguments exhaustifs quant à la nature subreptice de l’enregistrement fait par le gendarme X, la représentante du membre visé a souligné la nature déplaisante du geste et la confiance du gendarme Miranda dans l’assurance donnée par le gendarme X que le contenu de leur conversation ne serait pas divulgué. Dans son témoignage, le gendarme X a expliqué pourquoi il a fait l’enregistrement et a dit qu’il n’avait pas l’intention de le divulguer; en fait, il a pris plusieurs mois à informer l’enquêteur disciplinaire de l’existence de l’enregistrement. Même si je considère que le geste était relativement sournois, aucune demande d’exclusion n’a été présentée, donc l’enregistrement a été admis en preuve. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un facteur neutre.
  6. Antécédents professionnels : La représentante du membre visé a beaucoup insisté sur les antécédents professionnels du gendarme Miranda, plus précisément sur le fait qu’il avait des évaluations de rendement positives, qu’il était un membre compétent et qu’il n’avait eu aucun problème de rendement antérieur. Toutefois, ses évaluations de rendement antérieures n’ont pas été produites en preuve, ce qui aurait pu montrer qu’il avait un rendement supérieur à la moyenne ou qu’il était un employé remarquable. Bien que je ne tire aucune conclusion négative de ce point, je ne peux non plus attribuer beaucoup de poids à ce facteur, puisque la GRC, comme tout employeur, a le droit de s’attendre à ce que ses employés accomplissent leurs tâches de manière satisfaisante. Je souligne néanmoins que le gendarme Miranda commençait à assumer un rôle de supervision, ce qui suggère que l’on considérait qu’il avait du potentiel. Cela dit, la représentante du membre visé a indiqué que le gendarme Miranda a sauvé la vie d’une personne par l’administration de naloxone. Je vais prendre en considération ce geste digne de mention. Je considère donc que les antécédents professionnels du gendarme Miranda constituent un facteur atténuant.
  7. Potentiel de réformer ou de réhabiliter : J’ai examiné le contenu des deux lettres fournies au nom du gendarme Miranda ainsi que la description de sa personne, selon le point de vue des répondants, dont sa femme. Je note également le témoignage du gendarme Miranda et les affirmations faites par la représentante du membre visé selon lesquelles son inconduite n’allait pas se reproduire. Il a été suggéré qu’il s’agissait d’un incident isolé et que son comportement ne correspondait pas à son comportement habituel. Cependant, je ne suis pas d’accord avec cette conclusion. Même si aucun autre incident d’agression sexuelle à son endroit n’a été signalé, j’ai entendu à maintes reprises des exemples du caractère inapproprié de sa conduite, y compris dans le milieu de travail. Je souligne le commentaire que le gendarme Miranda a fait à la caporale A.F. ainsi que sa suggestion selon laquelle il lui avait fait des commentaires de cette nature une centaine de fois auparavant. Cela discrédite l’image de la personne présentée par les répondants et la représentante du membre visé. Bien qu’il soit possible que le gendarme Miranda change comme suite au présent processus disciplinaire, ce sont ses gestes répétés qui révèlent sa véritable personnalité. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que ce type de comportement ne se reproduira pas. J’estime qu’il s’agit d’un facteur aggravant.
  8. Effets sur l’agent de police et sa famille : Le gendarme Miranda a mentionné les effets qu’ont eus ces accusations sur sa vie. Plus particulièrement, il a souligné le stress que cette situation a causé à lui et à sa femme, ainsi que le sentiment d’isolement et d’embarras qu’il a ressenti. Il ne fait aucun doute que sa famille et lui ont subi, et continueront de subir, les conséquences de cette affaire. J’estime donc qu’il s’agit d’un facteur atténuant.
  9. Parité (uniformité des décisions) : La représentante du membre visé a cité deux affaires[15] dans lesquelles un congédiement a été ordonné et qui se distinguent de la présente affaire, dans le sens où je conviens que les allégations visent des infractions plus graves que celles dont je suis actuellement saisi. Elle a également mentionné deux affaires[16] qui sont, selon elle, similaires, où le congédiement n’a pas été imposé. Avant d’examiner ces dernières affaires, il convient de noter que la règle du précédent (stare decisis) ne s’applique pas au droit administratif. Par conséquent, je n’ai pas à fonder ma décision sur les décisions prises par d’autres comités de déontologie. De plus, les incidents survenus dans Caram et dans Allen ont eu lieu en 2015 et en 2011 respectivement. Les attentes de la société ont évolué depuis, et les perspectives d’il y a dix ans ne reflètent pas celles de 2025. En outre, je remarque que, dans chacune de ces affaires, il y avait des facteurs atténuants solides, lesquels ne sont pas présents dans la présente affaire. Ainsi, je considère qu’il s’agit d’un facteur neutre.
  10. Dissuasion spécifique et générale : Je reconnais l’expérience du gendarme Miranda dans le cadre du processus disciplinaire, le fait qu’il dit regretter ses gestes et son désir de regagner le respect qu’il a perdu. Toutefois, étant donné que l’inconduite du gendarme Miranda n’était pas constituée d’un acte isolé, je trouve qu’une mesure de dissuasion spécifique est nécessaire. En outre, les cas de violence sexuelle commis par des membres de la GRC, ce qui ne devrait jamais se produire, continuent d’avoir lieu. Compte tenu du fléau que représente ce type d’inconduite pour la GRC, j’estime qu’une mesure de dissuasion générale s’impose également. Il s’agit donc d’un facteur aggravant.
  11. Confiance du public dans le service de police : Ayant déjà souligné l’importance de maintenir la confiance du public, je n’aborderai pas la question de nouveau, mais je tiens à souligner l’importance d’avoir une organisation policière efficace. Je conclus donc qu’il s’agit d’un facteur aggravant.

[112] Ayant soupesé tous les facteurs, j’en conclus qu’il y a davantage de facteurs aggravants.

Attentes du public

[113] Comme je l’ai déjà fait remarquer, le public s’attend à ce que les policiers soient tenus de respecter des normes de conduite plus élevées.

Prévalence des mesures disciplinaires éducatives et correctives et présomption de la mesure la moins sévère

[114] La section B.7.1.4.8 « Inconduite sexuelle » du Guide des mesures disciplinaires de 2024 énonce clairement l’optique dans laquelle le comportement de cette nature doit être examiné :

Les membres de la GRC occupent une position unique et visible dans les collectivités qu’ils servent. Ils occupent une position d’autorité et sont chargés de faire respecter les lois et de maintenir la sécurité publique. Occuper une position d’autorité vient avec d’importantes responsabilités et des attentes en matière de conduite exemplaire, que ce soit en service ou en dehors du travail. Cela est particulièrement important en ce qui concerne toute forme d’inconduite sexuelle, car les conséquences sont dévastatrices pour les personnes affectées, la confiance du public et celle des employés dans la GRC. Ce type de comportement compromettra l’emploi d’un membre à la GRC. [Caractères gras ajoutés.]

[115] Les sections B.7.1.4.8.5 et B.7.1.4.8.9 du Guide des mesures disciplinaires de 2024 énoncent ensuite que le congédiement par présomption est le résultat approprié pour une inconduite sexuelle avec des membres du public ou une agression sexuelle. Le congédiement par présomption signifie que, si les faits sont prouvés et en l’absence de circonstances atténuantes exceptionnelles, le membre peut raisonnablement s’attendre à un congédiement en tant que résultat probable.

[116] Les gendarmes D.A. et D.R. ont décidé d’organiser une fête à leur résidence pour célébrer Noël avec des membres de l’équipe de veille de la gendarme D.A. et d’autres employés du détachement. D’après la preuve entendue, tous les participants à la fête travaillaient au détachement ou étaient les conjoints d’un employé du détachement. Ainsi, il aurait dû s’agir d’un environnement sécuritaire où ils pouvaient se détendre et s’amuser.

[117] Les gendarmes D.A. et D.R. ont parlé de la confiance qui a été accordée en accueillant des invités chez eux et des attentes qu’ils avaient, puisqu’ils savaient que tout le monde à la fête avait un lien avec la GRC. La gendarme D.A était très émotive en décrivant l’abus de confiance dont a fait preuve le gendarme Miranda en commettant l’inconduite dans sa résidence.

[118] La plaignante, qui venait de commencer à travailler au détachement, a parlé de son degré d’aisance avec les participants, qu’elle connaissait par l’entremise du détachement ou du gendarme X. Elle s’est ainsi permis de consommer de l’alcool et de socialiser dans cet environnement sécuritaire. Au cours de la fête, la plaignante a consommé plusieurs boissons, dont la plupart qui ont été fournies par le gendarme Miranda, ce qui l’a amenée à être en état d’ébriété.

[119] C’est dans cet endroit sécuritaire que le gendarme Miranda a violé l’intégrité physique d’une femme en état d’ébriété, en la poussant de force dans une salle de bain, avant de l’embrasser sur les lèvres et de forcer sa langue dans sa bouche. Plus tard dans la même soirée, en présence de ses collègues, il a fait un commentaire à caractère sexuel visant la caporale A.F. Un commentaire qui, selon ses propres dires, est comme ceux qu’il avait faits à la caporale A.F. une centaine de fois auparavant.

[120] J’ai pris en considération la préférence pour l’imposition de mesures disciplinaires éducatives et correctives, le cas échéant, et la présomption de la mesure la moins sévère. Toutefois, après avoir pris en considération l’ensemble des circonstances, notamment la gravité de l’inconduite, le lieu où s’est produit l’incident et la dissuasion générale et particulière qui s’impose, j’ai conclu que ces principes devraient être réfutés.

Décision relative aux mesures disciplinaires

[121] Comme je l’ai déjà mentionné, l’autorité disciplinaire demande le congédiement immédiat du gendarme Miranda ou, autrement, l’imposition d’une ordonnance de démission dans les 14 jours, faute de quoi il sera congédié. À l’inverse, la représentante du membre visé propose l’imposition d’une combinaison de mesures graves au lieu du congédiement. Toutefois, si je ne suis pas convaincu que le gendarme Miranda doit être maintenu en poste, la représentante du membre visé demande que je lui ordonne de démissionner.

[122] L’allégation dans cette affaire est très grave. Le gendarme Miranda n’a pas seulement commis une agression sexuelle contre une personne vulnérable, il l’a fait dans un environnement qui aurait dû être sécuritaire. Ses actes ont détruit des amitiés et a brisé la confiance de ses collègues; des collègues qui doivent compter les uns sur les autres dans des situations très stressantes et dangereuses et, parfois, qui doivent mettre leur propre vie entre les mains de l’autre.

[123] Par conséquent, j’estime que le gendarme Miranda a rompu le lien d’emploi qui existait entre lui et la GRC. Son maintien en poste saperait la confiance du public à l’égard de l’organisation, en plus de la confiance de ses collègues. Par conséquent, j’ordonne au gendarme Miranda de démissionner dans les 14 jours, faute de quoi il sera congédié.

DÉCISION

[124] L’allégation est établie. Conformément à l’alinéa 45(4)b) de la Loi sur la GRC, j’ordonne au gendarme Miranda de démissionner dans les 14 jours, faute de quoi il sera congédié.

[125] L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au gendarme Miranda, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014‑289.

 

 

9 septembre 2025

Colin Miller

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] Le 19 janvier 2024, l’autorité disciplinaire a signé une lettre de mandat d’enquête en déontologie modifiée pour changer l’enquêteur en déontologie affecté au dossier. La lettre de mandat d’enquête en déontologie modifiée a été signifiée au gendarme Miranda le 24 janvier 2024.

[2] F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], paragraphe 46.

[3] McDougall, paragraphe 86.

[4] R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, paragraphe 65; McDougall, paragraphe 58.

[5] Faryna v Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, page 357.

[6]Déclaration du gendarme Miranda fournie le 28 février 2024 à l’enquêteur disciplinaire, lignes 254 à 256 (version originale anglaise).

[7] Rob Hill, sous-commissaire, et Kelly Brown, 2024 DAD 09 [Brown], paragraphes 43 et 44.

[8] R c. Ewanchuk [1999] 1 RCS 330, [Ewanchuk].

[9] Brown, paragraphe 43.

[10]Ewanchuk, paragraphe 25.

[11] Paul Ceyssens et W. Scott Childs, Phase 1 – Rapport final concernant les mesures disciplinaires et l’imposition de mesures disciplinaires en cas d’inconduite à caractère sexuel au titre de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (24 février 2022); Paul Ceyssens et W. Scott Childs, « Phase 2 » – Rapport final concernant les mesures disciplinaires et les questions connexes en vertu de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, Rapport à la Gendarmerie royale du Canada (le 31 janvier 2023).

[12]Autorité disciplinaire désignée pour la Division K et le sergent d’état-major, la sergente d’état-major X, 2025 DAD 04, paragraphe 45.

[13]Section A.2.1 du Guide des mesures disciplinaires de 2024.

[14]Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, paragraphe 53.

[15] Commandant de la Division K et Martin, 2023 DAD 12; Commandant de la Division E et Dhillon, 2019 DARD 13.

[16] La commandante de la Division E et Caram, 2021 DAD 05; La commandante de la Division E et Caram, 2017 DARD 08 [Caram]; Le commandant de la Division H et Allen, 2019 DARD 10 [Allen].

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